L. 363.  >
À Charles Spon,
le 4 août 1654

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du vendredi 24e de juillet, j’apprends que l’on a imprimé à Villefranche (c’est Genève) in‑8o un certain livre intitulé Tyrannomanie jésuitique. Je vous prie de m’en procurer au moins un exemplaire, voire quatre si faire se peut, il est daté de l’an 1648, en blanc ou relié, il ne m’importe. [1][2] Je vous supplie pareillement de faire mes recommandations à M. Huguetan l’avocat, à Monsieur son frère et à M. Ravaud.

Je vous envoyai par ma dernière un petit traité de l’éclipse [3] de soleil qui doit être le 12e d’août prochain et j’apprends que M. Gassendi [4] en a fait un autre discours que l’on imprime, invité à ce faire par M. l’évêque de Coutances, [2][5][6][7] qui est ici grand vicaire du cardinal Antonio, [8] grand aumônier de France ; mais que cet auteur ne désire point que l’on y mette son nom, que si on l’y met, il le désavouera et écrira contre tout exprès. [3]

Comme il sortait d’Aire [9] un convoi pour être mené dans Arras, [10] conduit par les Espagnols, il a été attaqué par les Français par ordre de M. le maréchal de Turenne ; [11] comme la victoire balançait, le convoi s’est retiré dans Aire et nos gens ont eu du pire. Entre autres, nous y avons perdu un brave capitaine champenois, mais grand larron, nommé de Beaujeu. [4][12] Le convoi n’a point été pris par les nôtres, mais ceux d’Arras ne l’ont point eu aussi ; j’entends ceux qui assiègent Arras et qui en ont grand besoin. J’ai vu lettre d’Allemagne, laquelle porte que le fils aîné de l’empereur [13] et roi des Romains [14][15] y est mort de la petite vérole. [5][16] La reine de Suède [17] est à Hambourg [18] pour delà venir à Spa. [6][19] M. Moreau [20] vous baise les mains ; il y a dix jours qu’il voit avec moi une riche dame, laquelle est hors de danger, nous lui dirons bientôt adieu. Il est, Dieu merci, en bonne santé et assez gaillard ; il se porte mieux qu’il ne faisait l’an passé, utinam perennare possit[7]

Je vous supplie de faire nos recommandations à nos bons amis MM. Gras, Garnier, Falconet, Huguetan l’avocat, à Monsieur son frère le libraire et à M. Ravaud. Mais à propos, où en sont-ils, ces Messieurs, de leurs livres : le Theatrum vitæ humanæ [21] est-il fort avancé, leur Sennertus [22] s’achève-t-il ? [8] Beaucoup de gens le souhaitent fort de deçà. Commencent-ils quelque autre grand ouvrage ?

Ce 31e de juillet. Voilà que je trouve céans une petite lettre de notre bon ami M. Paquet, [23] je vous supplie de lui faire mes très humbles recommandations et de le remercier de la bonté qu’il a eue de m’écrire.

On parle ici fort diversement des sièges d’Arras et de Stenay, [24] et n’y a encore rien de certain ni à l’un, ni à l’autre. On a dit à M. Guillemeau [25] qu’il y aurait réponse contre lui au nom de M. Courtaud [26] de Montpellier, [27] et ce en latin. [9] En ce cas-là, il croit que ce sera quelqu’un de deçà et soupçonne particulièrement M. Des Gorris, [28] en quoi il y a grande apparence ; mais lui et ceux qui lui donneront des mémoires ne manqueront point de vives et fortes réponses. M. Guillemeau croit que c’est Guénault [29] qui met les autres en besogne et qui tantum opus promovet ; [10] mais on parlera à lui et de lui hardiment, et les vérités qu’on lui dira seront cuisantes et emporteront la pièce. [11]

Je vous envoie un deuxième discours de l’éclipse de soleil du 12e de ce mois, dont le vrai auteur est M. Gassendi, qu’il a fait à la prière de l’évêque de Coutances. [3]

Ce 2d d’août. Une dame de qualité me vient de dire à l’oreille, en me serrant la main, Arras est perdue pour la France et le roi revient à Paris.

Dans le dernier paquet que j’ai donné pour vous être rendu à Lyon par M. Borde [30] franc de port, vous y trouverez un petit paquet pour être envoyé à M. Volckamer [31] à Nuremberg, [32] lequel je vous recommande à votre loisir ; je ne sais si dans ma dernière je vous en ai fait mention, il me semble que non.

L’on m’a dit que le jeune Bauhin, [33] qu’avez autrefois connu, est encore prisonnier à Blois [34] et que son père [35] le veut laisser pourrir là-dedans sans le vouloir dégager ni tirer de là. Il y a ici un jeune Platerus, fils d’un médecin de Bâle, [36][37][38] qui en est arrivé depuis peu, qui avoue qu’il n’est point à Bâle. [12] Voilà un misérable petit fripon qui s’est bien malheureusement débauché[13]

On dit ici qu’il y a un premier valet de chambre du roi nommé Chamarante [39] qui est disgracié. [14] Il avait autrefois été valet de chambre du cardinal de Richelieu [40] et avait été élevé jusqu’ici par Mme de Beauvais [41] qui a grand crédit près de la reine, [42] et laquelle, pour être fille de lingère, a l’honneur d’être aujourd’hui la belle-mère du marquis de Richelieu. [15][43] Voilà où s’en vont les écus que ce tyran a durant tant d’années volés à la France. Ce Chamarante disgracié a été soupçonné de quelque intelligence avec quelques grands de la cour que l’on dit faire parti contre la faveur du temps ; lequel parti n’éclatera qu’en cas qu’il arrive quelque grand malheur, comme la prise d’Arras, ou que Stenay ne pût être pris, etc. En suite de cela, on dit que le roi [44] sortira bientôt de Sedan [45] et qu’il revient à Compiègne, [46] ou à Amiens. [47]

M. Nicolas Fouquet, [48] procureur général au Parlement de Paris et surintendant des finances, a un frère nommé l’abbé Fouquet [49] qui a jusqu’ici fait fonction de petit ministre entre la reine et le Mazarin. [50] Cet abbé a pris la poste depuis peu et est allé à Metz [51] s’y faire recevoir le procureur général de ce parlement. On ne sait à quel dessein cela se fait, si ce n’est pour entrer dans quelque temps dans la charge de son frère et être ici procureur général ; mais on ne sait en ce cas-là ce que deviendra ce frère, savoir s’il se fera président au mortier à la place de M. de Champlâtreux [52] en demeurant surintendant, ou si, comme il est en grand crédit, ce n’est point pour être garde des sceaux à la place de M. Molé, [53] auquel ils pourraient être ôtés, comme par ci-devant on les a ôtés à tant d’autres. [16]

Il y a ici plusieurs gens, et principalement des femmes, qui s’épouvantent fort de l’éclipse, de laquelle je ne crains rien du tout. [54] J’aime mieux croire M. Gassendi et me persuader que plusieurs malheurs pourront bien arriver par ci-après en vertu d’autres causes, sans que celle-là y contribue quoi que ce soit. Les astrologues en diront tout ce qu’ils voudront, sed non ego credulus illis, nil nisi nugas effutiunt[17] Il y a bien des gens au monde qui ne méritent point d’être crus et qui même ne diraient point la vérité quand ils la sauraient ; entre autres, tria mihi videntur animantia mendacissima, nempe Botanista, Chymista et Iesuista[18] Joseph Scaliger [55] appelait ces derniers mendacissimum Monachorum genus. Alii duo sunt meri nebulones, extra methodum tanquam extra oleas vagantes, sine remis et velis navigantes, naufragium tandem facturi[19] Feu notre bon ami M. Naudé définissait un chimiste [56][57] ens ridiculum, animal mendacissimum, homines impune necans, purioris Medicinæ prætextu.

Tuus ex animo, G. Patinus[20]

De Paris, ce 4e d’août 1654.

Quelques-uns disent que le grand convoi des Espagnols a passé pour Arras frustra nitente Turenio ; alii præfracte negant ; Deus ipse viderit[21][58]

M. Benoît [59] de Saumur [60] m’a visité ce matin. Post multa ad salutem spectantia præstita[22] je lui ai demandé comment se nommait cet ancien conseiller du Parlement qui avait prédit qu’en 1664 toute l’Europe serait réformée et l’Italie détruite flamma et ferro[23] Il m’a répondu qu’il s’appelait Luilier, sieur de Chalandeau[61] que sa famille était de Paris, sa seigneurie en Poitou ; qu’il avait été averti en songe de changer de religion et d’embrasser la nouvelle, ce qu’il fit ; qu’il savait bien qu’il n’y aurait plus de pape, que la messe serait abolie, plus de prêtres ni de moines en France. Jésus, le beau déblai !

Sic Sabini olim somniabant : hodie quoque somniant senes, quibus mens ipsa non valet constat.

Tuus totus, G.P. [24]


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 76 et 96 ; Jestaz no 122 (tome ii, pages 1246‑1250), et no 140 (tome ii, page 810) pour le post‑scriptum. Note de Charles Spon au revers : « 1654/ Paris 4 août. Lyon 11 dud./ Rispost. adi 25 dud./ Et envoyé la 1re feuile de Hofmannus ».

1.

Guy Patin était alléché par le titre d’un livre paru six ans auparavant :

Tyrannomanie jésuitique, dédiée à Monseigneur le baillif d’Yverdon. {a} Autrement Chronologie historique tirant des plus sombres et ténébreux cachots de l’ignorance, au jour de la pure et sincère vérité, les claustrales subtilités et politiques attentats pratiqués par les jésuites en toutes les monarchies, empires, royaumes et principautés de l’univers. Les temps, provinces et villes esquelles {b} les susdites actions si peu raisonnables ont paru aux yeux des hommes. Ensemble les noms et intentions de ceux qui en ont été les auteurs, suivant l’ordre des temps d’année en année, depuis l’an 1540, qui fut le commencement de leur institut, jusques en l’an 1640, qui est un siècle entier. {c}


  1. Épître signée A. Du Voyer, « À haut et généreux Seigneur, Monseigneur François-Louis de Graffenried, Seigneur de Gerzenthzéé, Seigneur Baillif d’Yverdon » (v. note [11], lettre 279).

  2. Dans lesquelles.

  3. Villefranche, Guillaume Bontemps, 1648, in‑8o de 395 pages.

Ce brûlot est l’œuvre d’Antoine Du Voyer. La France protestante (deuxième édition, Paris, 1886, tome cinquième, colonnes 1112‑1113) est le seul ouvrage où j’ai trouvé des indications sur Du Voyer : {a}

« Originaire de SaintMalo en Bretagne, se retira en 1645 à Genève, où il abjura le catholicisme ; en 1648, il était à Berne, et en avril 1649 il fut nommé (par la protection de M. Fr.‑L. de Grafenried, bailli bernois à Yverdon) premier régent au collège de cette ville, où il mourut le 27 mars 1651. »

La même source lui attribue un pamphlet anonyme, imprimé clandestinement à Yverdon en 1649 :

Chrétienne et charitable Remontrance adressée à Jean-Louis Rouvrai, lequel de pasteur en l’Église française de Berne est devenu meunier {b} en celle de Fribourg. {c}


  1. Article rédigé par le théologien et historien calviniste Auguste Bernus (Paris 1844-Lausanne 1904).

  2. « On dit qu’on est devenu d’évêque meunier, quand on a quitté une condition pour en choisir une moins honorable » (Trévoux).

  3. Interdit et confisqué par le Conseil de Bâle sur la plainte de Rouvrai, ce libelle est aujourd’hui introuvable.

    Rouvrai, originaire de Verdun, avait abjuré le protestantisme en 1649, pour enseigner la théologie catholique dans le diocèse de Lausanne. Il riposta dans le tome i de L’Abomination du calvinisme par Jean-Louis de Rouvrai, professeur en théologie, ci-devant premier ministre français du canton de Berne en Suisse (Paris, François sans Peur, 1650, in‑4o de 589 pages, sans autre tome que j’aie su trouver).

    L’auteur de la Tyrannomanie y est longuement traîné dans la boue, pages 435‑453 et suivantes : son véritable nom serait Jacques Chocus, bâtard d’une prostituée de Montargis, devenu le frère Gracian, moine récollet à Châlons-en-Champagne, etc.

    La Remontrance est réfutée et attaquée avec autant de virulence pages 476‑483, mais sans être attribuée à Du Voyer ou à Chocus.

    Bernus conclut :

    « Comme de Rouvrai mérite fort peu de confiance et se montre des plus médisants à l’égard de tous les protestants avec qui il a eu des rapports, nous ne rapportons ces renseignements que sous toutes réserves. »

2.

V. note [14], lettre 361, pour le livre du P. Pierre de Cerisiers sur l’éclipse solaire.

Claude Auvry (mort en 1687), fils d’un humble marchand de tissus [propola pannorum] parisien avait été envoyé jeune à Rome où il s’était attaché aux Barberini, rencontrant Mazarin et se liant d’amitié avec lui ; ayant rendu d’utiles services diplomatiques, il avait obtenu l’évêché de Coutances en 1646. Créature mazarine, grand vicaire du cardinal Antonio (Antoine Barberini), Auvry était devenu depuis 1653 trésorier chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris (Gallia Christiana). Comme grand vicaire du grand aumônier de France, Auvry avait la haute main sur les affaires du Collège royal de France, fonction qui lui a valu de figurer souvent dans la suite de la correspondance de Guy Patin.

3.

Les esprits de l’Europe entière avaient été frappés par l’annonce de la fin du monde que contenait la :

Prédiction merveilleuse du sieur Andreas, astrologue et mathématicien de Padoue, sur l’éclipse de soleil qui se fera le 12e jour d’août 1654, avec son explication et l’approbation d’Eistadius, grand astrologue. {a}

À la demande de Claude Auvry, Gassendi y répliquait, en réfutant le caractère surnaturel du phénomène, par les anonymes :

Sentiments sur l’éclipse qui doit arriver le 12e du mois d’août prochain. Pour servir de réfutation aux faussetés qui ont été publiées sous le nom du docteur Andreas. {c}


  1. Paris, Jacques Beslay, 1654, in‑4o de 6 pages. Le « sieur Andreas » était Andrea Argoli (v. note [22], lettre 525).

  2. Paris, Antoine Vitré, 1654, 16 pages, in‑4o.

Jean-Baptiste Morin (v. note [4], lettre 185), rival invétéré de Gassendi, avait soutenu l’opuscule du sieur Andreas. Gassendi avait observé l’éclipse le 12 août dans la propriété des Montmor (v. note [13], lettre 337) au Mesnil-Saint-Denis : elle est décrite dans les Commentarii de rebus cælestibus [Commentaires sur les phénomènes célestes], tome iv, pages 509‑514, de ses Opera omnia [Œuvres complètes] (Lyon, 1658, v. note [19], lettre 442).

4.

Claude-Paul de Villiers, comte de Beaujeu (v. notes [20], lettre 177, [33], lettre 219, et [22], lettre 290), maréchal de camp en 1649, avait été nommé lieutenant général en 1652.

Turenne (Mémoires, tome deuxième, pages 8‑9) :

« On manda aussi au comte Broglie, gouverneur de La Bassée, de se venir loger à Lens, avec quinze cents ou deux mille hommes des garnisons ; et par ce moyen-là on empêchait les vivres par le côté de Douai et Lille. Il y avait le côté du comté de Saint-Pol {a} qui demeurait fort libre, par où les ennemis pouvaient avoir la communication avec Aire et Saint-Omer. Dès le soir que l’on arriva avec l’armée à Montchy-le-Preux, {b} on écrivit au gouverneur d’Hédin de mettre des gens dans Saint-Pol ; et si cela eût été fait, le siège d’Arras aurait assurément été levé sans être obligé de donner aux lignes ; {c} mais ou les intérêts particuliers, ou la faiblesse de la garnison d’Hédin l’en empêcha ; et on y eût aussi remédié sans la mort de M. de Beaujeu qui, ayant été promptement envoyé avec douze cents chevaux, avec ordre de prendre quelque infanterie du comte Broglie pour garder ce côté du comté de Saint-Pol, il rencontra les ennemis qui allaient faire un convoi à Aire ; et un nommé Drouat, avec sept ou huit cents chevaux, l’ayant attaqué à la pointe du jour, comme ses gens repaissaient, {d} ils furent au commencement mis en désordre et dans cet abord, M. de Beaujeu fut tué ; mais ses gens s’étant remis, les ennemis furent battus, et beaucoup des leurs tués ou pris prisonniers ; mais comme les nôtres n’eurent plus de chef, ils s’en revinrent à Béthune et ne marchèrent point jusques à Saint-Pol, où M. de Beaujeu avait ordre d’aller ; et dans cet entretemps, les ennemis envoyèrent promptement de l’infanterie dans Saint-Pol, ce qui mit ce lieu-là en état de n’être pas pris sans qu’une armée y allât ; ce que l’on ne pouvait faire, ne pouvant quitter le côté de Douai, où était l’armée, qui sont des lieux à l’opposite les uns des autres. ». {e}


  1. Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais), 40 kilomètres au nord-ouest d’Arras.

  2. Dix kilomètres à l’est d’Arras.

  3. D’attaquer les fortifications.

  4. Mangeaient.

  5. Par rapport à Arras.

5.

Le roi des Romains qui venait de succomber à une variole mortelle était Ferdinand iv, fils aîné de Ferdinand iii, empereur d’Allemagne (v. note [7], lettre 318).

6.

Christine de Suède, une fois son abdication signée, partit pour Hambourg et s’établit chez un riche banquier, Diego Texeira, juif sépharade portugais, mécène éclairé, versé dans les arts et les belles-lettres, et demeura près d’un mois dans cette maison. Elle s’apprêtait alors à gagner Anvers (Jestaz).

7.

« puisse-t-il encore durer longtemps. »

8.

Les deux libraires associés de Lyon Jean-Antoine ii Huguetan et son beau-frère, Marc-Antoine Ravaud imprimaient alors le « [Le grand] Amphithéâtre de la vie humaine… » de Laurens Beyerlinck (v. note [36], lettre 155) et une nouvelle édition des Opera omnia de Daniel Sennert (1656, v. note [33], lettre 285).

9.

V. note [14], lettre 358, pour le Cani miuro… de Charles Guillemeau contre Siméon Courtaud (juin 1654).

10.

« qui fait avancer ce si grand ouvrage ».

11.

On dit « d’un médisant qu’il a taillé en pièces la réputation d’une personne, qu’il l’a déchirée de toute sa force, qu’il est mordant, qu’il emporte la pièce » (Furetière).

12.

Les Platerus (Platter ou Plater) ont formé une dynastie médicale de Bâle, dont :

Le « médecin de Bâle » dont parlait ici Guy Patin est Felix ii Platter (1605-1671), fils de Thomas (1574-1628, v. note [4], lettre latine 1) et neveu de Felix i (1536-1614). Après des études médicales à Montpellier et à Leyde, il avait reçu le bonnet de docteur à Bâle en 1629, où il avait enseigné la logique, puis, de 1653 à 1656, la physique. En 1651, il avait été nommé Stadtarz (premier médecin de la ville) de Bâle. Felix ii se montra toujours ennemi de la saignée et des longues formules, ce qui lui attira la haine des pharmaciens et des chirurgiens qui ne lui pardonnaient pas de sacrifier leurs intérêts à ceux de ses clients (O. in Panckoucke). Patin a correspondu avec lui, mais il n’en a subsisté aucune lettre que je connaisse (v. note [18], lettre latine 2). Je n’ai pas identifié celui de ses fils dont il parlait ici à Charles Spon ; le plus jeune, prénommé Franz (1645-1711), était alors trop jeune pour se rendre seul à Paris.

13.

Le paragraphe est de sens incertain : la dernière remarque sur le « petit fripon » visait non pas le « jeune Platerus », mais « le jeune Bauhin », Johann Caspar ii (v. note [28], lettre 229), fils aîné de Johann Caspar i, emprisonné à Blois, probablement en raison de quelque brigandage ou mésaventure militaire. Quant à celui qui « n’est point à Bâle », c’était vraisemblablement Johann Caspar i Bauhin, le père, mais la construction ne permet pas d’en être absolument certain.

14.

Clair-Gilbert d’Ornaison, comte de Chamarande (ou Chamarante) est cité de manière peu flatteuse dans les Historiettes de Tallemant des Réaux (Mme de Broc, tome ii, page 615) :

« Ce galant homme d’évêque est ce même M. d’Auxerre, {a} de chez le cardinal de Richelieu, qu’on accusait d’être amoureux de Chamarande (aujourd’hui premier valet de chambre du roi, et galant de Mme de Beauvais ; on dit qu’il est gentilhomme ; on en fait cas), porte-parasol du feu cardinal. »


  1. Pierre de Broc, évêque d’Auxerre (v. note [16], lettre 490).

Chamarande (1621-1699) était entré dans la Maison de Richelieu au cours du dernier trimestre de 1638, avec traitement de 300 livres par an. Il figurait sur le testament du cardinal pour une somme de 3 000 livres. Il était devenu premier valet de chambre du jeune Louis xiv et confident de ses amours. Plus tard, il fut maître d’hôtel de la dauphine (1679), conseiller d’État (1681) avec une pension de 3 000 livres et gouverneur de Phalsbourg et de Sarrebourg. La terre d’Étampes réunie à celle de Bonnes fut élevée pour lui en comté sous le nom de Chamarande (d’abord Chamarante) par lettres enregistrées au Parlement en 1686. Mêlé à toutes les intrigues de cour, Chamarande recevait chez lui d’illustres personnages et fournit des anecdotes aux mémorialistes de l’époque. Il mourut chevalier de l’Ordre de Saint-Michel et de Saint-Lazare. Il est curieux de voir le renom qu’avait pris sur la fin de sa vie celui qui, à 18 ans, avait éveillé la passion coupable de l’évêque d’Auxerre : Saint-Simon (Mémoires, tome vi, page 93) dit qu’il mourut « universellement estimé, considéré et regretté » et ailleurs (tome ii, page 211) qu’il était « de ces sages que tout le monde révérait pour sa probité à toute épreuve et pour sa modestie ». Il avait épousé Marie-Anne de Trélon et il en avait eu un fils, Louis d’Ornaison, né vers 1660, qui eut la survivance de sa charge et qui mourut en 1737 (Adam et Jestaz).

15.

Mme de Beauvais (Catherine-Henriette Bellier, dite la Catau, v. note [12], lettre 208) était universellement décriée et détestée. On disait en effet que son grand-père était fripier ou crocheteur aux halles. Le 12 novembre 1652, elle avait marié une de ses filles, Anne-Jeanne Baptiste de Beauvais, au marquis de Richelieu, Jean-Baptiste-Amador de Richelieu. Ce mariage avait été l’un des grands scandales de l’époque (v. note [40], lettre 297).

16.

V. note [51], lettre 280, pour l’abbé Basile Fouquet, frère de Nicolas Fouquet et agent fidèle de Mazarin dont il dirigeait la police secrète.

Chéruel, tome premier, page 335 :

« L’abbé Fouquet avait été comblé de faveurs par Mazarin. Le cardinal avait ajouté à son pouvoir occulte des dignités et des titres qui en faisaient presque un grand seigneur. L’abbé avait acheté dès 1654 la survivance de la charge de procureur général au Parlement de Paris qu’exerçait son frère, et devenait ainsi un des chefs de ce grand Corps de magistrature quoiqu’il n’eût été antérieurement que conseiller au parlement de Metz, et cela pendant six semaines seulement. Peu de temps après, il acheta la charge de chancelier de l’Ordre du Saint-Esprit et porta, au grand scandale de la noblesse, le cordon bleu qui était réservé aux princes et aux personnages les plus éminents par le rang et la naissance. Enfin, à une époque où la liberté individuelle n’était garantie par aucune loi, l’homme qui dirigeait la police et disposait de la Bastille était investi d’une puissance redoutable ».

Nicolas Fouquet conserva sa charge de procureur général jusqu’en 1661 et ne devint jamais président au mortier ni garde des sceaux.

17.

« mais je ne les crois pas [v. note [4], lettre 19], ils ne débitent rien que des fadaises. »

18.

« il y en a trois sortes que je considère comme les animaux les plus menteurs : botanistes, chimistes et jésuites » (v. note [5], lettre 247, pour une variante).

19.

« l’espèce de moines la plus menteuse. Les deux autres sont de purs gredins errant hors de toute méthode et de toute lueur, naviguant sans rames ni voiles, et voués enfin au naufrage. »

20.

« comme étant un animal ridicule, excessivement menteur, tuant impunément les hommes sous prétexte de pratiquer une médecine plus pure. Vôtre de tout cœur, G. Patin. »

21.

« malgré la conduite brillante de Turenne ; d’autres disent obstinément que c’est faux ; « Dieu seul connaît la vérité » (Cicéron, v. note [9], lettre 66).

22.

« Après avoir échangé maints compliments d’usage ».

23.

« par le fer et le feu » (v. note [17], lettre 349).

J’ai corrigé l’étourderie de Guy Patin, qui a écrit 1564 pour 1664. Les renseignements qu’il a ensuite fournis sur « Luillier, sieur de Chalandeau » ont orienté les recherches que j’ai menées à son sujet, mais sans parvenir à son identification absolument certaine parmi les conseillers du Parlement qui ont sûrement porté ce nom : v. note [18], lettre 342.

24.

« Ainsi rêvaient jadis les Sabins : aujourd’hui rêvent aussi les vieillards, dont il est évident que l’esprit chancelle.

Tout à vous, G.P. ».

Sabini quod volunt somniant [Les Sabins rêvent ce qu’ils veulent] est un adage latin dont Pompeius Festus (La Signification des mots, livre xvii, v. note [13], lettre 460) a expliqué la signification :

Vetus proverbium esse et inde manasse ait Sinnius Capito, quod quotiescumque sacrificium propterviam fieret, hominem Sabinum at illud adhibere solebant ; nam jis promittebat se pro illis somniaturum ; idemque postquam evigilasset, sacra facientibus narrat omne quicquid in quiete vidisset, quod quidem esset ex sacrificii religione ; unde venisse dicitur in proverbium, Sabinos solitos quod vellent somniare ; sed quia propter aviditatem bibendi quædam anus mulieres id somnium captabant, vulgatum est illud quoque : anus quod volt somniat ; fere enim quod vigilantes animo volvimus, idem dormientibus apparere solet.

« Sinnius Capiton dit que c’est un vieux proverbe ; et selon lui, il vient de ce que chaque fois qu’il se faisait un sacrifice au sujet d’un voyage, on avait coutume d’y employer un Sabin, car ce Sabin promettait de faire un songe pour les voyageurs. À son réveil, il racontait à ceux qui faisaient le sacrifice tout ce qu’il avait vu durant le temps de son repos, ce qui d’ailleurs n’avait rien de commun avec la sainteté du sacrifice. C’est de là, dit-on, qu’est venue cette locution proverbiale, que les Sabins rêvent ce qu’ils veulent. Mais comme un goût déréglé pour la boisson poussait quelques vieilles femmes à rechercher ces rêves, on employa aussi cette locution populaire : une vieille femme rêve ce qu’elle veut, car d’ordinaire nous voyons à peu près en songe l’image de ce qui occupe notre esprit tandis que nous sommes éveillés. » {a}


  1. Traduction de M.A. Savagner (Paris, 18462e partie, page 580.

Ce post-scriptum est un bille isolé (fo 96) du ms BnF no 9358, sans indication de date. Le passage du convoi espagnol pour le siège d’Arras et la visite de Jean Benoît sont deux arguments pour le placer ici. Laure Jestaz a préféré en faire une lettre à part (no 140 de son édition, tome ii, page 810), placée après celle du 8 décembre 1654.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 4 août 1654

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0363

(Consulté le 19/04/2024)

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