L. 305.  >
À André Falconet,
le 4 février 1653

Monsieur, [a][1]

Permettez-moi de vous recommander un jeune homme lyonnais aspirant à la maîtrise de chirurgie, nommé Cadon. [2] Il avait un frère aîné à Paris l’an 1626, qui était honnête homme et de mes amis. Ses parents viennent de notre pays de Beauvais. [3] J’ai même connu celui-ci que je vous recommande, à Paris, pour un gentil garçon. Fac igitur, nisi tibi molestum fuerit, ut sentiat meam commendationem tibi gratam, sibi utilem fuisse[1] Je vous ai déjà tant d’obligation que j’en suis tout honteux. Je pense que vous aurez bientôt deux livrets nouveaux du P. Théophile Raynaud, [4] de bonis et malis libris, etc., Dissertatio, etc., [2][5][6] que vos libraires impriment à Lyon. On ne fait rien ici à cause de la guerre et faute de papier. Le prince de Conti [7] est le plus fort dans Bordeaux, [8] il en chasse qui bon lui semble. Les Hollandais ont traité avec le Mazarin [9] qui leur a promis du support, dont les Anglais sont indignés et menacent de ravager nos côtes. Le prince de Condé [10] a mis le siège devant Jametz. [3][11] Le Mazarin a été traité superbement à Soissons [12] par M. le maréchal d’Estrées [13] qui en est le gouverneur ; et en revenant, beaucoup de personnes sont allées au-devant de lui, entre autres M. le chancelier ; [14] le roi [15] même y a été jusqu’à trois lieues d’ici et l’a amené dans son carrosse. Ils sont entrés dans Paris lundi 3e de février à deux heures de l’après-midi. Le roi lui a donné le même soir à souper en grand et superbe festin. Dieu sait si ce n’ont point été des viandes bien succulentes pour réparer et restaurer les forces de ce grand capitaine qui revient de la guerre si harassé, et qui rentre au cabinet où il y a de reste tant de conquêtes à faire. Le roi a été au-devant du Mazarin et le Mazarin, à ce que disent les courtisans, ira au-devant de la reine. [16] Sic vivitur pessimis istis temporibus ad quæ nos reservavit Dominus[4] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 4e de février 1653.


a.

Bulderen, no lxxiii (tome i, pages 206‑207) ; Reveillé-Parise, no ccccx (tome iii, pages 10‑11).

1.

« À moins que ce ne vous soit importun, faites alors en sorte qu’il sente que ma recommandation soit bien accueillie de vous et lui soit utile. »

2.

« des bons et mauvais livres etc., {a} Dissertation etc. » {b}


  1. V. note [7], lettre 205, pour cet ouvrage (Erotemata… Lyon, 1653) de Théophile Raynaud (v. note [8], lettre 71).

  2. R.P. Theophili Raynaudi ex Soc. Iesu, Dissertatio de sobria alterius sexus frequentatione per sacros et religiosos homines. Inædificata narrationi deliriorum, queis Puella Veneta, Gulielmum Postellum Celtocimbrum, Doctorem Maximum, seculo superiore infatuavit. Cum Indicibus necessariis.

    [Dissertation du R.P. Théophile Raynaud, de la Compagnie de Jésus, sur la fréquentation de l’autre sexe par les prêtres et les religieux. Construite sur la narration des délires au moyen desquels, au siècle dernier, une vierge vénitienne a rendu fou Guillaume Postel, Normand et très éminent savant. {i} Avec les index requis]. {ii}

    1. V. notes [45] du Naudæana 4 et [11] du Borboniana 6 manuscrit, pour Guillaume Postel et son entichement pour la Mère Johanna.

    2. Lyon, Michel Duhan 1653, in‑8o de 600 pages.

3.

Jametz (Meuse) était une ville fortifiée du Barrois à 11 kilomètres au sud de Montmédy.

4.

« Ainsi vit-on en ces temps fort exécrables que le Seigneur nous a réservés. »

Mme de Motteville (Mémoires, page 442) :

« Après le glorieux retour du cardinal, la cour, le Parlement et toute la France commencèrent à se ranger sous sa puissance. Les esprits, détrompés de leurs dégoûts, aperçurent, par l’expérience qu’ils avaient faite de tant de maux, que sa domination valait mieux que la fausse liberté qu’ils avaient souhaitée. Les peuples qui l’avaient méprisé commencèrent à le craindre ; et ayant repris plus de respect pour lui qu’ils n’en avaient jamais eu, ils s’accoutumèrent non seulement à le souffrir, mais encore à l’encenser ; et comprirent alors qu’il fallait, en faveur de son bonheur ou de ses bonnes qualités, lui pardonner ses défauts. Il s’appliqua aussitôt à finir la guerre de Bordeaux afin d’être plus en pouvoir de se défendre contre l’étranger. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 février 1653

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(Consulté le 29/03/2024)

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