L. 358.  >
À Charles Spon,
le 7 juillet 1654

Monsieur, [a][1]

Ce 1erde juillet. Depuis ma dernière, laquelle fut de deux pages, du 30e de juin, [1] je puis vous dire que je viens de recevoir la vôtre très agréable datée du 26e de juin, laquelle m’a très fort réjoui par les bonnes nouvelles qu’elle m’a apprises de votre santé. Je vous prie de m’acheter chez M. Barbier [2] son livret de pulvere febrifugo[2][3][4] je serai bien aise de l’avoir de cette édition. Je crois bien que M. Courtaud [5] est le premier auteur de la Seconde Apologie[3] mais les diables antimoniaux [6] y ont mis la main et y ont griffonné bien des injures, pour lesquelles le livre est tout ridicule et fort méprisé de deçà. Pour moi, je m’en moque et n’ai que pitié de tels misérables calomniateurs. Je n’ai encore vu personne qui ne l’ait jugé digne de mépris ou de punition. Les deux tiers du livre et par delà ne peuvent être de Courtaud. Je ne sais qui est celui-là qui dit tant d’injures à M. Riolan. [7] Pour ce qui me regarde, il n’y a que des bagatelles contre moi, hormis qu’il me fait auteur de la Légende[8] quod est falsissimum : [4] j’en suis l’auteur comme vous, mais c’est qu’il n’avait autre chose à dire contre moi. On soupçonne ici Des Gorris [9] et Madelain. [10]

M. Le Gagneur [11] suit son prince, [5][12] croyant qu’il ne ferait guère ici davantage car il n’y a jamais rien fait. Je m’enquerrai de l’affaire de votre chirurgien. Le roi [13] n’a point fait de nouvelles maîtrises au sacre. [6][14]

Si M. Champion [15] veut imprimer un bon livre de bon débit, [7] indiquez-lui Henrici Smetii Miscellanea medica [16] in‑8o de Francfort qu’il faudrait faire in‑4o de cicéro ; ou s’il en veut un plus gros, toutes les œuvres de Th. Erastus [17] ramassées ensemble in‑fo[8][18]

Ce 6e de juillet. J’ai aujourd’hui reçu la vôtre pour les compagnons imprimeurs de votre ville de Lyon, [19] des mains propres de deux d’entre eux. Je leur ai promis de m’employer pour eux et d’aller importuner le plus digne homme de la terre, qui est M. Bignon, [20] avocat général, qui est aujourd’hui le premier depuis la mort de feu M. Talon ; [9][21] celui-là est le maître du parquet, et qui m’a toujours témoigné d’avoir pour très agréables mes recommandations. Ils en avertiront leur avocat et procureur, et me donneront avis lorsqu’il sera temps d’y aller. M. Talon [22][23] d’aujourd’hui, qui a la place de Monsieur son père, [10] est encore un excellent homme et qui sera de l’avis de M. < Bignon. Pour M. Fouquet [24] qui est le procureur général et surintendant des finances, je ne l’irai point voir, d’autant qu’il a plus de crédit aux procès qui se jugent par la plume, [11] de laquelle lui seul a le droit, qu’en ceux-ci où Messieurs les avocats généraux parlent et font toute l’affaire.

Pour M. Barbier, je vous prie de l’assurer que je suis son serviteur. Je le remercie de sa belle lettre et des livres qu’il me veut envoyer. Vous pourrez pareillement lui dire que depuis quatre jours, j’ai vu M. Gassendi, [25] lequel travaille à assembler sa copie ; [12] et qui m’a dit qu’il y aura bien près de six volumes in‑fo, et qu’il y a ici des libraires qui lui ont demandé sa copie et lui ont offert pour icelle un présent de livres, un Baronius[26] les Conciles et les Pères[13] mais qu’ils n’ont rien obtenu. J’ai rompu ce parti par les inconvénients que je lui ai fait voir et connaître de l’ignorance et de l’importunité de nos libraires et imprimeurs [27] qui ne sont capables de rien de bon.

Je vous remercie de la bonne volonté qu’avez pour moi touchant le livre de M. Courtaud : [28] je n’ai point de peur des injures de cet homme, mais je m’étonne néanmoins pourquoi il m’en a tant dit, et de si mauvaise sorte. La réponse de M. Guillemeau [29] est achevée et est déjà presque toute distribuée, j’en ai céans des exemplaires que je voudrais bien que vous tinssiez. Celui de M. Merlet [30] est achevé d’hier au soir, je pense que vous recevrez tous les deux ensemble. [14] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 7e de juin 1654. [15]

M. Pecquet [31] me visita hier céans avec MM. de Sorbière [32] et Du Prat. [16][33] Il répond à M. Riolan, [34] sans injure, dit-il ; il dit que Courtaud ne sait rien et qu’il n’y a dans Montpellier [35] ni science, ni religion ; il méprise fort toute l’École.


a.

Ms BnF no 9357, fo 156 ; Reveillé-Parise, fin de la no cclxiii (tome ii, pages 141‑144) ; Jestaz no 119 (tome ii, pages 1236‑1238).

1.

La dernière lettre à Spon que nous ayons date du 27 juin précédent et comptait deux pages (un recto verso).

2.

« sur la poudre fébrifuge [le quinquina] » : réédition de la Pulvis febrifugus orbis Americani… [Poudre fébrifuge d’Amérique…] de Jean-Jacques Chifflet (Lyon, Guillaume Barbier, 1654, in‑8o), v. note [9], lettre 309, pour la première édition (ibid. 1653).

3.

V. note [54], lettre 348.

4.

« ce qui est tout à fait faux » ; v. notes [11], lettre 333, et [55], lettre 348, pour la Légende (1653).

5.

Étienne Le Gagneur était médecin du prince de Conti et le suivait en Catalogne.

6.

Maîtrise : « dignité ou charge qui donne la qualité de maître. La grande maîtrise de l’Ordre de Malte, de Calatrana, etc. sont des dignités électives. On le dit particulièrement des sièges des Eaux et Forêts, et de leurs officiers : il y a un procès pendant en la maîtrise de Bourges ; cette forêt est dépendante de la maîtrise de Rouen ; il y a tant d’officiers en cette maîtrise ; il est pourvu de la grande maîtrise des Eaux et Forêts d’une telle généralité » (Furetière).

Au sein de la Faculté de médecine de Paris, la maîtrise était synonyme de régence. Toutefois, l’article xliii des Statuta F.M.P. (pages 39‑40) stipulait qu’un nouveau docteur régent n’accédait au titre de maître, et à la totalité des émoluments y afférant, que deux années révolues après qu’il avait présidé pour la première fois la thèse quodlibétaire d’un bachelier (v. note [13], lettre 22).

7.

Jean Champion, libraire lyonnais en exercice de 1636 à sa mort en avril-mai 1657, demeurait place au Change ; depuis 1653, il s’était associé à Christophe Fourmy (v. note [15], lettre 211), son gendre, et avait ouvert une officine rue Mercière (où demeurait Charles Spon), À l’Occasion (Jestaz).

8.

La réédition des « Mélanges médicaux » d’Heinrick Smet (Francfort, 1611, v. note [17], lettre 181) ne vit, semble-t-il, jamais le jour, non plus que l’édition des œuvres complètes d’Erastus (Thomas Lieber) suggérée ici par Guy Patin.

9.

Les compagnons imprimeurs de Lyon sollicitaient Guy Patin pour les aider à défendre leurs intérêts. L’édit de décembre 1649 (v. note [4], lettre 197) avait porté grand tort aux compagnons de la Communauté des libraires de Paris en accentuant leur soumission aux maîtres. Le 17 juillet 1653, le Parlement avait institué une commission pour étudier la situation des compagnons imprimeurs (et rechercher les moyens de les contraindre à l’obéissance). Ces deux rapports avaient été rendus les 12 février et 26 mars 1654, après avoir été approuvés par une assemblée générale de la Communauté. Discutées au Parlement pendant l’été, presque toutes les propositions furent acceptées, enregistrées et promulguées par arrêt du 14 juillet 1654, au plus grand avantage des maîtres libraires, imprimeurs et relieurs.

Ce nouveau tarif, qui posait les bases d’un règlement réformé de la librairie parisienne, autorisait en effet l’embauche d’ouvriers peu expérimentés, et réglait les statuts des compagnons avec un barème précis des salaires et des heures journalières. Insatisfaits, ceux-ci poursuivirent leur action en justice. Dans le même élan, les ouvriers de Lyon avaient suivi l’exemple et porté au sénéchal de la ville une requête exposant leurs principales revendications (5 décembre 1653). Mal accueillis, les compagnons en avaient appelé au Parlement de Paris le 18 mai suivant. Les discussions furent longues, mais leurs conclusions favorisèrent en partie les requérants lyonnais (arrêt du 14 août 1655) (Jestaz).

10.

Denis Talon (Paris 1626-ibid. 1698), seigneur du Boulay et d’Escluzelles, était le fils aîné d’Omer ii, le fameux avocat général au Parlement de Paris. Denis avait été nommé avocat du roi au Châtelet en 1648, avec promesse de survivance de la charge paternelle.

Le 30 décembre 1652, lendemain de la mort d’Omer ii, Denis avait été reçu dans sa charge d’avocat général, en même temps que le roi l’avait fait conseiller d’État. Il allait s’illustrer dans de nombreuses affaires judiciaires, dont :

11.

« Au Palais on appointe les parties en droit à écrire et produire, donner contredits et salvations, pour dire mettre les demandes et défenses sur le papier, quand on n’a pu juger l’affaire sur le plaidoyer des avocats. Cet avocat ne plaide plus, il ne fait qu’écrire et consulter » (Furetière).

12.

V. note [12], lettre 357, pour le projet d’édition entre Pierre Gassendi et le libraire lyonnais Guillaume Barbier, dont Guy Patin se faisait l’intermédiaire.

13.

En tout, rien de moins de 61 volumes in‑fo ; v. notes :

14.

Cani miuro sive Curto fustis, hoc est Caroli Guillemei, doctoris Paris. ordin. Regis Med., Responsio pro seipso ad alteram alogiam impudentissimi et importunissimi Curti, Mompel canis cellarii.

[Bastonnade pour le chien dont on a coupé la queue, {a} autrement dit Courtaud, qui est la Réponse de Charles Guillemeau, {b} docteur de Paris, médecin ordinaire du roi, pour sa propre défense contre la seconde alogie {c} du très impudent et très importun Courtaud, chien cellérier {d} de Montpellier]. {e}


  1. Meiouros en grec ; « on dit qu’on a étrillé quelqu’un en chien courtaud, qu’on l’a frotté en chien courtaud, pour dire, qu’il a été battu outrageusement » (Furetière).

  2. V. note [5], lettre 3.

  3. Absurdité, impertinence, alogia est ici mis en contraste avec apologia.

  4. Jeu de mots sur chancellarius et canis cellarius, « chancelier » et « chien cellérier » (le cellérier désigne le religieux qui a soin des provisions dans les couvents).

  5. Paris, sans nom, [juin] 1654, petit in‑fo de 38 pages.

    Les deux Vies latines de Jean Héroard contiennent un long extrait, traduit et commenté, de cet ouvrage (v. leurs notes [20][44]).


V. note [3], lettre 346, pour la réponse de Jean Merlet à Eusèbe Renaudot sur l’antimoine (mars 1654).

15.

Étourderie de Guy Patin qui a écrit juin pour juillet.

16.

V. note [5], lettre 390, pour l’amitié qui liait Samuel Sorbière et Abraham Du Prat à Jean Pecquet, et le soutien admiratif qu’ils apportaient à ses admirables travaux sur les voies du chyle ; on verra même dans cette note que Guy Patin et Charles Spon (ce qui est moins surprenant) adhéraient à ces idées extrêmement novatrices.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 7 juillet 1654

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(Consulté le 29/03/2024)

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