L. 273.  >
À Charles Spon,
le 21 novembre 1651

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière datée du 10e de novembre, que je vous envoyai avec une enfermée dans la vôtre pour M. Garnier [2] votre collègue, toutes deux dans un paquet de M. Falconet [3] qui n’aura pas manqué de vous l’envoyer, comme je crois, je vous dirai que ce matin, 16e de novembre, j’ai reçu avec grande joie votre lettre datée de Lyon, du même jour que je vous ai envoyé ma dernière, savoir le 10e de novembre. Dieu soit donc loué que vous êtes revenu de Bourgogne en bonne santé. Je suis bien aise qu’ayez vu M. Nic. Heinsius, [4] ne vous a-t-il point donné une médaille d’argent de la reine de Suède ? [5] Au moins il l’a dû faire, il en a bien donné à d’autres ici qui n’en peuvent mais, [1] comme à moi, comme à notre maître Mentel [6] et autres qui ne nous valent point. Ledit Heinsius est de présent à Venise comme portent ses dernières lettres. Vous avez deviné le méchant mot des quatre vers : inseros ne vaut rien, il n’est point latin. [2][7][8][9] La vraie cause qui a porté le jeune Chartier [10] à écrire de l’antimoine [11] est sa gueuserie et sa pauvreté : il est misérable, il n’a ni pain, ni souliers ; il a chicané son père [12] il y a douze ans jusqu’à présent ; il est séparé d’avec sa femme, il n’a ni souliers, ni pratique, il est gueux et a bon appétit. La Faculté veut qu’il prenne approbation de son livre, il tâche de parer ce coup : comme nous étions en état de le censurer, il en a appelé à la Cour, où nous sommes de présent ; dès que les audiences seront ouvertes, je le poursuivrai afin qu’il nous soit renvoyé plectendus et in ordinem cogendus[3] Il dit qu’il est professeur du roi et par conséquent qu’il n’est point sujet à notre [justice], rem inauditam : [4] il perdra son procès au jugement de tout le monde ; tout au pis aller, postico [fallere clientem debet… par un autre endroit ; il continue de libeller par les bonnes grâces] [5] du sieur Vautier, [13] qui se moque de lui. Bref, c’est un homme de 42 ans qui ne sait de quel bois faire flèche. Je vous prie d’en dire ce que dessus à M. Falconet qui en a ouï parler. Je pense qu’il faudra que je parle contre lui à la Grand’Chambre[14] en pleine audience ; j’ai du latin tout prêt pour cela, si les affaires du prince de Condé [15] ne nous ôtent le droit de quelque audience. [6] Peu de gens de notre Faculté le portent, il n’y a guère que Guénault [16] qui, pour gagner les bonnes grâces de Vautier, en a payé l’impression, de sorte qu’on a de la peine à en avoir. Des Fougerais [17] n’est point mort, il mourrait bien plutôt un bon chien à berger ; [7] mais lui, Guénault et Vautier ont donné de l’antimoine à Mme la duchesse de Luynes [18] par trois fois, étant en couche, laquelle en est morte, [19] à son grand malheur et à leur grand scandale. [8] Ils en ont bien tué d’autres, sans ceux qu’ils tueront. Voyez dans la Couronne royale des rois d’Arles la réponse que firent les juifs de Constantinople [20] à ceux de Provence, [21][22] voilà le bon mot que j’y sais. [9][23] Je ferai de M. Huguetan, [24] le libraire, selon que vous me mandez ; mais ne laissez point de lui mander à qui il a envoyé ces deux exemplaires de Sebizius [25] et de me mander des nouvelles de M. Ravaud, [26] lequel je crois être plus légal. [10] Je vous promets que je travaillerai puissamment au débit du livre de M. Sebizius de curandi ratione per sanguinis missionem, tenez-vous-en tout assuré ; ce que je ferai très volontiers, et à cause de lui et de la matière qu’il traite. [11] Je ferai des conférences publiques tout exprès en nos Écoles afin de le recommander publiquement et de bonne sorte l’été prochain. [27]

Ce 16e de novembre. M. Bourdelot [28] est à La Haye [29] d’où il a écrit. La lettre que M. Caffin [30] lui écrit partira après-demain sans faute dans un paquet qu’un chirurgien de ses amis lui adresse, vous m’obligerez d’en assurer ledit sieur Caffin et de lui faire mes recommandations[12] On parle fort ici du retour du Mazarin, [31] non pas qu’il y ait grande apparence à cela, mais c’est à cause que la reine [32] en a grand désir. On dit aussi qu’il y a bien du bruit en Suède contre la reine et que les états la veulent déposséder, même la reléguer en quelque lieu de sûreté où elle philosophera à son aise sans dépenser tant d’argent comme elle fait alentour des savants ; [13] et delà un des amis de ladite reine me vient d’assurer qu’il est en Hollande, mais qu’il n’ira point plus loin, même qu’il est contremandé du côté de Suède. [14] Je ne sais point encore si cela est bien certain et bien vrai, mais tout cela pourrait bien être. [15] Bourdelot ne cherche qu’à gagner : on lui a ouï dire, avant que de partir, qu’il s’étonnait comment un homme d’esprit pouvait être plus d’une heure sans gagner ; et en ce cas, je lui quitte et à tout autre principatum de ingenio ; [16] à moins qu’il ne nous fasse meilleur marché et qu’il ne nous rabatte quelque chose de sa rigoureuse politique, j’avoue que je n’ai point d’esprit du tout et ne m’étonne point si je n’ai rien ; mais Dieu soit loué, je suis guéri de l’ambition d’aller en Suède y gagner des pistoles et y ramasser du bien. [17][33]

Hier, lundi 20e de novembre, le Parlement fut assemblé. Le premier président [34] leur a dit qu’il avait charge de leur présenter une déclaration contre M. le prince de Condé qui prenait des villes et levait des troupes contre le service du roi. Comme il en débondait bien d’autres, [18] le duc d’Orléans [35] ne le pouvant plus souffrir, l’interrompit et lui reprocha qu’il parlait bien du prince de Condé, mais qu’il ne disait rien du Mazarin qui était sur les frontières avec des passeports et des hommes d’armes pour entrer en France, malgré toutes les déclarations de la reine et les arrêts de tous les parlements de France ; qu’il n’était point question d’une déclaration contre le prince de Condé puisqu’il y avait un accord sur le bureau entre le roi [36] et ledit prince ; et que dans quelques jours il attendait du même prince un nouveau courrier. Enfin, l’affaire a été remise à une autre assemblée, jeudi prochain, 23e de ce mois. [19] Les Espagnols sont venus en Picardie, ont pénétré jusqu’à Noyon, [37] ont brûlé les faubourgs et ont tout ravagé le plat pays. [20] Nos troupes vont toutes du côté du roi, ou elles sont sur la frontière de Lorraine [38] pour la garde de ce marmouset de Mazarin ; [21][39] que le Diable eût-il bien emporté ce vilain caudataire ! On a mis ici depuis trois jours un homme prisonnier dans la Bastille, [40] qui est un Provençal nommé Pagan, [41] qui s’est vanté de savoir un moyen infaillible de mettre la couronne de France sur la tête du prince de Condé ; et même est allé chercher des principaux de l’hôtel d’Orléans pour leur conter cette belle invention. [22] Le Parlement a aujourd’hui commis des présidents et des conseillers pour l’interroger et lui faire son procès. J’ai peur que ce ne soit quelque fou [42] mélancolique [43] et atrabilaire, [23] à qui la gorge démange et qui soit las de vivre. [24] Africa nostra semper aliquid novi asportat[25][44] Je vous ai par ci-devant écrit touchant M. Rigaud, [45] votre libraire de Lyon, et comme j’étais prêt d’accorder avec lui et de lui donner à imprimer in‑fo tout en un tome, lequel néanmoins sera divisé en trois parties, ce que j’avais ici de feu M. Hofmann, [46] savoir : Chrestomathias physiologicas ; tres tractatus, de Spiritibus et calido innato, de Partibus solidis, et de Humoribus ; et Chrestomathias pathologicas[26] Mais comme je ne puis rien faire pour la conclusion du marché sans vous et que j’en attends votre réponse, c’est à vous à aviser si vos affaires vous pourront permettre de jeter quelquefois l’œil sur cette besogne et d’en donner de bons avis au correcteur de l’imprimerie ; au moins êtes-vous bien assuré que toute la copie est bien correcte et revendique la dernière main de l’auteur. [27]

Je viens d’apprendre que les affaires de Suède ne sont point en si mauvais état que l’on chante : les états l’ont priée de se marier (c’est ce qu’elle a refusé), et qu’elle aimerait mieux tout quitter que de prendre un mari (c’est qu’elle aurait un maître et qu’elle ne serait plus que la maîtresse, au lieu qu’elle est tous les deux ensemble) ; étant là-dessus pressée et importunée, elle a dit qu’elle demandait terme afin d’y aviser. [28] Pour M. Bourdelot, il a eu du mécontentement à Leyde, [47] dès qu’il y a été arrivé, dans la première conférence qu’il y eut avec celui qui y fait les affaires de la reine de Suède. Il en écrivit de deçà quelque chose qui avait fait dire qu’il reviendrait ; mais M. Bidal, [48] marchand de soie dans la rue au Fer, qui est ici le grand agent ou le grand trésorier de la reine de Suède, m’a dit ce matin dans son lit, où je le vois malade d’une fluxion sur le poumon, que cela est raccommodé et qu’il prendra le chemin pour la Suède dès que sa bonne fortune lui aura fait parler et entretenir M. de Saumaise [49] qui est attendu tous les jours à Leyde. Et voilà ce que je sais pour le présent touchant le voyage de Bourdelot. Nous avons ici une autre affaire sur le bureau, c’est que M. Moreau, [50] notre ami, marie son fils [51] à la fille d’un de nos médecins nommé M. Matthieu, [29][52] qui donne à sa fille 20 000 livres en mariage. Plusieurs des nôtres n’approuvent point ce mariage et moi, qui vous en parle en secret et en ami, je doute s’il réussira ; mais je crois que M. Moreau, qui se sent fort vieillir et merveilleusement abattu, est bien aise de voir ce fils marié plus tôt que plus tard. Je souhaite à cause de lui que tout aille bien, nec unquam pæniteat amicum nostrum[30] Le fils est gentil et a de l’esprit, mais more aliorum hominum suos habet nævos ; quos qui odit, homines ipsos odit. Plura coram[31][53][54] si bien qu’il ne me reste plus qu’à vous assurer que je serai toute ma vie, velis nolis aliter hæc sacra non constant[32][55] de tout mon cœur et de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 21e de novembre 1651.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fo 8‑9, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon. » ; Jestaz no 55 (tome ii, pages 784‑789). Note de Charles Spon au revers : « 1651/ Paris 21 novemb./ Lyon 1er déc./ Rispost./ 12 dud. »

1.

« Je n’en puis mais pour dire : je n’en suis pas cause, j’en suis innocent, je n’en suis pas responsable » (Furetière).

2.

Guy Patin parlait, me semble-t-il, d’une coquille que Charles Spon avait repérée dans les Claudiani Quæ exstant [Ce qui existe de Claudien] que Nicolas Heinsius venait de publier, {a} en haut de la 2e page de la Cl. Claudiani Vita ex Lilii Gregorii Gyraldi de Latinis poëtis Dialogo iv, {b} avec cette citation de trois vers de Sidonius Apollinaris : {c}

Non Peluſiaco ſatus Canopo,
Qui ferrugineos toros mariti,
Et Musa canit Inſeros ſuperna
. {d}

[Ni ce que le poète de Péluse a semé à Canope, {e} célébrant les saillies ferrées du mâle, et la Muse céleste chantant les enfers]. {f}


  1. Leyde, 1650, v. note [14], lettre 236.

  2. « Vie de Claudien, titée du 4e Dialogue de Lilius Gregorius Gyraldus sur les poètes latins » : Lilio Gregorio Giraldi (1479-1552), philologue érudit de Ferrare, a publié Historiæ poetarum tam Græcorum quam Latinorum Dialogi decem… [Dix dialogues sur l’histoire des poètes tant grecs que latins…] (Bâle, 1545).

  3. Sidoine Apollinaire (v. note [28], lettre 282), Carmina [Poèmes], ix, Excusatorium ad V. C. Felicem [Excuse au consulaire Félix]. Giraldi a cité ces vers à la page 570 de son 4e dialogue.

  4. La discussion portant sur la confusion possible entre les lettres f et s dans l’ancienne édition, respectivement imprimées f et ſ, ma transcription a respecté la typographie du livre. Dans le dernier vers, si on n’y regarde pas à la loupe, Inferos (« enfers ») peut être lu Inſeros (mot inexistant en latin).

    Patin parlait de « quatre vers », mais je n’en ai trouvé que trois, ce qui sème le doute sur mon interprétation de son propos.

  5. Comme Alexandrie, patrie supposée de Claudian, Canope et Péluse étaient deux ville côtières du delta du Nil (v. notule {d}, note [15] des Triades du Borboniana manuscrit).

  6. Intéressé par la typographie, je ne me suis pas trop intéressé à ce que signifiaient exactement les vers de Sidoine Apollinaire.

3.

« pour le punir et le rappeler à l’ordre. »

V. note [13], lettre 271, pour La Science du plomb sacré des sages… de Jean Chartier, qui déchaînait alos la furie de la Faculté et de son doyen.

4.

« argument inouï. » Jean Chartier était médecin ordinaire du roi et professeur au Collège de France.

5.

Une déchirure avec bavure de l’encre du manuscrit rend ce passage partiellement illisible.

Dans la restauration incomplète qui est tentée ici entre crochets (après celle de Laure Jestaz), le latin – « il doit échapper au client par une porte dérobée » – paraît inspiré d’une citation d’Horace (Épîtres, livre i, lettre 5, vers 30‑31) :

Tu quotus esse velis rescribe, et rebus omissis
atria seruantem postico falle clientem
.

[Écris-moi combien nous devons être, et toute affaire mise de côté, passe par une porte dérobée, laissant le client dans l’atrium].

Libeller [« expliquer une demande qu’on fait en justice » (Furetière)] me semble mieux assorti avec « par les bonnes grâces », qu’avec « après les bonnes grâces » (dans Jestaz).

6.

Jean Chartier attaqua devant le Parlement la décision de l’exclure prise par la Faculté. Le ms BIU Santé no 2007 conserve le brouillon (en français) de la plaidoirie que Guy Patin prononça devant la Cour pour défendre la cause de la Faculté ou, pour mieux dire, sa cause personnelle (v. note [19], lettre 277). Le procès que Patin et la Faculté allaient perdre n’eut lieu qu’en juillet 1653.

7.

« On dit de celui dont on souhaite la mort et qui échappe de quelque péril qu’il mourrait plutôt un bon chien de berger » (Furetière).

8.

Marie Séguier, marquise d’O, dame de Sorel, de Chars et de Villiers, duchesse de Luynes, était la fille inique de Pierre iii Séguier (v. note [13] du Borboniana 8 manuscrit), marquis d’O, et de Marguerite de la Guesle, dame de Chars. En 1641, elle avait épousé Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes (v. note [4], lettre 896), pair et grand fauconnier de France, fils du connétable Charles d’Albert de Luynes (v. note [15], lettre 205), favori de Louis xiii. La duchesse était morte le 13 septembre 1651 après avoir donné naissance aux deux derniers de ses neuf enfants, des jumeaux prénommés Félix-Paul et Thérèse qui ne survécurent guère à leur mère.

9.

Ce passage se trouve aux pages 475‑479 de La royale Couronne des rois d’Arles… (Avignon, 1641, v. note [4], lettre 268) :

« Les juifs se voyant grandement haïs en France et que le roi Louis xi les avait chassés de son royaume avant qu’il fût comte de Provence [1481], et qu’ils étaient menacés du même exil, écrivirent une lettre aux juifs de Constantinople, leur demandant conseil de ce qu’ils avaient à faire. La copie de cette lettre a été fidèlement tirée sur une vieille copie d’archives d’une des plus fameuses abbayes de Provence, laquelle j’ai trouvé à propos d’insérer dans ce discours à cause de la curiosité.

Lettre des juifs d’Arles envoyée au juifs de Constantinople.

“ Honorables Iuzious, salut et graci. Devez saber que lou rey de Franzo que a de nouveau agut lou païs de la Provenzo à fach cri public de nos mettre crestians vo de quita ses terrous : et los d’Arlé, d’Aix, et de Marzeillo vuolon prendré nostras bens, nos menazon de la vida, arrouynon nostras Sinagogas, et nos san pron de troublez, so qué nos ten confus de zo que deven fairé per la ley de Mozen : quez la cauzo que vos pregan de voulé lagiamen noz manda zo que deven fairé. {a} Chamorre, rabbin des juzious d’Arlé lou 13e de Sabath 1489. ”

Ceux de Constantinople firent tôt réponse, mais ce ne fut pas en langue hébraïque ni provençale, mais en espagnol, car ce langage était fort bien entendu en ce temps, vu que le roi René et ses devanciers étaient comtes de Barcelone, voisins des Espagnols ; laquelle trouvée ensuite de l’autre j’ai insérée à son langage naturel. […] J’ai trouvé à propos de traduire cette réponse à notre langage français pour mieux donner à connaître la malice de cette nation.

Réponse [des juifs de Constantinople à ceux d’Arles et de Provence].

“ Bien-aimés frères en Moïse, nous avons reçu votre lettre par laquelle vous nous signifiez les traverses et infortunes que pâtissez (le ressentiment desquelles nous a autant touchés qu’à vous autres), mais l’avis des plus grands rabbins et satrapes de notre loi est tel que s’ensuit.

Vous dites que le roi de France veut que vous soyez chrétiens : faites-le puisqu’autrement ne pouvez faire, mais gardez toujours la souvenance de Moïse dans le cœur.

Vous dites qu’on veut prendre vos biens : faites vos enfants marchands et par le moyen du trafic, vous aurez peu à peu tout le leur.

Vous vous plaignez qu’ils tentent contre vos vies : faites vos enfants médecins et apothicaires, qui leur feront perdre la leur sans crainte de punition.

À ce que dites qu’ils détruisent vos synagogues : tâchez que vos enfants viennent chanoines et clercs pour ce qu’ils ruineront leur Église.

Et à ce que dites que supportez des grandes vexations : faites vos enfants avocats, notaires et gens qui soient d’ordinaire occupés aux affaires publiques ; et par ce moyen, vous dominerez les chrétiens, gagnerez leurs terres et vous vengerez d’eux. Ne vous écartez point de l’ordre que nous vous donnons car vous verrez par expérience que d’abaissés que vous êtes, vous serez grandement élevés.

V.S.S.V.S.F.F. prince des juifs de Constantinople, le 21e décembre 1489. ”

Non sans cause, les juifs furent bannis de la France et de partie des Allemagnes car en l’année 1474, ils furent convaincus d’avoir crucifié un petit enfant chrétien de l’âge de 26 mois, en dérision de la Passion de Jésus-Christ, dans la ville de Trente, et un autre à Venise l’an 1477 ; de quoi plusieurs furent exécutés et le pape Sixte iv mit cet enfant qui s’appelait Simon au nombre des saints martyrs. »


  1. « Salut et grâces à vous, honorables juifs. Vous devez savoir que le roi de France, qui est de nouveau maître du pays de Provence, a fait cri public de nous faire chrétiens ou de quitter ses terres ; et ceux d’Arles, d’Aix et de Marseille veulent prendre nos biens, menacent nos vies, ruinent nos synagogues et nous causent beaucoup de vexations ; ce qui nous rend incertains sur ce que nous devons faire selon la loi de Moïse. Voilà pourquoi nous vous prions de vouloir sagement nous mander ce que nous devons faire. »

Les deux lettres que Jean-Baptiste Bovis a transcrites ont servi d’argument principal à Emmanuel Chabauty, chanoine honoraire d’Angoulême et de Poitiers, théoricien du complot judéo-maçonnique, pour son pamphlet antisémite intitulé Les Juifs, nos maîtres ! Documents et développements nouveaux sur la question juive (Paris, Société générale de librairie catholique, 1882).

10.

Légal : « qui vit bien et selon les lois, qui ne fait tort à personne. Ce marchand est franc et légal, il ne trompe point, il vend de bonne marchandise, il est de bon compte » (Furetière).

Le livre de Melchior Sebizius dont Jean-Antoine ii Huguetan expédiait deux exemplaires à Guy Patin était De alimentorum Facultatibus libri v [Cinq livres sur les Facultés des aliments…] (Strasbourg, 1650, v. note [22], lettre 192) ; Patin n’en accusa bonne réception que le 11 avril suivant.

11.

Charles Spon prévoyait de promouvoir la diffusion d’un autre ouvrage de Melchior Sebizius :

Commentarius in Galeni libellos de Curandi ratione per sanguinis missionem : de Hirudinibus : de Revulsione : de Cucurbitula : de Scarificatione. Publice olim Argentoratensium in Universitate prælectus, et nunc in gratiam Medicinæ Tyronum divulgatus…

[Commentaire sur les opuscules de Galien sur la raison de soigner par la saignée ; sur les sangsues, sur la révulsion, {a} sur les ventouses, sur la scarification. Jadis publiquement lu en l’Université de Strabourg, et maintenant publié pour le profit des étudiants en médecine…] {b}


  1. V. note [8], lettre 673.

  2. Strasbourg, héritiers de Christophorus ab Heyden, 1652, in‑4o.

L’épître signée par Sebizius est intitulée :

Noblisiimis, amplissimis, et prudentissimis viris, inclytæ scaphusianorum Reipubl. Consulibus, Proconsuli, Quæstoribus, ceterisque Senatoribus laudatissimis, Patriæ Patribus vigilantissimis, Dominis et Fautoribus suis summo honore atque observantia perpetuo colendis. S.P.D. {a}

[Profondes salutations aux très nobles, influents et prévoyants conseillers, gouverneur, magistrats et autres très estimés sénateurs de l’illustre canton de Schaffhouse, {b} pères très attentifs de la patrie, ses maîtres et amis, qu’on doit perpétuellement entretenir dans le plus grand honneur et le respect].


  1. Salutem Plurimam Dicit.

  2. V. note [3], lettre 616. Cette épître est datée du 31 mars 1652.

12.

Jean Caffin, libraire de Lyon, exerçait rue Mercière, près du domicile de Charles Spon.

13.

Alentour : auprès.

14.

Cet ami de la reine Christine, qui écrivait à Guy Patin en chemin pour la Suède, était sans doute l’abbé Bourdelot.

15.

Le 25 octobre, la reine Christine avait annoncé au Sénat son intention d’abdiquer en faveur de son cousin Charles-Gustave. Elle revint sur sa décision le 18 décembre sous condition qu’on ne l’obligerait pas à se marier. Après bien des méandres entre elle et son gouvernement, elle finit par abdiquer le 16 juin 1654 (Quilliet).

16.

« la primauté de la découverte ».

17.

Guy Patin convenait ici à mots couverts qu’il avait été en concurrence avec l’abbé Bourdelot pour succéder à Du Rietz dans la place de premier médecin de la reine Christine (v. note [45], lettre 211).

18.

Débonder : « sa colère s’est débondée en injures, en invectives. Un poète réussit bien quand sa veine et sa verve se débondent. Après s’être tu longtemps, enfin il se débonda et se déchargea le cœur » (Furetière).

19.

Journal de la Fronde (volume i, fo 512 vo, Paris, 24 novembre 1651) :

« Le 20, le Parlement s’étant assemblé, Son Altesse Royale [le duc d’Orléans] y étant arrivé, le premier président représenta à la Compagnie l’importance qu’il y avait de ne plus différer de vérifier la déclaration contre M. le Prince, disant que cela tenait les esprits embarrassés et que les peuples n’osaient pas se déclarer contre lui, et qu’il semblait qu’on n’improuvât {a} pas son procédé puisque l’on ne le déclarait pas criminel de lèse-majesté après avoir pris les armes ouvertement contre le roi, traité avec les Espagnols, etc. ; sur quoi, Son Altesse Royale ayant dit qu’elle attendait dans le jour {b} M. le duc de Damville et le sieur de Sommery, et qu’elle l’avait ainsi dit aux députés qui l’étaient allé trouver à Limours, {c} quelques conseillers aux Enquêtes prirent occasion de dire au premier président que cette députation n’avait pu être faite sans en parler aux Enquêtes et prendre leur avis là-dessus. Et après plusieurs contestations qu’il y eut là-dessus, tant entre Son Altesse Royale et le premier président qu’entre celui-ci et Messieurs des Enquêtes, la plupart des opinions allant à remettre l’assemblée à hier, elle y fut remise. Son Altesse Royale y prit occasion de dire que le cardinal Mazarin était sur la frontière, avec des passeports d’Espagne et de la cour même, pour revenir en France, et qu’elle avait même su que quelques gouverneurs des villes frontières d’alentour lui avaient envoyé offrir service et retraite. À la sortie, il y eut quelques cris de “ Diminution d’impôt ! ”. »


  1. Ne désapprouvât.

  2. Le jour même.

  3. V. infra note [20]

20.

« On dit qu’on a ruiné le plat pays pour dire la campagne, ce qui n’est point fortifié » (Furetière).

Journal de la Fronde (volume i, fo 512 ro, novembre 1651) :

« Le 18, Son Altesse Royale revint de Limours et peu après, donna audience aux députés de Noyon qui étaient arrivés ici pour lui faire instance de leur obtenir un prompt secours capable de chasser les ennemis qui, s’étant avancés avec les troupes du comte de Tavannes au nombre de quatre mille hommes conduits par le duc de Wurtemberg et le prince de Ligne, ont brûlé le faubourg de cette ville-là et trois ou quatre villages d’alentour, leur avant-garde s’étant ensuite postée avec deux pièces de campagne au bourg de Magny, {a} qui appartient au duc de Chaunes, près de Chauny, {b} où ils brûlent partout où ils passent ; à quoi Son Altesse Royale leur fit réponse qu’elle en écrirait à la cour et ferait ce qu’elle pourrait pour leur soulagement. »


  1. Aujourd’hui Guiscard (Oise), 10 kilomètres au nord de Noyon.

  2. Sur l’Oise, une vingtaine de kilomètres en amont de Noyon.

21.

Marmouset est un surnom dont Guy Patin aimait affubler Mazarin, avec le double sens de mignon, favori (v. note [18] du Borboniana 6 manuscrit), et d’homme mal bâti.

22.

Journal de la Fronde (volume i, fos 512 ro et 516 ro) :

« Le même jour au soir, {a} un Napolitain qui se fait appeler le comte de Pagani {b} s’en alla dans l’hôtel de Condé trouver M. de Vineuil, auquel il se fit présenter par l’abbé de        , {c} parce qu’il ne le connaissait pas. L’ayant tiré à part, il le pria de proposer à M. le Prince que s’il désirait d’être bientôt roi, il lui en donnerait les moyens fort fatals et qu’il se faisait fort de faire mourir le roi, M. le duc d’Anjou, M. le duc d’Orléans et M. de Valois sans employer pour cet effet ni fer, ni feu, ni poison. M. de Vineuil se trouva d’abord bien embarrassé dans une proposition si étrange, et s’étant défait de la compagnie de cet homme le plus doucement qu’il put, il fut aussitôt trouver Son Altesse Royale et lui raconta cette aventure. Son Altesse Royale envoya incontinent dire au maréchal de L’Hospital qu’il fît arrêter ce Napolitain. Ce maréchal y alla avec M. Saintot, un exempt du prévôt de l’Île et quelques autres, qui le prirent et le menèrent dans la Bastille où il est encore. […]

De Paris le 1er de décembre 1651. Le comte Pagani fut interrogé plusieurs fois la semaine passée et nia tout, même d’avoir été dans l’hôtel de Condé et d’avoir parlé à M. de Vineuil qui lui fut confronté, aussi bien que l’abbé Péricard ; mais parce qu’il se coupa en plusieurs réponses de son interrogatoire, l’on croit qu’on lui donnera la question et qu’il sera convaincu des crimes dont il est accusé. »


  1. 18 novembre 1651.

  2. Ou Pagano.

  3. Blanc pour Péricard.

23.

Pléonasme : la bile noire portait le double nom de mélancolie (dérivée du grec) et d’atrabile (latin) ; v. note [5], lettre 53.

24.

« On dit [d’un homme que] la gorge lui démange quand il est en passe d’être pendu ; comme dit Marot du valet qui l’avait volé, qu’il était chatouilleux de la gorge » (Furetière).

25.

« Notre Afrique {a} apporte toujours quelque chose de nouveau. » Semper Africa novi aliquid apportat est un adage qu’Érasme [1] a commenté (no 2610) :

Huic simillimum est illud Plinianum, quod in Historia mundi refert, Libyam semper aliquid novi adferre. Quod quidem ideo dicebatur, quod in siticulosa regione ad unum aliquem rivum plurimæ ferarum species binedi gratia convenire cogantur ; inibique varia mixtura violentiæ Veneris varias monstrorum formas subindeque novas nasci. Porro Plinius sumpsit ab Aristotele, apud quem refertur libri De generatione animalium, ii capite v.

[Cela est tout à fait semblable à ce que dit dans son Histoire du monde, « La Lybie nous apporte toujours du nouveau ». {b} On disait cela parce que, pour boire, dans une région aride, de très nombreuses espèces de bêtes sauvages sont amenées à se rencontrer auprès d’un seul et même ruisseau ; et là, des croisements divers, fruits d’impétueux accouplements, donnent naissance à des formes variées et souvent inconnues de monstres. Pline l’a tiré Aristote, qui le cite au livre 2, chapitre 5, de La Génération des animaux].


  1. V. note [33], lettre 246.

  2. Avec remplacement d’Africam par Lybiam : Semper aliquid novi Africam adferre (livre viii, chapitre xvii ; Littré Pli, volume 2, pages 325).

26.

« les Chrestomathies physiologiques ; trois traités, des Esprits et de la chaleur innée, des Parties solides, et des Humeurs ; et les Chrestomathies pathologiques » (v. note [14], lettre 150).

27.

Prend en compte les dernières retouches de l’auteur.

28.

Dans toute cette phrase, « elle » désigne la reine Christine, dont les affaires ont déjà été évoquées plus haut dans la lettre (v. note [15]).

29.

Nicolas Matthieu (Bar-le-duc vers 1593-Paris 1670) avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1632 (Baron).

30.

« et que notre ami n’en ressente jamais de chagrin. »

31.

« comme les autres hommes, il a ses défauts ; celui qui les hait, hait les hommes eux-mêmes. Plus une autre fois. »

Guy Patin a emprunté son latin à Melchior Adam (v. note [2], lettre de Charles Spon datée du 15 janvier 1658), dans sa Vie de Johann Crato von Crafftheim, {a} qui est dans ses Vitæ Germanorum Medicorum… [Vies des médecins allemands…] (Heidelberg, 1620, page 276) :

Verum Cratonem hic angelum aut deum fuisse non dicimus : hoc dicimus, eum more aliorum hominum suos habuisse nævos ; quos qui odit, homines ipsos odit ; ut habet Plinii iunioris apprime ad vitam necessarium dictum.

[Mais nous ne disons pas que Craton a été un ange ou un dieu, nous disons que, comme les autres hommes, il a eu ses défauts ; celui qui les hait, hait les hommes eux-mêmes, comme l’énonce fort bien le dicton de Pline le Jeune, qui est indispensable pour comprendre la vie]. {b}


  1. V. note [2], lettre 845.

  2. Qui vitia odit, homines odit [Qui hait les imperfection, hait les hommes] (Lettres, livre viii, épître xxii).

32.

« que vous le vouliez ou non, ces cérémonies ne se font pas autrement » ; dernière phrase du Centon nuptial d’Ausone (v. note [9], lettre 335, Idylles, 11) :

et velit nolit aliter hæc sacra non constant.

[et, qu’il {a} le veuille ou non, cette cérémonie-là {b} ne se fait pas autrement].


  1. Le lecteur.

  2. Le mariage, dont la dernière étape, la défloraison, vient d’être narrée.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 novembre 1651

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(Consulté le 19/04/2024)

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