L. 393.  >
À Hugues II de Salins,
le 6 mars 1655

Monsieur, [a][1]

Je sais bien qu’il y a longtemps que je vous dois réponse, mais j’espère que vous me le pardonnerez dès que je vous dirai que ce n’a été que faute de loisir. Les deux thèses [2][3][4] de mon fils [5] et la grande harangue qu’il m’a fallu composer, et laquelle je récitai lundi dernier dans la grande salle de Cambrai pour prendre possession de la chaire royale de M. Riolan, [6] qu’il m’a donnée préférablement à beaucoup d’autres qui en avaient plus envie que moi, sont les vraies causes de ce retardement. [1] Maintenant je travaille à des leçons [7] pour les dicter après Pâques in eodem loco[2] Mais je viens à la vôtre : j’ai bien ouï parler de M. de La Mare, [8] ce nom m’est très précieux ; il est conseiller au parlement de Dijon, [9] très savant et très honnête homme, bon ami de mon très cher ami feu M. Naudé [10] et encore bon ami du P. Louis Jacob. [3][11] Dieu le conserve, si je le pouvais servir ce serait de tout mon cœur. Pour M. de Berbis, il est peut-être fils d’un des juges [12] du pauvre maréchal de Marillac, [13] mais je sais bien qu’il fut un des bons et qui ne furent pas à la mort ; itaque opto ut Deus benedicat eius familiæ[4]

Je pense vous avoir envoyé l’an passé un livre de M. Guillemeau [14] contre Courtaud [15] de Montpellier, [16] sous le titre de Cani miuro, etc. Je vous donne avis que j’en ai encore un autre sur le même sujet, vous n’avez qu’à m’adresser quelqu’un pour vous le faire tenir, je vous l’enverrai. C’est un second qui n’est pas moins bon que le premier, le pauvre Courtaud y perd son escrime[5] Nous avons ici un fort bon livre contre l’antimoine [17] fait par M. Perreau, [18] lequel mérite fort d’être lu et relu. Je pense que vous avez aussi celui qu’a fait sur ce même sujet M. Merlet. [19] Tous deux méritent d’être lus et d’avoir place en votre cabinet. [6] M. Duhan [20] a imprimé à Lyon deux petits livres très excellents par mon conseil : le Puteanus de Medicamentis purgantibus[21][22] et le Botal de Curatione per sanguinis missionem ; [23][24] ce ne sont que deux petits in‑8o qui peuvent être reliés ensemble. [7] Les bons livres de Galien [25] sont tout ce qu’il a fait sur Hippocrate, avec les livres de Usu partium pour l’anatomie, de Sanitate tuenda et de alimentorum Facultatibus pour l’hygiène, de Locis affectis pour la pathologie, les 13 livres de la Méthode, de simpl. medicam. Facultatibus, de Compos. medic. κατα τοπους, de Curandi ratione per sang. missionem[8] Pour l’Hippocrate, c’est le Pronostic[26] les Aphorismes[27] les Coaques[28] le premier, le troisième et le sixième des Épidémies[29] La Pratique de Feyneus [30] est peu de chose, tout le meilleur vient de Celsus [31] d’où il a tout pris ; cet auteur est mort à 33 ans, l’an 1574, il n’y a que trop de fatras[9] Pour les confections d’hyacinthe [32] et d’alkermès, [33] voyez les annotations de M. Guillemeau sur sa thèse française, la vérité est là toute pure. [10] Le corail [34] rouge en une dysenterie [35] est une fourberie. [11] Votre dessein sur le livre de Medicamentis officinalibus[12][36] d’en faire un extrait, est fort bon. Je baise les mains à monsieur votre père [37] (ne me parlez d’aucun présent) et à monsieur votre frère, [38] et à mesdemoiselles vos femmes. [13][39] Lisez la Sagesse de Charron [40] tous les ans deux fois, les Épîtres de Sénèque [41] en latin et les Vies de Plutarque [42] en français : voilà de bons divertissements. Je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 6e de mars 1655.

Il n’y a point encore de pape fait. [43] Le cardinal de Retz [44] est à Rome, le cardinal Carafe [45] y est mort du 15e de février ; il y en a encore cinq malades. On parle ici de la paix avec l’Angleterre, mais il n’y a encore rien d’assuré, Cromwell [46] demande bien des choses quæ non sunt expediti operis[14]


a.

Ms BnF no 9357, fo 161, « À Monsieur/ Monsieur de Salins puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune » ; Chéreau no iii (13‑15).

1.

Guy Patin envoyait à Hugues ii de Salins la première thèse quodlibétaire (v. note [3], lettre 384) et la cardinale de Charles Patin, Estne nutricis subfuscæ lac salubrius ? [Le lait d’une nourrice à peau brune est-il plus salubre ?] (conclusion affirmative), que Denis Allain avait présidée le 18 février précédent. La seconde quodlibétaire de Charles, le 9 décembre 1655, allait porter sur la question An pestilenti febri sudorifica ? [Faut-il employer les sudorifiques dans la peste ?] (négative), sous la présidence de Claude Quartier (v. note [57] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine en 1651‑1652).

V. note [16], lettre 392, pour le récit de la grande harangue que Guy Patin avait prononcée pour son admission au Collège royal de France, qui occupait les locaux du Collège de Cambrai (v. note [15], lettre 153).

2.

« au même endroit. »

Le verbe dicter nous éclaire sur la manière dont enseignait Guy Patin, comme sans doute les autres professeurs royaux : « faire écrire sous soi quelque discours. Un professeur dicte sa leçon de philosophie avant que de l’expliquer » (Furetière).

3.

Philibert de La Mare (Dijon 1615-ibid. 1687) était aussi ami de Claude i Saumaise, dont il a écrit une biographie, restée manuscrite. Conseiller au parlement de Bourgogne, il se livrait à des travaux d’érudition. Il avait acquis de vastes connaissances en histoire et en archéologie, et entreposait ses trouvailles en sa propriété de Couternon (Côte-d’Or). Il a laissé une riche bibliothèque des ouvrages d’histoire, principalement au sujet de la Bourgogne.

4.

« c’est pourquoi je souhaite que Dieu bénisse sa famille. »

Les Berbis étaient une des grandes dynasties du parlement de Dijon. Bénigne de Berbis fut celui d’entre eux qui figura parmi les juges du maréchal de Marillac en 1632 (v. note [17], lettre 10) et qui vota courageusement l’acquittement en dépit des pressions exercées par Richelieu.

5.

V. notes [14], lettre 358, pour le Cani miuro fustis… (juin 1654) et [3], lettre 390, pour la Defensio altera… (janvier 1655), libelles de Charles Guillemeau contre Siméon Courtaud.

6.

V. notes [3], lettre 380, pour Le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau contre Eusèbe Renaudot, et [3], lettre 346, pour les Remarques… de Jean Merlet sur l’antimoine (livres parus tous deux à Paris en 1654).

7.

Réunion sous une même reliure (v. note [2], lettre 366) de « Guillaume Dupuis sur les médicaments purgatifs » (v. note [29], lettre 277) et de « Botal sur le traitement par la saignée » (v. note [18], lettre 360).

8.

« sur les Facultés des médicaments simples, sur la Composition des médicaments selon les lieux (v. note [22], lettre 527), sur la Raison de soigner par la saignée. » Ont précédé : « de l’Utilité des parties du corps, de la Préservation de la santé, des Facultés des aliments, des Lieux affectés ».

9.

V. note [12], lettre 252, pour la Medicina practica de François Feynes (Lyon, 1650).

10.

V. note [2], lettre 158, pour thèse de Charles Guillemeau sur La Méthode d’Hippocrate (1648), et ses onze observations finales, écrites avec Guy Patin, dont la viiie traite Des Confections d’alkermès et d’hyacinthe.

11.

Corail (Furetière) :

« plante maritime qui croît au fond de la mer. On en voit des arbrisseaux de la hauteur d’un homme. Ils s’arrachent du fond de la mer avec des crochets en forme d’ancres. […] Le rouge et le blanc sont les plus estimés. On tient que le corail est plus rouge porté par un homme que par une femme et qu’étant porté par un malade, il devient pâle, livide et tout taché, de sorte que par le changement de sa couleur il avertit de quelque maladie prochaine. On lui rend sa couleur en le suspendant sur du fumier ou en le couvrant de semence de moutarde ou en le lavant avec du pain mouillé. Le corail se tire vers le Bastion de France en Afrique, et vers l’île de Corse et de Majorque, à Tabarque et vers le Cap de Quiers en Catalogne. Les anciennes pêcheries étaient la mer Persique, la mer Rouge, la mer de Sicile et de Naples. On n’en trouve point dans l’Océan. Les Japonais font plus de cas du corail que de toutes les pierreries. En pharmacie on se sert de perles et de coraux mis en poudre. On en fait des sirops, on en tire des teintures et il sert à plusieurs médicaments. »

Contrairement à Guy Patin, Jean Fernel a loué les vertus du corail dans sa Thérapeutique universelle (édition française de Paris, 1655, v. note [1], lettre 36), livre v, chapitre xxi, Des médicaments qui chassent les affection du cœur, appelés cardiaques (page 425)  :

« Le corail, froid et sec au second degré, fortifie l’estomac par son astriction, arrête les réjections de sang, conserve la force du cœur et le préserve des maladies pestilentes. »

V. note [19], lettre 352, pour la teinture de corail.

12.

V. note [7], lettre 134, pour le traité de Caspar Hofmann « des Médicaments officinaux ».

13.

Celle de Hugues ii de Salins (Marguerite de Bonamour, v. note [34], lettre 396), destinataire de la lettre, et celle de son frère Jean-Baptiste, fils aîné de Hugues i.

14.

« qui ne sont pas faciles à régler. » Les relations entre la France et l’Angleterre étaient certes tendues, mais on ne pouvait pas parler de guerre. L’obsession des Français était que les républicains anglais ne concluent pas contre eux une alliance offensive avec l’Espagne.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 6 mars 1655

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(Consulté le 28/03/2024)

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