L. 191.  >
À André Falconet,
le 6 août 1649

Monsieur, [a][1]

Je n’eus jamais tant d’affaires qu’à présent, mais je serais bien ingrat si je ne les quittais toutes pour vous remercier du beau présent que vous m’avez envoyé, et que j’ai reçu aujourd’hui avant midi des mains de M. Marchais l’aîné [2] qui est mon voisin et quelquefois mon malade, chez qui j’allais même voir son fils aîné. [3] Il a été ravi de voir ma joie et m’a témoigné qu’il eût voulu lui-même y contribuer. Je lui ai fait entendre que je ne pouvais autrement me retenir pour trois raisons : à cause de celui qui me faisait un si beau présent, qui était M. Falconet, excellent médecin de Lyon ; à cause de M. Gassendi [4] qui est un des savants hommes du monde ; et à cause du bon Épicure [5] que Sénèque [6] a jugé digne de la réputation des plus grands personnages qui aient jamais été. M. et Mme Marchais me disaient qu’ils ne voulaient pas que le port de votre ballot me coûtât rien, comme je m’offrais de le payer ; mais j’ai trouvé dans le paquet que vous m’aviez prévenu, [1] dont je vous remercie, comme de tout le reste et de tout le bien que vous me voulez. Je tâcherai de ne laisser passer aucune occasion de vous témoigner ma reconnaissance. Je vous envoie une lettre toute nouvelle du P. Caussin, [7] jésuite, duquel on commence ici un beau traité en deux volumes in‑fo sous ce titre, De Domo et Regno Dei[2] Mais d’autant que nos libraires sont fort lents à bien faire, je vous promets que si devant la fin de cet ouvrage il se présente ici quelque chose qui soit digne de vous, je vous l’enverrai aussitôt. Et en attendant, agréez que je me dise votre débiteur, comme j’avoue que par mon impuissance je le serai toute ma vie. J’ai fait délivrer à la fille et héritière du bon C. Hofmann, [8] il y a plus de trois mois, dont même j’ai la quittance, la somme de 150 livres pour un manuscrit pathologique qu’elle m’envoie et qui est en chemin. Il ne tiendra pas à moi qu’il ne soit mis sous la presse aussitôt que je l’aurai reçu, mais plutôt à nos libraires qui ne font guère ici. Je ne l’ai acheté qu’afin de le donner au public et d’en faire un bon livre cum physiologicis[3] que j’ai céans. Vous ne sauriez manquer de croire que vous en aurez aussi des premiers. Les Antiquités de la ville de Marseille [9] viendront quand il plaira à Dieu, [4] comme aussi la paix de Provence [10] que je souhaite fort pour tant de gens qui sont ruinés par la folie de nos ministres et par la rage du comte d’Alais. [11] Je suis bien aise que l’indice du livre de M. Riolan [12] vous plaise et à vous dire vrai, aussi l’ai-je fait avec grand contentement, et plusieurs de deçà m’ont témoigné le même sentiment que vous en avez, et entre autres l’auteur même, qui en a été ravi. Je vous prie aussi de corriger en la page 48 de cet index, au 3e article de Simon Pietrus[13] qui a été un autre Hippocrate et qui a passé Galien [14] de bien loin, et d’y mettre 593 au lieu de 893. [5] M. Riolan est fort mordant naturellement, ne vous étonnez point s’il traite mal et rudement ceux qui par ci-devant ne l’ont pas épargné, sauf à eux de se défendre. M. Walæus, [15] médecin de Leyde, [16] est mort, il ne lui répondra pas, M. Riolan en est tout dolent. [6][17] Tous les chapitres de M. Riolan sont assez bien étoffés et quiconque le voudra lire n’y perdra guère son temps, surtout en l’histoire des parties. [7] Optimo maximo viro P. Gassendo Nestoreos annos exopto[8][18]

On a sauvé depuis peu du gibet un homme à Montargis, [19] comme l’imprimeur à Paris. [9][20] Votre épileptique [21] habebat aliquid idiopathicum in cerebro [10][22] qui lui a causé la mort ; je pense que c’était quelque abcès. [23] Multa tegit sacro involucro Natura[11] ce dit Augurellus [24] en parlant du mystère de sa Chrysopée, et non pas Lucrèce [25] comme tant de gens le citent. Je vous prie de me faire la faveur de m’envoyer six lignes écrites de votre main sur un morceau de papier, qui contienne une inscription pour mettre au-devant du premier tome de votre beau présent, [1] où se lisent votre nom et le mien, le mois et l’an, afin que mes enfants se souviennent à l’avenir de l’honnête homme à la bonté et libéralité duquel j’ai l’obligeance d’un si beau et si agréable présent. Votre inscription me fera encore aimer le livre davantage, si cela se peut faire que je l’aime plus que je ne fais. Et en l’attendant, je vous baise les mains de tout mon cœur avec protestation que je serai toute ma vie votre, etc.

De Paris, ce 6e d’août 1649.

On parle ici du retour du roi, [26] mais il n’y a encore rien de certain, saltem non credo : [12] les courtisans et les partisans nous menacent encore sourdement ; mais si cela arrive, nous nous défendrons mieux que jamais et empêcherons une autre fois que l’on ne nous trompe. Nous avons encore M. de Beaufort, [27] que l’on appelle ici le roi des frondeurs, la race desquelles n’est pas encore morte.


a.

Bulderen, no xxiv (tome i, pages 70‑73) ; Reveillé-Parise, no ccclxx (tome ii, pages 526‑529).

1.

Que vous aviez payé pour moi le port d’avance. V. note [171], lettre 166, pour le livre de Gassendi sur Épicure, nouvellement édité à Lyon, que Guy Patin avait attendu avec impatience et reçu le matin même.

En décembre 1650, Patin allait acheter aux Marchais, ses voisins, sa maison de la place du Chevalier du Guet (v. note [8], lettre 254).

2.

« La Maison et le Royaume de Dieu » (v. note [50], lettre 176).

3.

« avec les [Chrestomathies] physiologiques » ; déjà détenteur de ce manuscrit, Guy Patin attendait alors celui des Chrestomathies pathologiques qu’il avait acheté à la fille de Caspar Hofmann, leur défunt auteur (v. note [13], lettre 150).

4.

V. note [5], lettre 185, pour cet ouvrage historique de Jules-Raymond Soliers.

5.

Phrase que Reveillé-Parise n’a pas transcrite. De fait, elle répète presque exactement ce que Guy Patin avait déjà été écrit au même Falconet (lettre du 28 mai 1649, lettre 177). V. note [25], lettre 146, pour les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (Paris, 1649), dont Guy Patin avait établi l’index.

6.

Jan de Wale (Walæus ou Vallæus ; Kondekerke, Zélande 1604-Leyde 5 juin 1649) était le fils du théologien protestant Antonie Wale (1573-1639). Après avoir étudié les belles-lettres et les mathématiques, Johann s’appliqua à la médecine et prit le bonnet de docteur à Leyde en 1631. La même année, les curateurs de cette Université le chargèrent d’aller en France pour engager Claude i Saumaise à venir en Hollande et parvint à le convaincre de s’établir à Leyde. Nommé professeur en 1648, il remplit les devoirs de cette charge jusqu’à sa mort. Wale eut Thomas Bartholin, pour disciple. La pratique où il eut de grands succès ne l’empêcha pas de se livrer aux dissections animales par lesquelles il espérait éclaircir les mystères de la digestion et de la distribution des humeurs. Aussi fut-il un des premiers qui enseignèrent la circulation du sang, mais il voulut ôter l’honneur de cette découverte à William Harvey pour le reporter aux anciens (Z. in Panckoucke).

Ses principaux ouvrages sont :

7.

Cette « histoire des parties » est l’Anthropographie proprement dite, dont les sept livres occupent les 425 premières pages des Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan.

8.

« Je souhaite à P. Gassendi, excellent et très grand homme, de vivre très longtemps » (v. note [31], lettre 146, pour Nestoreos annos [années de Nestor]).

9.

V. note [5], lettre 189, pour les mésaventures de l’imprimeur Claude Morlot.

10.

« avait quelque chose d’idiopathique [v. note [2], lettre 509] dans le cerveau. » Guy Patin s’était longuement expliqué sur le sujet dans sa lettre à Charles Spon du 16 avril 1649 (lettre 172), et les trois médecins échangeaient depuis par lettres leurs avis sur ce difficile sujet.

11.

« La Nature couvre beaucoup de choses d’un voile sacré. »

Giovanni Aurélio Augurello, Ioannes Aurelius Augurellus (Rimini vers 1450-Trévise vers 1530) avait étudié les belles-lettres à Padoue, discipline qu’il enseigna plus tard à Trévise avant d’y devenir chanoine. Réputé pour son talent à versifier en latin, Augurello s’adonna avec passion à l’alchimie. Son plus fameux ouvrage, Chrysopœiæ libri iii et Geronticon liber primus [Trois livres de la Chrysopée et premier livre des Gérontiques] (Venise, Simon Luerens, 1515, in‑4o pour la première de nombreuses éditions), a été traduit en français :

Les trois livres de la Chrysopée, c’est-à-dire de l’art de faire l’or, contenant plusieurs raisons et choses naturelles, composé par Jean Aurelle Augurel, poète, traduit de latin en français par F. Habert de Berry, revu et corrigé de nouveau. {a}


  1. Paris, Charles Hulpeau, 1626, in‑8o de 130 pages ; première édition en 1549.

Augurello avait dédié ce livre au pape Léon x qui, dit-on, lui offrit une bourse vide pour le remercier en lui disant que c’était pour y mettre ce qu’il savait faire. Le début du poème cité par Guy Patin se trouve vers le milieu du livre ii (avec la traduction de Habert de Berry, page 78) :

Multa tetigit sacro involucro Natura, neque ullis
Fas est scire quidem mortalibus omnia, multa
Admirare modo, necnon venerare, neque illa
Inquires, quæ sunt arcanis proxima, namque
In manibus quæ sunt hæc nos vix scire putandum,
Est procul a nobis adeo præsentia veri
.

« Nature, cache et tient beaucoup de choses
En ses secrets divinement encloses,
Et n’est besoin à l’homme de savoir
Tout, et de tout la connaissance avoir,
Mais seulement il faut qu’on s’émerveille
De plusieurs cas que Nature appareille,
Et en faisant telle admiration
Les révérer en leur perfection. »

V. note [9], lettre latine 221, pour une traduction plus littérale.

Plusieurs auteurs, ce qui n’est pas un mince hommage, ont attribué ces vers au bien plus célèbre épicurien Lucrèce (v. note [131], lettre 166), auteur du De Natura rerum [La Nature des choses].

« La Chrysopée, dit Jourdan (in Panckoucke), est un ouvrage partout obscur et souvent inintelligible. On y chercherait d’ailleurs en vain quelque idée qui ne se trouvât pas dans les livres des autres alchimistes. C’est dans l’or lui-même, dit Augurello, qu’il faut chercher la pierre philosophale. »

12.

« du moins je ne le crois pas. » Le retour du roi dans la capitale aurait été le signe que la guerre de Paris était tout à fait terminée. Louis xiv et toute la cour, Mazarin compris, allaient faire leur entrée triomphale le 18 août 1649.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 août 1649

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(Consulté le 28/03/2024)

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