L. 275.  >
À Charles Spon,
le 5 décembre 1651

Monsieur, [a][1]

Depuis ma grande lettre écrite d’hier, d’autant que j’avais peur de partir aujourd’hui pour m’en aller voir un abbé malade à quatre lieues d’ici, que l’on ramènera demain, [2] je vous dirai qu’en un lieu où je ne vais guère, qui est le Palais (où j’allais pour commencer à solliciter notre procès [3] contre le prétendu auteur du livre de l’antimoine, [4] M. Jean Chartier, [5][6] qui ne sont que des leçons que Davidson [7] s’en allant en Pologne, a laissées à M. Vautier, [8] et dont ce misérable centon abortif a été tissu), [1] j’y ai rencontré entre autres gens de ma connaissance, un conseiller, lequel m’a dit que la déclaration d’hier contre M. le Prince, [9] ayant un mois de terme, ne faisait mal à personne ; que pendant ce temps-là, le prince de Condé apparemment ferait sa paix et qu’il y avait un accord sur le bureau ; mais que dorénavant les assemblées s’allaient recommencer au Palais contre le Mazarin, [10] principalement si le duc d’Orléans [11] veut un peu pousser, comme il a fait espérer.

Le fils de M. Moreau, [12] notre bon ami, fut marié il y eut hier huit jours avec la fille d’un de nos compagnons nommé M. Matthieu. [13] Amico dictum crede et in aurem[2] je ne sais si ce mariage réussira et j’en doute bien fort ; néanmoins, je le souhaite de toute mon affection à cause du père [14] et du fils. La Seine [15] est ici si fort enflée qu’elle menace toute la ville d’un horrible débordement, lequel ne saurait arriver sans faire grand tort à bien du monde. Je voudrais bien que cette constitution austrine, laquelle affaiblit tant nos corps, ex Hippocrate[3][16] se changeât en vent de bise et qu’elle rabaissât la rivière. [4][17] Je vous baise les mains, et à mademoiselle votre femme et à M. Gras notre bon ami, qui est le roi des hommes, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi au soir, 5e de décembre 1651.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fo 11, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon. » ; Jestaz no 57 (tome ii, pages 797‑798). Note de Charles Spon au revers : « 1651/ Paris 4 & 5 décemb./ Lyon 11 dud./ Risposta./ Adi 12 dud./ et envoyé un paquet/ lettres du Sr Alcide/ Musnier de Gênes ». Cette lettre est un second et long post‑scriptum de la précédente, envoyé par le même courrier.

1.

Un « centon abortif » est un pot-pourri mal ficelé.

Tissu est le participe passé du verbe tistre : « faire de la toile, du drap, ou des étoffes sur un métier. Il n’est en usage que chez les artisans qui travaillent de ces métiers-là » (ibid.).

V. note [16], lettre 271, pour Jean Chartier et sa Science du plomb sacré des sages ou de l’antimoine (Paris, 1651).

William Davidson (Davissonius ou Davisson ; 1593-1669), natif d’Écosse, avait étudié à Aberdeen puis à Montpellier où il aurait obtenu le diplôme de docteur en médecine vers 1615. Sous la protection du roi et de la reine d’Angleterre, Charles ier et Henriette-Marie de France, il avait acquis beaucoup de réputation à Paris et obtenu la charge de médecin conseiller du roi en 1644 ; puis en 1648, grâce à l’appui de François Vautier, celle d’intendant et démonstrateur de chimie au Jardin des plantes. En 1651, Davidson démissionnait de ses fonctions et quittait la France pour devenir premier médecin du roi de Pologne jusqu’en 1667.

Il n’avait publié qu’un seul ouvrage avant la parution de celui de Jean Chartier :

Philosophia pyrotechnica. Wilielmi Davissoni, Noblis Scoti, Doctoris Medici. Seu Cursus Chymiatricus, nobilissima illa et exoptatissima Medicinæ parte pyrotechnica instructus. Multis iisque haud vulgaribus observationibus adornatus, et ab ipsis primis Physicæ Theoreticæ et Practicæ Elementis, inexpugnabili demonstratione illustratus, artificiosam novamque rerum naturalium speculationem, et in usus medicos præparationem et administrationem continens. In quo, adminiculo διακρισεως aut συγκρισεως Chymicæ, ex Veget. Animal. et Mineral. familia petitæ, veræ et legitimæ rerum causæ deprehenduntur, ipsa αυτοψια demonstrantur, cum recentiorum, tum veterum omnium Philosophorum authoritate confirmantur : Hactenus ab omnibus huius sæculi Chymicis, aut in simili studii genere sese exercentibus desideratus : nunc autem solidis et inconcussis fundamentis stabilitus, et assiduo studio et longa rerum praxi, lapide veluti lydio, probatus et confirmatus.

[Philosophie pyrotechnique de William Davidson, gentilhomme écossais, docteur en médecine ; ou Cours de chimiatrie : {a} construit sur cette partie pyrotechnique de la médecine, la plus noble et la plus vivement désirée ; paré de ces nombreuses observations, dont aucune n’est commune, et les premiers éléments proprement dits de la physique théorique et pratique ; mis en lumière par une démonstration inattaquable, mettant en avant une observation habile et nouvelle des choses naturelles, ainsi que la préparation et la prescription dans ses usages médicaux. Où sont saisies, par le secours de la chimie analytique ou synthétique, les causes véritables et légitimes des faits, tirées des règnes végétal, animal et minéral, qui sont démontrées par l’observation visuelle directe, et confirmées par l’autorité de tous les philosophes, tant anciens que modernes. Désiré jusqu’à ce jour par tous les chimistes de ce siècle, ou par ceux qui s’exercent à un genre semblable de recherche ; mais maintenant établi sur des fondements solides et inébranlables, et prouvé et consolidé, comme par une pierre de touche, {b} par une étude assidue et une longue pratique des choses]. {c}


  1. Médecine chimique.

  2. V. note [18], lettre 504.

  3. Paris, Jean Bessin, 1640, in‑8o, avec éloquent Emblema totius operis [Emblème de tout l’ouvrage], {i} qui est divisé en trois parties de 487 pages (pour les deux premières), et 272 pages (pour la troisième). Ce livre, approuvé par la Sorbonne, a été traduit :

    Les Éléments de la Philosophie de l’Art du Feu ou Chimie. Contenant les plus belles observations qui se rencontrent dans la résolution, préparation et exhibition des Végétaux, Animaux et Minéraux, et les remèdes contre toutes les maladies du corps humain, comme aussi la Métallique, appliquée à la Théorie, par une vérité fondée sur une nécessité Géométrique et démontrée à la manière d’Euclide. Œuvre nouveau et très nécessaire à tous ceux qui se proposent jeter de bons fondements pour apprendre la Philosophie, Médecine, Chirurgie et Pharmacie. Traduit du latin du sieur Davissone, Écuyer, Conseiller, Médecin du Roi, et Intendant de la Maison et Jardin Royal des Plantes Médecinales, au Faubourg Saint-Victor à Paris. {ii} Par Jean Hellot, {iii} maître chirurgien à Paris. {iv}

    1. Outre un quatrain latin d’un M. de la Pinebiere, à la gloire de l’ardeur solaire, avec sa traduction française, l’emblème est accompagné de cette légende :

      Repræsentators sunt Cupido seu Intellectus, Psyche seu Anima, Protheus rerum forma. Proteus Animam alloquitur.

      [Les personnages représentés sont Cupidon, ou l’Intelligence, Psyché, ou l’Âme, Protée ou la représentation des choses. Protée parle à l’Âme].

      Protée (qui sait tout, v. note [8], lettre de Jean de Nully datée du 21 janvier 1656) dit à Psyché : Est eadem nobis patria et Cœlestis origo [Notre origine est à la fois charnelle et céleste] ; qui est le vers 6 du poème de Jérôme Fracastor (v. note [2], lettre 6) intitulé Psyche.

    2. V. note [4], lettre 60, pour le Jardin royal des plantes à Paris, dont l’enseignement incluait la chimie et rivalisait ouvertement avec celui de la Faculté de médecine, qui ignorait superbement cette matière.

    3. Jean Hellot (Liste funèbre des chirurgiens de Paris, page 124) :

      « < le > père, né à Rouen, était un homme respectable par l’intégrité de ses mœurs, qui possédait parfaitement les langues grecque et latine, et qui < était > également habile dans la théorie et la pratique de son art ; < il > refusa constamment, par modestie, la prépositure < sic > qui lui fut offerte plus d’une fois. Il mourut le 21e d’avril de l’année 1681. Il eut son second fils docteur en médecine de la Faculté de Paris, qui mourut quelques années parès sa licence finie. »

    4. Paris, François Piot, 1651, in‑8o de 677 pages.

Dans sa lettre à Charles Spon, datée du 3 décembre 1658, Guy Patin a de nouveau parlé de Davidson en le disant mort et l’accusant encore d’avoir été l’inspirateur de Jean Chartier pour sa Science du plomb sacré des sages. Davidson a amplement parlé de l’antimoine dans son livre, mais n’est pas cité dans celui de Chartier. On y lit toutefois ce paragraphe étymologique (article iii, pages 4‑5) :

« Je veux donc vous faire part d’une très noble, très savante et ancienne source et véritable racine de ce mot de Chemie, qui m’a été apprise par un des illustres de ce temps, m’étant adressé à lui pour savoir la raison qui l’avait obligé de se servir du mot de Chemie, et non pas de Chymie, dans les affiches que l’on a faites depuis quelques années au Jardin royal pour le cours chemique, conformément à l’institution de ce Jardin ; ce qui n’avait pas encore été fait depuis son établissement. Il me répondit que Chemia ou Alchemia signifiait la Science d’Égypte, que l’on avait ignoré jusques à présent que la diction Chemie venait de Chemi, ancienne diction des Coptites, {a} tiré de Cham, fils de Noé, {b} auquel l’Égypte était demeurée en partage ; et qu’en cette langue coptite, qui est l’ancienne d’Égypte, appelée depuis pharaonique, Chemi signifiait l’Égypte ; d’où on a dérivé le mot Chemia ou Alchemia pour expliquer la science des Égyptiens. »


  1. Kircherus in Prodromo Copto sive Egyptiaco [(Athanasius) Kircher (v. note [65] des Déboires de Carolus) dans la Préface copte ou égyptienne], Rome, 1636, in‑4o (note ajoutée dans la marge).

  2. V. notule {c}, note [34], sur la triade 63 du Borboniana manuscrit.

2.

« Prenez ceci en ami et en confidence ».

3.

« au dire d’Hippocrate » (v. note [81], lettre 150).

4.

Au début de sa phrase, Guy Patin a corrigé « J’ai bien peur » en « Je voudrais bien ».

L’austrin (ou auster) était le vent du Midi (v. note [81], lettre 150). L’adjectif austrin est ici à comprendre comme austral, « méridional, qui est du côté du Midi, du côté que souffle le vent que les Latins appellent auster » (Furetière). V. note [20], lettre 274, pour le vent de bise qui vient du nord. Étant donné son domicile, proche de l’actuel Châtelet, on conçoit la préoccupation de Patin face à la crue de la Seine, augmentée par le temps doux qui favorisait le dégel ; mais il a dit dans sa lettre du 22 décembre 1651 à Charles Spon (lettre 277) qu’il n’en redoutait pas grand mal.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 décembre 1651

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(Consulté le 25/04/2024)

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