L. 249.  >
À André Falconet,
le 16 novembre 1650

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie fort de celle que M. Duhan [2] m’a fait apporter céans de votre part. [1] Il m’est déjà venu chercher deux fois sans qu’il m’ait trouvé, dont je suis très marri, d’autant que j’ai bien envie de l’entretenir et de le servir à cause de vous. Mes collègues m’ont fait l’honneur de m’élire doyen [3][4] de la Faculté le 5e de ce mois. [2] Je vais être fort occupé et j’avais déjà assez d’affaires sans cela. Je vous envoie le catalogue des docteurs de notre École [5] que j’ai fait imprimer selon l’ordre et la coutume. [3] Le messager de Lyon, nommé Limoges, [6] m’ayant aujourd’hui rencontré, m’a fait vos recommandations dont je l’ai remercié, et vous en remercie pareillement. Je vous ai ci-devant répondu pour le fait de M. Arnaud [7] le chimiste, il ne tiendra qu’à lui que nous ne soyons bons amis et que je ne le serve de bon cœur s’il a affaire de moi. Je vous commets cette affaire à ménager, je m’y attends et m’y fie tout à fait. Tecum erit iste labor, nec te labor iste gravabit, si bene te novi, amicorum suavissime et candidissime[4] Si l’affaire réussit, je vous en aurai une très parfaite obligation ; sinon, je ne laisserai point de vous en savoir bon gré ; et s’il veut céder à vos raisons et m’avoir pour ami, il faudra le laisser faire comme il l’entendra. Je ne crains point ses raisons et encore moins son titre qui est manifestement satirique et diffamatoire. S’il veut faire le mauvais, je lui ferai connaître que j’ai des amis à Lyon, in utroque genere hominum[5] et que je ne m’amuserai point à lui répondre à coups de plume ni en brouillant du papier. Enfin, je recommande cette affaire à votre amitié.

Le roi, [8] la reine, [9] le Mazarin [10] et toute la cour sont arrivés ici le mardi 15e de novembre. Le même jour, les trois princes [11][12][13] furent tirés de Marcoussis [14] et emmenés sous bonne garde au Havre-de-Grâce. [15] On dit ici que lundi prochain, le Mazarin va lui-même à l’armée de Champagne faire assiéger Rethel [16] que les Espagnols ont fortifiée. [6] La reine demeurera ici, elle est toute mal faite et fort décolorée. Le roi est gaillard et fort gentil, je prie Dieu qu’il le conserve.

Le prince d’Orange [17] est mort à La Haye [18] en Hollande, de la petite vérole. [19] Il était gendre du feu roi d’Angleterre ; [20] on dit que sa femme est grosse. [7][21] On parle ici d’une grande disgrâce de M. de Beaufort, [22] j’ai peur que ce pauvre prince ne succombe enfin par les embûches et les fourberies de ses ennemis. [8] On dit qu’il se plaint fort de M. le duc d’Orléans, [23] qui est un pauvre prince devenu tout à fait mazarin à cause de la reine. Je vous supplie, en me continuant vos bontés ordinaires, de faire tenir la présente à notre bon ami M. Spon. Je serai toute ma vie, etc.

De Paris, ce 16e de novembre 1650.


a.

Bulderen, no xlviii (tome i, pages 137‑139) ; Reveillé-Parise, no ccclxxxviii (tome ii, pages 567‑568).

1.

Michel Duhan, libraire-imprimeur en exercice à Lyon de 1650 à 1661, était originaire de Chartres. Il avait débuté comme apprenti chez Nicolas Gay (1642), dont il épousa la fille en 1652. Duhan s’était ensuite établi à son propre compte rue Mercière, À la Sainte Trinité, puis À Saint-Thomas (Jestaz).

En 1654, dans les livres qu’il imprimait, il se donnait pour adresse : in vico Mercatorio, sub vexillo D. Thomæ Aquinatis [dans la rue des Marchands, sous la bannière de Maître Thomas d’Aquin].

2.

Guy Patin, selon la coutume, a lui-même consigné en latin dans les Comment. F.M.P. (tome xiii, fos 444‑448) les modalités de sa propre élection et les premiers actes de son décanat (v. le début des Actes de 1650‑1651).

3.

V. note [14] des Actes de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris pour la liste (ou tableau) des 112 régents de la faculté de médecine de Paris que le doyen Guy Patin avait dressée le 24 novembre 1650.

4.

« Cette mission vous reviendra et ne vous sera pas pesante, si je vous connais bien, vous, le plus doux et le plus franc des amis. »

5.

« dans les deux genres d’hommes » : médecins et hommes de loi, ou catholiques et protestants.

V. notes [3], lettre 243, et [22], lettre 246, pour le Patinus fustigatus [Patin fouetté] ou verberatus [roué de coups] d’E.R. Arnaud.

6.

Journal de la Fronde (volume i, fos 323 vo et 324 ro‑325 ro) :

« Le régiment de La Villette étant arrivé dès le soir du 12 à Marcoussy avec les gendarmes et chevau-légers du roi, et la compagnie des gardes du comte d’Harcourt, le tout faisant le nombre de sept à huit cents chevaux et 1 500 fantassins, on en fit partir Messieurs les princes le 15 à huit heures du matin, les deux frères {a} dans un carrosse du roi et M. de Longueville dans un carrosse de la reine, conduits par ce comte. On remarqua que M. le Prince ayant appris l’ordre qui était venu de les transférer, ne fit aucune résistance et dit d’abord {b} qu’il était prêt d’obéir. Ils furent coucher ce jour-là à Versailles et peu auparavant qu’ils fussent arrivés, le premier carrosse versa et M. le prince de Conti se blessa légèrement. […]

M. le cardinal doit partir lundi prochain {c} pour aller en Champagne où l’on fait marcher toutes les troupes afin d’entreprendre le siège de Rethel ou celui de Mouzon, et on assure qu’il y a un fonds de 800 mille livres pour faire ces entreprises. Les troupes qui conduisent Messieurs les princes ont ordre d’y marcher aussitôt qu’ils seront arrivés au Havre. Ils ont couché la nuit passée {d} à Vernon. […]

La résistance que faisait M. le duc d’Orléans de consentir à cette translation ne procédait que du dessein que M. le cardinal avait fait prendre à la reine de ne revenir point à Paris jusqu’à ce que M. de Beaufort et le coadjuteur en seraient sortis ; à quoi Son Altesse Royale ne pouvait donner les mains, après les promesses solennelles qu’elle leur avait faite de l’empêcher. De fait, on assure que ce fut à cette condition qu’elle consentit que Messieurs les princes fussent transférés. Cependant on fait continuer à ceux-ci le voyage du Havre. Ils couchèrent le 18 à Notre-Dame-de-Grâce, le 19 à Heudebouville, le 20 au Pont-de-l’Arche, le 21 à Martainville, le 22 à Saint-Jean {e} près Barentin, ne faisant que quatre ou cinq lieues par jour ; et continuent le voyage par le pays de Caux, en sorte qu’ils ne passent par aucune ville ni bourg et n’ont point de rivière à passer qui ne soit guéable. Le comte d’Harcourt marche toujours en tête des troupes sans se < faire > voir à Messieurs les princes, mais il n’a pas pu empêcher qu’ils n’aient su qui les conduisait. »


  1. Condé et Conti.

  2. Aussitôt.

  3. 21 novembre.

  4. 17 novembre.

  5. Saint-Jean-du-Cardonnay.

7.

V. notes [7], lettre 250, et [11], lettre 252.

8.

Journal de la Fronde (volume i, fo 324 ro, 15 novembre 1650) :

« Leurs Majestés arrivèrent en cette ville avec M. le cardinal et l’on remarqua que M. de Beaufort étant allé aussitôt saluer la reine dans le Palais-Royal, Sa Majesté lui fit fort froide mine ; et en même temps, quelques-uns dirent à ce duc qu’il n’y faisait pas bon pour lui et que le bruit courait qu’on le voulait arrêter, ce qui l’obligea de sortir promptement sans rien dire ; et depuis il n’y est point retourné. M. le coadjuteur y fut mieux reçu que lui et l’on assure qu’on l’a désuni des intérêts de ce duc par le moyen de Mme de Chevreuse. »

Retz, Mémoires (page 681) :

« Le cardinal revint quelque temps après à Paris avec le roi. Il offrit pour moi à {a} Mme de Chevreuse Orkan, {b} Saint-Lucien, {c} le paiement de mes dettes, la charge de grand aumônier, et il ne tint pas à elle et à Laigues {d} que je n’en prisse le parti. Je l’aurais refusé s’il y eût ajouté douze chapeaux. J’étais engagé, et Monsieur, qui s’était défait de la pensée d’ériger autel contre autel, {e} par l’impossibilité qu’il avait trouvée à Fontainebleau de diviser le Cabinet et de me mettre en perspective vis-à-vis du Mazarin avec un bonnet rouge, Monsieur, dis-je, avait pris la résolution de faire sortir de prison Messieurs les princes. Tout le monde a cru que j’avais eu beaucoup de peine à lui inspirer cette pensée et l’on s’est trompé. Il y avait longtemps que je lui en voyais des velléités. »


  1. Par l’intermédiaire de.

  2. L’abbaye d’Ourscamps, près de Noyon.

  3. L’abbaye Saint-Lucien de Beauvais.

  4. Le marquis Geoffroy de Laigues (v. notule {a}, note [4], lettre 215).

  5. V. note [37] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot….


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 novembre 1650

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(Consulté le 16/04/2024)

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