L. 303.  >
À André Falconet,
le 31 janvier 1653

Monsieur, [a][1]

Je ne suis pas encore déchargé tout à fait de mon décanat, [2] je travaille tous les jours à mes comptes et à mes registres, mais Dieu aidant, j’en sortirai bientôt. Je vous remercie de votre belle lettre, et M. Giraud [3] pareillement de ses bonnes grâces, il est fort bon opérateur et réussit en sa taille [4] fort heureusement. Vous n’avez pas besoin que je vous avertisse que le rossolis [5] n’est guère bon aux néphrétiques, [6] mais trouvez bon seulement que je vous en fasse souvenir, de peur que vous-même vous ne vous en souveniez que trop ci-après, in mediis doloribus[1] Cette liqueur nommée Ros solis nihil habet solare, sed igneum quid potentissimum, lumborum renumque doloribus adversissimum[2] dont Dieu vous gardera et préservera, s’il veut, par sa bonté. Le pape [7] a dit à notre ambassadeur qui est à Rome qu’il veut que l’on remette en liberté le cardinal de Retz [8] et qu’il ne s’en prendra qu’au cardinal Mazarin, [9] ce qu’il a répété par huit fois. [3] Cette répétition a fort déplu à la reine. [10] J’attends encore quelque chose pour mettre dans notre paquet, lequel ne peut partir que le mois prochain pour Lyon. Le manuscrit que M. Spon [11] a entre ses mains n’est pas si petit, j’espère que ce sera un in‑4o de plus de 60 feuilles. C’est le papier qui a manqué à cause de la bassesse des eaux qui a empêché M. Rigaud [12] de commencer jusqu’à présent. [4][13]

Je vous envoie ma médaille [14][15] que j’ai toujours eu dessein de vous présenter. Elle est plus belle que celle que vous avez vue entre les mains de M. Gontier [16] à qui mon fils aîné [17] en a envoyé une. Le coin de la Faculté qui était usé a été refait et au lieu de 1648, j’y ai fait mettre 1652. Si vous en désirez de cuivre, je vous en enverrai ce qu’il vous plaira. [5] Il se pourra quelque jour rencontrer quelque bonne occasion qui me fera aller devers Lyon, [18] mais il faudrait que la paix fût en France ; en ce cas-là, je serais ravi de vous aller embrasser.

On dit que le pape a député dix cardinaux pour examiner le fait du cardinal de Retz et pour trouver les moyens de le faire remettre en liberté. On dit que Bordeaux [19] est en si mauvais état qu’il serait de besoin que le roi [20] y fît un voyage pour empêcher que les Espagnols ne s’en emparent ; mais d’un autre côté, il est besoin qu’il soit aussi de deçà à cause du prince de Condé [21] qui est le plus fort sur la frontière de Picardie et de Champagne, et qui pourrait venir jusqu’ici, où il a encore quelques amis et où il y a plusieurs ennemis du Mazarin. Il ferait bien du mal étant secouru de l’Espagnol, comme apparemment il le fera.

On parle ici de la mort du pape. C’est peut-être d’autant qu’il est fort vieux. On nous promet le grand jubilé [22] pour le commencement du carême. [23] Je voudrais qu’il fût déjà passé, et le carême pareillement. Les partisans du Mazarin disent qu’il viendra bientôt. Les plus fins disent que non et qu’il ne peut ni ne doit venir. Le prince de Condé a pris Vervins, [24] on y fait passer nos troupes afin d’y remettre le siège et de le reprendre. [6] On s’en va ici imprimer un traité de Balzac [25] intitulé l’Aristippe ou de la cour. Je me persuade que ce sera une paraphrase de ce vers du bon Horace : [26][27] Omnis Aristippum decuit color et status et res[7] Je me recommande de vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre, etc.

De Paris, ce dernier de janvier 1652.


a.

Bulderen, no lxxii (tome i, pages 204‑206) ; Reveillé-Parise, no ccccix (tome iii, pages 9‑10). L’authenticité de cette lettre à André Falconet, contrairement à plusieurs autres de la même période, n’est pas à mettre en doute, en raison de son contenu, et de l’allusion qu’y fait Patin au début de la lettre suivante à Charles Spon.

1.

« quand vous souffrirez bien fort. » André Falconet était régulièrement affligé de coliques néphrétiques.

2.

« la “ Rosée au soleil ” [v. note [6], lettre 220] n’a rien de solaire, mais elle est ardente, ce qui la rend tout à fait capable d’être fort contraire aux douleurs des lombes et des reins ».

3.

V. note [40], lettre 301.

4.

Nouvelle allusion à l’édition lyonnaise des Chrestomathies de Caspar Hofmann en projet chez le libraire Pierre Rigaud sous la supervision de Charles Spon, pour laquelle Guy Patin avait recueilli trois traités manuscrits inédits (v. note [1], lettre 274).

5.

Le jeton décanal (v. note [42], lettre 288) que Guy Patin joignait à sa lettre était donc en argent.

« Coin, en termes de monnaie, est le morceau de fer trempé et gravé qui sert à marquer, à frapper les monnaies, les médailles, les jetons. On change tous les ans les coins des monnaies. Cet écu est marqué d’un faux coin » (Furetière).

6.

V. note [23], lettre 301, pour la prise de Vervins par Condé le 19 janvier, et sa reprise par Turenne le 28 (mais la nouvelle n’en avait apparemment pas encore été divulguée à Paris le 31).

7.

« Aristippe [v. note [57], lettre 211] s’accommodait de toute couleur, de toute situation et de toute fortune » (Horace, Épîtres, livre i, lettre 17, vers 23).

Guy Patin annonçait avec beaucoup d’avance :

Aristippe ou de la cour, par Monsieur de Balzac. {a}


  1. Paris, Augustin Courbé, 1658, in‑4o de 244 pages ; v. note [7], lettre 25 pour Jean-Louis Guez de Balzac.

L’ouvrage est dédié « à la sérénissime reine de Suède » (pages 13‑14) :

« Qu’on loue donc, qu’on bénisse la fille du grand Gustave, la grande, l’incomparable Christine, pour les bons exemples qu’elle donne à un mauvais siècle, pour avoir achevé la guerre et pour avoir fait la paix, pour savoir régner et pour n’ignorer rien de ce qui mérite d’être su. C’est Christine qui s’est opposée à la barbarie qui revenait et qui a retenu les Muses qui s’enfuyaient. C’est elle qui connaît souverainement des sciences et des arts. Elle met le prix aux ouvrages de l’esprit. Comme elle reçoit des applaudissements de tous les peuples, elle rend des oracles en toutes les langues. On ne peut point appeler de ses opinions ; non pas même à la Postérité. »

Le privilège du roi, concédé à Valentin Conrart, est daté du 7 avril 1655, et l’achevé d’imprimer du 10 novembre 1657. La mort de Balzac, le 8 février 1654, dut être la cause de ce long délai, comme peut le suggérer l’épître du libraire au lecteur :

« < Ayant ouï dire que > cet excellent homme < Balzac > n’avait jamais rien fait de si régulier ni de si éloquent, et le gentilhomme son allié, de qui je le tiens et qui le tenait de lui, m’assurant que de toutes les pièces de son cabinet, il n’en regardait aucune avec tant d’amour et qu’il l’appelait son chef-d’œuvre, je n’ai pas cru te le devoir laisser ignorer, pour notre avantage commun. En effet, tous ses amis et tous ses proches savent que l’ayant faite dans le plus beau feu de sa jeunesse, il était persuadé qu’elle devait, plus que toutes les autres, établir sa réputation, et témoignent que s’il ne l’avait pas publiée il y a plus de vingt ans, c’était seulement afin de se donner le loisir de la porter à la plus haute perfection dont elle serait capable. »

Le livre est divisé en sept discours philosophiques prêtés à Aristippe, surnom que le landgrave de Hesse donnait à « son sage savant » qui l’accompagnait dans ses voyages :

« C’était {a} un gentilhomme de jugement exquis et d’expérience consommée, catholique de religion, français de naissance et originaire d’Allemagne, âgé de cinquante-cinq ans ou environ. Il avait le don de plaire et savait l’art de persuader. Il savait de plus la vieille et la nouvelle cour ; et ayant observé dans plusieurs voyages qu’il avait faits les mœurs et le naturel des princes et de leurs ministres, on trouvait en lui un trésor des choses de notre temps ; outre les autres connaissances qu’il avait puisées dans l’Antiquité et acquises par la méditation. »


  1. Écrit Balzac (pages 5‑6).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 janvier 1653

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(Consulté le 26/04/2024)

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