L. 326.  >
À Claude II Belin,
le 27 septembre 1653

Monsieur, [a][1]

Pour faire réponse à trois des vôtres, ce que je n’ai pu faire par ci-devant, empêché particulièrement d’un méchant rhumatisme [2][3] qui m’a fort incommodé et embarrassé, je vous dirai que, outre M. Naudé [4] mon bon ami qui est mort dans Abbeville [5] d’une fièvre continue [6] avec assoupissement, le 29e de juillet, nous avons encore perdu le grand et incomparable M. de Saumaise [7] qui est mort en deux jours à Spa [8] où il était avec sa femme, [9] à prendre des eaux, âgé de 65 ans passés. M. le garde des sceaux de Châteauneuf [10] mourut hier du matin à Leuville, [11] à neuf lieues d’ici, âgé de 76 ans. [1] Toutes ces morts d’honnêtes gens m’étonnent fort et me causent grande tristesse en l’esprit. [2]

Je sais bien que votre affaire contre Bailly [12] a changé de face, que M. Voisin, [13] gendre de feu M. Talon [14] l’avocat général, est allé en Auvergne y être intendant[3] et que vous avez un autre rapporteur vers lequel je n’ai nulle connaissance. C’est monsieur votre beau-frère qui me l’a dit céans. J’espère qu’un barbier [15] ne fera point changer l’ordre ni ne renversera pas les droits des universités qui sont fondées sur le bien public.

Le roi [16] est à Compiègne [17] d’où il partira dans quelques jours pour aller à Soissons [18] et delà à Châlons. [19] Le prince de Condé [20] et le prince de Conti [21] sont fort mal ensemble : on dit que ce dernier vient à Paris le mois prochain pour s’accorder avec le Mazarin [22] et épouser une de ses nièces ; [23][24] si cela n’est vrai, il est gaillard[4] Les Hollandais n’ont pu s’accorder avec les Anglais, ils s’apprêtent de part et d’autre à une nouvelle guerre. [5][25] On imprime ici un nouveau livre, qui sera fort curieux, de M. Riolan [26] contre Thomas Bartholin, [27] lequel sera achevé vers la Saint-Luc[28] On imprime à Lyon un livre de médecine fait par un Espagnol nommé Bravo [29] qui s’est particulièrement employé à réfuter Van Helmont. [6][30] Je vous baise les mains, et à tous Messieurs nos amis, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 27e de septembre 1653.


a.

Ms BnF no 9358, fo 147, « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxix (tome i, pages 199‑200).

1.

V. note [1], lettre 327, pour plus de détails sur la mort de Claude i Saumaise. Charles de l’Aubespine, marquis de Châteauneuf, alors en disgrâce (v. note [3], lettre 296), mourut dans son château de Leuville, commune de l’actuel département de l’Essonne, au sud de Montlhéry. Né en 1580, il était âgé de 73 et non 76 ans.

2.

Étonner : accabler.

3.

Daniel ii Voisin, deuxième fils de Daniel i et frère de Charles (v. note [17], lettre 604), seigneur du Plessis-aux-Bois, de La Butte, etc., avait été reçu conseiller au Grand-Conseil en 1640 puis maître des requêtes en 1646. Intendant de justice en Auvergne puis en Champagne, il fut élu prévôt des marchands de Paris de 1662 à 1668. Mort en 1693, il avait épousé en secondes noces Marie Talon (morte en 1711), fille d’Omer ii Talon et de Françoise Doujat (Popoff, no 2498).

Tout ce paragraphe fait de nouveau allusion au procès qui s’éternisait entre les médecins de Troyes et le chirurgien Nicolas Bailly (v. note [1], lettre 257).

4.

Guy Patin avait tort de se gausser : le prince de Conti allait épouser Anne-Marie Martinozzi (Rome 1639-Paris 1677), aînée des deux filles de Girolamo Martinozzi, majordome du cardinal Barberini, neveu du pape Urbain viii, et d’une sœur du cardinal Mazarin, Laura Margarita Mazzarina (1608-1685). Anne-Marie était arrivée à Paris en septembre 1647 en compagnie de ses cousines, Laure et Olympe Mancini. Peu de temps après que Laure eut épousé le duc de Mercœur, Anne-Marie fut demandée en mariage par le prince de Conti qui venait d’abandonner à Bordeaux les restes de la Fronde vaincue, s’était retiré dans son gouvernement de Languedoc et aspirait à la paix. Ce fut son poète familier, Jean-François Sarrazin, qui lui suggéra l’idée de cette union et quoiqu’il répugnât d’abord au frère de Condé et de Mme de Longueville d’épouser la nièce de leur ennemi personnel, il finit par le désirer vivement. De son côté, la nièce du cardinal eût préféré le duc de Candale qui l’avait antérieurement demandée ; mais on fit taire ses préférences, tant il importait au ministre de s’allier à un prince du sang. Le mariage fut célébré en grande pompe à Compiègne le 21 février 1654.

Mme de Motteville (Mémoires, page 442‑443) :

« Le prince de Conti, après la guerre, se voyant exilé et mal à la cour, quitta ses bénéfices {a} et fit demander Mlle de Martinozzi pour lui-même, s’estimant heureux de devenir le neveu de celui qu’il avait haï et méprisé pour ami. Cette alliance ne parut pas d’abord convenir à la grandeur et à la naissance de ce prince ; mais l’éclat de la fortune du cardinal était si grand qu’il pouvait, en effaçant la bassesse de sa race, élever sa famille à la participation des plus suprêmes dignités. Le prince de Conti trouva plusieurs avantages dans le choix qu’il fit de Mlle de Martinozzi car, avec de la beauté, elle avait beaucoup de douceur dans l’humeur, beaucoup d’esprit et de raison. Ces qualités si agréables à un mari ont été perfectionnées par sa piété qui a été si grande qu’elle a eu l’honneur de suivre le sien dans le chemin austère de la plus sévère dévotion ; mais elle a eu cet avantage sur lui qu’elle a donné à Dieu une âme toute pure et dont l’innocence a servi de fondement à sa vertu, à l’amour qu’elle a eu pour lui, à l’estime qu’elle a faite de ses bonnes qualités et à la reconnaissance qu’elle a eue de l’honneur qu’il lui avait fait. »


  1. Ecclésiastiques.

La princesse de Conti, en effet, n’eut pas l’existence tapageuse de ses cousines ; elle était pieuse, austère même et portée au jansénisme, sous l’influence de sa belle-sœur Mme de Longueville. Comblée de richesses et d’honneurs, elle aurait vécu plus volontiers dans un couvent qu’à la cour si on l’eût laissée libre de suivre ses goûts. Ce fut surtout après une maladie dont elle faillit mourir que ses idées mystiques s’exaltèrent. Elle réforma ses toilettes, renonça aux bijoux et décida son mari à vivre dans le mariage comme dans le célibat. Devenue veuve à 29 ans, elle refusa de se remarier afin de se livrer tout entière à ses pratiques de dévotion. Frappée d’apoplexie, elle ne survécut que quatre ans au prince de Conti. Anne-Marie Martinozzi eut deux fils : l’aîné, Louis-Armand (1661-1685), épousa Mlle de Blois, fille de Louis xiv et de Mlle de La Valliére, et mourut à 24 ans ; le second, François-Louis (1664-1709), fut prince de La Roche-sur-Yon (G.D.U. xixe s.).

5.

Les négociations entamées pour terminer la guerre navale anglo-hollandaise se heurtaient au refus que les Provinces-Unies opposaient à toutes les propositions d’alliance et même d’intégration au Commonwealth que leur faisait Cromwell pour ôter aux Espagnols ce qu’il leur restait de puissance maritime et coloniale, mais les hostilités ne reprirent pas.

6.

V. notes [16], lettre 308, pour la troisième série des Opuscula nova anatomica de Jean ii Riolan, et [6], lettre 324, pour les Resolutiones medicæ… de Gaspar Bravo.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 27 septembre 1653

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(Consulté le 24/04/2024)

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