L. 198.  >
À Charles Spon,
le 24 septembre 1649

Monsieur, [a][1]

Ma dernière est du 17e de septembre, avec deux autres, dont l’une était pour M. Mauger, [2] populari meo[1] et l’autre pour M. Ravaud. [3] Depuis ce temps-là, le prince de Condé [4] a fait un peu le méchant et a empêché jusqu’ici le mariage de M. de Mercœur [5] avec la Mancini. [2][6][7] Outre la mort de l’impératrice, [8] qui est ici toute commune, les nouvelles portent que le fils unique du roi de Portugal [9] est mort, [3] et que l’Archiduc Léopold [10] a défait, entre Bruxelles [11] et Condé, [4][12] trois régiments des troupes d’Erlach, [13] avec tout leur bagage perdu qu’ils avaient volé entre l’Allemagne, d’où ils venaient, et la Flandre [14] où ils sont péris, c’est-à-dire en Bourgogne, Champagne et Picardie. Et ainsi, quod non capit Christus, rapit fiscus[5][15] Un savant personnage, théologien à Louvain [16] et grand janséniste, nommé Libertus Fromondus, [17] y a fait imprimer depuis peu un livre beau et curieux, intitulé Philosophia christiana de anima. Il n’y en a point encore ici, mais j’espère qu’on nous en enverra. Je pense que ce livre serait bon à réimprimer, prenez la peine d’en parler à MM. Huguetan [18] et Ravaud. L’auteur est un homme illustre qui a par ci-devant écrit des Météores in‑4o[6] Le prince de Condé a fait donner à M. de Longueville, [19] son beau-frère, le gouvernement du Pont-de-l’Arche, [20] qu’on lui avait promis à la dernière paix. Le chevalier de Guise [21] a eu, aussi malgré le Mazarin, [22] l’abbaye d’Eu [23] qu’il avait demandée. Si bien qu’on extorque plutôt que l’on n’obtient ce que l’on désire, pourvu que l’on puisse faire peur. [7]

Ce 20e de septembre. Le cardinal Mazarin est au lit où, dit-on, il est fort malade. Les uns disent que c’est la goutte, [24][25] les autres que c’est le regret qu’il ressent en l’âme abeuntis fortunæ [8] et du danger où il se voit ayant pour ennemi le prince de Condé ; duquel, à cause qu’il fait tant le mauvais, on a délibéré depuis huit jours, ne in posterum ferociat[9] si on ne l’arrêtait point prisonnier, mais on n’a pas osé l’entreprendre pour la peur qu’ils ont que M. de Beaufort, [26] qui est ici en grand crédit dans la ville et parmi la populace, ne fasse soulever tout le monde ; lequel, étant armé, ferait infailliblement rendre le prisonnier, et irait plus outre, aux dépens du Mazarin et des autres suppôts de la tyrannie du Conseil. Si bien qu’ils sont retenus par la juste appréhension qu’ils ont de voir derechef de nouvelles barricades comme ils en virent l’an passé ; [27] non pas que M. le Prince, qui est ici bien haï, mérite telle grâce, mais c’est qu’il vaut mieux être pour lui, en tant qu’il est de la Maison, que pour ce malencontreux ministre étranger qui ne sert qu’à nous dérober nos finances et à prolonger la guerre, à la ruine de la France. On a mis sur le tapis d’établir un Conseil de six habiles hommes qui ont été cherchés et proposés ; mais il n’en a été rien conclu, d’autant que la reine [28] a désiré que le Mazarin fût un de ces six-là. [10] Je ne sais point quel progrès prendra cette affaire à l’avenir ; mais si les deux princes demeurent unis ensemble contre ce ministre prétendu béni et bon, il y a de l’apparence qu’ils l’emporteront. L’abbé de La Rivière [29] est tout à fait contre le Mazarin et porte fort son maître Gaston [30] à être du parti de M. le Prince ; mais ce qui m’en déplaît, c’est que toutes ces bonnes résolutions se peuvent évanouir ou relâcher par un sac de pistoles, une bonne abbaye, un évêché ou un chapeau de cardinal, qui ne devraient être que la récompense de la vertu ; [11] mais tout est changé, Tollitur e medio sapientia, vi geritur res[12][31] Dieu nous a réservés à un siècle horrible en corruption et tout à fait détestable. Ille crucem pretium sceleris tulit, hic diadema[13][32] Durant ces entrefaites et en attendant la conclusion de ce que les princes feront résoudre à la reine, la bonne dame gémit et lamente : uritur infelix[14][33] et ne sait de quel côté elle se doit jeter parce qu’elle y voit de tous côtés des écueils et des précipices ; et j’ai bien peur qu’à l’avenir la bonne dame ne soit pas si à son aise qu’elle a été par ci-devant, mais elle ne sera point regrettée de tout le monde, vu que pour enrichir et illustrer son ministre (le plus chétif ministre qui fût jamais), elle a ruiné toute la France, et désobligé tout le monde par l’avarice et les cruautés que ce faquin de ministre a exercées depuis six ans en toute façon et sur toute sorte de gens, [avec toute] sorte de misères et d’indignités, sans qu’elle en ait voulu avoir pitié, quelque prière ou remontrance qui lui en aient été faites. Elle n’a entendu à son grand malheur et le nôtre que les mauvais conseils de ces faquins, Mazarin, Bautru, [15][34] Senneterre, [16][35] et tout ce que lui ont conseillé ses femmes de chambre qui étaient sifflées par les partisans et maltôtiers[17] qui leur faisaient profiter leur argent au denier sept et huit.

Ce 22e de septembre. M. de Longueville est ici attendu pour demain. Les siens qui étaient de deçà sont allés au-devant de lui. Je pense qu’il vient exprès pour fortifier le parti de son beau-frère, M. le Prince. [18] Il y a un autre bruit à la ville, c’est que le prévôt des marchands [36] a fait arrêter prisonniers, des cinq adjudicataires des gabelles, [37] les quatre qui se sont présentés à l’assemblée de Ville, savoir Bonneau, [38] Marin, [39] Richebourg [40] et Mérault ; [41] Rolland, [42] qui est le cinquième, s’est échappé. [19] Ces quatre demandaient à quitter et abandonner leur bail des gabelles, vu que les greniers à sel de la plupart de la France ne leur rendent que la moitié de ce qu’ils avaient accoutumé. M. le chancelier [43] leur avait déjà répondu au Conseil que c’était une ferme qu’ils tenaient et qu’ils devaient payer bon an mal an ; que quand ils avaient gagné pour une année deux et trois millions, on ne leur en avait rien dit. On leur a bien reproché autre chose en l’Hôtel de Ville : on leur a soutenu qu’ils étaient eux-mêmes cause des barricades de l’an passé et de la guerre de cette année, du siège de Paris, de toutes les émotions de la campagne ; que le faux sel et les faux-sauniers [44] s’étaient produits par la guerre qu’ils avaient suscitée ; que comme ils étaient cause de tant de malheurs publics, il était raisonnable qu’ils en pâtissent après en avoir tant fait pâtir d’autres. Ils sont dedans l’Hôtel de Ville, mais le peuple se plaint que l’on ne les mène point dans la Conciergerie [45] afin que leur procès leur soit fait comme à des voleurs publics. Ils ont intérêt d’être tirés de là, de peur que le peuple, les rentiers, les bateliers et autres malcontents ne fassent irruption dans l’Hôtel de Ville et que par quelque émotion, ils ne les assomment. Le prince de Conti [46] est ici fort malade d’une fièvre continue [47] et d’une dysenterie [48] qui a été précédée d’un ténesme. [49] S’il mourait, ce serait une bonne chape-chute, il a bien de bonnes abbayes. [20] Il est ici force malades, savoir fièvres continues malignes [50] avec assoupissement et gangrène, [51] et néanmoins il en meurt très peu. Il est aussi des < petites > véroles [52] et des rougeoles, [53] mais tout cela sera bien malin dans un mois ou deux, pour la quantité de fruits qui ont été mangés cette année. La maladie la plus commune est une double-tierce [54] continue, laquelle, Dieu merci, n’a pas encore été mortelle ; mais si elle continue, elle le deviendra dans la mauvaise saison.

On dit que M. le Prince demande trois choses, savoir : < 1. > qu’au lieu du Mazarin, un Conseil soit établi de six grands hommes d’État qui gouvernent et remettent toute la France en bon train ; 2. qu’on fasse recherche de tous ceux qui ont manié et volé les finances depuis l’an 1642 ; 3. qu’on punisse ceux qui ont empêché la paix générale depuis trois ans. Gaston tient encore le parti du Mazarin, et c’est ce qui retarde et affaiblit le parti de M. le Prince. M. de Longueville est arrivé, qui pourra bien le fortifier et c’est ce qui nous fait espérer que nous verrons quelque chose de nouveau la semaine qui vient. On dit que le premier président du Parlement a parlé aujourd’hui bien fort contre le Mazarin et qu’il est apertement du parti de M. le Prince, duquel il a toujours été ami.

Il y a quelques honnêtes gens à Paris, tous d’un parti, c’est-à-dire ennemis du cardinal Mazarin, qui envoient et distribuent à leurs amis un nouveau libelle intitulé le Courrier du temps[55] apportant des nouvelles de tous les cantons de l’Europe, [56] il est en 8 demi-feuilles in‑4o[21] Je ne doute point que les imprimeurs [57] ne le contrefassent. [58] Chaque article est contre le Mazarin et chaque province dit quelque mal de lui. Ce ministre italien ayant vu ce libelle, a été fort irrité contre ceux qu’il en soupçonne être les auteurs, mais de malheur pour lui, il n’en a plus de crédit pour s’en pouvoir venger, comme font les Italiens très volontiers.

On dit ici que le pape [59] veut diminuer ce grand nombre de moines [60] qui est prodigieux et effroyable, et qu’il en a retranché de sept sortes, et entre autres les carmes déchaussés, [61] les barnabites, [22][62] quelques moines de l’ordre de saint Benoît, quelques autres de celui de saint François, et autres ; et qui plus est, qu’il ne veut plus que l’on en reçoive aucun à faire profession qui n’ait atteint l’âge de 22 ans ; et ce serait là le vrai moyen de diminuer ce grand nombre. Amen. Je vous baise les mains de toute mon affection et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 24e de septembre 1649.


a.

Ms BnF no 9357, fo 61 ; Reveillé-Parise, nos ccxiii (tome i, pages 480‑484) ; Jestaz no 15 (tome i, pages 517‑522).

1.

« mon compatriote » ; v. note [7], lettre 202.

2.

Condé, sérieusement brouillé avec Mazarin (v. note [44], lettre 197), s’alliait en effet résolument et ouvertement aux frondeurs (Journal de la Fronde, volume i, fos 101 vo et 102 ro) :

« Le 19 septembre M. le Prince soupa chez le baigneur Prud’homme, {a} avec le duc de Beaufort, le maréchal de La Mothe, le duc de Retz, les marquis de Noirmoutier et de La Boulaye, et autres frondeurs, au nombre de onze. M. le coadjuteur y avait été convié mais par bienséance, il ne s’y trouva pas, non plus que le prince de Conti qui était indisposé et l’est encore. Avant que souper, Son Altesse eut une conférence de demi-heure avec le duc de Beaufort ; et après, ils firent grande réjouissance et dansèrent assez longtemps, Son Altesse y ayant fait venir ses violons. Le 20, M. Le Tellier fut chez M. le Prince pour tâcher de l’apaiser en lui proposant que si le mariage de la nièce de M. le cardinal le choquait, qu’il ne se ferait point ; à quoi M. le Prince répondit que ce mariage lui était aussi indifférent que l’amitié de M. le cardinal. M. de Vendôme ayant su que Son Éminence avait fait faire cette proposition à Son Altesse, s’en offensa et lui en fit reproche. »


  1. Baigneur (v. notule {c}, note [5], chapitre x du Traité de la Conservation de santé), c’est-à-dire tenancier d’un établissement de bains, de restauration et d’hôtellerie, fréquenté par les frondeurs.

3.

V. note [42], lettre 197, pour la mort de l’impératrice. L’autre nouvelle était fausse : le roi du Portugal, Jean iv, avait alors trois fils vivants, Théodore (né en 1634), Alphonse (1643) et Pierre (1648) ; d’ailleurs une plume a rayé « que le fils unique du roi de Portugal est mort, et » sur le manuscrit, sans certitude que ce soit celle de Guy Patin.

4.

Condé-sur-l’Escaut (Nord) se situe à 12 kilomètres au nord-est de Valenciennes, au confluent de la Haine et de l’Escaut.

5.

« Ce que Christ [l’Église] ne prend, le fisc l’attrape » est le titre d’un emblème d’André Alciat (v. note [19], lettre 229), pages 158 de l’édition latine (Lyon, 1551) et 178 de l’édition française (Lyon, 1549) :

Exprimit humentes, quasi iam madescerat ante
Spongiolas, cupidi Principis arcta manus.
Provehit ad summum fures : quos deinde coërcet,
Vertat ut in fiscum quæ male parta suum
.

« La main d’un prince avare, et allongée
Serre l’éponge avant par lui plongée.
Larrons élève, et punit quant et quant,
À soi le bien mal acquis confisquant. » {a}

Commentaire :

« Les princes commettent aux offices de leurs finances hommes qu’ils pensent être de bon esprit, gens de bien et loyaux ; mais bien souvent aucuns d’iceux, aveuglés par la trop grande resplendeur de l’or qu’ils ont en maniement, s’oublient et deviennent larrons ; puis quand ils sont pleins comme l’éponge, on leur serre le cou en les faisant pendre ; et sont confisqués leurs biens, qui toutefois, par cela, ne reviennent au peuple qui en a été spolié. » {b}


  1. Traduction littérale et prosaïque :

    « La main serrée d’un prince cupide rince l’éponge qu’elle avait préalablement imbibée. Il a élevé aux plus hautes fonctions les voleurs qu’ensuite il châtie ; pour son profit, il transforme en impôts ce qui a été malhonnêtement acquis. »

  2. Une variante du commentaire, dans l’édition de 1583 (Paris, Jean Richer, in‑4o, page 204) attribue ce propos à Suétone (Vie des douze Césars, livre x, chapitre xvi), sur les impôts dont l’empereur Vespasien accablait son peuple, et male partis optime usus est [et faisait excellent usage de ce qu’il avait mal acquis].

V. note [43], lettre 176, pour les ravages des Weimariens d’Erlach dans le Nord-Est de la France.

Montglat (Mémoires, pages 214‑215) :

« Le comte d’Harcourt se campa dans le marais d’Arleux, et l’archiduc à Mortagne, {a} où la Scarpe tombe dans l’Escaut, pour défendre les environs de Tournai ; mais le comte d’Harcourt ne voulait pas aller si avant et avait dessein de se saisir de Condé, petite ville où la Haine se joint à l’Escaut, afin de piller tout le pays qui est au delà. Pour ce sujet, il envoya Villequier et sous lui, le comte de Quincé et Le Plessis-Bellièvre, pour l’investir ; et y étant arrivé ensuite, il battit tellement les murailles de cette ville mal fortifiée qu’elle se rendit le lendemain ; puis ayant passé delà la Haine, il mit tout le pays entre l’Escaut et le Dender {b} au pillage. Ayant demeuré dans ce poste jusqu’au 21 septembre, ne jugeant pas Condé en état d’être conservée durant l’hiver, il l’abandonna et se retira vers la France, près de l’abbaye de Maroilles ; et l’archiduc l’ayant appris, détacha le marquis Sfondrato pour attaquer La Motte-aux-Bois, {c} qu’il battit si vivement que le 10e d’octobre il en fut maître. Le comte d’Harcourt marcha pour le secourir ; mais étant arrivé à Arras, il en sut la prise et perdit les régiments de Fabri, de Grandprè et Bumbach, qui furent défaits dans un parti qu’il avait envoyé à la guerre. Il mit là ses troupes en quartier d’hiver. »


  1. À mi-chemin entre Tournai et Saint-Amand-les-Eaux.

  2. La Dendre.

  3. Aujourd’hui Morbecque.

6.

Guy Patin annonçait la parution des :

Philosophiæ Christianæ de Anima libri quatuor. Auctore Liberto Fromondo Haccuriano, in Academia Lovaniensi S. Th. Doct. et Prof. Regio, Seminarij Leodiensis Præside, et Insignis Ecclesiæ Collegiatæ B. Petri Lovanij Decano.

[Quatre livres de philosophie chrétienne sur l’Âme ; par Libert Froidmont, natif d’Haccourt, {a} docteur et professeur royal de théologie sainte en l’Université de Louvain, directeur du séminaire liégeois, et doyen de la paroisse Saint-Pierre de Louvain]. {b}


  1. En Wallonie, dans la province de Liège.

  2. Louvain, Hieronymus Nempæus, 1649, in‑4o.

Libert Froidmont (Libertus Fromondus, 1587-Louvain 1653) était un mathématicien, astronome, philosophe et théologien catholique, qui a laissé de nombreux autres ouvrages. Il avait reçu la chaire d’Écriture Sainte de Louvain quand Jansenius avait été nommé évêque d’Ypres. Le fondateur du jansénisme en mourant (1638) avait chargé Froidmont et deux autres théologiens de revoir et de publier son célèbre Augustinus (v. note [7], lettre 96).

Guy Patin signalait aussi ses Meteorologicorum libri sex [Six livres des Météorologiques] (Anvers, Balthasar Moretus, veuve de Io. Moretus et Io. Meursius, 1627, in‑4o, réédité à Louvain en 1646).

7.

V. notes [44], lettre 197, pour l’attribution du gouvernement du Pont-de-l’Arche au duc de Longueville et [13], lettre 197, pour celle de l’abbaye d’Eu au chevalier de Guise.

8.

« de la bonne fortune qui s’en va ».

Journal de la Fronde (volume i, fo 101 ro et vo) :

« L’accommodement qui se fit le 17  {a} n’est presque rien. On assure qu’il n’y eut que le gouvernement du Pont-de-l’Arche qui lui fut accordé pour le duc de Longueville et que la reine lui dit que quant à ses intérêts particuliers, elle lui avait assuré la jouissance des villes de Clermont, Stenay et Jametz, par le moyen d’un traité qu’elle avait fait avec Mme de Lorraine, comme vraie héritière de tout ce qui dépend du duché de Lorraine ; laquelle céderait à M. le Prince toutes les prétentions qu’elle pourrait avoir sur ces trois villes, moyennant 800 mille livres qu’on lui donnerait, et que pour le traité de Sedan, elle le ferait régler dans cette semaine afin que le duc de Bouillon fût satisfait. Après cela, Sa Majesté et M. le duc d’Orléans prièrent M. le Prince d’aimer M. le cardinal, à quoi Son Altesse {b} répondit qu’elle ne haïssait personne. […]
M. le Prince en sortant du Palais-Royal, fut chez le duc de Beaufort ; mais ne lui ayant pas rencontré, il lui envoya peu après un gentilhomme pour l’assurer qu’il n’avait rien fait au préjudice de la parole qu’il lui avait donnée. Le soir M. le duc d’Orléans mena M. le cardinal avec le maréchal de Villeroy, M. Tubeuf et quelques autres chez M. le Prince pour souper. L’on remarqua qu’avant que se mettre à table, Son Altesse Royale entra dans le cabinet de M. le Prince avec lui et Son Éminence, et ils y furent un quart d’heure en conférence ; mais il parut bien que cette conférence n’avait produit aucun effet puisque M. le Prince ne parla point à M. le cardinal pendant tout le souper, où Son Éminence parla fort peu, mangea peu et ne but qu’un coup qui lui fut donné par un sien page. Les discours qui s’y tinrent n’étaient que de choses indifférentes. Aussitôt que M. le cardinal entra chez M. le Prince, il y eut des gardes qui se postèrent sur toutes les avenues et lorsqu’il en sortit, il y eut environ 800 chevaux qui l’attendaient sur le Pont-Neuf, lesquels l’escortèrent jusqu’au Palais Royal.
Le 18, Son Altesse Royale mena M. le Prince audit palais pour rendre la visite à M. le cardinal, mais Son Éminence fut très mal satisfaite du traitement que lui fit M. le Prince, qui le morgua et le traita avec grand mépris, ce qui l’affligea si fort qu’elle en devint malade »


  1. Le 17 septembre avec le prince de Condé.

  2. Condé.

9.

« pour l’empêcher de devenir violent ».

10.

L’un des articles du traité secret signé le 27 septembre pour l’accommodement du prince de Condé stipulait que (Journal de la Fronde, volume i, fo 103 ro et vo) :

« Le Conseil secret sera fortifié de quelques personnes dont M. le duc d’Orléans et M. le Prince conviendront avec la reine […].

À quoi quelques-uns ajoutent que les bénéfices seulement demeureront en la pleine disposition de la reine ; que les personnes que l’on mettra de nouveau dans le Conseil donneront audience aux ambassadeurs et résidents des couronnes et princes étrangers, et feront les autres affaires dont M. le cardinal était chargé, lesquelles ils rapporteront tout au Conseil où Son Éminence n’aura plus que sa voix purement et simplement ; que ses nièces seront envoyées à Sedan, d’autres disent en Avignon ; et le duc de Mercœur épousera Mlle de Guise, et le duc de Beaufort Mlle de Longueville.

De quelque façon que cet accommodement soit bâti, l’on en blâme fort M. le Prince ; mais on leur répond qu’il a eu des puissantes raisons pour le faire, entre autres parce que M. le duc d’Orléans s’était déclaré dès le jour précédent pour la reine, ne voulant pas que M. le Prince empiétât davantage sur le gouvernement de l’État, comme il aurait pu faire par le moyen de l’exclusion de M. le cardinal qu’il aurait toute méritée ; qu’après cette déclaration il en allait nécessairement venir à une guerre civile qui eût achevé de ruiner l’État et dont les ennemis eussent grandement profité ; et que par cet accord, il n’a pas oublié l’intérêt des frondeurs qui lui avaient offert service puisqu’il a entièrement abattu la puissance de M. le cardinal et l’a empêché de faire ici aucune alliance. Quelques-uns veulent même que Son Altesse Royale fait accorder au prince de Marcillac, {a} aux marquis de Vitry et de Noirmoutier des tabourets pour leurs femmes. »


  1. La Rochefoucauld, v. note [7], lettre 219.

Retz (Mémoires, pages 571-572) :

« Les conditions de cet accommodement de M. le Prince avec le cardinal n’ont jamais été publiques parce qu’il ne s’en est su que ce qu’il plut au cardinal, en ce temps-là, d’en jeter dans le monde. Je me ressouviens, en général, qu’il l’affecta […]. {a} Ce qui en parut fut la remise du Pont-de-l’Arche entre les mains de M. de Longueville. »


  1. Fit semblant.

11.

Secrétaire du duc d’Orléans, l’abbé de La Rivière n’était pas « tout à fait contre le Mazarin ». Bien au contraire, il jouait auprès de Monsieur le rôle d’entremetteur du cardinal qui tenait l’abbé avec une illusoire promesse de chapeau cardinalice. La Rivière voulait donc tromper son monde en faisant croire qu’il haïssait Mazarin et cherchait à rapprocher Gaston de Condé.

12.

« On écarte la sagesse du bien commun, on mène les affaires par la force » ; Ennius (Fragments des Annales, livre viii, vers 263-264) :

Pellitur e medio sapientia, vi geritur res
Spernitur orator bonus, horridus miles amatur.

[La sagesse est chassée du bien commun, on mène les affaires par la force, on dédaigne le bon orateur, on aime le sauvage soldat].

13.

Juvénal, Satire xiii, vers 103‑105 :

                                       Multi
committunt eadem diverso crimina fato :
ille crucem sceleris pretium tulit, hic diadema
.

[Beaucoup commettent mêmes forfaits sans encourir mêmes peines : pour prix de leur crime, on en a crucifié un et couronné un autre].

14.

« l’infortunée se consume d’amour » ; Virgile (Énéide, chant iv, vers 68‑69) :

Uritur infelix Dido totaque vagatur
urbe furens.

[L’infortunée Didon se consume d’amour et erre telle une folle par toute la ville].

Mme de Motteville (Mémoires, page 303) :

« Pendant que le cardinal Mazarin pensait à sa conservation, la reine se trouva mal, sans doute du chagrin qu’elle reçut, voyant que ces brouilleries ne pouvaient finir malgré tout ce qu’elle faisait pour les apaiser. Elle eut de grands vomissements de bile et même un peu de fièvre, et elle fut quelques jours sans voir que ceux qu’elle ne pouvait chasser. »

15.

Guillaume i de Bautru (Angers 1588-Paris 7 mai 1665), comte de Serrant, conseiller d’État ordinaire, était alors gouverneur des Ponts-de-Cé, près d’Angers (v. note [38], lettre 280). Habile politique, il avait successivement servi le maréchal d’Ancre (Concini), Richelieu et Mazarin. Libertin, courtisan assidu et poète médiocre connu pour ses bons mots, Richelieu l’avait nommé membre de l’Académie française dès sa création. Bautru devint chancelier de Gaston d’Orléans en 1650.

Porte-plume de la cour, Bautru était un de ceux qui rédigeaient la Gazette en sous-main. Deux satires anonymes en vers lui ont été attribuées : L’Ambigu (1617, v. note [23] du Borboniana 8 manuscrit) et L’Onosandre ou la Croyance du grossier (1619, v. note [38] du Borboniana 1 manuscrit). Son ami Gilles Ménage s’est beaucoup complu à citer ses bons mots, tel celui-ci : comme on le voyait ôter son chapeau devant un crucifix qui précédait un enterrement : « Ah ! lui dit-on, voilà qui est de bon exemple ! – Nous nous saluons, répondit-il, mais nous ne nous parlons pas » (G.D.U. xixe s.).

Cette réplique impie est tirée de l’historiette que Tallemant des Réaux a consacrée à Bautru et à ses mots d’esprit (tome i, pages 365‑372) ; elle confirme les services politiques et diplomatiques qu’il rendait à Richelieu, aux côtés du Père Joseph.

16.

Henri ii de Senneterre (ou Saint-Nectaire, 1599-1681), marquis puis duc de La Ferté, maréchal de France, était le fils aîné de Henri i, marquis de La Ferté-Senneterre (v. note [40], lettre 279). Il s’était distingué dans toutes les guerres du temps depuis 1628, et particulièrement en dirigeant l’aile gauche lors de la bataille de Rocroi (1643) sous les ordres du duc d’Enghien. Il en avait été récompensé par le gouvernement de la Lorraine et de Nancy. Dès le début de la Fronde, il s’était indéfectiblement rangé du côté du roi et de Mazarin. Il devint lieutenant général de l’armée de Flandre en 1650, puis maréchal de France en janvier 1651. En 1665, son marquisat de La Ferté-Senneterre fut érigé en duché-pairie.

17.

« Siffler se dit figurément en morale : suggérer à quelqu’un ce qu’il a à dire en quelque occasion importante, lui faire le bec, l’instruire. Un juge ne saurait rien tirer d’un criminel quand il a été sifflé, quand il a eu du conseil » (Furetière).

18.

Le duc de Longueville, revenant de Normandie, arriva à Paris le 24 septembre. L’un des enjeux de sa visite était le mariage de sa fille aînée, Mlle de Longueville, avec le duc de Beaufort, pour unir les familles de Condé et de Vendôme contre Mazarin ; mais en contrepartie, par l’entremise de Mme de Montbazon, la reine proposa à Beaufort la main de Mlle de Chevreuse, avec une place frontière (Sedan, disait-on) pour sa sûreté (Journal de la Fronde, volume i, fo 104 ro).

19.

Un adjudicataire (ou fermier) des gabelles était un commis sous le nom duquel on faisait toutes les poursuites et contraintes pour le recouvrement des deniers des Gabelles (Furetière).

Journal de la Fronde (volume i, fo 102 vo et 104 vo) :

« Le 22  {a} des rentiers de la Ville furent en grand nombre à l’Hôtel de Ville pour demander le paiement de leurs rentes ; ayant trouvé que le fonds en était diverti, firent grand bruit et voulurent assommer le prévôt des marchands, {b} mais on les apaisa par l’emprisonnement des fermiers des gabelles sur lesquels les rentes sont assignées, et qu’ils ne sortiront de prison qu’après les avoir payées. […]

Les fermiers des gabelles étant en prison demandèrent rabais de la moitié de leurs fermes à cause des pertes qu’ils ont faites depuis le commencement de ces troubles. Sur quoi les rentiers de Ville présentèrent requête à la Chambre des vacations du Parlement le 25 du passé, {c} par laquelle ils demandaient qu’il fût ordonné qu’ils seraient payés conformément aux déclarations du roi ; que les fermiers fussent transférés à la Conciergerie du Palais ; qu’il fût découvert où ils avaient diverti les deniers provenant des gabelles. Et soutiennent que lesdits fermiers se sont tellement enrichis depuis qu’ils tiennent cette ferme qu’ils ont fait des acquisitions pour plus de dix millions de livres. On avait donné sur cette requête des conclusions toutes conformes à ce que les rentiers demandaient, mais cette affaire fut hier {d} accommodée et les fermiers sont sortis de prison moyennant 64 000 livres qu’ils se sont obligés de fournir chaque semaine à l’Hôtel de Ville pour le paiement des rentes, au lieu de 89 000 livres qu’ils en fournissaient auparavant. »


  1. Septembre.

  2. Jérôme Le Ferron.

  3. Septembre.

  4. 30 septembre.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 773‑774, septembre 1649) :

« Les rentes sur l’Hôtel de Ville, cependant, étant un peu demeurées en arrière, les adjudicataires des gabelles y avaient été constitués prisonniers, faute de payer les 89 000 et tant de livres qu’ils étaient obligés de fournir par chacune semaine, et delà avaient été transférés dans la Conciergerie du Palais en vertu d’un arrêt de la Chambre des vacations donné au rapport de M. Ménardeeau, et ensuite par elle élargis en payant seulement la moitié de ce qu’ils devaient si légitimement ; d’où s’ensuivirent encore beaucoup de plaintes et de bruit, d’autant que, par leur bail et par deux arrêts même du Conseil, enregistrés dans la Chambre des comptes et en la Cour des aides, les adjudicataires étaient tenus de fournir lesdites quatre-vingt-neuf mille livres par semaine pour le paiement de deux quartiers et demi desdites rentes sur les gabelles. »

Thomas Bonneau (natif de Tours, mort à Paris en décembre 1662), l’un des plus importants financiers de la première moitié du xviie s., avait épousé en 1613 Anne Pallu (v. note [28], lettre 336), fille d’un maire de Tours. Bonneau était devenu secrétaire du roi en 1626, secrétaire des finances l’année suivante. Conseiller d’État, il fut l’un des plus sûrs soutiens de la cause royale et l’un des plus gros traitants de son temps. Avec Scarron et Quentin de Richebourg, associés à Aubert et Châtelain, il exerça un contrôle absolu sur la ferme générale des gabelles de France entre 1632 et 1655. Son étoile pâlit un peu à partir de 1656 avec l’arrivée à la ferme des gabelles de la compagnie Girardin, ce qui ne l’empêcha pas de rester fermier général jusqu’à sa mort. Un des représentants de la finance « ultracatholique », Bonneau était attaché au clergé par de nombreux liens familiaux (Dessert a, no 65). Il fit de ses cinq fils un conseiller au Parlement, un avocat à la Cour des aides, un intendant des turcies et levées (quais et digues), et pour deux d’entre eux des conseillers au Châtelet (Bayard, page 443).

Denis Marin (Auxonne, Côte-d’Or vers 1600-1678) avait été commis de plusieurs financiers avant de devenir secrétaire du roi sous le règne de Louis xiii pour se lancer dans la finance avec son ami Thomas Bonneau. Intendant des finances en 1650, il épousa en secondes noces Marguerite Colbert, cousine de Jean-Baptiste, ce qui lui permit de ne pas être lourdement condamné par la Chambre de justice en 1665. Il maria sa fille Jacqueline à Charles Bonneau, fils de Thomas (Dessert a, pages 721‑722).

Bonaventure Quentin de Richebourg (1581-1659), associé de Thomas Bonneau, était petit-fils d’un lieutenant particulier au siège royal de Loches et fils d’un bourgeois de Tours. Par son entourage familial, il appartenait à la Maison de la reine Margot, première épouse de Henri iv (v. note [4], lettre latine 456), où il avait exercé la charge de maître des requêtes avant de devenir secrétaire du roi (1634-1659). Il avait épousé en 1613 Catherine Pavillon, fille d’Étienne (v. note [61], lettre 166). En 1665, comme l’un des tout premiers maltôtiers de son temps, il fut condamné à une taxe de deux millions de livres (Dessert a, page 724).

Pierre Mérault (mort en 1668), fils d’un bourgeois de Paris, correcteur des comptes puis receveur général des consignations, avait lui-même été receveur des tailles de l’élection de Troyes, receveur général des gabelles à Moulins, puis maître d’hôtel de Marie de Médicis. Associé à la ferme des gabelles de 1632 à 1655, il fut secrétaire du roi de 1654 à sa mort et taxé en 1665 à un million deux cent mille livres (Dessert a, page 711).

Germain Rolland (mort en 1657), d’origine champenoise, avait d’abord exercé le métier de négociant en drap de soie ou d’or et de banquier (1621-1626). Dans les années 1630, il était devenu administrateur des biens de Pierre Brulart, conseiller d’État et secrétaire des commandements du duc d’Orléans. Allié à la famille Colbert, il œuvra aux affaires extraordinaires et prit des intérêts dans les fermes générales des gabelles de 1632 à 1657.

20.

Les ténesmes sont des douleurs « qu’on sent au fondement, avec des envies continuelles et presque inutiles d’aller à la selle » (Académie). Ils attestent d’une irritation du rectum. Ils sont synonymes d’épreintes.

V. note [37], lettre 113, pour chape-chute (bonne aubaine).

21.

V. note [13], lettre 202, pour le Courrier du temps.

22.

Barnabites : « sorte de religieux, qu’on nomme clercs réguliers de la Congrégation de Saint-Paul. Ils sont vêtus de noir et ont retenu les habits que les prêtres portaient du temps de leur établissement. Ce fut en 1533 qu’ils furent établis par bulles expresses du pape Clément vii. Leur occupation est d’instruire, de catéchiser et de servir dans les missions. Ils ont pour fondateur Antoine-Marie Zacarie. On les appelle barnabites à cause de l’église de Saint-Barnabé de Milan. Le peuple de Paris dit bernabites, mais mal. Le P. Bouhours dit dans sa Vie de saint Ignace que l’archevêque de Gênes souhaita fort d’unir la Congrégation des barnabites de Milan à la Compagnie de Jésus » (Trévoux).

Les carmes déchaussés formaient un Ordre à part des autres carmes et allaient sans chausses (v. note [36], lettre 309), c’est-à-dire jambes et pieds nus dans les sandales. V. note [49] du Borboniana 3 manuscrit pour leur fondation en Espagne au xvie s.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 septembre 1649

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(Consulté le 18/04/2024)

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