L. 232.  >
À André Falconet,
le 14 juin 1650

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre avec l’approbation du titre d’un livre [2] qui n’est encore guère avancé que dans le dessein que j’en ai, faute de loisir. Peut-être que j’en aurai davantage ci-après, car autrement je ne l’achèverai jamais. Il est vrai que le titre est long, mais il contient tout mon dessein et peut-être que, lorsque tout sera prêt à imprimer, je pourrai rendre la première page plus simple et faire entrer le reste dans la préface : dies diem docebit[1] Je n’y mettrai que de bonnes et fidèles observations, dont je ne manque non plus que d’exemples, mais je tâcherai de les bien choisir. Si je ne fais mieux, au moins je ferai autrement que n’ont fait autrefois Amatus Lusitanus [3] et Zacutus, [4] tous deux vilains juifs [5] et grands imposteurs qui ont tâché de prouver leurs caprices par des exemples supposés et controuvés[2] Pline [6] servira bien à mon dessein si j’en viens jusque-là. Les écrits de ce personnage sont une grande mer dans laquelle il fait bon pêcher.

Je suis ravi que vous ayez vu M. d’Ocquerre, [7][8] jeune conseiller s’en allant à Rome. Je lui écrirai bientôt et lui manderai que je suis en colère contre lui du mal qu’il vous a dit de Juvénal [9] et de moi. Je voudrais qu’il lui eût pris envie de vous parler de notre guerre de Paris, il en sait de bonnes choses car il est frère de M. le président du Blancmesnil, [10] qui a été un de nos principaux frondeurs et qui fut un des deux prisonniers pour la liberté desquels on fit à Paris les barricades [11] du mois d’août, l’an 1648. [3] M. le président son frère voudrait bien me tenir souvent en sa maison de Blancmesnil [12] à trois lieues d’ici, mais je ne saurais quitter Paris. Quand il a besoin de mon conseil, il m’envoie un coureur gris qui me porte là en cinq quarts d’heure ; [4] et après y avoir bien soupé et bien causé fort avant dans la nuit, nous deux seuls (car il n’a ni femme, ni enfants, ni n’en veut avoir, ni valets même), je dors le reste de la nuit pour en partir le lendemain de grand matin. C’est un des plus honnêtes hommes du monde et un des plus sages pour son âge, n’ayant pas encore atteint l’âge de 32 ans, avec 20 000 livres de rente. À trois lieues de Paris, nous en disons de bonnes, nous deux, quand nous sommes enfermés.

Le livre du P. Caussin [13] s’achève. Il est tantôt à la fin d’un Calendarium astronomicum, ou bien Ephemeris historica[5] qui sera une pièce curieuse et point inutile à des hommes d’étude ; néanmoins, le libraire a peur qu’il n’ait envie d’y ajouter encore quelques petits traités. Si cela arrive, cela sera cause que vous ne recevrez pas le livre sitôt ; mais en récompense, il pourra en être meilleur. Il est ici fraîchement arrivé une balle de livres de Hollande, dans laquelle il n’y a rien qui vaille que le traité de feu M. Vossius, [14] de Historicis Græcis, qui n’a presque rien de bon par-dessus la première édition. Il y a un petit traité de la pierre, [15] nommé Diatriba de lithiasi, fait par un Anglais nommé Gualterus Charlton [16] qui se dit médecin du feu roi d’Angleterre ; [6][17] je ne touche point à la bonté du livre, vu qu’il m’est encore inconnu. J’ai acheté un exemplaire de chaque livre nouveau pour m’en instruire et pour m’en divertir. On dit que le roi [18] partira de Compiègne [19] dans quatre jours pour revenir de deçà et qu’ayant ici séjourné quelques jours, il s’en ira à Fontainebleau. [20] On parlait d’un voyage de Bordeaux, mais cela est trop incertain. [7] Je vous baise les mains et après vous avoir conjuré de croire que je serai toute ma vie votre, etc.

De Paris, ce 14e de juin 1650.


a.

Bulderen, no xli (tome i, pages 119‑121) ; Reveillé-Parise, no ccclxxxii (tome ii, pages 554‑556).

1.

« l’avenir nous le dira. »

Dies diem docet est un proverbe latin signifiant littéralement que chaque jour en apprend un peu plus que la veille. V. note [24], lettre 186, pour le titre à rallonges du traité d’hygiène que Guy Patin avait en projet.

2.

V. note [7], lettre 68, pour Abraham Zacutus.

Amatus Lusitanus ou Amato le Portugais (João Rodriguez de Castello-Branco, sa ville natale, 1511-Salonique 1568) étudia et pratiqua la médecine et la chirurgie à Salamanque. La suite de sa vie fut une perpétuelle errance, en France, aux Pays-Bas, en Italie. En 1547, il enseignait la médecine à Ferrare et il disait y avoir disséqué 12 cadavres humains car il ne cessait d’encourager les études anatomiques. Il était juif et après l’avènement du pape Paul iv, il fut obligé, pour échapper à la persécution, de s’enfuir à Salonique où il put professer ouvertement sa religion et passa les dernières années de sa vie (Éloy).

On lui doit deux ouvrages sur Dioscoride d’Anazarbe, et le traité que Guy Patin ambitionnait de surpasser :

Curationum medicalium Centuriæ septem, varia multiplicique rerum cognitione refertæ et in hac ultima editione recognitæ et valde correctæ. Quibus præmissa est Commentatio de introïtu medici ad ægrotantem, deque crisi et diebus decretoribus. Accesserunt duo novi indices, unus curationum medicinalium secundum morbos partes corporis humani infestantes. Alter rerum memorabilium copiosissimus ac diligentissimus.

[Sept centuries de guérisons médicales, remplies d’une connaissance étendue et variée des choses, et qui ont été revues et fort corrigées dans cette dernière édition. Précédées d’un Commentaire sur l’abord du malade par le médecin, et sur la crise et les jours décrétoires. {a} Avec deux nouveaux index : l’un des guérisons médicales selon les maladies qui affectent les parties du corps humain ; l’autre, très épais et soigneux, des faits mémorables]. {b}


  1. Autrement nommés critiques (v. note [3], lettre 223).

  2. Bordeaux, Gilbertus Vernoy, 1620, in‑4o de 462 pages ; éditions séparées des centuries en divers endroits, entre 1551 et 1566.

3.

Augustin Potier (1626-1704), seigneur d’Ocquerre, de Souvigny et de Blancmesnil, le plus jeune des deux fils de Nicolas ii (v. note [7], lettre 686), avait été reçu conseiller au Parlement de Paris le 5 juin 1649 en la première Chambre des requêtes ; il mourut sans alliance (Popoff, no 139). Il était frère cadet du président René de Blancmesnil, l’un des deux magistrats de Paris arrêtés par la reine et pour qui des barricades avaient été dressées le 27 août 1648 (v. note [6], lettre 160).

4.

Un coureur est ici un cheval de selle.

La seigneurie de Blancmesnil (aujourd’hui Le Blanc-Mesnil, Seine-Saint-Denis) appartenait aux Potier depuis le xve s. Le château fut rasé vers 1800.

5.

« Calendrier astronomique […] Éphéméride historique », v. notes [50], lettre 176, pour les livres du P. Nicolas Caussin sur le Royaume et la Maison de Dieu, et [6], lettre 224, pour une précédente évocation du calendrier astronomique qu’il tenait à y ajouter.

6.

V. notes [6], lettre 162, pour le traité « des Historiens grecs » de Gerardus Johannes Vossius, et [45], lettre 209, pour la « Diatribe sur la lithiase » de Walter Charlton.

7.

Tandis que l’agitation montait à Bordeaux sous l’impulsion de la princesse de Condé, et des ducs de Bouillon et de La Rochefoucaud, la guerre continuait sur la frontière du nord contre les Espagnols à qui s’étaient alliés Turenne et ses troupes. La tension était forte entre Mazarin, tenant de la ligne dure contre la Fronde, et le duc d’Orléans, partisan du compromis en libérant les princes.

Journal de la Fronde (volume i, fo 245 vo, Paris, juillet 1650) :

« Leurs Majestés étaient attendues en cette ville le 28 du passé, les gardes et les bagages étant arrivés dès le 27 ; mais M. le cardinal n’étant pas à Compiègne ledit jour 28, le retour fut différé ; dont M. le duc d’Orléans étant averti, y envoya promptement un courrier pour dire à la reine qu’il était nécessaire que le roi vînt au plus tôt à cause de l’assemblée qu’on avait résolue au Parlement ; sur quoi la reine ayant envoyé avertir M. le cardinal pour s’en revenir, S.É. {a} partit de Saint-Quentin le 29 à quatre heures du matin et étant arrivé à huit heures à Compiègne, il s’en vient avec Leurs Majestés en relais de carrosses. M. le duc d’Orléans leur alla au-devant au bourg de La Chapelle sur le chemin de Saint-Denis ; {b} et Leurs Majestés arrivant à Paris, le peuple remarqua fort que S.A.R. {c} et S.É. étaient dans une même portière. »


  1. Son Éminence, le cardinal Mazarin.

  2. V. note [56] du Borboniana 10 manuscrit, notule {f}.

  3. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Mme de Motteville (Mémoires, page 348) :

« Toutes ces perfidies frondeuses n’empêchèrent point la reine de partir pour aller en Guyenne. Elle courut où la nécessité l’appelait  et n’ayant tardé à Paris que quatre ou cinq jours, elle en partit le 4 juillet pour aller par Fontainebleau, où elle se reposa quelques jours. On laissa donc à Paris le duc d’Orléans, le garde des sceaux, de Châteauneuf, et toute la Fronde ; et de toutes les personnes fidèles à la cour, le seul Le Tellier, secrétaire d’État, y demeura pour s’appliquer tout entier au service du roi et aux intérêts particuliers du ministre ; {a} ce dont il s’acquitta fidèlement, et avec cette habile et singulière prudence qui lui état naturelle.

Les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld, connaissant que le dessein de la reine avait fait d’aller en Guyenne leur donnerait beaucoup de peine, engagèrent de plus en plus le parlement de Bordeaux dans leur révolte et par conséquent, dans les intérêts des princes. »


  1. Mazarin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 14 juin 1650

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(Consulté le 25/04/2024)

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