L. 335.  >
À Charles Spon,
le 30 décembre 1653

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le 16e de décembre, laquelle était de cinq pages. Depuis ce temps-là, on dit que le roi [2] ira au Palais pour le procès de M. le Prince [3] et pour de nouveaux impôts, [4] et que le prince de Conti [5][6] viendra bientôt pour épouser une des nièces du Mazarin. [1][7][8][9] Ceux de Toulouse [10] ont donné arrêt contre l’intendant qu’on leur a envoyé, [11] lui faisant commandement de sortir de la province, etc. Le Conseil a cassé cet arrêt et a envoyé tout exprès un huissier de la chaîne, portant interdiction au parlement et commandement au premier président[12] au procureur général et au conseiller rapporteur de venir à la cour répondre de leurs faits. Ils n’ont pas pris le chemin de se soumettre à ce nouvel arrêt que le parlement a cassé par un autre. Nouveau commandement a été fait à l’intendant de sortir de la province et défenses au premier président, au procureur général et au rapporteur de désemparer la ville. [2] Le parlement a tant plus hardiment pris cette résolution qu’il en est d’accord avec les états de la province, [13] qui coniunctis viribus agunt [3] contre ces nouvelles entreprises du Conseil, lesquelles ne tendent qu’à avoir de l’argent, et eux travaillent au soulagement de leur province.

M. le chancelier [14] a été au Palais de la part du roi pour commencer le procès du prince de Condé, à la charge que le roi même y viendra quand il sera besoin. Votre chirurgien Lombard [15] a été examiné, approuvé et reçu par quatre médecins et quatre chirurgiens qui avaient été nommés par M. le procureur général du Grand Conseil, chez lequel et près duquel il a infailliblement trouvé puissante faveur. [4] Il est ici mort un vieux jésuite nommé le P. Dinet [16] qui était confesseur du roi[5] Voilà une bonne place vacante pour un moine [17] qui voudra se damner dans le désordre qui règne aujourd’hui à la cour.

Le bâtiment nouveau du Bois de Vincennes [18] est achevé. [6] On croit que le roi ira y demeurer le mois prochain, mais l’on dit que l’on en enlèvera auparavant le cardinal de Retz ; [19] on parle de Pierre-Ancise. [7][20] Le pape [21] a nouvellement écrit pour sa liberté au roi, à la reine [22] et au Mazarin, quid autem sint præstitura isthæc pontificia diplomata, adhuc nescitur[8] On dit que le roi a envoyé prier M. le duc d’Orléans [23] de venir à la cour, que s’il n’y vient on lui fera commandement de sortir du royaume. D’autres disent que M. le duc d’Anjou [24] ira lui-même en personne l’en inviter et le quérir à Blois. [25] On dit que le prince de Condé est encore malade ; même, Guénault [26] dit qu’il a pris trois fois de l’antimoine. [27] Je m’étonne, si cela est, comment il n’en est pas mort ; c’est peut-être par la règle d’Ausone [28] lorsqu’il parle de cette femme adultère, laquelle voulut empoisonner son mari : [29]

Et quum fata volunt, bina venena iuvant[9]

On dit ici que trois médecins de la ville de Reims [30] ont été mandés à Rocroi [31] pour l’y voir, qu’ils l’ont trouvé fort enflé (en fût-il bien crevé !) et qu’ils ont fort mauvaise opinion de sa guérison. Il a encore la fièvre quarte [32] avec grande disposition à hydropisie. [33] Quelque ancien a dit que les venins étaient bons à quelque chose et que l’on avait trouvé par expérience qu’au moins servaient-ils dans un État à se défaire de quelques tyrans. Bon Dieu ! cet homme échapperait-il de ses maux après avoir pris de l’antimoine qui en a tué tant d’autres ?

La troupe stibiale et stygiale [10][34][35] est ici fort scandalisée de la Légende [36][37] que je vous envoyai dans ma dernière. Ils sont fort en peine d’en découvrir l’auteur afin de le mettre en procès et d’en tirer réparation d’honneur. Qui qu’il soit, je ne le tiens pas fort bien caché puisque cela a passé par les mains de l’imprimeur [38] qui, pour quelque récompense pécuniaire, le peut déceler. Plusieurs en ont été soupçonnés ; j’en ai eu ma part, mais le soupçon a passé et est allé sur d’autres. Il est encore fort malaisé de savoir qui en est le vrai auteur, combien que celui que je vous ai mandé en soit plus soupçonné. [11] La pièce est un peu trop basse et chétive pour ce que méritent ces infâmes et lâches âmes qui, pour de l’argent ou des promesses, se sont laissé gagner à Guénault et ont signé que l’antimoine [39] est un remède innocent. O mores ! o tempora ! exclamet Melicerta periisse frontem de rebus[12][40][41] On leur apprête des réponses, ils seront traités à l’avenir comme ils méritent.

Ce 26e de décembre. M. Du Prat [42] m’est aujourd’hui venu voir, qui se recommande à vos bonnes grâces. Nous avons été une heure ensemble, il avait quelque dessein d’acheter une nouvelle charge qui n’est pourtant pas encore établie et laquelle ne vaudra jamais rien, qui est de médecin par quartier chez M. le duc d’Anjou, frère du roi. C’est une nouvelle invention que des princes aient des médecins par quartier ; il n’y a jamais eu que le roi qui en a eu. Cela n’a rien valu et n’a pu réussir chez le duc d’Orléans, d’autant que nous n’avons pas voulu consulter avec eux, [43] quelque jussion que le duc d’Orléans nous en ait faite ; [13] ce qu’on fera chez le duc d’Anjou ne vaudra jamais mieux. Même, c’est aujourd’hui une chétive charge chez le roi, d’autant que depuis huit ans ils n’ont rien reçu de leurs gages et qu’il faut suivre le roi tous les ans en quelque pays qu’il aille et ainsi, abandonner la pratique de la ville qui est plus sûre et toujours bonne. Je lui ai ôté cette fantaisie de l’esprit et crois lui avoir rendu un bon service. Il peut colloquer son argent en meilleur endroit car il ne le peut pis mettre qu’à la cour, ubi omnia sunt incerta et infida[14] Un homme de bien, sage et réglé, ne doit point penser à la cour ; joint qu’à cause de sa religion, [15] il aurait de la peine à y être reçu. Exeat aula qui volet esse pius[16][44] Si on m’avait donné une de ces charges pour rien, je n’en voudrais point. Alterius non sit qui suus esse potest[17] les chimistes [45] donnent cette devise à Paracelse [46] qui n’a jamais été qu’un imposteur ; il vaut mieux qu’un honnête homme la prenne pour soi.

J’ai aujourd’hui reçu deux petits livrets imprimés à Londres qu’un mien ami m’a envoyés du même lieu. Voici le titre du premier : Observationes Medicæ de affectibus omissis, auct. Arnoldo Bootio, Medicinæ Doctore, antehac Proregis, Ordinum, atque Exercituum Hiberniæ Archiatro, iam vero Lutetiæ Parisiorum Medico clarissimo, Londini, 1649 ; [18][47] sur quoi je vous donne avis que ce clarissime ne vit jamais guère clair, c’était un grand Hollandais qui avait les yeux fort enfoncés et le nez aigu, âgé d’environ 54 ans, qui, faute de pratique, après avoir tué ici sa femme et deux siens enfants cum stibio[19] s’en est retourné en Angleterre, n’ayant pu rien trouver, ni dans Paris, ni dans le faubourg de Saint-Germain, [48] qui le pût arrêter. J’ai vu plusieurs malades qu’il avait vus, mais il ne prenait point le chemin de les guérir, il est médecin comme je suis capitaine. Voilà comment il a ici été clarissime, mais le papier souffre tout, aussi bien que la gazette antimoniale de M. Eusèbe. [20][49][50] Voici le titre du second : Angliæ flagellum, seu Tabes Anglica, numeris omnibus instructa : ubi omnia quæ ad eius tum cognitionem cum curationem pertinent, dilucide aperiuntur, auctore Theophilo de Garencieres, D. Medico ; Londini, 1647[21][51][52] C’est de cette espèce de phtisie que les Anglais appellent maladie de consomption[53] a marcore et siccitate pulmonis[22]

Je viens d’apprendre de bonne part que le comte d’Harcourt [54] a refait son accord avec le roi, qu’il rend ses villes et quitte toutes ses prétentions sur Brisach [55] et Philippsbourg [56] au roi, moyennant La Fère [57] qu’on lui donne, avec 100 000 écus, le gouvernement d’Auvergne et deux abbayes pour son fils ; [58] mais on dit que le duc d’Orléans ne veut bouger de Blois et d’Orléans, [59] et qu’il ne veut point venir à la cour tandis que le Mazarin y sera.

Je ne sais si votre M. Rigaud [60] travaille au manuscrit de feu notre bon ami M. Hofmann, [61] mais je n’en ai reçu aucune épreuve[23] M. Piget [62] même m’a dit qu’il n’en avait rien reçu. J’aimerais mieux qu’il me dît tout d’un coup s’il n’a point envie de le faire, je ne m’y attendrais plus et peut-être que nous en pourrions bien trouver quelque autre.

Il court ici un bruit d’un voyage que le roi veut faire à Rouen, [63] que je crois pourtant être fort incertain ; on dit que c’est pour ôter le gouvernement de Normandie à M. de Longueville, [64] duquel on est malcontent.

Le prétendu accord des Anglais et des Hollandais est rompu, [65] et y a grand changement en l’affaire. La chance a tourné, les Anglais pensaient être les plus forts, mais il y a du rabais : la reine de Suède, [66] en laquelle ils espéraient beaucoup, s’est rangée avec le roi de Danemark [67] contre eux, pour les Hollandais, ce qui donne grand changement à l’affaire.

Enfin le chirurgien Lombard a été examiné, approuvé et reçu. Il fait son compte de partir dans trois jours ; il m’a promis de vous porter ce que je lui donnerai, qui sera un autre livre de M. Riolan, [68] pour celui que vous avez envoyé à M. Musnier [69] à Gênes, [70] et trois livres de M. Chifflet [71] contre la poudre fébrifuge, [72] laquelle est ici tout à fait hors de crédit, n’ayant rien fait de tout ce que les jésuites [73] en avaient promis. [24] Vous savez que le bon Joseph Scaliger, [74] qui se connaissait en gens et qui a été en tout un homme incomparable, novam hince dæmoniorum catervam vocabat mendacissimum hominum genus : [25] ces gens-là ne mentent que pour gagner et pour tromper quelqu’un. Des trois libelles, l’un sera pour vous, le deuxième pour M. Gras et l’autre pour votre ami qui en a tant envie, avec mes baisemains, s’il vous plaît.

Ce 29e < de > décembre. Rolandus Maresius, author epistolarum philologicarum[26][75] qui est un petit livret in‑12 que je vous ai par ci-devant envoyé, mourut hier ici d’une fièvre continue [76] ex diaphthora pulmonis[27] âgé de 60 ans. Il en avait deux autres volumes tout prêts d’être mis sous la presse, ce qui pourra se faire par après. Il était beau-frère du vieux M. Merlet. [28][77][78][79]

Je vous envoie l’épigramme qu’a faite M. Ogier [80] le prédicateur sur L’Antimoine triomphant du Gazetier[29] Tant de gens lui en demandaient des copies qu’il a mieux aimé le faire imprimer. L’épigramme a une approbation universelle, comme l’antimoine [81] est ici universellement détesté de tous les honnêtes gens, n’ayant plus pour son parti que les charlatans, [82] empiriques, [83] apothicaires [84] et autre telle canaille.

Depuis quelques jours est ici morte une très riche femme, veuve d’un fameux partisan, c’est Mme de Bretonvilliers. [30][85][86] Elle eut quelque tremblement et se plaignit de la tête, on la mit sur un lit (elle était alors en visite chez la duchesse de Lorraine), [31][87] on lui donna un lavement [88] laxatif dans lequel on ajouta quatre onces de vin émétique, [89][90] cela la fit aller par haut et par bas ; de plus, on lui donna de ce même poison par la bouche (a vomitu gravatur caput), [32] il s’en ensuivit une fort grande évacuation ; la tête se chargea fort et < elle > mourut au même lieu en six heures. Je tiens pour certain que l’antimoine l’a tuée. Les charlatans, qui pensent s’excuser, allèguent qu’elle avait un abcès à la tête ; [91] si cela était (mais elle n’a pas été ouverte), on lui a donc très mal à propos donné de l’antimoine. Ses quatre opérateurs furent < Le > Vignon, [33][92][93] Guénault, des Fougerais [94] et le Gazetier ; c’est le premier des quatre qui m’a conté tout cela aujourd’hui, non sine sensu peccati[34] Et voilà comment ces Messieurs les antimoniaux se jouent de la vie des hommes et comme impunément ils envoient en l’autre monde leurs pauvres malades avec leur poison, sous ombre d’avoir des remèdes secrets et particuliers, qui sont des termes de charlatans, a quibus decipiuntur idiotæ, tam togati quam tunicati[35] Les grands veulent être trompés et les petits ne sauraient s’empêcher de l’être.

Mais nous voilà enfin parvenus à la fin de mes quatre pages, aussi bien que de l’an 1653. Je vous souhaite toute sorte de contentement et de prospérités pour l’an prochain. Je vous demande très instamment la continuation de votre amitié et de vos bonnes grâces, et de mademoiselle votre femme, et vous supplie de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 30e de décembre 1653.

Je vous prie de dire à M. Falconet que j’ai reçu son livre de la Messe du P. Théophile Raynaud [95] et que je l’en remercie très humblement, [36] je tâcherai de lui écrire bientôt. Vous m’obligerez pareillement de faire mes recommandations à MM. Gras et Garnier, comme aussi à M. Paquet quand vous le verrez, et à M. de Gonsebac.


a.

Ms BnF no 9357, fos 135 et 137 (v. note [a], lettre 253, pour le fo 136) ; Reveillé-Parise, no cclii (tome ii, pages 94‑99) ; Jestaz no 105 (tome ii, pages 1154‑1159).

Des fragments de cette lettre ont servi à forger celle dont la suppression est expliquée dans la note [34] de la lettre du 30 décembre 1650.

1.

V. notes [10], lettre 332, et [35], lettre 334, pour le procès du prince de Condé, et [4], lettre 326, pour Anne-Marie Martinozzi, future épouse du prince de Conti.

2.

Désemparer : abandonner la ville. Claude Bazin de Bezons (v. note [18], lettre 311), créature de Mazarin, était l’intendant de justice en Languedoc que le roi envoyait, fin 1653, pour remplacer Louis Le Tonnelier de Breteuil. Après son installation difficile, Bazin demeura en charge jusqu’en 1673.

3.

« qui combinent leurs forces ».

C’était la répression préventive des dernières étincelles frondeuses. Le 21 juin 1653, le roi avait nommé Gaspard de Fieubet premier président du parlement de Toulouse, contre les votes de ses collègues. « De leur côté, les intendants, se jouant des arrêts de révocation du parlement, reparaissaient en Languedoc, soutenus par l’autorité du roi qui avait confirmé cette institution de Richelieu et imposé cette évolution. Tout commençait à plier sous sa main. Quelques agitations dans les villes de Saint-Pons, de Nîmes, d’Uzès et de Montpellier, nées des prétentions rivales des grandes compagnies judiciaires, des exigences des intendants et de l’indiscipline des troupes, expirèrent à la voix du prince de Conti réconcilié avec la cour et de passage en Languedoc. La misère n’avait jamais été plus grande, et jamais les états et le parlement ne montrèrent plus de zèle à soulager les souffrances du peuple. Mazarin, qui n’aimait guère ces unions de compagnies supérieures et qui s’irritait de voir le parlement refuser l’enregistrement de lettres patentes ou d’édits aliénant les biens de la Couronne, blâma hautement le parlement et les états, et fit savoir à la province de Languedoc que, s’il le fallait, le roi lui-même irait à Toulouse avec son armée remettre les choses en ordre et affermir la paix. Le parlement s’inclina en faisant sentir au roi qu’il avait, plus que lui peut-être, le souci de ses biens et de l’intérêt de son royaume » (Jean-Baptiste Dubédat, Histoire du parlement de Toulouse, Paris, Arthur Rousseau, 1885, tome ii, chapitre xi, pages 264‑265).

4.

V. note [58], lettre 332, pour le jeune chirurgien Lombard, originaire de Troyes, qui avait plaidé en appel à Paris pour être admis à exercer à Lyon, malgré l’opposition du Collège des médecins.

5.

La Gazette, ordinaire no 157, de Paris le 27e décembre 1653 (page 1268) :

« Le même jour, 22e, mourut d’hydropisie, en la maison professe des jésuites de cette ville, le Père Dinet {a} confesseur du roi, fort regretté de sa Compagnie à cause de ses vertus et de sa doctrine qui l’avaient rendu digne des plus importants emplois de son Ordre, aussi bien que du choix que deux des plus grands de nos monarques {b} avaient fait de sa personne pour leur confesseur. »


  1. V. note [8], lettre 312.

  2. Louis xiii et Louis xiv.

6.

Mazarin, gouverneur du château de Vincennes depuis 1652, avait confié à l’architecte Le Vau un grand programme pour transformer toute la partie sud de l’enceinte en une somptueuse résidence royale (1653-1658) : le réaménagement du pavillon du roi (sud-ouest), construit par Marie de Médicis après la mort de Henri iv, venait de s’achever ; la suite allait aboutir à la construction du pavillon symétrique de la reine (sud-est, à côté de la chapelle). Malgré tous ces embellissements, Louis xiv allait entièrement délaisser Vincennes pour Versailles au début des années 1670.

7.

Prison de Lyon, v. note [10], lettre 325.

8.

« à qui on ne sait pas encore si ces missives pontificales auront même été présentées. »

9.

« Et si le sort s’en mêle, deux poisons pris ensemble deviennent secourables » (Ausone, v. note [2], lettre 293).

Ausone (Decimus Magnus Ausonius, Bordeaux vers 309-394), précepteur de l’empereur Gratien, a mené une brillante carrière consulaire et a laissé une œuvre poétique pleine d’esprit (ici la 10e de ses 146 épigrammes), bien qu’écrite en un latin jugé dur, incorrect et presque barbare. V. note [23] du Faux Patiniana II‑2 pour ses œuvres complétes éditées par Élie Vinet et Joseph Scaliger (Bordeaux, 1590).

10.

Antimoniale et meurtrière : adjectifs dérivés de stibium (antimoine, antimonial) et de Styx (v. note [28], lettre 334) ; Littré DLF a utilisé cette expression de Guy Patin pour définir stygial.

11.

V. notes [11], lettre 333, et [55], lettre 348, pour la Légende de l’antimoine que Guy Patin se défendait vigoureusement d’avoir lui-même écrite et attribuait à Jean Merlet.

12.

« Ô mœurs ! ô temps ! Mélicerte s’écrierait qu’il n’existe plus de pudeur. »

Le début de la citation est de Cicéron (v. note [52], lettre 292), et la fin est de Perse (Satire v, vers 103‑104), mais ne s’adapte au propos de Patin que si on la prolonge (vers 98‑104) :

Publica lex hominum naturaque continet hoc fas,
Ut teneat vetitos inscitia debilis actus.
Diluis helleborum, certo compescere puncto
Nescius examen : vetat hoc natura medendi.
Navem si poscat sibi peronatus arator,
Luciferi rudis,
exclamet Melicerta perisse
Frontem de rebus.

« Le droit public, la loi naturelle, nous disent : “ Abstenez-vous des emplois que l’ignorance et la faiblesse vous ont intedits. ” Préparez-vous de l’ellébore {a} sans savoir à quel point il faut fixer la balance pour le doser ? La médecine vous en fait un crime. Si un laboureur en guêtres demandait la conduite d’un navire sans se connaître aux astres, Mélicerte {b} s’écrierait qu’il n’existe plus de pudeur. » {c}


  1. V. note [30], lettre 156.

  2. Cornelius Schrevelius sur Mélicerte dans son édition critique de Perse (Leyde, 1664, v. note [72] des Déboires de Carolus), page 583 :

    Fuit Inus et Athamantis regis Thebarum filius, cui, cum pater Athamas furiosus, matrem persequeretur, una, cum matre se in mare præcipitem dedit, et miseratione Deum in marina numina transmutati. Quasi ille ægre ferat suam ditionem, mare, ab rudibus adeo, et imperitis navigari.

    [Il était fils d’Ino et d’Athamas, roi de Thèbes. {i} Comme son père, Athamas en furie, poursuivait sa mère, il se précipita dans la mer avec elle ; et Jupiter, par commisération, en fit un des dieux marins. Le poète invoque la difficulté de Mélicerte à supporter que des gens grossiers et inexpérimentés naviguent sur la mer, son royaume].

    1. En Béotie, v. notule {b}, note [52] du Faux Patiniana II‑7.

  3. Mise en exergue du passage emprunté par Guy Patin ; traduction de l’abbé Le Monnier (1771) qui m’a paru la plus fidèle et spirituelle de celles que j’ai regardées.

13.

Guy Patin employait ici « jussion » dans le sens atténué de simple injonction écrite, invoquant le refus de sa Faculté que des médecins d’autres universités que Paris (celle de Montpellier, tout particulièrement) obtinssent le droit d’y exercer, sous ombre qu’ils servaient un prince du sang royal.

14.

« où tout est incertain et déloyal. »

15.

Le calvinisme d’Abraham Du Prat (v. note [27], lettre 152).

16.

« Que celui qui veut rester honnête quitte la cour » (Lucain, v. note [33], lettre 104).

17.

« Que se garde d’appartenir à un autre celui qui est capable d’être à lui-même », est en effet donné partout pour la fière devise de Paracelse et des paracelsistes.

18.

« Observations médicales sur les maladies que les Anciens ont omises, par Arnold Boot, docteur en médecine, naguère premier médecin du vice-roi, des troupes et armées d’Irlande, désormais très distingué médecin de Paris, Londres, 1649 » (v. note [9], lettre 236).

19.

« avec l’antimoine ».

20.

L’Antimoine justifié… d’Eusèbe Renaudot (v. note [21], lettre 312).

21.

« Le Fléau de l’Angleterre, ou le tabès anglais, présenté sous toutes ses formes, où est mis au grand jour tout ce qui concerne autant sa connaissance que sa guérison, par Théophile de Garencières, docteur en médecine ; Londres, 1647 » (in‑12).

Théophile de Garencières, natif de Paris, avait pris à l’âge de 20 ans le grade de docteur à l’Université de Caen, vers 1635, pour passer ensuite en Angleterre. Il y abjura la religion catholique et, en 1657, se fit agréger à l’Université d’Oxford. Il s’établit alors à Londres où il devint médecin de l’ambassadeur de France. La fortune ne lui sourit pas car il mourut vers 1670 dans cette ville, accablé par la pauvreté (Z. in Panckoucke). Outre son Angliæ flagellum, il a notamment publié :

22.

« par putréfaction et assèchement du poumon. »

Consomption, tabès (v. note [9], lettre 93), phtisie (v. note [3], lettre 66) et marsame (v. note [27], lettre 446) sont quatre synonymes qui ont longtemps désigné l’actuelle tuberculose (v. note [6], lettre 463) dans sa forme la plus évoluée. Sa forme anglaise, sur laquelle avait disserté Théophile de Garencières (Angliæ flagellum, 1647, v. supra note [21]), était le rachitisme (v. note [6], lettre 463).

23.

Guy Patin et Charles Spon n’étaient toujours pas venus à bout de l’édition des Chrestomathies de Caspar Hofmann qu’ils avaient confiée au libraire Pierre Rigaud de Lyon : v. note [1], lettre 274.

24.

V. notes [16], lettre 308, pour la troisième série des Opuscula nova anatomica de Jean ii Riolan, et [9], lettre 309, pour le livre de Jean-Jacques Chifflet à propos du quinquina ou poudre fébrifuge des jésuites.

25.

« appelait [les jésuites] nouvelle troupe de démons et genre d’hommes le plus menteur ».

26.

« Roland Desmarets [de Saint-Sorlin], l’auteur des Lettres philologiques » : v. note [18], lettre 240, pour son livre et les deux lettres à Guy Patin qu’il contient (incluses dans notre édition en août 2021).

27.

« due à une putréfaction [διαφθορα] du poumon ».

28.

Jean Merlet avait épousé Jeanne Desmarets, sœur de Roland et de Jean.

29.

L’épigramme de François Ogier {a} contre l’antimoine, De Stibio triumphante [Sur l’Antimoine triomphant], a été insérée et traduite par Jacques Perreau dans son Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (1re partie, page 24‑25) : {b}

Nunc licet aurato ascendat Capitolia curru,
Nunc albis stibium iure triumphet equis :
Plaudite fumosi Ciniflones, plaudite Agyrtæ ;
Inter qui cedat, credat, nullus erit :
Victoris tanti meritis obstare triumphis
Tot cæsis hominum millibus, invidia est
.

« L’antimoine aujourd’hui, dedans un char doré,
Triomphe en chevaux blancs et monte au Capitole :
Souffleurs, gens de néant, qu’au ciel votre cri vole,
Du triomphe à bon droit, il doit être honoré ;
Après avoir ôté à tant d’hommes la vie,
Empêcher ce vainqueur, c’est une pure envie. »


  1. François Ogier (v. note [5], lettre 217) avait eu l’idée de composer ces quelques vers en discutant avec Guy Patin, qui les avait recopiés pour André Falconet dans sa lettre du 10 novembre 1653 en y ajoutant les quelques mots d’Ogier (v. sa note [5]).

  2. Paris, 1654, v. note [3], lettre 380.

Perreau, sur la fin de son Rabat-joie, écrit encore (2de partie, page 83) :

« Ainsi pour finir en la même pensée que l’épigramme de M. Ogier par lequel nous avons commencé, nous pouvons assez à propos appliquer ici cet autre d’un très excellent poète.

In Stibium triumphans,
Epigramma
. {a}

More triumphabat, sed decernente Senatu,
Millia sex olim quo duce cæsa forent.
Iure triumphat nunc, sed decernente Renodi,
Quod Stibium letho millia mille dedit.
Iure illo Pestes, atque impia Bella triumphent,
Dira Fames, hominum cunctaque nata malo
.

« Par ordre du Sénat, celui-là {b} triomphait,
Qui de six mille morts avait jonché la terre.
Renaudot à son vin l’ordonne à meilleur droit,
Dont cent mille sont morts, que le cercueil enserre.
La peste donc, la guerre et la famine aussi,
Et tout ce qui nous nuit, triompheront ainsi. »


  1. « Épigramme triomphant[e], contre l’antimoine. »

  2. Par « celui-là », les deux premiers vers désignent le général à qui le Sénat romain accordait les honneurs du triomphe (v. note [4], lettre 330).

30.

Marie Acarie, fille de Jean-Marie Acarie, sieur de La Porchère, était depuis 1645 la veuve de Claude Le Ragois, sieur de Bretonvilliers, secrétaire du roi, qui avait été intéressé dans les fermes en 1631.

Tallemant des Réaux (Historiettes, Mmes de Bretonvilliers, tome ii, pages 654‑655) dit de lui :

« Un nommé Le Ragois, d’une honnête famille d’Orléans, se mit dans les affaires, fut secrétaire du Conseil et fit une prodigieuse fortune ; {a} c’est lui qui a bâti cette belle maison à la pointe de l’île Notre-Dame {b} qui, après le sérail, est le bâtiment du monde le mieux situé. {c} C’était un assez bon homme et assez charitable ; mais je ne crois pas qu’on puisse gagner légitimement 600 000 livres de rente, comme on dit qu’il avait. À la vérité, je crois qu’il y avait de méchant bien parmi cela ; d’ailleurs, un secrétaire du Conseil qui se mêle de partis est punissable. »


  1. Claude Le Ragois et son frère Bénigne étaient associés en affaires (Bayard).

  2. L’île Saint-Louis.

  3. Aujourd’hui détruit.

La veuve de Claude Le Ragois, dont parlait ici Guy Patin, était morte le 20 décembre 1653. Le Journal de Jean Vallier donne le fin de cette tragi-comédie (tome iv, pages 383‑385) :

« Encore que la mort soit une chose fort naturelle et fort commune, et que les hommes ne naissent que sous cette dure et inévitable condition de mourir, les subites et les précipitées ont, sans doute, je ne sais quoi de plus affreux et de plus étonnant que les autres. Parmi quantité de personnes qui moururent sur la fin de cette année au temps qu’elles pensaient se mieux porter, Mme de Bretonvilliers, veuve d’un secrétaire du Conseil, fut la plus remarquable en ce que, étant allée, le 20e de décembre, après dîner, chez Mme la duchesse de Lorraine, extrêmement ajustée {a} et dans le dessein d’épouser le duc de Bournonville {b} le même jour ou le lendemain, elle tomba dans une apoplexie de sang si prompte et si violente qu’à peine eut-elle la force de demander un prêtre pour se confesser ; et mourut sur le lit de cette princesse incontinent après, sans avoir eu le temps de disposer de ses grands biens, ni de penser sérieusement à sa conscience. Elle s’était résolue à ce mariage, quoique déjà fort avancée en âge, non tant par la considération de la naissance de ce jeune seigneur flamand réfugié et de longue main attaché aux intérêts de la France, que pour se mettre à couvert et s’exempter du paiement de deux ou trois cent mille livres, {c} que le roi lui demandait par forme de supplément, à cause de quantité de rentes que son mari avait acquises sur Sa Majesté au denier quatre ou cinq au plus, {d} et dont il s’était fait rembourser à l’Épargne au denier quatorze, {e} ainsi que beaucoup d’autres personnes de condition avaient fait depuis quinze ou vingt ans en ça, au grand dommage des affaires du roi : moyen assez bizarre et plaisant de satisfaire aux dettes ou restitutions d’un vieux mari en se remariant avec un jeune ; façon assez commode et bien inventée de récompenser de longs et anciens services sans fouiller dans ses coffres. »


  1. Parée.

  2. « Ambroise-François, duc de Bournonville, d’une grande famille flamande, troisième fils d’Alexandre de Bournonville et d’Anne de Melun ; entré jeune au service de la France, il devint colonel d’infanterie et maréchal de camp ; envoyé à Paris par la cour en 1652 pour y nouer des intelligences avec les colonels et capitaines de quartier, il fut récompensé par l’érection du duché de Bournonville en pairie au mois de septembre ; devenu gouverneur de Paris en 1660, il embrassa l’état ecclésiastique après la mort de sa femme, Lucrèce-Françoise de la Vieuville, fille du surintendant, et mourut le 29 1678. Sa fille épousa le duc de Noailles » (note de Courteault).

  3. Le nouvelliste du ms BnF fr. 5844 (fo 197) rapporte que la dette de Mme de Bretonvilliers était encore beaucoup plus élevée : depuis quelques semaines, huit gardes avaient été placés en garnison à demeure « pour faire payer à la succession [du défunt Bretonvilliers] la somme de 700 000 livres, à quoi elle est taxée par arrêt du Conseil d’État » (Adam et Jestaz).

  4. Avec intérêt de 25 ou 20 pour cent.

  5. Avec intérêt de 7 pour cent.

Loret (Muse historique, samedi 27 décembre 1653, livre iv, lettre xlix, pages 444‑445) :

« Madame de Bretonvilliers,
Qui, par des soins particuliers,
Par l’amitié continuelle
Que dame Fortune eut pour elle,
Et par tout plein de bon succès
Était riche à l’excès,
Mourut de mort assez soudaine
Chez la duchesse de Lorraine ;
Et ce fut l’autre samedi
Que survint le cas que je dis.
Icelle, étant bien ajustée,
S’était donc illec {a} transportée
Pour faire, vers la fin du jour,
À cette princesse sa cour ;
Mais soudain {b} qu’elle eut pris un siège,
La Mort, qui lui tendait un piège,
Afin d’affaiblir sa vigueur,
L’attaqua par un mal de cœur.
Elle requit un écritoire
Pour écrire quelque mémoire ;
Mais le point fatal du trépas,
Arrivant, ne lui permit pas ;
Le mal qu’on nomme apopléxique {c}
Rendit son bras paralytique,
Puis, sur le reste de son corps
Employant ses derniers efforts,
La dame, froide comme glace,
Tomba morte dessus la place.
Biens de longue main amassés,
Écus l’un sur l’autre entassés,
Beau palais où le luxe éclate,
Lits {d} d’or, d’argent et d’écarlate,
Meubles d’été, meubles d’hiver,
Vous n’avez donc pu la sauver ?
Ô pauvres richesses mondaines,
Que vous êtes de choses vaines ! »


  1. Là-bas.

  2. Aussitôt.

  3. Sic pour apoplectique.

  4. Sic pour Lis (pièces de monnaie, marquées au revers du pavillon de France).

31.

« Madame Nicole », princesse et duchesse de Lorraine et de Bar, avait épousé en 1621 son cousin germain, Charles iv de Lorraine, qui l’avait répudiée en 1637. Nicole était la fille du duc de Lorraine, Henri le Bon, et de Marguerite, la fille de Vincent de Gonzague, duc de Mantoue. Nicole n’eut pas de descendance ; en 1655, Charles iv lui remit officiellement l’administration de ses États ; elle mourut le 20 février 1657 (v. note [6], lettre 465).

32.

« la tête est alourdie par le vomissement ».

33.

François Le Vignon, fils de Quirin (v. note [3], lettre 1), fut comme lui docteur de la Faculté de médecine de Paris (reçu en 1634) puis doyen (de 1664 à 1666). François adhérait au parti antimonial, ce qui lui avait valu une remontrance du doyen Guy Patin pour le choix des questions à débattre lors d’une vespérie et d’un doctorat (v. les Décrets et assemblées, en date du 24 septembre 1652, dans les Commentaires de la Faculté de médecine).

34.

« non sans un sentiment de faute. »

35.

« qui trompent les ignorants, tant riches que pauvres. »

36.

De prima Missa et Prærogativis Christianæ Pentecostes. Tractatio R.P. Theophili Raynaudi ex Societatis Iesu

[Traité du R.P. Théophile Raynaud {a} sur la première Messe et les Privilèges de la Pentecôte chrétienne]. {b}


  1. V. note [8], lettre 71.

  2. Lyon, Philippe Borde, Laurent Arnaud et Claude Rigaud, 1653, in‑8o de 340 pages.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 30 décembre 1653

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(Consulté le 29/03/2024)

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