L. 323.  >
À Charles Spon,
le 8 août 1653

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 29e de juillet par la voie de M. Paquet [2] avec deux autres incluses, dont l’une était pour M. Garnier, [3] votre collègue, et l’autre pour M. Meyssonnier. [4] Le roi [5] est ici arrivé, de retour de Picardie, le jeudi dernier de juillet. On parle de l’accommodement de Bordeaux, [6] comment ils se veulent rendre au roi et sous quelles conditions prendre l’amnistie ; même, on dit qu’ils envoient exprès en la cour, des députés[1] L’armée du roi et celle des Espagnols, conduite par le prince de Condé [7] sont à quatre lieues l’une de l’autre, mais la rivière de Somme est entre deux. [2] M. Naudé [8] est si fort malade à Abbeville [9] qu’il y a reçu son dernier sacrement. J’en suis extrêmement en peine et n’y puis que faire. S’il y meurt, ce me sera un regret éternel d’avoir perdu un tel ami si malheureusement. On fait ici les préparatifs pour mener le cardinal de Retz [10] dans la citadelle d’Amiens. [11] Le vieux archevêque de Paris, [12] qui était à Pontoise [13] par commandement du roi, a eu permission de revenir à Paris, comme il y est de présent, fort cassé et fort abattu. Il a la pierre [14] dans la vessie, mais il dit qu’il aime mieux mourir que de permettre qu’on le taille. [15] Il est si vieux que, quoi qu’il fasse, il ne peut pas aller loin. On dit ici que l’on a découvert plusieurs faux monnayeurs [16] à Lyon, c’est une espèce de gens que je hais fort, graviter enim peccant isti nebulones in publica commoda ; [3] je voudrais que le dernier eût été écorché tout vif et que la race en fût morte.

Ce 2d d’août. Je viens d’apprendre la mauvaise nouvelle, dont j’avais grande appréhension, que notre bon ami M. Naudé est mort à Abbeville le mardi, 29e de juillet. J’en suis inconsolablement affligé et ne vous en puis écrire davantage, tant je suis outré et saisi de douleur. Curæ leves loquuntur, ingentens stupent[4][17] Je plains fort tous ses pauvres parents qui perdent extrêmement après lui. Je le regrette tout de bon, mais ce n’est pas pour mon intérêt, fors celui de l’amitié.

Je viens de mettre dans votre paquet un livre fort curieux que tout le monde admire ici, tant on dit qu’il est bien fait. L’auteur en est un Parisien fort goutteux nommé M. Costar, [18] grand archidiacre du Mans, homme fort poli. Le livre est dédié à M. de Balzac [19] et néanmoins, il est presque tout contre lui. Le titre du livre est Défense des ouvrages de M. de Voiture, etc[20] On imprime ici l’Aristippe ou de la Cour du dit M. de Balzac in‑8o, il sera dédié à la reine de Suède. [5][21] Mâle peste soit ce pays, je voudrais que Balzac y fût et que mon pauvre ami M. Naudé n’y fût jamais allé. M. Gassendi [22] m’a témoigné qu’il avait grand regret de ne vous avoir point vu en passant à Lyon. [23] On s’en va imprimer la Vie de Tycho Brahe [24] qu’il a faite. Plura alias[6] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 8e d’août 1653.

Je vous prie de présenter mes très humbles recommandations à MM. Gras, Falconet et Garnier, nos bons amis. Vous recevrez la présente par M. Guillemin [25] à qui j’ai fait réponse pour celle qu’il m’avait écrite.


a.

Ms BnF no 9357, fo 122, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 97 (tome ii, pages 1108‑1109). Note de Charles Spon en marge de l’adresse : « 1653./ Paris, du 8e août./ Lyon, le 13 dudit/ Rispost./ Adi 15 ditto. »

1.

Journal de la Fronde (volume ii, fos 245 ro et vo, Paris, 1er août 1653) :

« Le roi étant retourné en son armée, fut en personne, {a} l’après-dînée du 27, reconnaître les troupes des gardes avancées qui n’étaient qu’à la portée du mousquet de celle des ennemis. {b} Le même jour, on mit 1 500 chevaux dans Saint-Quentin pour leur couper les vivres et les obliger par ce moyen à quitter leurs postes ; et la nuit de ce jour-là, l’on prit une compagnie de 40 Croates de M. le Prince.

Le 30, {c} le roi partit du camp et fut coucher à Soissons, où la reine lui avait envoyé des relais {d} le jour précédent, avec lesquels Sa Majesté et Son Éminence arrivèrent ici hier au soir et apprirent en arrivant, par le sieur de La Roche Saint-Chamaran, qui venait de Bordeaux, que le prince de Conti y avait quitté l’écharpe rouge {e} et pris la blanche ; {f} que Balthazar avait fait son accommodement, par lequel il avait rendu à M. de Candale la ville de Tartas {g} et quelques autres places de petite importance, et pris parti dans l’armée du roi où il avait mené un régiment de cavalerie et un d’infanterie, faisant en tout cinq à six cents hommes ; et que le général Marchin demandait permission de se retirer en < pays de > Liège, < ce > qu’on fait ici beaucoup de difficulté de lui accorder ; et l’on parle seulement d’accorder l’amnistie aux Bordelais sans autre condition. »


  1. Aux camps de Saint-Algis puis de Ribemont.

  2. Les hispano-condéens.

  3. Le mercredi 30 juillet.

  4. Des équipages de relais.

  5. Du roi d’Espagne.

  6. Du roi de France.

  7. À mi-chemin entre Dax et Mont-de-Marsan, dans l’actuel département des Landes.

2.

Les derniers feux de la Fronde étaient en train de s’éteindre en Guyenne, mais la guerre franco-espagnole se poursuivait en Picardie, avec le prince de Condé à la tête des ennemis et le maréchal de Turenne à celle des armées de Louis xiv.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 246 ro et vo, Paris, 8 août 1653) :

« Le comte de Fuelsendagne ayant su que le roi était parti de son armée pour s’en revenir, s’est résolu de faire avancer la sienne dans la Picardie avec celle de M. le Prince qui l’en sollicite puissamment ; et pour cet effet, ils firent conjointement passer la rivière {a} à leurs troupes à Fonsommes, {b} lesquelles on fait monter à 28 000 hommes, dont une partie vont camper à demi-lieue de Noyon et l’autre marche droit à Roye que M. le Prince assiégea le 4 et la prit le lendemain à discrétion, les habitants lui ayant promis cent mille livres pour se racheter du pillage, dont on lui en paye une partie comptant et on lui donne des otages pour le reste. Tous les gentilshommes qui s’y étaient retirés furent faits prisonniers de guerre, et tous les grains et vins furent mis à discrétion. Il fit aussi contribuer 20 000 livres aux habitants de Montdidier pour s’exempter d’être pillés.

Dès la première journée de la marche des ennemis, les maréchaux de Turenne et de Senneterre décampèrent de Ribemont ; {c} et ayant fait marcher leur armée le long de la rivière d’Oise, furent camper à Fargniers, {d} entre La Fère et Chauny, où ayant appris que M. le Prince voulait assiéger Compiègne ou Noyon, ils jetèrent quatre régiments de cavalerie dans Compiègne et quelque infanterie dans Noyon, au moyen de quoi ils mirent ces deux places à couvert. Cependant, {e} M. le Prince décampa le 5 d’auprès de Noyon […], d’où les coureurs sont venus faire ravage jusqu’aux portes de Creil, 13 lieues d’ici mais on y envoya hier dix compagnies du régiment des gardes pour défendre les passages de la rivière d’Oise ; et M. de Turenne, qui a été joint par 2 000 chevaux allemands, lesquels lui ont été menés depuis huit jours, demande permission de livrer bataille aux ennemis, ce que toute son armée souhaite fort. Il est fâché contre M. de Bridieu, gouverneur de Guise, qui lui a refusé deux pièces de canon qu’il lui demandait. Les lettres d’Amiens d’hier ne portent autre chose, sinon que les ennemis n’avaient point fait de siège, qu’ils font mine de vouloir s’avancer deçà et que M. d’Elbeuf est allé à Arras pour exécuter un dessein d’entrer en Flandres, conjointement avec les gouverneurs de la frontière, pour y ravager le pays comme font les ennemis en Picardie ; mais plusieurs de ces gouverneurs ne peuvent pas se résoudre de lui obéir. »


  1. La Somme.

  2. Près de Saint-Quentin.

  3. 15 kilomètres à l’est de Saint-Quentin.

  4. Aujourd’hui Tergniers dans l’Aisne.

  5. Pendant ce temps.

3.

« ces vauriens pèchent en effet gravement à l’encontre du bien public ».

4.

« Les peines légères font parler, les immenses frappent de stupeur » (Sénèque le Jeune, Phèdre, vers 607).

5.

Défense des ouvrages de Monsieur Voiture. À Monsieur de Balzac {a} Conseiller du Roi en ses Conseils. {b}


  1. V. note [3], lettre 542, pour quelques autres rebondissements de l’âpre querelle littéraire qui opposait Jean-Louis Guez de Balzac et ses partisans, aux défenseurs posthumes de Vincent ii Voiture.

  2. Paris, Augustin Courbé, 1653, in‑4o de 176 pages.

L’auteur de cet ouvrage anonyme était Pierre Costar (Paris 1603-Le Mans 1660). Chanoine au Mans, il devait une réputation bien établie de bel esprit épicurien, érudit mais pédant, dans le monde des lettres aux flatteries et aux présents dont il comblait les personnages influents de la cour et du monde. Ami de Voiture, de Balzac, de Gilles Ménage, Costar était grand familier de l’hôtel de Rambouillet et des ruelles où les beaux esprits se rencontraient (v. note [4] du Faux Patiniana II‑4). Sa plume féconde n’a rien laissé dont l’intérêt ait résisté au temps. Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome ii, pages 292‑303).

Étienne Martin de Pinchesne (1616-1703), neveu de Voiture (mort en 1648), était un ami de Costar avec qui il animait une sorte d’académie bachique ; il avait édité en 1650 avec succès un recueil des lettres de son oncle, contre lequel Paul Thomas, sieur de Girac (v. note [3], lettre 542), avait écrit une dissertation adressée à Balzac, ennemi de Voiture. Costar intervenait alors en publiant sa Défense, mais sa dédicace à Balzac ne trompa personne. Le livre lui valut une pension de Mazarin et la polémique s’envenima : Girac se défendit dans un ouvrage auquel Costar répliqua (Suite de la Défense, 1655), ayant édité entre-temps les Entretiens de M. Voiture et de M. Costar (1654, v. note [16], lettre 340). Cette pitoyable querelle de cinq années fut arrêtée par un ordre de justice qui interdit tout nouvel écrit. Le chagrin que Balzac conçut de ces attaques aurait hâté sa mort (8 février 1654) ; v. note [7], lettre 303, pour son Aristippe.

6.

« Plus une autre fois. » V. note [29], lettre 211, pour la Vie de Tycho Brahe par Gassendi.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 août 1653

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(Consulté le 25/04/2024)

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