L. 319.  >
À André Falconet,
le 27 juin 1653

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre des mains de M. Paquet, [2] pour laquelle je vous remercie. Ledit sieur se porte assez bien, Dieu merci. Nous parlons très souvent de vous et il vous aime cordialement. Je suis bien aise que vous ayez reçu le petit présent que je vous avais destiné il y a longtemps et qui a demeuré céans beaucoup plus que je ne pensais, mais la guerre est cause de ce retardement. Je vous enverrai quelque chose de meilleur ci-après si l’occasion se présente. Je me souviens fort bien de toutes les obligations que je vous ai, mais avec ce regret que je ne m’en puis acquitter si tôt que je voudrais bien. On dit ici que quelqu’un [3][4] a taillé sa plume pour réfuter M. Germain [5] en son Orthodoxe, mais je pense que ce ne sera qu’un galimatias de gazette. Constat enim stibium esse venenatum[1][6] les fourbes qui se vantent de sa bonté ne sont point si traîtres que d’en prendre lorsqu’ils sont malades. Vautier [7] en prit l’an passé, mais il en trépassa aussi. Sicque per stibium Stygium transnavit fretum, qui per diabolicum istud venenum (sic nominatur a Mercuriale) tot insontes necaverat[2][8][9] Je vous ai mandé touchant le Quiqueran [10] de Laudibus Provinciæ, ce que j’en savais ; [3] je m’enquerrai de celui qui l’a imprimé autrefois à Lyon et en quelle année, mais je vous prie interea dormi secure[4]

M. de Liergues [11] est un fort honnête homme et à qui j’ai beaucoup d’obligation, mais il vous a dit trop de bien de moi dans sa lettre ; c’est une marque de son affection et il n’ose vous dédire de tant de bien que vous lui avez écrit de moi. Il m’a rendu mes médailles. Le roi, [12] la reine, [13] le Mazarin [14] et toute la cour sont à Saint-Germain [15] encore pour quelques jours. Le Mazarin traite avec le chevalier de Chaulnes [16] pour avoir le gouvernement d’Amiens. [17] Dès qu’il en sera le maître, il a dessein d’y envoyer le cardinal de Retz [18] dans la citadelle sous la garde de M. de Bar [19] qui a gardé les princes dans le Havre-de-Grâce ; [5][20] et cela fait, on dit que le roi ira demeurer pour quelque temps dans le Bois de Vincennes. [21] Le prince de Condé [22] est encore à Bruxelles. [23] Ceux de Bordeaux [24] espèrent du secours, et des Anglais et des Espagnols ; aussi en ont-ils grand besoin. Les Anglais ont eu derechef un grand avantage sur les Hollandais qui y ont fait perte de plus de quatre millions d’or. [6][25][26] Notre grande armée est en Champagne, on dit qu’elle s’en va à Rethel. [27] Cetera falsa quæ circumferuntur, nec moror, nec scribo, quia falsa sunt[7] Il est seulement vrai que je suis et serai toute ma vie, Monsieur, votre, etc.

De Paris, ce 27e de juin 1653.


a.

Bulderen, no lxxiv (tome i, pages 208‑209) ; Reveillé-Parise, no ccccxi (tome iii, pages 12‑13).

1.

« Il est en effet établi que l’antimoine est un poison. »

V. note [2], lettre 276, pour l’Orthodoxe ou de l’abus de l’antimoine… de Claude Germain (Paris, 1652) ; celui qui avait « taillé sa plume » pour lui répondre par « un galimatias de gazette » était Eusèbe Renaudot, avec son Antimoine justifié… (v. note [21], lettre 312), dont l’impression était en cours.

2.

« Et ainsi celui qui avait tué tant d’innocents à l’aide de ce poison diabolique (comme Mercuriali {a} l’a appelé) a traversé le flot stygial {b} grâce à l’antimoine. »


  1. V. note [1] de l’Observation ii contre les apothicaires pour le passage de ses Tractatus [Traités] (Venise, 1601) où Girolamo Mercuriali (v. note [16], lettre 18) a qualifié l’antimoine de diabolicum medicamentum.

    Dans ma transcription de la lettre imprimée, j’ai remplacé Mercuriali (son nom italien) par Mercuriale (cas ablatif de son nom latin, Mercurialis).

  2. Le Styx (v. note [28], lettre 334), que François Vautier (v. note [26], lettre 117) avait traversé le 4 juillet 1652 en passant de vie à trépas.

3.

Pierre Quiqueran de Beaujeu (Mouriès près d’Arles 1526-Paris 1550), après une jeunesse consacrée à l’étude des belles-lettres, au voyage et à l’écriture, obtint en 1546 le siège épiscopal de Sées dans l’Orne ; mais retenu à Paris par un procès, il ne put en prendre possession et fut emporté par une attaque d’apoplexie avant d’avoir été sacré (G.D.U. xixe s.). Guy Patin parlait ici des :

Petri Quiquerani Belloiocani Episcopi Senecensis Primari Arelatensium de Laudibus Provinciæ libri tres, et centum eiusdem de Annibale Exametri, ad R.P. Franciscum Turnonium Cardinalem Clarissimum.

[Trois livres de Pierre Quiqueran de Beaujeu, évêque de Sées, de noble famille arlésienne, sur les Louanges de la Provence, et ses cent hexamètres sur Hannibal. {a} Ouvrage dédié au R.P. François de Tournon, {b} très brillant cardinal]. {c}


  1. Poème sous titré De Adventu Annibalis in adversa ripa Arelatensis agri [De l’arrivée d’Hannibal (v. note [29], lettre 525) sur la rive (du Rhône) opposée au pays d’Arles], fos 90 (numérotée 100)‑91 (101).

  2. Cet influent cardinal (mort en 1562, v. notule {a‑iii}, note [4] du Patiniana 4) avait été le mentor de l’auteur. L’épître dédicatoire, signée Amandus Cabassius (Chabassius), résume la vie de Quiqueran. Elle est précédée de son épitaphe par Martinus Brionæus.

  3. Paris, Lambertus Dodu, 1551, in‑fo de 91 feuilles ; réédition à Lyon, 1565 et 1614 : ouvrage d’érudition littéraire et historique sur le pays d’Arles.

4.

« de dormir tranquille en attendant. »

5.

V. note [29], lettre 318.

6.

Combat naval de Gabbard : v. note [37], lettre 318.

7.

« On colporte d’autres ragots, mais je ne m’y attarde ni ne les écris, parce qu’ils sont faux. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 juin 1653

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0319

(Consulté le 18/04/2024)

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