L. 362.  >
À Claude II Belin,
le 29 juillet 1654

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre et me réjouis du retour de monsieur votre fils [2] qui m’a envoyé des thèses, [3] pour lesquelles je vous remercie, et lui aussi. Je vous envoyai il n’y a pas longtemps une lettre de M. Mercier [4] avec un catalogue des œuvres de M. Grotius, [5] de sa part ; et de la mienne, la réponse de M. Guillemeau [6] à M. Courtaud, [7] doyen de Montpellier [8] qui est un fort ignorant homme, et bien injurieux. [1] Je m’en rapporte au jugement de la postérité qui en voudra juger sans passion : les injures ne servent à rien qu’à faire connaître l’impuissance de l’esprit de ceux qui les profèrent et à montrer qu’ils n’ont guère de raison. Toute sorte de médecins sont reçus dans toutes les villes de France, de quelque université qu’ils viennent : Aix, [9] Avignon, [10] Bourges, [11][12] Cahors, [13] Caen, [14] Bordeaux, [15] Toulouse, [16] Angers, [17] Reims, [18] Valence, [19] etc. ; il n’y a du tout que votre ville de Troyes [20] qui se tienne à l’arrêt de François ier[2][21] Et combien qu’ils soient bien fournis de belles lettres bien bullées, [3] il y a bien des villes où on fait autrement que vous ne faites à Troyes : qui que ce soit qui apporte et présente des lettres de docteur, même de Montpellier, on les examine de nouveau plus rigoureusement qu’ils n’ont jamais été, et par trois fois de trois en trois mois ; et cela ne se fait pas seulement à Bordeaux et à Poitiers [22][23] où il y a Université, [4] mais même à Lyon, à Rouen, [24] à Amiens, [25][26] à Dijon ; [27][28] et ceux de Rouen y vont si sévèrement que bien souvent on les renvoie étudier pour deux ans, et même en ont chassé deux pour toujours depuis cinq ans. Et cette rigueur n’est point sans profit, c’est afin de remédier à l’abus qui s’ensuit de ce que la plupart des petites universités, et même les grandes aussi quelquefois, donnent des lettres de docteur trop aisément à ceux qui leur offrent de l’argent. Je pense que vous pouvez en avoir vu quelques exemples dans la campagne, aux petites villes d’alentour de vous.

On imprime ici contre l’antimoine [29] et contre le Gazetier : [30] on vend celui de M. Merlet ; [31] dans un mois nous aurons celui de M. Perreau, [5][32][33] et autres qui suivront. Je suis fort de votre avis touchant l’antimoine, [34] qui est ici fort décrié et que nos gens n’osent plus proposer nulle part. Vous m’avez fort réjoui de l’arrêt contre votre barbier, [35] je suis bien aise qu’il ait été bien châtié. [6] Cromwell [36] a fait pendre 18 hommes pour un jour, on en attend d’autres nouvelles. La reine de Suède [37] a quitté la royauté, elle vient à Spa, [38] son cousin le comte palatin est roi [39] en sa place. Nous n’avons ici rien de nouveau des sièges d’Arras [40] et de Stenay, [41] sinon que l’on dit que le prince de Condé [42] est malade et qu’il s’est fait mener à Lille. [7][43] Je vous baise les mains et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

Le mercredi 29e de juillet 1654.

Le livre de M. Merlet est bon, il n’y a rien que de vrai, mais il est trop court et trop sec. Quand on lui a dit cela, il a répondu qu’il n’avait écrit contre ce Gazetier que pour montrer ses fautes et ses impostures qui sont presque innombrables.


a.

Ms BnF no 9358, fo 151 ; Reveillé-Parise, no cxxiii (tome i, pages 205‑207).

1.

V. note [14], lettre 358, pour le Cani miuro… de Charles Guillemeau (juin 1654).

2.

La ville de Troyes exigeait des médecins qu’elle autorisait à s’y installer un diplôme de médecine obtenu à Paris ou à Montpellier (v. note [1], lettre 52).

Extrait des statuts du Collège des médecins de Troyes (Mémoire Coll. méd. Troyes, pages 3 et 4) :

« François ier ayant établi les études en France, et “ désirant subvenir à l’indemnité de la chose publique et par spécial, des corps humains, et obvier que par l’impéritie, dol, fraude ou malice ne leur soit attribuée abréviation de vie naturelle ”, fit extraire de son propre mouvement, des statuts de la Faculté de médecine de Paris, les articles qui pouvaient convenir à la ville de Troyes et les fit insérer dans les statuts qu’il donna pour cette ville en 1539, enregistrés au Parlement le dernier jour de juillet 1587. L’article i porte “ que les aspirants en l’art et science d’apothicaire ouïront un an durant deux lectures chacune semaine, qui leur seront faites par un des médecins dudit Troyes, docteurs des facultés de Paris ou de Montpellier. ” » {a}


  1. V. note [4], lettre 21, pour l’article xviii concernant l’exécution des ordonnances par les apothicires.

3.

Bullé : « qui est en forme authentique : j’ai eu ma commission bien signée et bien bullée » (Furetière).

4.

La Faculté ou École de médecine de Poitiers avait été créée en 1432.

5.

V. notes [3], lettre 346, pour les Remarques… de Jean Merlet et [3], lettre 380, pour le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau (ouvrages qui ont tous deux paru à Paris en 1654).

6.

Le Collège des médecins de Troyes avait eu gain de cause contre le barbier Nicolas Bailly : v. note [1], lettre 257.

7.

Lille (Nord, Rijsel en flamand), sur la Deûle, doit son nom (L’isle) aux marécages qui l’environnaient. C’était la principale ville de Flandre méridionale. Elle était alors espagnole, mais devint française en août 1667 (v. note [9], lettre 917).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 29 juillet 1654

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(Consulté le 20/04/2024)

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