L. 211.  >
À Charles Spon,
le 8 janvier 1650

Monsieur, [a][1]

Ce 3e de janvier. Je vous envoyai ma dernière le vendredi 24e de décembre avec une autre pour votre collègue M. Garnier, [2] que je ne doute point que n’ayez reçue. J’ai vu ici quelques lettres françaises sur le fait de M. Gassendi, [3] dont il y en a une de Morin, [4] professeur royal en mathématiques [5] qui demeure ici au faubourg de Saint-Marceau. [1][6] L’autre est de M. Neuré. [2][7] La troisième est de M. Barancy, [3][8] laquelle j’ai ; mais celle de M. Neuré me manque et j’ai appris que je ne la pouvais pas plus tôt recouvrer que de Lyon, par le moyen du dit sieur de Barancy. C’est pourquoi je vous supplie, nisi tibi molestum fuerit[4] de tâcher de m’en recouvrer une chez ledit M. Barancy et d’en donner plus tôt tout ce que l’on vous en demandera. Il me semble que ce n’est qu’une feuille, je pense l’avoir lue par emprunt ; en ce cas-là, vous la pourrez enfermer dans la première lettre qu’il vous plaira m’adresser. J’ai appris ce matin de bonne part que le Defensio regia pro Carolo i ad Carolum ii, etc[5][9] est achevé d’imprimer à Leyde ; [10][11] qu’il y en a deux impressions, l’une de grosse lettre in‑fo, et de petite lettre in‑12 ; et que même il y en a de l’une et de l’autre sorte en chemin pour Paris. L’Université de Paris a fait une grande et irréparable perte depuis huit jours par la mort de M. Du Chevreul, [12] principal du Collège d’Harcourt [13] et procureur fiscal de l’Université. [14] Il avait longtemps régenté en philosophie, était normand, fort accort et fort savant, mais extrêmement entendu dans la chicane des affaires, des droits et des revenus de l’Université ; en quoi elle a fait une grande perte en sa personne. Comme il était menacé de maladie il y a déjà longtemps, il s’était préparé à la mort ; et pour cet effet, il se dépêchait de mettre en lumière un beau Cours de philosophie qu’il avait autrefois enseigné et auquel, pour le polir, il a travaillé depuis 30 ans ; et n’a eu que ce regret en mourant de ne point voir ce sien livre en lumière qui est sur la presse. [6]

Enfin, j’ai reçu votre belle et bonne lettre, fort désirée et avidement attendue, le 5e de janvier, et vous puis jurer qu’il n’y a point eu ici de vin d’Espagne [15] si agréable en toute la fête des Rois que m’a été la lecture d’icelle. Elle m’a réjoui, elle m’a consolé, elle m’a instruit et enseigné, de sorte que j’en suis content de toutes parts. Dieu soit loué qu’avez reçu mes deux dernières ; et moi, que j’ai reçu la vôtre qui a si fort augmenté ma joie, qui ne m’est guère extraordinaire. [7] Et pour y répondre, je vous dirai premièrement que je suis bien aise de savoir que vous êtes né l’an 1609, qui est une année que j’ai toujours considérée comme fatale car en icelle mourut un des grands et savants hommes qui fût jamais, savoir Joseph Scaliger, [16] à Leyde, âgé de 69 ans, le 18e de janvier, la veille d’une éclipse. [8][17] M. Miron, [18] lieutenant civil et prévôt des marchands[19] que l’on nommait ici le Père du peuple, mourut aussi le 4e de juin ; [9] M. André Du Laurens, [20] premier médecin de Henri iv[21] le 16e d’août ; comme aussi M. Jean Martin, [22] ancien médecin de Paris, de grande réputation aussi bien que de grand mérite ; c’est celui qui a commenté l’Hippocrate de Morbis internis et de Aere, locis et aquis, tous deux in‑4o[10][23] je vous prie de me dire si vous les avez tous deux, sinon je vous les enverrai. Il est vrai que cette même année, il mourut ici un méchant pendard de charlatan qui en a bien tué durant sa vie, et après sa mort pour les malheureux écrits qu’il nous a laissés sous son nom, qu’il a fait faire par d’autres médecins et chimistes [24] deçà et delà : c’est Iosephus Quercetanus qui se faisait nommer à Paris le sieur de La Violette, [25] lequel était un grand charlatan, un grand ivrogne et un franc ignorant, qui ne savait rien en latin et qui, n’étant de son premier métier que garçon chirurgien du pays d’Armagnac, qui est un pauvre pays, maudit et malheureux, passa à Paris et particulièrement à la cour pour un grand médecin parce qu’il avait appris quelque chose de la chimie en Allemagne. [11] Je ne vous dirai rien de ce monstre davantage ; il y en a bien encore à dire, mais vous en savez peut-être plus que moi. Le meilleur chimiste, c’est-à-dire le moins méchant, n’a guère fait de bien au monde, et celui-là y a fait beaucoup de mal, aussi bien que ceux qui l’ont suivi et imité. Si bien qu’en une même année voilà quatre grands médecins morts et un charlatan ; et en récompense, un honnête homme né à Lyon en même temps. Sic volvuntur rerum vices et fata[12] le bien et le mal sont mêlés en la vie, Medio de fonte leporum, surgit amari aliquid, quod in ipsis faucibus angat ; [13][26] mais Dieu soit loué de tout, à celui qui est né l’an 1609 et à tout ce qui lui appartient, je souhaite pleine santé et contentement entier toute l’année présente. Je suis bien aise qu’avez reçu le paquet de M. Devenet [27] franc de port. Je n’ai point eu le bonheur de le voir, mais je vois bien que c’est un honnête homme. Je vous prie de le saluer de ma part et de l’en remercier en mon nom, je voudrais avoir le moyen de le servir de deçà. Je m’étonne seulement de ce que n’y ayez point trouvé les deux portraits de MM. Grotius [28] et de Saumaise. [14] J’en suis si fort étonné que je ne sais qu’en dire ; mais je les y ai mis et envoyai le tout rue des Amandiers chez M. Roger, [29] au garçon de sa boutique nommé Christophe Fourmy, [15][30] Lyonnais, qui m’avait promis d’en faire le paquet et de le faire emballer dans les balles de M. Devenet ; ce qu’il fit et auquel je payai le port comme il me le demanda ; qui, depuis, m’est venu dire adieu et s’en est retourné à Lyon ; mais je ne sais à qui m’en prendre. Regardez bien dans tout le petit paquet s’ils ne sont pas fourrés quelque part. Tout au pis aller, je ne sais qui les aurait dérobés, mais je ne veux soupçonner personne. Pour la part de M. Volckamer, [31] je vous la recommande. Je suis bien aise que soyez content de la thèse de mon fils ; [16][32] aussi suis-je de lui puisqu’il en a contenté nos compagnons. Je vous remercie du passage que m’avez indiqué dans Zacutus, [17][33] que je savais bien, comme aussi celui de Job [34] dans mon Pineda[18][35] qui y était bien marqué. Fabius Pacius [36] in tract. de illa lue, qui legitur post comment. in lib. 7 Meth. med. [19] a été de même avis ; [37] mais il y a bien des passages dans les Anciens, qui n’ont point été cités par ces Messieurs, dont on pourrait prouver la même chose : Xénophon, [38] Cicéron, [39] Apulée [40] et autres. Feu M. Simon Piètre, [41] frère aîné de Nic. Piètre, [42] deux hommes incomparables, disait que devant Charles viii[43][44] en France, les vérolés [45] étaient confondus avec les ladres, [46] d’où provenait si grand nombre de ladres putatifs et tant de léproseries, [20][47] lesquelles sont aujourd’hui la plupart vides. Je n’ai su trouver dans le Quæ ex quibus Rod. Castrensis [48] ce que me mandez de Job, [21] que j’avais pourtant dans mon Pineda tout marqué il y a plus de 18 ans. [22] Je fais grand état de ce Rod. Castrensis, il était savant ; j’ai ce petit traité-là de votre libéralité, je l’avais déjà d’Italie avec deux autres ; depuis, j’en ai quelque in‑fo, mais il me semble partout fort savant et fort raisonnable. Je vous remercie de vos beaux vers pour étrennes, je tâcherai quelque jour de vous le rendre en quelque pareille occasion que je médite et minute. Mais le nombre d’iceux est fort imparfait, il n’y en a qu’onze. Tâchez d’y en ajouter encore un pour faire la douzaine, ou deux pour faire le demi-quarteron, [23] et puis après on dira numero Deus impare gaudet[24][49] En ce distique futur, parlez-y de cures et de malades, ou de la chimie et de la forfanterie arabesque [50] des apothicaires, [51] la plupart desquels ne valent rien. [25] Je suis bien aise de savoir que M. Henry [52] a menti sur le livre de M. Gassendi ; mais ce n’est point la première fois, je l’ai bien vu mentir en d’autres occasions. Qui ad pauca respiciunt, facile decipiuntur[26] et principalement lorsque sutor ultra crepidam[27][53][54] Je sais bien qui était Tycho Brahe, [55] M. le président de Thou [56] lui a fait un bel éloge ; [28] je serai ravi de voir sa vie décrite par le bon M. Gassendi. [29] C’est lui qui, au traité qu’il a fait de la comète [57] de l’an 1574, laquelle disparut à la mort du roi Charles ix [58] (Charles de Valois, Va chasser l’idole) après avoir duré depuis le massacre de la Saint-Barthélemy, [30][59][60] a dit qu’en vertu de cette étoile, vers le Nord, dans la Finlandie, naîtrait un prince qui ébranlerait l’Allemagne, et lequel enfin disparaîtrait l’an 1632 : ne voilà pas le roi de Suède, [61] qui était né en ce duché et qui est mort l’an 1632 ? [31] M. Du Prat [62] m’avait salué sur le Pont-Neuf [63] et m’avait dit qu’il me viendrait voir. Le même jour que je reçus la vôtre, j’appris d’un homme, qui vint céans, où il était logé. Je lui mandai que je ne manquerais point de le visiter dès que j’aurais la liberté de cheminer (je gardais alors la chambre pour une douleur que j’avais au genou, d’une chute que je fis malheureusement le 28e de décembre ; [64] je suis pourtant sorti tous les jours à cheval, hormis deux jours). [32][65] Dès le lendemain, jour des Rois, assez matin, il me vint saluer ; et entre plusieurs discours, il m’apprit que vous lui aviez montré toutes mes lettres. Je reconnus par là qu’il fallait que l’eussiez bien au rang de vos bons amis. Mais dites-moi tout de bon, n’avez-vous point de honte de garder ces misérables paperasses ? [66] Je vous conseille (et me croirez si me voulez obliger) d’en faire un beau sacrifice à Vulcain, [67] cela ne mérite ni d’être gardé, ni d’être montré. [33] Il est vrai que je garde toutes les vôtres, mais c’est pour leur politesse et afin que mes enfants sachent après moi l’obligation que je vous ai et combien je fais état de votre amitié singulière. [34][68] Il m’a dit que M. Hervart, [69] nonobstant la Dame Réformation, espère encore de devenir intendant des finances ; [35] enfin, quelqu’un arrivant céans, il s’en alla. Je lui ai prêté Anthropographiam Riolani [70] in‑fo afin d’y lire le traité de Circulatione sanguinis qu’il n’avait point encore vu. [36][71] M. Du Rietz [72] est un pur menteur, je ne l’ai vu ni cherché, je n’en ai point le loisir. [73] Dès que j’en ai quelque peu et que je sais quelque chose, je vous écris. Brûlez mes lettres quand vous voudrez, mais je vous y ai dit purement la vérité. Je ne sais si M. de Sorbière [74] se défiait de lui, mais il me mandait qu’il me priait de le bien entretenir, et de reconnaître l’esprit et la capacité du personnage (neque mihi tamen arrogo ut possim præstare), [37] et surtout, jusqu’où pouvait aller sa bonne pratique ; ce que peut-être M. Du Rietz esquiva à escient car il m’envoya ladite lettre de M. de Sorbière céans par un Suédois nommé Schallen, [75] écolier en médecine, avec défense de me dire où il était logé, d’autant que je m’offris de l’aller visiter, mais qu’il viendrait lui-même céans ; et trois jours après, il me manda que nous nous verrions à son retour de Languedoc et qu’il était parti. Dieu le conduise ! S’il revient et que je le puisse voir, je lui tâterai finement le pouls. Ces Messieurs de cour s’imaginent qu’il leur est permis de mentir et que nous autres, gens de bien, nous n’oserions ni ne voudrions pas. Discedat ab aula qui volet esse pius[38][76] Si M. Du Rietz ne savait que mentir et la circulation du sang, il ne saurait que deux choses, dont je hais fort la première et ne me soucie guère de la seconde, quidquid dixerit noster Anthropographos[39] S’il revient, je le mènerai par d’autres chemins plus importants en la bonne médecine que la prétendue circulation. [77] Le docteur Bourdelot [78] est aussi de genere hoc[40] il ment presque autant qu’il parle et quand il peut, il trompe ses malades aussi. Il s’est ici vanté en de bonnes maisons qu’il était l’inventeur de la circulation du sang et que ses compagnons faisaient ce qu’ils pouvaient pour lui en ôter l’honneur. Il est courtisan à yeux enfoncés, [41] grand valet d’apothicaires et de toute la forfanterie arabesque, [79] menteur effroyable, joueur et pipeur ; il a été garçon apothicaire, in tonstrina paterna educatus ; [42] il a été plusieurs ans en Italie. À quoi peut être bon cet homme ? Rem magnam præstat si bonus esse potest[43] ce que je ne dis point de lui par principe de médisance, mais de pure vérité, et eo solo impulsus [44] que je désire que vous sachiez par mon organe la vérité de cet homme qui magis est mihi notus quam tibi[45] J’aurais grand regret que les deux portraits de Salmasius et Grotius fussent perdus, [14] je vous assure que ce sont les deux miens et qu’on n’en trouve ici nulle part à racheter. Le premier des deux m’a coûté 20 sols et l’autre 10, mais je voulais que les eussiez. J’ai vu et entretenu les deux originaux, et me réservais d’en faire venir de Hollande deux autres copies. [46] Je ne sais ce qu’est devenu M. Sauvageon [80] depuis le mois d’août. Ce n’est point lui qui a eu l’invention de faire traduire le Médecin charitable[81] c’est Vlacq [82] même qui en a payé la traduction et l’impression, et qui depuis l’a envoyée tout entière en Hollande à ce qu’il m’a dit lui-même. [47] Turquet [83] et Rivière [84] sont deux dangereux auteurs en matière d’antimoine [85] et peut-être en tout le reste de la médecine. Stibio numquam utor[48] Dieu merci et M. Nic. Piètre, quo nomine et aliis multis, eius manibus bene precor ; [49] mais j’en vois ici très souvent d’horribles et pernicieux effets, et même de la main des maîtres ; principalement depuis cinq ans que les charlatans ont eu l’audace ouverte et l’effronterie entière, summo duce archiatrôn comite[50][86] lequel confesse bien avec les médecins de Paris que c’est un poison s’il n’est préparé à sa mode qui est secretum secretissimum, et arcanum non revelandum ; [51] et néanmoins le sien tue comme celui des autres, et n’en a point de meilleure préparation. Le vin émétique, [87] pour l’ordinaire, n’est ici que l’infusion du crocus metallorum dans du vin blanc. [52][88] Pour le gobelet d’antimoine, [53][89] il y a plus de 20 ans que j’en ai vu ici, et même feu M. Guénault [90] en avait un dont il se servait quelquefois ; aussi en est-il mort [91] à la fin, et de la main propre de son cher oncle, [92] qui ipse mihi narravit[54] et qui en a bien tué d’autres, à l’imitation et à l’exemple de son fortuné ami l’archiatre. Votre M. de Serres [93] est un pauvre homme (sa première traduction de la Pharmacie de Renou [94] me le fit bien connaître il y a 26 ans, et tous ces traducteurs de gros livres d’autrui ne peuvent pas être de grands personnages [95] ) de s’étonner de si peu de choses que d’un gobelet. [55] Il faut bien autre chose que cela pour être bon médecin ; son antimoine cru et son zeste de noix [96] sentent bien l’ignorance aussi bien que la charlatanerie. [56] Dieu nous garde de tous les deux. Quand notre ami M. Gras [97] sera de retour, je vous prie de ne point oublier de lui faire mes très humbles recommandations, et à M. Falconet [98] aussi, auquel je vous prie de dire que je le remercie de ses fromages [99] et de tout autre présent, hormis de livres, desquels je lui suis déjà bien obligé : Aristippus semper nummos, Plato semper libros[57][100][101][102] M. Mauger [103] a entendu vos compliments, est parti pour Beauvais, [104] iussu parentis[58] aujourd’hui 8e de janvier et ne sais quand il s’en reviendra. Lui-même en désespère, voyant l’obstination de son père à ne lui point donner de quoi être médecin de Paris. On dit que les figures anatomiques de Hollande au livre de M. Riolan sont celles qui ont servi à la réimpression du Veslingius [105] à Amsterdam. [59][106] L’auteur est fort fâché de l’un et de l’autre, mais il ne le peut empêcher. [107] Pour les Mémoires de M. de Sully, [60][108] je m’en vais y travailler, je vous en enverrai un exemplaire pour vous et autant à M. Falconet ; vous m’obligerez de le lui dire de ma part. Je doute fort de l’union du parlement de Bordeaux [109] avec Toulouse, [110] vu que le bruit n’en a point continué et que nous n’en voyons aucun effet ; je pense qu’on veut ennuyer les Bordelais par la longueur de la guerre qu’on leur laisse sur les bras. [61] Malheureux et misérable machiavélisme, [62][111] que tu coûtes à la France ! Je remercie mademoiselle votre femme [112] de ses bonnes recommandations et lui offre celles de toute ma famille en récompense, et toute sorte de services. Peut-être quelque jour j’aurai le moyen de faire une course jusqu’à Lyon et que là, nous trois tout seuls, nous nous entretiendrons plus particulièrement que nous ne pouvons faire par lettres ; [113] et en attendant cette commodité, faites-moi le bien de croire que vous êtes celui de tout le monde que je tiens pour mon plus fidèle et meilleur ami ; et je m’imagine que vous le croyez bien, ainsi que je le dis et comme il est ; sinon, je m’estimerais le plus malheureux et le plus infortuné homme du monde.

Je parcourais hier près du feu un présent que je tiens de votre libéralité, qui est Alex. Mori de Pace Oratio in‑4o[63][114] Je trouve là-dedans quantité de bonnes choses et de bons mots ; dites-moi s’il vous plaît qui est cet auteur et si c’est un ministre de Genève. [115]

Quand je parle contre les cardiaques [116] à M. Garnier, je combats véritablement une erreur, mais ce n’est pas assez. C’est qu’après avoir parlé pour iceux, il me dit en riant qu’encore faut-il en ordonner quand ce ne serait que pour faire plaisir aux apothicaires. Le premier est une erreur en science et l’autre, en conscience, c’est pécher in utroque ; [64] et il me semble qu’un médecin ne doit jamais faillir ni en l’un, ni en l’autre s’il peut. Il fera comme il l’entendra, et moi je ferai du mieux que je pourrai, mais je ne fais rien que par devoir et ne me laisse emporter ni à grâce, ni à faveur pour personne. Les apothicaires ont assez gâté le métier, et se sont assez donné de crédit et de réputation dans les familles par leurs fourberies, sans que les médecins contribuent du leur à les y avancer davantage, et même aux dépens de leur conscience propre et de l’honneur de leur profession ; joint que les malades n’en sont pas si fidèlement traités, vu qu’il n’y a rien chez les malades que les apothicaires haïssent tant que le cito, tuto et iucunde[65] tant recommandé par Celse [117] et par Galien ; [118] joint même que quand je me mêlerais de couper des bourses, je ne les délivrerais point étant coupées, [66] ni ne les baillerais point en garde aux apothicaires, quorum nomen, artes et imposturæ æque mihi sunt odiosæ[67] Cela doit être fort honteux à un honnête homme en notre profession, cum eiusmodi hominum genere gallinam deprædari[68] aux dépens des pauvres malades qui se fient à nous et qui n’attendent du secours que de notre fidélité. Sed tamen finis sit ineptiarum[69]

Je vous dirai que depuis demi-heure j’ai passé à cheval dans la rue aux Ours, [70][119] où j’ai trouvé, sortant du cabaret, votre même M. Henry, Lyonnais, auquel j’ai demandé des nouvelles de l’édition d’Angleterre de la Philosophie d’Épicure de M. Gassendi (auquel je n’ai fait nul semblant de savoir de vous le contraire de ce qu’il m’avait par ci-devant dit). Il m’a dit qu’il y en aurait ici pour la foire de Saint-Germain. [71][120] Comme je lui ai répliqué que je ne le croyais point, il s’est offert de gager contre moi six pistoles que cela était vrai et qu’il y en avait des feuilles à Paris ; mais il m’a dit tout cela avec bavardise et jactance ; [72] et en poursuivant, m’a dit aussi que Encyclopædia Alstedii [121] de M. Huguetan [122] ne valait rien, que ce livre avait été tout châtré, qu’on en avait ôté tout ce que l’auteur y avait dit contre la messe, que celui d’Allemagne valait cent fois mieux ; [123] que le Sennertus [124] de M. Huguetan était trop pressé et de trop petite lettre, que celui de Venise, [125] qui était achevé il y avait plus de trois mois, était bien meilleur et plus beau ; qu’il me ferait voir celui de Venise dans peu de jours, qu’il lui en venait un dans une balle de marchandises ; [73] que celui de Lyon ne s’achevait point, que Piget [126] l’avait fait cesser et que M. Huguetan serait obligé d’attendre que le privilège de Paris fût expiré pour achever le sien. [74] Il m’a dit encore que le nouveau de Venise serait à bon marché et qu’il m’en ferait ici délivrer un pour deux pistoles, de cette nouvelle édition ; à quoi je lui ai répondu que je pourrais bien lui en donner la peine puisque celui de Lyon ne s’achevait point, à quoi je m’étais attendu, etc. Cet homme est un grand bavard, il me tiendrait encore si je ne l’eusse quitté ; sed in eiusmodi multiloquio non puto deesse mendacium[75][127] Et de tout cela, vous en ferez part si vous voulez à MM. Huguetan, [128] Ravaud [129] et Barbier. [130] Si vous rencontrez M. Garnier, tâchez de faire envers lui qu’il vous donne la première lettre qu’il m’écrira, qui sera la réponse à celle que lui avez envoyée ; et quand vous l’aurez, ouvrez-la et la lisez hardiment ; et puis après, vous me l’enverrez enfermée dans une des vôtres sans vous en presser ni incommoder, vu que dans les siennes il n’y a jamais rien de pressé ; et ainsi vous-même, vous verrez ses raisons et jugerez de la bonté d’icelles. Après cela, je vous donne le bon jour et vous souhaitant toute sorte de félicité pour toute l’année, je vous proteste que je serai toute ma vie, velis, nolis[76] Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 8e de janvier 1650.


a.

Ms BnF no 9357, fos 69 et 71 ; Du Four (édition princeps, 1683), no xx (pages 75‑79), du 11 janvier 1650, et Bulderen, no xxxi (tome i, pages 95‑98) du 21 janvier, très remaniées ; Reveillé-Parise, no ccxx (tome i, pages 508‑516) ; Jestaz nos 23 (tome i, pages 571‑582).

1.

Recueil de lettres des sieurs Morin, de La Roche, de Neuré et Gassend, en suite de l’Apologie du sieur Gassend touchant la question De Motu impresso à motore translato{a} Où par occasion, il est traité de l’astrologie judiciaire. {b}


  1. V. note [4], lettre 185.

  2. Paris, Augustin Courbé, 1650, in‑4o de 172 pages.

Guy Patin ne disposait que d’éditions séparées de ces lettres, mais ce recueil, où des amis et partisans de Gassendi le soutiennent contre Jean-Baptiste Morin dans la querelle sur la rotation de la terre, en contient six :

La querelle se prolongea en 1650, v. note [53], lettre 216.

2.

Laurent Mesme, dit Michel ou Mathurin Neuré (Loudun 1594-Paris 1676 ou 1677), fils d’un gargotier de Loudun, avait été poussé par la misère à entrer chez les chartreux de Bordeaux où il s’adonna sans maître à l’étude des sciences. Au bout de quelque temps, fatigué de la vie monastique, il avait jeté le froc aux orties, s’était rendu à Paris en changeant de nom, où il remplit successivement l’office de précepteur chez François Bochart de Champigny (v. note [11], lettre 390) et chez Mme de Longueville qui lui fit une forte pension (G.D.U. xixe s.). Très féru de mathématiques et d’astronomie, Neuré avait pris le parti de son ami Gassendi dans la querelle qui l’opposait alors à Jean-Baptiste Morin (v. note [4], lettre 185).

3.

François de Barancy, supposé d’origine lorraine (1597-Lyon 18 juillet 1653), docteur en l’un et l’autre droits connaissant parfaitement le grec, le latin et l’hébreu, s’était établi à Lyon avec sa famille et fait recevoir avocat au présidial de la ville. Pour compléter ses revenus, il était devenu correcteur d’imprimerie chez le libraire Guillaume Barbier, ce qui le mit en relation avec les érudits du temps, parmi lesquels Neuré. Admirateur de Gassendi, Barancy avait fait imprimer pour la première fois, malgré les répugnances du philosophe, le De Vita et moribus Epicuri [La Vie et les règles d’Épicure] (Lyon, 1647, v. note [1], lettre 147) dont il possédait le manuscrit. Toujours par amitié et complicité érudite, il était entré dans la controverse que Gassendi soutenait contre Morin. Barancy est aussi l’auteur de l’Histoire véritable de tout ce qui s’est fait et passé dans la ville de Lyon en la mort de Messieurs de Cinq-Mars et de Thou, l’une des relations les plus détaillées publiées sur le sujet (v. note [6], lettre 75).

Le Privilège du roi accordé au De Vita et moribus Epicuri… de Gassendi (v. notes [1], lettre 147, et [3], lettre 211) stipule que :

« Notre cher et bien-aimé François de Barancy, avocat au siège présidial de Lyon, Nous a fait remontrer qu’il a recouvré un livre intitulé De Vita et moribus Epicuri, libri octo, authore Petro Gassendo, etc., lequel il désirerait mettre en lumière s’il Nous plaisait de lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous avons permis et permettons par ces présentes audit exposant de faire imprimer, vendre et débiter ledit livre en tous lieux de notre obéissance par tel imprimeur ou libraire qu’il voudra choisir, en un ou plusieurs volumes, en telles marges, en tels caractères et autant de fois que bon lui semblera durant quinze ans entiers et accomplis, à compter du jour que chaque volume sera achevé d’imprimer pour la première fois. […] Donné à Paris le 5e jour d’août, l’an de grâce 1647e et de notre règne le cinquième. Par le roi en son Conseil, signé Conrart. Le susdit exposant a consenti que Guillaume Barbier, imprimeur et libraire du roi à Lyon, imprimât le susdit livre, suivant le traité fait entre eux. Achevé d’imprimer le 24e septembre mil six cent quarante-sept. »

Le faubourg Saint-Marceau (ou Saint-Marcel), sur la rive gauche de la Seine (aux confins des ve et xiiie arrondissements), avait son centre à l’acteul carrefour des Gobelins.

4.

« si ça ne vous dérange pas ».

5.

« Défense royale pour Charles ier adressée à Charles ii, etc. » de Claude Saumaise : v. note [52], lettre 176.

6.

Jacques Du Chevreul (Chevreuil ou cheureul, Capreolus en latin ; Carquebut, diocèse de Coutances vers 1595-Paris 30 décembre 1649) avait été un pilier du Collège d’Harcourt (v. note [43], lettre 485, pour l’énumération de tous ses titres académiques par Pierre Padet, exécuteur de son testament). Il y fit toutes ses études pour y être reçu maître ès arts en 1616 avant d’y professer (régenter) de 1619 à 1641. Adversaire acharné des jésuites, il fut nommé recteur (v. note [3], lettre 595) en 1622, puis procureur fiscal (v. note [27] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris) de l’Université de Paris en 1623. Professeur royal de philosophie grecque et latine en 1647, Du Chevreul mourut subitement en pleine chaire, devant ses étudiants du Collège d’Harcourt. Il a publié divers ouvrages philosophiques, mathématiques et théologiques, notamment sur l’immortalité de l’âme (dont il était chaud défenseur), mais sa Philosophie n’a jamais paru ; la bibliothèque municipale de Cherbourg en conserve le manuscrit.

Fondé en 1280 par Raoul d’Harcourt, docteur en droit canonique et chanoine de l’église de Paris, pour recevoir les écoliers pauvres des quatre diocèses normands où il avait exercé un ministère (Rouen, Coutances, Bayeux et Évreux), le Collège d’Harcourt était le siège de la Nation normande de la Faculté des arts (v. note [8], lettre 679). Il était bâti sur le terrain actuellement occupé par le lycée Saint-Louis (boulevard Saint-Michel dans le vie arrondissement).

7.

Probable inattention de Guy Patin qui a écrit extraordinaire pour ordinaire.

Le vin d’Espagne, sans doute proche de l’actuel xérès (jerez ou sherry), était un vin blanc liquoreux de couleur dorée, réservé aux tables de fête.

8.

Cette éclipse partielle de Lune avait été visible à Paris le 20 janvier 1609 à 2h30 (A.V.D.).

Voltaire (Dictionnaire philosophique) :

« Chaque phénomène extraordinaire passa longtemps, chez la plupart des peuples connus, pour être le présage de quelque événement heureux ou malheureux. Ainsi, les historiens romains n’ont pas manqué d’observer qu’une éclipse de soleil accompagna la naissance de Romulus, qu’une autre annonça son décès, et qu’une troisième avait présidé à la fondation de la ville de Rome. »

Furetière :

« Les Anciens faisaient de grands cris pendant l’éclipse de la Lune, croyant la soulager avec ces paroles, Vince Luna, {a} comme on voit dans Tacite, Sénèque le Jeune et Plutarque, et dans ce vers : Una laboranti poterit succurrere lunæ. {b} On a eu beaucoup de peine à guérir les chrétiens de cette superstition »


  1. « Lune, sois victorieuse ! »

  2. « Elle seule en geignant pourra porter secours à la Lune » (Juvénal, Satire vi, vers 443).

9.

François ii Miron (Paris 1560-ibid. 1609), petit-fils de François i et fils de Gabriel ii, fut successivement conseiller au Parlement (1585), lieutenant civil (1596), maître des requêtes, président au Grand Conseil et chancelier du dauphin (1597), et enfin élu prévôt des marchands pour deux ans en 1604 (Popoff, no 1771).

À Paris, la rue François-Miron (ive arrondissement) honore toujours sa mémoire : la capitale lui a dû maints embellissements, quais, ports, places (place Dauphine, place Royale) et la façade de l’Hôtel de Ville (détruite en 1871 lors de la Commune), qu’il fit construire en y consacrant les émoluments de sa charge. Par la construction de la maison de la Samaritaine (v. note [64], lettre 166) attenant au Pont-Neuf, il fit doubler le volume d’eau dont disposait la capitale.

Ce fut à cause de toutes ces bonnes initiatives que les Parisiens le surnommèrent le Père du peuple. Il détourna Henri iv du projet de réduire les rentes constituées sur l’Hôtel de Ville. Ce magistrat plébéien avait un système fort aristocratique qu’il recommanda souvent au roi Henri iv : maintenir dans Paris les loyers et les denrées alimentaires à un prix élevé afin d’en chasser les pauvres, et d’en faire une ville de luxe et d’arts, toujours plus facile à gouverner qu’une ville industrielle. Dans la pensée de Miron, les enrichissements de Paris tendaient à ce but (G.D.U. xixe s.).

10.

Ouvrages posthumes de Jean Martin publiés par René Moreau :

11.

Joseph Duchesne (Quercetanus, 1546-1609), sieur de Moramé, de Lyzerable et de La Violette, était originaire du comté d’Armagnac. Il fit un long séjour en Allemagne où il étudia la chimie. Après avoir pris le bonnet de docteur en médecine à Bâle en 1573, il alla passer quelque temps à Genève. Cette ville lui accorda le droit de bourgeoisie (1584), le fit membre du conseil des Deux-Cents (1587) et le chargea de diverses missions diplomatiques vers la Savoie, dont il s’acquitta avec zèle. En 1593, il vint à Paris et obtint la place de médecin ordinaire de Henri iv. Sa carrière fut très orageuse en France : il n’épargna rien pour renverser la médecine galénique et introduire l’usage des préparations chimiques où le mercure tenait une grande place ; cette entreprise révolta la Faculté de Paris, mais l’opposition ne le rebuta point. Il ne réussit pas à introduire les doctrines de Paracelse qu’il avait embrassées, mais il sut en tirer un grand profit pour sa fortune et il contribua du moins à ébranler le vieux colosse de l’humorisme. Ses ouvrages sont remplis de rêveries et d’absurdités, il croyait au pouvoir des signatures (v. notes [5], lettre 340) et à la pierre philosophale (J. in Panckoucke). La plupart de ses livres ont été édités en latin et en français.

Alexandrian (page 314) a honoré la mémoire de Quercetanus :

« Cet auteur curieux, qui publia aussi un poème philosophique, Le Grand Miroir du Monde (1587), est celui qu’il faut consulter pour comparer les deux genres de médecine. Dans Le Portrait de la santé (1606), {a} Joseph Duchesne trace un tableau admirable des conditions à observer si l’on veut bien se porter et exprime son idéal du vrai médecin, qui doit “ avoir suivi les armées et pratiqué dans les hôpitaux ”, voyagé “ en beaucoup de diverses contrées ”, comparé les méthodes de tous ses confrères, être soucieux de tout connaître, depuis les influences des astres jusqu’aux effets des herbes froides (oseille, endive, laitue) et des herbes chaudes (suage, fenouil, menthe, persil, serpolet, etc.) et savoir même comment apprendre à ses malades manquant d’appétit comment préparer “ le biscuit de la reine ”, qui “ se fond à la bouche et s’avale facilement en sustentant ”. Avec La Pharmacie des dogmatiques réformée et enrichie (1607), {b} Joseph Duchesne nous renseigne sur les médicaments employés par ses adversaires et sur ceux qu’il inventa lui-même, l’électuaire hystérique (contre les vertiges), les pilules d’euphorbe (contre la peste), les dragées antiépileptiques, le sirop de coraux “ pour la guérison de toutes les maladies qui naissent de la corruption et d’imbécillité du foie ”, qu’il fit prendre avec succès à la duchesse de Sully. Il a la singularité, en chaque maladie, de prescrire un remède pour les pauvres différent du remède pour les riches. »


  1. Le portrait de la santé. Où est au vif représentée la règle universelle et particulière de bien sainement et longuement vivre. Enrichi de plusieurs préceptes, raisons et beaux exemples, tirés des médecins, philosophes et historiens, tant grecs que latins, les plus célèbres (Paris, Claude Morel, 1627, in‑8o).

  2. La Pharmacopée des dogmatiques, réformée et enrichie de plusieurs remèdes excellents, choisis et tirés de l’art spagirique. Avec un traité familier de l’exacte préparation spagirique des médicaments pris d’entre les minéraux, animaux et végétaux ; et une brève réponse au livret de Jacques Aubert touchant la génération et les causes des métaux (Rouen, Corneille Pitreson, 1639, in‑8o).

En revanche, ses propos ont valu à Guy Patin cette remontrance de Joseph-Barthélemy-François Carrère (Bibliothèque littéraire, historique et critique de la médecine ancienne et moderne, tome second, Paris, Ruault, 1776, in‑4o, page 500) :

« < Duchesne > jouit à Paris d’une grande réputation et sa pratique {a} fut très étendue ; les succès qui l’accompagnèrent le mirent en état de résister aux entreprises de plusieurs médecins de la Faculté, déchaînés contre lui. Son goût pour la chimie et l’usage qu’il faisait, dans sa pratique, des remèdes chimiques, lui attirèrent les persécutions de Guy Patin, qui le couvrit de sarcasmes et de railleries jusqu’à s’en prendre à tout le pays d’Armagnac, qu’il appelé pays maudit : ce médecin, inquiet et malin, ne ménageait rien lorsqu’il s’agissait de décrier les chimistes et leurs médicaments ; cependant, l’expérience a fait voir que Duchesne a mieux rencontré sur l’antimoine que Guy Patin et ses camarades. »


  1. Clientèle.

Sur quoi, Éloy a renchéri (tome 1er, page 610) :

« M. Carrère n’a pas réfléchi que Duchesne, mort en 1609, n’a pu s’attirer, par son goût pour la chimie et l’usage qu’il faisait des remèdes chimiques, les persécutions d’un enfant de sept ans. Or Guy Patin, né en 1602, {a} avait à peine cet âge à la mort de Duchesne, et tout satirique qu’il ait été plus tard, il ne pouvait alors le couvrir de sarcasmes, ni de railleries. »


  1. Sic pour 1601.

Patin en a rajouté contre Duchesne dans sa lettre latine du 20 mars 1659, à Sebastian Scheffer.

12.

« Ainsi vont et viennent fortunes et infortunes ».

13.

« Du plein de la fontaine des délices surgit quelque chose à aimer, qui étreint au plus profond de la gorge » : Lucrèce (La Nature des choses, livre iv, vers 1133‑1134) avec remplacement de floribus [qui étreint même au milieu des fleurs] par faucibus.

Montaigne a commenté ces vers (Essais, livre ii, chapitre xx, Nous ne goûtons rien de pur) :

« Des plaisirs et biens que nous avons, il n’en est aucun exempt de quelque mélange de mal et d’incommodité. »

14.

Guy Patin omettait ici le troisième portrait précédemment annoncé à Charles Spon, celui de Jacques i Cousinot ; v. note [12], lettre 207.

15.

Très souvent cité dans les lettres de Guy Patin, Christophe Fourmy, commis de librairie originaire de Lyon, travaillait alors à Paris chez Jean Roger, « rue des Amandiers, à la Vérité royale, devant les Grassins ».

Fourmy allait ouvrir à Lyon une officine en association avec Jean Champion (v. note [7], lettre 358), son beau-père, en exercice depuis 1636. À l’enseigne d’À l’Occasion, leur boutique était située rue Mercière à quelques pas de la maison de Charles Spon. Fourmy y exerça seul après la mort de Jean Champion (1657) jusqu’en 1667 (Renouard et Jestaz).

La rue des Amandiers, dite rue des Amandiers Sainte-Geneviève (sur le flanc Nord de la colline de même nom), est aujourd’hui la rue Laplace dans le ve arrondissement de Paris.

16.

Seconde quodlibétaire de Robert Patin sur le traitement de la syphilis par le mercure (v. note [53], lettre 209).

17.

V. note [7], lettre 68, pour la réédition des Opera de Zacutus Lusitanus en deux volumes chez Huguetan et Ravaud (achevé d’imprimer le 2 octobre 1649).

Charles Spon avait peut-être attiré l’attention de Guy Patin sur un passage du chapitre i, De Morbo Gallico [Le Mal français (vérole)], du livre ii de la Praxis historiarum (tome 2 des Opera, v. note [13], lettre de Charles Spon, datée du 10 juillet 1657), au tout début duquel Zacutus décrit la maladie en ces termes (page 265) :

Invasit hominum genus ex lue venerea quoddam vitium gonorrhœæ finitimum, quod iccirco fœdam, virulentamque gonorrhœam appellamus. Alii morbum Gallicum, Neapolitanum, Italicum, Hispanicum, luem veneream, variolam magnam, mentagram ven pudendagram, vocare consuerunt.

[Une certaine tare d’origine vénérienne s’est jetée sur le genre humain ; elle ressemble à la gonorrhée, c’est pourquoi nous lui donnons le nom de gonorrhée honteuse et venimeuse. {a} D’autres ont pris l’habitude de l’appeler mal français, napolitain, italien, espagnol, maladie vénérienne, grosse vérole, mentagra {b} ou pudendagra]. {c}


  1. Chaude-pisse (v. note [14], lettre 514).

  2. « maladie du menton ».

  3. « maladie des parties honteuses » ; v. note [48] de Guy Patin éditeur des Opera omnia d’André Du Laurens en 1628, pour Gabriell Fallope sur le même sujet, en 1564.

Le mot mentagra renvoie à Pline (v. note [2], lettre 449) et pourrait donc servir de preuve à l’antiquité de la syphilis, antérieure à la découverte de l’Amérique, thèse à laquelle Patin adhérait fermement.

18.

Juan de Pineda, jésuite (Séville 1557-ibid. 1637) professa la philosophie et la théologie dans divers collèges, puis devint consulteur général de l’Inquisition et fut chargé par le grand inquisiteur Zapata de visiter les bibliothèques d’Espagne pour en faire disparaître les ouvrages que l’Église tenait pour dangereux. Pineda était très versé dans la connaissance des langues orientales (G.D.U. xixe s.). Guy Patin se référait ici à ses :

Commentariorum in Iob [libri xiii]. Adiuncta est singulis Capitibus sua Paraphrasi, quæ et longioris Commentarii summam continet.

[(Treize livres de) Commentaires sur Job. Leur paraphrase est ajoutée à chacun des chapitres, et elle contient aussi la partie essentielle d’un commentaire plus long]. {a}


  1. Paris, Mathurin du Puis, 1631, in‑fo de 782 pages ; Madrid, 1597-1601, pour la 1re édition.

Pineda examine précisément le verset 19:20 de Job (page 57) :

Pelli meæ consumptis carnibus adhæsit os meum, et derelicta sunt labia tantummodo circa dentes meos ;

[Sous ma peau, mes os s’attachent à des chairs pourries, et seules restent mes lèvres autour de mes dents] (traduction littérale, non œcuménique) ;

avec ce commentaire (haut de la seconde colonne),

Diximus aliquando cum de morbis Iob ageremus, atque de Elepantiasi, eo morbo reliqua carne absumpta, labia intumescere ; proptereaque Iob aliis artubus tabescentibus, sola sibi labia tumentia, et excrescentia, pro aliorum partium carne absumpta, derelicta deplorare.

[Nous avons déjà dit, en discutant sur les maladies de Job et sur l’éléphantiasis, {a} que les lèvres enflent quand cette maladie a entièrement épuisé le reste des chairs ; c’est pourquoi, tandis que ses autres membres sont en déliquescence, Job déplore que seules lui restent ses lèvres gonflées et saillantes, pour avoir consumé la chair des autres parties].

Sur les versets 2:7‑8, {b} Pineda a en outre fait un long commentaire (pages 93‑104) intitulé Morborum quibus Iob laboravit, enumeratio et consideratio [Énumération et examen des maladies dont a souffert Job], divisé en 13 sections. La section  v, page 97 est intitulée Lues venerea. Arthritis, seu articularis dolor [Maladie vénérienne. {c} Arthrite, {d} ou douleur articulaire], et résumée en cinq points :

  1. Iobum laborasse morbo Gallico qurundam sententia et coniectura [Certains jugent et conjecturent que Job était atteint du mal français] ; {c}

  2. Iobum non potuisse affici eo malo, aliorum sententia [D’autres jugent que Job ne pouvait être affecté de ce mal] ;

  3. Difficultatis solutio statuitur [La résolution de la difficulté est présentée] ;

  4. Quo tempore in Hispania cœperit morbus Gallicus, huius cum Elephantiasi cognatio [À quelle époque le mal français a commencé de sévir en Espagne, son lien avec l’éléphantiasis] ; {e}

  5. Podagra, Chiragra, Ischiade, et totius corporis arti<cu>lari morbo doluisse [Il souffrait de goutte du pied, de la main, de la hanche, et de la maladie artclaire de tout le corps].

    Pineda expose son avis théologique sur la syphilis de Job dans le point 4 :

    Ego de Iobo affirmare audeo, potuisse hoc morbo laborare, nam Dæmonis arte, qui humani corporis temperiem, et humorum vim penitus cognoscebat, potuit ad eiusmodi intemperiem adduci, ut in malignam illius morbi naturam humores degenerarent, præsertim cum nunquam non alicubi gentium eum morbum semper pervagatum fuisse, mihi pro certo habeatur : vel ex ipsa medicorum ratione, statuentium a contagio fieri, nam vel abeundum in infinitum, ita ut nunquam incœpisse deprehendatur : vel sine contagio fieri potest, disturbatis humoribus et ad insignem intemperiem adductis. Quod si ea, quæ huius morbi apud nostrates origo traditur, vera est, rem quoque confirmare potest, aiunt enim viri docti Hutten et Manardus cæpisse in Valentia Hispaniæ Tarraconensis, quo tempore Carolus Francorum Rex expeditionem Italicam parabat : cum elephantiosus quidam nobilis miles ad nobile scortum accederet : quicunque igitur deinde ad mulierem ingressi sunt, eo malo infectos fuisse, elephantiasi in illud degenerante. Igitur Iobi elephantiasis non longe ab ista lue abfuit, neque Dæmonis sævitia ab illa procuranda.

    [J’ose affirmer que Job a pu souffrir de cette maladie car, par la ruse du démon, qui connaissait parfaitement le tempérament du corps humain et la puissance des humeurs, il a pu être affecté par cette intempérie. Je tiens pour certain que les humeurs se sont altérées pour engendrer la nature maligne de cet mal, surtout parce que de tout temps elle ne s’était jamais divulgée dans aucune de nos nations. Et cela tient : soit au raisonnement des médecins qui ont établi qu’elle se fait par contagion, mais elle était si infiniment éloignée de Job qu’il est impensable qu’elle l’eût saisi ; soit sans contagion, par un dérangement des humeurs qui a provoqué leur remarquable déséquilibre. Cela se peut confirmer si ce qu’on raconte ici et maintenant sur l’origine decette maladie est vrai : les doctes personnages Hutten et Manardi {f} disent qu’elle a commencé à Valence, en Espagne tarraconaise, à l’époque ou le roi Charles de France préparait son expédition italienne ; {g} un gentilhomme éléphantiasique de son armée avait fréquenté une noble coutisane et tous ceux qui ont ensuite eu des rapports avec cette femme, ont été infectés par ce mal qui dégénère en éléphantiasis. Celui de Job n’a donc pas été fort éloigné de cette contagion, mais la cruauté du démon n’a pas été té étrangère à sa transmission].


    1. Au début de sa lettre à André Falconet du 18 septembre 1665 (v. sa note [1]), Patin a écrit que, selon lui, Pineda disait Job atteint par la vérole, tout comme Jacques Bolduc avait fait avant lui.

    2. « Et Satan se retira de devant la face de Yahweh. Et il frappa Job d’une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête. Et Job prit un tesson pour gratter ses plaies et il s’assit sur la cendre. »

    3. Syphilis (vérole).

    4. Goutte (v. note [30], lettre 99), sans distinction nette entre la maladie qui porte aujourd’hui ce nom et les autres arthrites (dont celles qu’on sait liées aux maladies vénériennes).

    5. Ce qui correspond probablement plus à la lèpre qu’à la vérole (v. note [28], lettre 402).

    6. V. notes [14], lettre 532, pour Ulric Hutten et son livre sur le mal français (Mayence, 1519), et [2], lettre 533, pour Giovanni Manardi, qui a parlé de la vérole dans ses Epistolæ medicinales [Épîtres médicales] (Ferrare, 1521).

    7. Charles viii, v. infra note [20].

La théologie du R.P. Pineda voulait résoudre habilement le paradoxe : la syphilis (éléphantiasis) avait frappé Job longtemps avant la naissance du Christ, mais il la devait à la malignité du démon, et non pas à la contagion qui n’aurait commencé à s’établir qu’au xvie s. de notre ère (dans le vieux continent). Voltaire a ironisé là-dessus (Dictionnaire philosophique, entrée Lèpre et vérole) :

« Le R.P. dom Calmet, {a} grand antiquaire, c’est-à-dire grand compilateur de ce qu’on a dit autrefois et de ce qu’on a répété de nos jours, a confondu la vérole et la lèpre. Il prétend que c’est de la vérole que le bonhomme Job était attaqué ; et il suppose, d’après un fier commentateur nommé Pineda que la vérole et la lèpre sont précisément la même chose. Ce n’est pas que Calmet soit médecin, ce n’est pas qu’il raisonne, mais il cite, et dans son métier de commentateur, les citations ont toujours tenu lieu de raisons. » {b}


  1. Augustin Calmet (1672-1757), moine bénédictin et historien lorrain.

  2. V. note [1], lettre 834, pour l’avis de Bayle sur la théorie de Pineda.

19.

« dans son traité sur cette maladie [la vérole], qu’on lit à la fin de son commentaire sur le 7e livre de la Méthode de remédier » :

Commentarius in septimum Galeni Librum Methodi medendi Quæstionibus physicis et medicis refertus et de Morbo Gallico per methodum curando. Autore Fabio Pacio Philosopho ac Medico Vicetino cum triplici indice

[Commentaire de Fabius Pacius, {a} philosophe et médecin natif de Padoue, sur le septième livre de la Méthode de remédier de Galien, rempli de questions physiques et médicales, et sur la manière de guérir méthodiquement le mal français. Avec triple index]. {b}


  1. Fabius Pacius (Fabio Pace, Vicence 1547-ibid. 1614), docteur en médecine de Padoue (en 1575).

  2. Vicence, Franciscus Grossius, 1608, in‑fo. Cet ouvrage avait été précédé par le Commentarius in sex priores libros Galeni Methodi medendi… [Commentaire sur les six premiers livres de la Méthode de remédier de Galien…] (Vicence, Robertus Meiettus, 1598, in‑fo, pour la 2e édition).

Le traité De Morbo Gallico [Sur la vérole (syphilis)] occupe les colonnes 449‑511 (et dernière) du commentaire sur le 7e livre de la Méthode de Galien. La section qui y intéressait Guy Patin est intitulée Morbus Gallicus an novus [Le mal français est-il nouveau ?] (colonnes 477‑481). Pacius se fonde sur les satires de Martial et Juvénal pour montrer que les maladies vénériennes étaient courantes dans l’Antiquité ; {a} il est bien moins convaincant quand il affirme que la syphilis {b} en faisait partie ; il admet néanmoins la grande épidémie qui a eu lieu au début du xvie s., avec cette conclusion :

Hæc fere sunt in causa, quibus adducor, ut credam novum hunc non esse morbum, sed antiquis etiam familiarem, quanquam iisdem non ita ad unguem cognitum, præsertim quod ad contagium attinet, aut certe non exacte nobis traditum, et enarratum. Negare illud certe non ausim, ab eo Gallici belli tempore morbum hunc, et maiores quam antea vires cepisse, maiusque incrementum fecisse, maiorem quendam in modum sese, et ostentasse, et propagasse : verum id quoque habere causam manifestam potest. Ita enim humanarum rerum fert conditio, ut omnia vicissitudinem quandam habeant, incrementum suscipiant, ac decrementum, pro cœli, aerisque constitutione, atque pro ipsorum hominum moribus, institutis, consuetudine, atque commercio, pro pacis bellorumque varietate. Quod enim inter paucos evenit, intra domesticos uniuscuiusque familiæ lares atque parietes, proportione quadam in maximo hoc orbis terrarum conventu evenire probabile est : Etenim sæpe videmus accidere, ut unius domus unus de multis scabiem aliunde contractam cæteris communicet, totamque domum inficiat, ac polluat perinde, ac morbida facta pecus totum corrumpet ovile. Ita multis hominibus aliunde aliis, aut belli, aut mercaturæ, aut alia occasione in unum coeuntibus, contactu Venereo se se invicem permiscentibus, quid mirum si morbus is, qui paucis erat infestus, plurimis communicetur, et longe hinc, lateque sæviat, ac debacchetur ? Atqui vetus an novus sit morbus, cum scire parum ad methodum faciat curativam, paucis his liceat nobis esse contentis.

[Voilà à peu près les raisons qui me me conduisent à croire que cette maladie n’est pas nouvelle, mais que a aussi été familière à ceux de l’Antiquité, bien qu’il ne l’aient pas parfaitement reconnue, principalement parce qu’elle touche à la contagion, {c} ou qu’ils ne nous l’aient assurément pas relatée et décrite avec exactitude. Je n’oserais nullement nier qu’elle ait commencé à prendre une plus grande ampleur au temps de la guerre française, et qu’elle se soit alors grandement développée, en se manifestant ostensiblement et en se propageant largement. La raison en a été tout aussi évidente, car la condition humaine est ainsi faite que la vicissitude régit tout, avec des alternances d’accroissement et d’extinction, selon la constitution du ciel et de l’air, les mœurs, habitudes et coutumes des hommes, et selon le commerce qu’ils ont entre eux, en temps de guerre et de paix. Il est en effet probable que ce qui survient chez un petit nombre, parmi les membres et entre les murs de chaque famille, prenne quelque ampleur pour s’étendre à la terre entière quand il y a très grand rassemblement : nous voyons en effet souvent advenir qu’un individu d’une seule maison transmette à nombre d’autres la gale qu’il a contractée ailleurs et en infecte tout son foyer, ou qu’une brebis contaminée communique son mal à tout le troupeau. Ainsi, quand beaucoup d’hommes entrent en contact avec d’autres, à l’occasion d’une guerre, d’échanges commerciaux ou de quelque autre circonstance, et qu’ils ont entre eux des relations charnelles, qu’y a-t-il d’étonnant si cette maladie, qui n’infestait que peu de gens, se communique à nombre de leurs semblables, et s’étende alors de long en large avec grande furie ? Contentons nous donc du peu que nous savons sur l’ancienneté ou la nouveauté du mal, car cette question importe peu dans la méthode à suivre pour y remédier].


  1. Particulièrement la chaude-pisse (v. note [14], lettre 514) et le fic (v. note [7], lettre 482), dont Galien n’a guère parlé.

  2. Ni le mot syphilis ni le nom de son inventeur, Fracastor (Girolamo Fracastoro, mort en 1553, v. note [2], lettre 6), ne figurent dans l’index de Pacius. Je ne les ai pas vu non plus dans son traité De Morbo Gallico.

  3. Le mot contagion, typiquement « fracastorien » (v. note [6], lettre 7) bénéficie de 15 entrée dans l’index de Pacius, et de deux colonnes entières (462‑464) dans son traité sur le mal français.

    On réservait le nom de contagion aux maladies principales épidémiques : peste, typhus, infections vénériennes (naguère qualifiées de honteuses, comme les parties du corps, pudenda, qu’elles affectent en premier).


20.

Putatif : « qui est réputé être ce qu’il n’est pas. Il n’est guère en usage qu’en parlant de saint Joseph que l’on appelle le père putatif de Notre Seigneur parce qu’il était réputé en être le père » (Académie).

Les caprices épidémiques de la lèpre continuent d’intriguer : bien avant qu’on en eût découvert le traitement efficace, et même identifié la bactérie responsable (Mycobacterium lepræ, v. note [19], lettre 79), la maladie s’était éteinte d’elle-même en certaines parties de l’Europe, ainsi que Guy Patin le remarquait ici ; mais en d’autres, elle avait pu subsister sans grande variation ou éclore de nouveau après avoir disparu. Pour expliquer ces éclipses spontanées, on a invoqué plusieurs phénomènes (D. Sharp, Leprosy lessons from old bones [De vieux ossements nous renseignent sur la lèpre], The Lancet, 2007 ; volume 369 : pages 808‑809) :

Quoi qu’il en fût, Patin se servait de la confusion entre lèpre et vérole pour étayer la thèse de l’antiquité de la syphilis dans le Vieux Monde : Charles viii a régné en France de 1483 à 1498 et Christophe Colomb est revenu de son premier voyage d’Amérique en mars 1493. V. note [12], lettre 14, pour ce que je crois être la toute première description imprimée de la maladie, par Antonius Benivenius (Florence, 1507).

En sa jeunesse, le même Patin, dans un commentaire de son édition des Opera omnia d’André Du Laurens (Paris, 1628), s’est néanmoins catégoriquement prononcé pour l’origine américaine de la vérole européenne à la fin du xve s. Ce texte est transcrit, traduit et annoté dans l’annexe que je j’ai consacrée à cet ouvrage (v. ses notes [40][46]).

21.

V. note [1], lettre 116, pour l’opuscule d’Estevan Roderigo de Castro intitulé « Quoi vient de quoi ».

22.

Marqué : annoté.

23.

Quarteron : « compte qui fait le quart d’un cent. Demi-quarteron, c’est treize, dont le treizième est compté pour le pardessus [pour arrondir 12,5] » (Furetière).

24.

« le nombre impair plaît à Dieu » (Virgile, Bucoliques, églogue viii, vers 75).

Se moquant d’un médecin dans Monsieur de Pourceaugnac (acte i, scène 8), Molière lui fait dire aussi sentencieusement que sottement :

« Tout ce que j’y voudrais ajouter, c’est de faire les saignées et les purgations en nombre impair : Numero Deus impare gaudet. »

25.

En guise d’étrennes, Charles Spon avait adressé à Guy Patin une première ébauche des vers (au nombre final de 16) du poème latin (v. note [38], lettre 224) qu’il allait lui dédier en tête du Sennertus, alors sous presse à Lyon.

La suggestion de Patin fut bien reçue puisque le 13e vers en est :

Artibus absque malis Arabum, Chymicisque venenis ?

[< combien d’effroyables maladies ne soulagez-vous… > sans les maléfices des Arabes, ni les poisons chimiques ?]

26.

« Ceux qui prêtent attention à peu de chose sont facilement abusés » : Facile enuntiant (et frequentius errant) qui ad pauca respiciunt [se révèlent aisément (et s’égarent fort souvent) ceux qui prêtent attention à peu de chose] (proverbe antique attribué à Aristote).

V. note [6], lettre 157, pour François Henry, futur éditeur des Opera omnia de Gassendi ; vers la fin de sa lettre, Guy Patin est revenu sur ce sujet (v. infra note [71]) en précisant qu’Henry prétendait qu’une édition de la Philosophie d’Épicure était en cours à Londres.

27.

« Le cordonnier se mêle de ce qui est au-dessus de la sandale. »

Ne sutor supra crepidam [Cordonnier, pas meilleur qu’une sandale] est un proverbe tiré de Pline (Histoire naturelle, livre xxxv, chapitre xxxvi, § 22 ; Littré Pli, volume 2, page 476), à propos du peintre Apelle de Cos (v. note [14], lettre 140), pour dire « à chacun son métier… » :

Idem perfecta opera proponebat in pergula transeuntibus, atque ipse post tabulam latens, vitia quæ notarentur auscultabat, vulgum diligentiorem judicem, quam se præferens : feruntque a sutore reprehensum, quod in crepidis una intus pauciores fecisset ansas : eodem postero die, superbo emendatione pristinæ admonitionis, cavillante circa crus, indignatum prospexisse, denuntiantem, ne supra crepidam sutor judicaret, quod et ipsum in proverbium venit.

« Quand Apelle avait fini un tableau, il l’exposait sur un tréteau à la vue des passants et se tenant caché derrière, il écoutait les critiques qu’on en faisait, préférant le jugement du public, comme plus exact que le sien. On rapporte qu’il fut repris par un cordonnier pour avoir mis à la chaussure une anse de moins en dedans. Le lendemain, le même cordonnier, tout fier de voir le succès de sa remarque de la veille et le défaut corrigé, se mit à critiquer le dessin de la jambe. Apelle, indigné, se montra, s’écriant qu’un cordonnier n’avait rien à voir au-dessus de la chaussure ; ce qui est même passé est proverbe. »

Érasme en a fait son adage no 516, avec notamment ce commentaire : « Que nul ne se mette à juger des choses qui sont étrangères à son savoir-faire et à sa profession. »

28.

Tyge Ottesen, dit Tycho Brahe, seigneur de Knudstorp (Knudstorp, Scanie 1546-Prague 1601), a été le plus illustre savant danois du xvie s. Il brilla particulièrement en astronomie, mais ne négligea aucune des autres sciences de son temps, y compris la médecine et la chimie. En 1576, pour retenir Tycho Brahe dans sa patrie, le roi du Danemark, Frédéric ii, lui fit don de l’île de Hven, l’investit d’un fief situé en Norvège, et d’une pension et d’un canonicat lucratifs. Le savant put ainsi faire ériger son magnifique château d’Uraniborg (château d’Uranie, v. notule {b}, note [6] du Borboniana 7 manuscrit, pour cette Muse) et plus tard, l’observatoire de Stjärneborg (château des Etoiles). En butte à l’hostilité grandissante de la cour après la mort de Frédéric ii (1588), Tycho Brahe quitta son île en 1597 pour parcourir l’Europe, jusqu’à accepter en 1599 l’asile généreux que l’empereur Rodolphe ii lui offrit à Prague (G.D.U. xixe s.).

L’éloge de Jacques-Auguste i de Thou se trouve dans le livre cxxvi (Henri iv, 1601) de son Histoire universelle (Thou fr, volume 13, page 647) :

« Je vais maintenant parler de Tycho Brahe, cet illustre Danois qui, par les judicieuses observations qu’il a faites sur le cours des astres dans sa retraite d’Uraniborg avec autant de fatigues que de dépenses, a mérité le nom de prince des astronomes. Il quitta le Danemark pour venir en Allemagne et resta pendant quelque temps à la cour de l’empereur Rodolphe.{a} Il eut pour ami intime Guillaume, Landgrave de Hesse, qui excellait lui-même dans l’astronomie. Tycho mourut cette année à Prague, le 24e d’octobre, à l’âge de 54 ans, 9 mois, 19 jours. Les écrits qu’il avait lui-même fait imprimer l’égalèrent déjà à Ptolémée, {b} à Jean Régiomontan {c} et à Nicolas Copernic ; {d} mais ceux que Jean Kepler, {e} à qui il légua les précieux restes de ses ouvrages, a donnés au public après la mort de ce grand homme l’élèvent au-dessus de tous les astronomes. »


  1. Rodolphe ii, v. note [39] du Borboniana 3 manuscrit.

  2. V. note [22], lettre 151.

  3. Johannes Regiomontanus, v. note [1] du Borboniana 2 manuscrit.

  4. 1473-1543 (v. note [9], lettre 61).

  5. Bien plus illustre aujourd’hui que Brahé, Johannes Kepler (Weil der Stadt-Keplerstadt, Bade-Wurtemberg 1571-Ratisbone 1630) lui succéda dans la charge de mathématicien impérial. Défenseur de l’héliocenrisme, il a établi l’orbite elliptique des planètes et décrit trois lois immortelles qui régissent leurs mouvements, avec une préfiguration de la gravitation universelle. Ses insignes mérites n’ont vraiment été reconnus qu’au xviiie s. : son nom n’apparaît dans aucun texte de notre édition.

29.

Tychonis Brahei, Equitis Dani, Astronomorum Coryphæi Vita. Authore Petro Gassendo Regio Matheseos Professore. Accessit Nicolai Copernici, Georgii Peurbachii et Ioannis Regiomontani, Astronomorum celebrium Vita.

[Vie de Tycho Brahe, chevalier danois, coryphée des astronomes, par Pierre Gassendi, professeur royal de mathématiques. Avec la vie de Nicolas Copernic, {a} Georg von Peurbach et Johannes Regiomontanus, {b} célèbres astronomes]. {c}


  1. V. note [9], lettre 61.

  2. Georg von Peurbach est un astronome et mathématicien allemand (1423-1461), dont Johannes Regiomontanus (v. note [1] du Borboniana 2 manuscrit) avait été l’élève.

  3. Paris, veuve de Mathurin Dupuis, 1654, in‑4o en deux parties de 304 et 110 pages, et La Haye, Adrian Vlacq, 1655, in‑4o de 373 pages ; préface dédiée à Henri-Louis Habert de Montmor (v. note [13], lettre 337).

    Ce livre contient les portraits de :

    • Tycho Brahé en sa 40e année d’âge, orné de ses nombreux écussons et de sa devise, Non haberi, sed esse [Ne pas paraître, mais être] ;

    • Nicolas Copernic, avec deux vers,

      Non docet instabiles Copernicus ætheris orbes,
      Sed terræ instabiles arguit ille vices.

      [Copernic n’enseigne pas les mouvements de l’éther,
      mais démontre les rotations de la terre].


30.

Le massacre de la Saint-Barthélemy eut lieu à Paris le 24 août 1572. Le mariage de Henri iii de Bourbon, roi huguenot de Navarre (le futur Henri iv, roi de France en 1589) avec la princesse Marguerite de Valois (que les romanciers ont plus tard plus tard surnommée la Reine Margot, v. note [4], lettre latine 456), sœur du roi de France, Charles ix, célébré le 18 août, avait échauffé les esprits des deux partis, catholique et calviniste. L’assassinat de l’amiral de Coligny, meneur des protestants, le 22 (v. note [156], lettre 166), inaugura une épouvantable tuerie de tout individu, homme, femme, enfant, soupçonné d’adhérer à la Réforme. Elle s’étendit à l’ensemble du royaume et dura plusieurs semaines. Une telle ignominie émut l’Europe tout entière et eut de très durables conséquences. Les raisons profondes du massacre n’ont toujours pas été parfaitement éclaircies, Charles ix et sa mère, Catherine de Médicis, en ont été tenus pour responsables : comment des souverains raisonnables auraient-ils pu sciemment déclencher une telle explosion de haine ? Leur plus grande faute fut certainement de ne pas avoir perçu le danger de la première étincelle et de ne pas avoir su l’étouffer à temps. Charles ix mourut le 30 mai 1574.

L’anagramme citée par Guy Patin avait été composée à l’occasion du Colloque de Poissy (9‑26 septembre 1561, au tout début du règne de Charles ix), organisé par le Chancelier Michel de L’Hospital et par la reine régente Catherine de Médicis pour tenter de réconcilier les partis catholique et protestant. Leurs députations étaient respectivement menées par le cardinal de Lorraine et par Théodore de Bèze, mais aucun accord ne fut trouvé.

Pierre de La Place (président de la Cour des monnaies, 1520-1572), Commentaires de l’état de la religion et république sous les rois Henri et François seconds et Charles neuvième (édition de J.A.C. Buchon, Paris, 1836, livre vii, page 201) :

« Et le 30e dudit mois les prélats s’étant départis sans faire autre chose, alléguant qu’il fallait aller au concile où le pape les appelait, fut ainsi finie ladite assemblée, sans apporter autre fruit […]. Ainsi que ces affaires se traitaient, le nom du roi Charles de Valois (selon l’opinion du vulgaire, car selon vérité, venant les rois à la couronne, ils perdent le surnom de l’apanage) fut tourné par aucuns en telle sorte que, sans perdre ni ajouter une seule lettre, fut trouvé : Va chasser l’idole ; et en autre sorte : chassa leur idole ; sur quoi furent faits quelques vers que je n’ai voulu omettre d’insérer en ce lieu :

“ Du Seigneur la voix
Cria du haut pôle :
Charles de Valois,
Va chasser l’idole.
À cette parole,
Charles de Valois
Chassa leur idole
Et leurs fausses lois.

Roi qui haïr dois,
Chose inique et folle,
Puisque tu connois
Ce qui nous affole,
Joue donc ton rôle,
Charles de Valois,
Va chasser l’idole
Du peuple françois.

Tous ces dieux d’empois,
De pâte et de colle,
Ne sont d’aucun poids
En la sainte école.
À cette parole
Charles de Valois
Chassa leur idole
De pain, pierre et bois. ” »

31.

L’objet céleste que Tycho Brahe a observé au début des années 1570 n’était pas une comète, mais la nouvelle étoile qui fit son renom :

De nova et nullius ævi memoria prius visa stella, iam pridem anno a nato Christo 1572, mense Novembri primum conspecta, Contemplatio mathematica. Cui, præter exactam eclipsis lunatis, huius anni, pragmatian, et elegantem in Uraniam elegiam, epistola quoque dedicatoria accessit : in qua, nova et erudita conscribendi diaria metheorologica methodus, utriusque astrologiæ studiosis, eodem autore, proponitur : Cuius, ad hunc labentem annum, exemplar, singulari industria elaboratum conscripsit, quod tamen, multiplicium schematum exprimendorum, quo totum ferme constat, difficultate, edi, hac vice, temporis angustia non patiebatur.

[Contemplation mathématique sur une étoile nouvelle et qui n’a jamais été vue auparavant, observée pour la première fois il y a quelque temps, au mois de novembre 1572. Outre une exacte description de l’éclipse lunaire de cette année (décembre 1573) et une élégante élégie à Uranie (v. notule {b}, note [6] du Borboniana 7 manuscrit), on y a ajouté une épître dédicatoire, où le même auteur présente une nouvelle et savante méthode pour rédiger les journaux météorologiques, à l’intention de ceux qui étudient les deux astrologies (judiciaire et astronomique). Par une singulière industrie, il est parvenu à achever ce traité avant la fin de cette année, sans avoir pâti de la difficulté à dessiner les nombreux schémas, partout bien évidente et aggravée par le peu de temps dont on disposait pour publier]. {a}


  1. Copenhague, Laurentius Benedictus, 1573, in‑4o.

Le 11 novembre 1572, Tycho Brahe avait observé cette nouvelle étoile brillant dans la constellation de Cassiopée ; ses calculs montrèrent qu’il s’agissait bien d’une étoile éloignée et non pas de quelque phénomène local ; cela intrigua fort puisqu’on considérait à l’époque que la sphère étoilée étant de nature divine et parfaite, nul changement ne pouvait y survenir ; Tycho Brahe suivit l’éclat de son étoile jusqu’à son extinction en mars 1574. On sait aujourd’hui que sa stella nova était une étoile mourante dont la matière se dispersait dans l’espace en une violente explosion provoquée par l’effondrement de son cœur ; les nuages gazeux luminescents qui en résultent peuvent encore être observés de nos jours ; cette supernova porte aujourd’hui le nom de Tycho Brahe.

Un chapitre de son traité est intitulé Astrologicum iudicium de effectibus huius nuper natæ stellæ [Jugement astrologique sur les effets de cette étoile récemment née]. Je n’y ai pas trouvé la prédiction sur le roi de Suède dont Patin s’émerveillait, mais y apparaît nettement l’intimité des liens qui existaient encore alors entre astronomie et astrologie.

Dans le tome 1er (page 7) de ses Mémoires concernant Christine reine de Suède… (Amsterdam et Leipzig, Pierre Mortier, 1751), l’historien allemand Johann Wilhelm von Archenholz (1741-1812) a commenté ce passage des lettres :

« Mais Patin se trompe doublement en rapportant la prédiction de Tycho Brahe de la manière qu’il le fait. Car non seulement ce grand astronome ne s’exprima {a} qu’en termes généraux sur ce que signifiait cette nouvelle étoile et en faisant ses pronostics sur Gustave-Adolphe, {b} qui venait de naître < sic >, il lui prédit seulement une couronne ; ce qui fut pourtant regardé alors comme une chose bien extraordinaire, parce que son père, qui régna depuis {c} sous le nom de Charles ix, n’était en ce temps-là que prince héréditaire de Sudermanie. {d} Il avait lui-même peu d’espérance de devenir jamais roi, à cause de ses trois frères aînés. Le roi Jean iiie du nom, {e} le second de ces trois frères, avait pour fils Sigismond, alors roi de Pologne, {f} qui avait aussi des enfants plus près de la couronne que Charles ix et son fils Gustave-Adolphe. L’autre bévue de Patin consiste à ce qu’il avance que Tycho Brahe avait dit que ce prince naîtrait en Finlande, quoique Gustave soit né à Stockholm le 9 décembre 1594 et ait été couronné à Upsal le 12 octobre 1617. »


  1. En 1573.

  2. Né en 1594, Gustave-Adolphe fut roi de Suède de 1611 à 1632 (v. note [23], lettre 209).

  3. De 1599 à 1611.

  4. Södermanland, province côtière de Suède au sud de Stockholm.

  5. Qui régna sur la Suède de 1568 à 1592.

  6. Sigismond iii Vasa, roi de Pologne (1587-1637) et de Suède (1592-1599).

Dans son piètre français, Archenholz se trompait lui aussi en disant que Gustave-Adolphe venait de (pour allait) naître au moment où Tycho Brahe avait publié sa Nova Stella (1573). À l’appui de ses dires, l’historien allemand cite en note (b) (même page), un passage qui ne se trouve pas dans ce petit livre :

« Tycho Brahe dit entre autres choses, vers la fin de son traité : {a}

In præcipuo vigore stellæ decreta futura et principaliter se offensura satis probabiliter coniectari licet, post videlicet completum a nato Christo annum 1632. aut circiter, quando et iam Trigoni ignei, cuius hæc stella antesignatrix exstitit, vigor et effectus elucescet. » {a}


  1. Ce propos de Brahe (mort à Prague en 1601) ne se lit pas dans son traité de 1573, mais dans la Conclusio (page 805) de sa réédition de 1602 (Typis Inchoata Urniburgi Daniæ, Absoluta Fragae Bohemiae [Impression commencée à Uraniborg au Danemark, achevée à Prague en Bohême]) : les prédictions sont assurément plus exactes quand elles son rétrospectives !

  2. « Il est permis de conjecturer des présages dans la vigueur particulière de l’étoile, {i} et principalement qu’elle va assez probablement s’éteindre, sans doute après la fin de l’an 1632, ou environ, au moment où poindront la vigueur et l’accomplissement du Triangle étincelant, duquel naquit cette étoile prémonitoire. »

    1. Assimilée au prince qui devait naître dans le Nord.

    Ce charabia de Tycho Brahe égale amplement en obscurité celui de Nostradamus.


32.

Les anecdotiers du xviie s. ont souvent écrit que les médecins parisiens allaient à dos de mulet. Guy Patin ne confirmait pas ici ce trait pittoresque, et c’est un cheval (« sous poil bai brun servant à la chaise, âgé de 12 ans ou environ ») que les notaires ont trouvé dans l’écurie de sa maison quand ils en ont fait l’inventaire partiel de 1670, après la mort de Robert Patin.

33.

Guy Patin revenait sur ce qu’il avait déjà écrit dans sa lettre à Charles Spon du 3 décembre 1649 (v. sa note [19]) : faut-il y voir une marque d’orgueil flatté, ou, ce qui est bien plus précieux, le secret espoir que ses lettres seraient un jour publiées (et donc une permission implicite de ce faire) ?

34.

Seules 19 précieuses lettres de Charles Spon à Guy Patin (datées du 24 novembre 1656 au 13 mai 1659) nous sont connues aujourd’hui, conservées dans le Manuscrit 2007 de la Bibliothèque interuniversitaire de santé (recueil Peÿrilhe) ; elles sont transcrites plus loin dans notre édition.

35.

V. note [1], lettre 209.

36.

Traité sur la circulation du sang (contre William Harvey) dans les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (v. note [18], lettre 192).

37.

« et pourtant je ne prétends pas le pouvoir surpasser » : Guy Patin suspectait Grégoire-François Du Rietz d’avoir pu examiner indélicatement le contenu de la lettre qu’il lui avait fait porter de la part de Samuel Sorbière (v. note [20], lettre 209, et infra note [45]).

38.

« Que celui qui veut être juste se tienne à l’écart de la cour » : exeat aula/ qui vult esse pius (Lucain, La Pharsale, livre viii, vers 493‑494).

39.

« quoiqu’en ait dit notre anthropographe [Jean ii Riolan, auteur de l’Anthropographie]. » Cette déclaration est à tenir pour une hypocrite fanfaronnade quand on sait tout ce qu’on peut reprocher à Guy Patin pour son virulent refus de la circulation du sang révélée par William Harvey. Il a prétendu, ici et ailleurs, ne guère attacher d’importance à une querelle savante qui n’influençait en rien sa pratique médicale ; mais devant la Faculté de médecine de Paris, il a défendu en 1670 l’une des dernières thèses qui l’ait dénigrée avec acharnement.

40.

« de cette engeance ».

41.

« Œil de loup ou de mauvais garçon est un œil noir, enfoncé, regardant de travers comme ceux des loups, tels que les ont ordinairement les traîtres et les scélérats » (Furetière).

42.

« élevé dans l’échoppe de barbier que tenait son père ».

43.

« On doit pouvoir être homme de bien pour accomplir un grand dessein ».

44.

« et poussé par la seule intention ».

45.

« que je connais bien mieux que vous. »

Ce qui précède mérite quelques explications. Grégoire-François Du Rietz, secrétaire et médecin de Christine de Suède, voyageait alors en France, sans doute pour recruter de bons savants capables d’orner la cour de Stockholm. Le 1er décembre précédent, il avait fait remettre à Guy Patin une lettre d’introduction, où Samuel Sorbière, vivant alors à Leyde, le recommandait à son ami parisien. Du Rietz était ensuite parti pour le Languedoc, mais sans avoir eu le temps de rencontrer Patin, ni lui avoir permis de le venir voir là où il demeurait (v. note [20], lettre 209). Le voyageur passant par Lyon était allé visiter Abraham Du Prat (autre ami de Sorbière) qui lui avait fait rencontrer Charles Spon.

Venu à Paris, Du Prat avait raconté à Patin que Spon lui avait montré de ses lettres. On lui avait parlé de Patin comme d’un grand ennemi de la circulation du sang en louant au contraire l’abbé Bourdelot (alors médecin des Condé) pour en être un des plus fermes défenseurs (jusqu’à se targuer d’en avoir été le véritable inventeur). Enfin, Du Rietz s’était vanté du zèle que Patin avait vainement mis à le vouloir rencontrer quand il était passé à Paris (contrairement à ce qu’il en avait écrit à Spon). Tout cela irritait fort Patin qui s’en plaignait à Spon en traitant Du Rietz et Bourdelot d’ignorants et de menteurs. L’enjeu de la dispute n’était pas futile : il s’agissait de plaire à Du Rietz pour bénéficier des largesses de la reine de Suède ; et au bout du compte, des deux collègues, Bourdelot l’emporta sur Patin ; c’est lui qui partit à Stockholm en novembre 1651 pour devenir premier médecin de Christine.

46.

Phrase elliptique où Guy Patin voulait dire trois choses : 1. qu’il avait rencontré Grotius et Saumaise en personne et s’était entretenu avec eux ; 2. que leurs portraits perdus lui manquaient durement ; 3. qu’il allait tâcher d’en faire venir deux autres copies de Hollande.

47.

Medici officiosi opera…, traduction latine augmentée du Médecin charitable de Philibert Guybert, par Guillaume Sauvageon, dont je n’ai trouvé qu’une seule édition (Paris, 1649, v. note [13], lettre 207).

48.

« Je n’ai jamais recours à l’antimoine ».

49.

« c’est à ce titre et bien d’autres, que j’honore pieusement sa mémoire ».

50.

« avec le premier médecin du roi [le comte des archiatres (v. note [18], lettre 164)] pour chef suprême » : François Vautier.

51.

« le secret le plus secret, et un arcane à ne surtout pas révéler ».

52.

Furetière :

« Le safran d’antimoine se fait d’antimoine et de nitre mis en poudre et au feu, lequel, aprés la détonation {a} et la fusion, fait descendre au fond du vaisseau les parties les plus pures de l’antimoine. Elles ont la figure d’un foie, {b} ce qui fait qu’on lui donne aussi le nom de foie d’antimoine, ou de safran des métaux. » {c}


  1. « Action que font les mineraux, qui pètent et font grand bruit, lorsqu’ils commencent à s’échauffer dans les creusets, et que l’humidité qui y était enfermée s’en échappe » (ibid.).

  2. Couleur brun marron.

  3. Crocus metallorum en latin.

53.

Gobelet composé d’antimoine dans lequel on laissait séjourner du vin blanc pour préparer le vin émétique (v. note [7], lettre 122).

54.

« qui me l’a lui même raconté ». V. note [6], lettre 97, pour Pierre Guénault, mort en 1648, neveu de François Guénault.

55.

Intitulé Du septième Métal, le chapitre viii, 2e section (Des métaux), livre ii du Discours très docte de la matière médecinale (Les œuvres pharmaceutiques du Sr Jean de Renou…, Lyon, 1637, v. note [13] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium), donne un avis fort réservé sur l’emploi de l’antimoine, mais sans mention du gobelet (page 424‑425) :

« Il y en a qui croient que le mercure soit le septième métal, et d’autres l’ambre jaune ; mais à vrai dire, ni l’un ni l’autre ne doit et ne peut être appelé métal, fors {a} qu’en puissance, ainsi que parlent les naturalistes, et surtout l’argent vif. {b} Pourquoi {c} on peut dire beaucoup plus à propos que l’antimoine, cette autre idole des alchimistes et l’unique cathartique des empiriques, est le septième métal. J’ai dit unique purgatif des empiriques, d’autant qu’ils se promettent de guérir toute sorte de maux et plusieurs autres avec ce remède-là. Au lieu de faire ce qu’ils promettent, ils en tuent un grand nombre par trop les purger, les autres par vomissements et syncopes, et en guérissent fort peu. Or que l’antimoine soit grandement en usage parmi les alchimistes et grandement périlleux, il appert par cette histoire mémorable : Cornelius Gemma, jadis médecin à Louvain, {d} récite qu’un certain médecin anglais, grand paracelsiste, étant tombé en fièvre quant et {e} sa femme, délibéra de prendre pour sa guérison d<e l>’antimoine préparé à sa mode et en donner pareillement à sa femme aux mêmes fins ; ce qu’ayant fait, il arriva que sa femme tomba quelques heures après en une horrible et épouvantable manie, {f} de laquelle elle mourut misérablement ; et lui, commençant à se plaindre de ce qu’il ne dormait point et que même il faisait des songes extravagants depuis l’opération de l’antimoine, tomba en frénésie dans le septième jour inclusivement, et quelque temps après en épilepsie et quelques heures après encore, en léthargie ; delà, {g} trois jours après, il s’éveilla et reprit sa furie beaucoup plus étrange que devant, et finalement mourut demi enragé ; de sorte que comme par ci-devant lui et sa femme n’avaient fait qu’une table et qu’un lit, aussi ne se firent-ils point faire deux diverses fosses, mais se firent enterrer tous deux ensemble. Je ne veux pas dire toutefois qu’il ne se trouve des personnes qui le savent très bien préparer et qui en font des belles cures, car on fait un certain sudorifique de l’antimoine qui ne cède à aucun autre en beaux effets et propriétés. Et nous savons aussi que la fleur qu’on appelle d’antimoine {h} n’est pas à mépriser, pourvu qu’elle soit bien préparée et donnée à propos par gens qui savent < ce > que c’est. Mais néanmoins, tous vrais médecins ne doivent pas s’arrêter à l’usage de ces remèdes à cause du danger qu’il y a à s’en servir, joint aussi qu’on trouve un fort grand nombre de médicaments galéniques qui sont autant ou plus efficacieux que ceux-là et beaucoup plus assurés, sans comparaison, pour la guérison de toute sorte de maladies guérissables. »


  1. Hormis ; v. note [10] de l’observation x pour l’ambre jaune.

  2. Le mercure.

  3. C’est pourquoi.

  4. V. note [25] de l’Observation ii de Guy Patin et Charles Guillemeau pour Cornelius Gemma et le texte original de son observation (publiée en 1575).

  5. Avec.

  6. Folie furieuse.

  7. Ensuite.

  8. La fleur ou safran des métaux (crocus metallorum, v. supra note [52]) était une des nombreuses manières de préparer l’antimoine.

56.

Zeste de noix (Furetière) :

« pellicule dure qui est au milieu de la noix, qui est entre ses quatre cuisses. Quelques médecins assurent que le zeste séché et bu avec du vin blanc, environ demi-once, guérit la gravelle. » {a}


  1. V. note [2], lettre 473.

Je n’ai rien trouvé sur le zeste de noix dans la Les œuvres pharmaceutiques… de Jean de Renou, traduites par Louis i de Serres (1637, v. note [13] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium).

57.

« Aristippe veut toujours de l’argent, et Platon toujours des livres » ; Diogène Laërce (Aristippe, livre ii, § 81) :

« Comme Aristippe avait accepté l’argent qui venait de Denys alors que Platon, lui, n’avait fait que prendre un livre, Aristippe dit à qui lui en faisait reproche : “ C’est que moi j’ai besoin d’argent, alors que Platon a besoin de livres. ” »

Aristippe de Cyrène (v. notule {a}, note [14] du Borboniana 6 manuscrit), philosophe grec contemporain de Platon (ve s. av. J.‑C.), disciple de Socrate, a fondé l’École cyrénaïque sur l’idée qu’il fallait donner un caractère pratique à la philosophie. Très attaché aux choses matérielles, il passa une partie de sa vie en Sicile, fréquentant la cour des deux Denys à Syracuse, y devenant maître dans l’art de flatter les tyrans pour en tirer des bienfaits. On le lie à l’hédonisme, qui fait du plaisir (hêdonê en grec) le but de la vie. Il fut le précurseur d’Épicure et des philosophes sceptiques.

En faisant dire par Charles Spon à André Falconet qu’il refusait (le remerciait de) ses fromages mais acceptait ses livres, Guy Patin se comparait donc à Platon.

58.

« sur ordre de son père » (v. note [7], lettre 202, pour le jeune et prodigue Mauger de Beauvais).

59.

V. notes [5], lettre 209, pour l’Encheiridium de Jean ii Riolan réédité en Hollande, et [28], lettre 206, pour le Syntagma anatomicum de Johann Vesling.

60.

V. note [4], lettre 208.

61.

L’alliance des parlements de Bordeaux et de Toulouse (v. note [23], lettre 210) n’était que prétendue ; Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, tome i, page 197, janvier 1650 :

« Mercredi 5, […] les frondeurs défaits firent courre un bruit par le peuple que la ville de Toulouse avait pris les armes, et le parlement donné arrêt que secours serait envoyé à ceux de Bordeaux. »

La paix de Bordeaux n’allait pas tarder à rompre ce projet d’alliance.

62.

Machiavélisme est un mot qui surprend sous la plume de Guy Patin, mais il l’a employé à quatre reprises dans ses lettres. Il n’est devenu commun en français qu’au xviiie s. pour désigner la perfidie et la déloyauté en affaires publiques ou privées, dont le politique florentin Nicolas Machiavel (v. note [64], lettre 150) s’était prétendument fait le chantre cynique. Ce malentendu venait d’un ouvrage d’Innocent Gentillet, l’Anti-Machiavel (Discours sur les moyens de bien gouverner…), publié en 1576.

63.

Alexandre More (Morus ; Castres 1616-Paris 28 septembre 1670), fils d’un Écossais qui était principal du collège protestant de Castres, avait fait ses études théologiques à Genève où il l’emporta sur tous ses concurrents dans un concours pour une chaire de grec en 1639 ; en 1642, Genève l’avait appelé pour être titulaire de la chaire de théologie dans son Académie et ministre dans son Église. Ces succès, ses mœurs trop libres avec les femmes et aussi sa vanité altière firent que Genève se divisa bientôt en deux partis à son égard. Médiocrement orthodoxe, Morus professait des opinions assez différentes de celles qui avaient cours alors sur la prédestination, sur la grâce divine et sur l’imputation du péché d’Adam. Ses collègues l’attaquèrent sur ces points auprès du Conseil et finalement l’obligèrent à s’éloigner. En 1649, avec l’appui de Claude i Saumaise, il obtenait une chaire de théologie à Middelbourg ; mais en 1651 il quitta cette ville pour se rendre à Amsterdam où il enseigna l’histoire ecclésiastique. Durant un voyage qu’il fit en Italie, une cabale fut montée contre lui et il se vit contraint de rentrer en France. Excommunié par le synode de Nimègue, puis relevé de cette excommunication par le synode de Loudun, Morus fut nommé pasteur de l’Église de Charenton (v. note [18], lettre 146) en 1659. À Paris comme partout avant, il obtint les plus brillants succès par ses prédications ; mais là aussi, il fut loin d’être à l’abri de tout reproche et sa conduite privée permit à ses adversaires d’obtenir en 1661 que le consistoire le suspendît (v. note [1], lettre latine 300). Rétabli en 1663, il exerça ensuite son ministère paisiblement jusqu’à sa mort à Paris chez la duchesse de Rohan sans s’être jamais marié (G.D.U. xixe s. et Bayle).

Guy Patin citait ici le :

Alexandri Mori, de Pace Oratio habita Genevæ in æde S. Petri, cum solemnibus academicis præesset pro rectoris munere.

[Discours sur la Paix prononcé dans le temple Saint-Pierre de Genève par Alexandre More quand, suivant les coutumes académiques, il se présentait à la charge de recteur]. {a}


  1. Genève, Philippus Gamonetus, 1647, in‑4o de 83 pages, débat sur les doctrines théologiques de Moïse Amyraut et de Friedrich i Spanheim concernant la grâce.

64.

« des deux façons ». Guy Patin reprenait ici, avec vigueur, ses arguments contre Pierre Garnier, collègue de Charles Spon, sur sa manière trop complaisante d’agir dans le procès où il était engagé contre les apothicaires lyonnais (v. note [12], lettre 210).

65.

« vite, sûrement et heureusement ».

66.

Délivrer : « mettre en la main de quelqu’un quelque meuble, argent, papiers, marchandise » (Furetière). Guy Patin voulait dire qu’il viderait à son profit l’argent contenu dans les bourses qu’il aurait coupées. Il a semblé correct de remplacer le futur de Guy Patin (délivrerai) par un conditionnel (délivrerais) ; même remarque pour mêlerais qui précède et baillerais qui suit.

67.

« dont la réputation, les intrigues et les impostures me sont également odieuses. »

68.

« tout comme ça le serait pour des hommes de ce métier de voler une poule ». Dans la partie française de cette phrase, il manque un infinitif (comme de s’enrichir) pour compléter l’adjectif honteux.

69.

« Mais finissons-en pourtant avec ces sottises. »

70.

Courte rue perpendiculaire à la rue Saint-Martin, la rue aux Ours (par déformation du nom des oies et autres volailles qu’on y rôtissait en grande abondance) existe toujours dans le iiie arrondissement de Paris.

71.

V. notes [1], lettre 147, pour les Petri Gassendi Animadversiones in decimum librum Diogenis Lærtii… [Remarques de Pierre Gassendi sur le dixième livre de Diogène Laërce (consacré à Épicure)…] publiées à Lyon chez Guillaume Barbier en juillet 1649, et [3], lettre 209, pour la fausse nouvelle de leur réédition à Londres.

72.

Bavardise est un synonyme de bavardage attesté par Littré DLF qui cite là-dessus Jean-Jacques Rousseau. Jactance est synonyme de vantardise.

73.

V. notes : [11], lettre 203, pour l’Encyclopædia universa (Lyon, 1649) de Johann Heinrich Alsted (Alstedius) ; [20], lettre 150, et [2], lettre 209, pour les Opera de Daniel Sennert publiées à Lyon et à Venise.

74.

Siméon Piget, libraire-imprimeur de Paris, avait été reçu maître en 1639 après avoir travaillé chez Martin Du Puy depuis 1628. Adjoint de Robert Ballard, syndic de la librairie en 1652, Piget fut lui-même élu syndic en 1665. Il avait acheté le fonds de Joseph Cottereau en 1638 et la maison de La Hure du Sanglier. Il ouvrit une librairie à Paris rue Saint-Jacques, À la Prudence (ou À la Fontaine, adresse de Gilles Morel dont il avait aussi acheté le fonds en 1647, et à qui il était associé). Piget mourut aveugle le 4 mars 1668 (Renouard). Il revendiquait alors le privilège du Sennertus comme ayant droit d’un des membres de la société des cinq libraires qui avait imprimé l’édition parisienne de 1641 (v. notes [12], lettre 44, et [55], lettre 219).

75.

« mais je pense que tout ce bavardage était un tissu de menteries. »

76.

« que vous le vouliez ou non ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 janvier 1650

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(Consulté le 25/04/2024)

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