L. 399.  >
À Charles Spon,
le 21 avril 1655

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le 9e d’avril, laquelle était de quatre grandes pages. Depuis ce jour-là, nous apprenons ici que nous avons heureusement ravitaillé Le Quesnoy. [2] Le prince de Condé [3] s’est retiré, ils n’ont osé attaquer nos gens qui marchaient avec du canon, 5 000 chevaux et 4 000 hommes de pied. De ces 9 000 hommes, l’on dit qu’il en demeurera 3 000 dans la place pour la défendre et que les autres reviendront dans leurs garnisons jusqu’à ce que l’on fasse l’armée pour aller en campagne. Ils n’ont point attaqué nos gens, d’autant qu’ils n’ont osé hasarder une bataille et qu’entre eux il y a grande division, et même que le prince de Condé y est méprisé.

Ce 13e d’avril. Le Parlement s’était assemblé de nouveau, pour examiner les édits que le roi [4][5] fit vérifier en sa présence la dernière fois qu’il fut au Palais, qui fut à la fin du carême. Cela a irrité le Conseil et défenses là-dessus leur ont été envoyées de ne pas s’assembler davantage ; et de peur que le roi ne fût pas obéi, il a pris lui-même la peine d’aller au Palais bien accompagné, où de sa propre bouche, sans autre cérémonie, il leur a défendu de s’assembler davantage contre les édits qu’il fit l’autre jour publier. [6] Il y en a plusieurs fort odieux et entre autres, un pour le papier des notaires afin qu’ils soient obligés d’en faire leurs actes publics, ce qui ne se peut exécuter sans bien du désordre et qui fera beaucoup de bruit. [1][7]

Ce mercredi 14e d’a[vril]. J’ai aujourd’hui fait ma première leçon dans la grande salle de Cambrai[8][9][10] J’avais 52 écoliers qui écrivaient et quelques autres auditeurs. J’ai trouvé que c’était encore assez, vu que depuis la semaine sainte plusieurs s’en sont allés à cause qu’il y avait apparence que l’on ne ferait plus de dissections anatomiques. Je vous envoie une copie de l’affiche, avec la copie des manuscrits de Cardan [11] que le jeune Billaine [12] apporta l’an passé d’Italie. [2]

Le premier président au Parlement, qui est M. de Bellièvre, [13] et les présidents au mortier ont été saluer de roi dans le Bois de Vincennes, [14] touchant le voyage que le roi avait fait au Parlement. Ils y ont été fort bien reçus, le roi leur a promis de la modification pour tous ces édits, on s’y attend de deçà.

On parle ici de quelque brouillerie en Bretagne, [15] d’une autre à Toulouse [16] et d’une à Rouen ; [17] même, M. de Longueville [18] qui en était le gouverneur en est sorti et s’en est venu à Coulommiers en Brie [19] d’où il est seigneur.

Aujourd’hui 16e d’avril, le courrier est arrivé de Rome, lequel apporte nouvelles de la création d’un pape, savoir du cardinal Chigi qui a pris la qualité et le nom d’Alexandre vii[20] Il a été nonce à Cologne, [21] où M. Riolan [22] l’a fait tailler [23] de la pierre autrefois. Il a aussi été plénipotentiaire à Münster. [24] J’ai de lui céans un livre de poèmes latins. [3] M. Ogier [25] le prieur l’a connu fort particulièrement à Münster, il le tient le plus savant homme de l’Italie. Les Parisiens se réjouissent de cette nouvelle à cause que l’on dit qu’il est bon ami du cardinal de Retz : [26] An qui amant ipsi sibi somnia fingunt ? [4][27] Tel était hier Français qui sera demain Espagnol, est animal varium et semper mutabile princeps[5][28] Ce même jour, j’ai fait dans Cambrai ma seconde leçon à laquelle j’avais, de compte fait, 68 auditeurs. Comme j’ai vu que l’on m’écoutait avec joie, j’ai fait durer une heure entière mon explication et en suis sorti avec grand applaudissement. Devinez si je ne suis pas bien glorieux de vous écrire ces petites réjouissances miennes. Il y a ici un bruit de la mort de M. Des François, [29] cela vient de M. de Serres, [30] médecin du cardinal de Lyon. [6]

Ce dimanche 18e d’avril. Et pour réponse à la chère vôtre que je viens de recevoir, datée du 13e d’avril (qui est le même jour, ou tout au plus tard ce sera le suivant, que vous aurez reçu ma dernière), je vous dirai que je vous rends grâces de toute mon affection de la peine que vous prenez de m’écrire et de plus, que j’attendrai patiemment la lettre que vous avez donnée à votre médecin de Strasbourg, [31] que je serai bien aise d’avoir l’honneur de connaître et que je servirai volontiers si j’en ai moyen. [7]

Je me souviens d’avoir ouï dire quelque chose de ce pauvre jeune homme nommé M. Moisson [32] à qui un fripon de compagnon barbier [33] a donné quelque poudre qui l’a tué. C’est qu’à Paris il n’y a point de police, outre que c’est la faute des malades mêmes qui se fient à toute sorte de gens ; aussi est-ce une chose honteuse combien ils en tuent ici tous les ans sans qu’aucun en soit châtié. Je ne sais s’il mourut le jour même, mais je suis très certain que Guénault [34] l’a vu et que l’on y parla de moi ; l’on fût même venu céans me quérir, n’eût été que j’étais trop loin ; peut-être aussi que Guénault l’empêcha. Je vous assure que nous haïssons à Paris les chirurgiens, [35] à l’égal et peut-être plus que les apothicaires, [36] vu qu’ils sont également insolents ; joint que ce sont des compagnons du pays d’Adieusias, [37] qui promettent merveilles de leurs secrets à ces pauvres jeunes gens, quos impura Venus ut plurimum momordit[8]

Cette Histoire des cérémonies du siège vacant a pour auteur un jeune homme de Paris nommé de Monstreuil [38] qui a été secrétaire d’un ambassadeur à Rome ; au moins voilà ce que j’en ai ouï dire. [9] Je n’ai point encore ouï parler de ce qu’a fait le P. Fabri [39] adversus pulverem febrifugum Chiffletii ; [10][40][41] s’il en vient à Lyon, voilà de la besogne pour M. Barbier puisqu’il a imprimé l’autre. Je ne connais point ce M. Bary, [42] auteur de la Rhétorique française, mais je puis bien vous dire qu’il est ici en bonne réputation d’un honnête homme. [11] Pour le chimiste [43] Barlet, [44] il demeure dans le Collège de Cambrai, [45] dans quelque grenier où il a quelques fourneaux et où il tâche de gagner sa vie en faisant quelque cours de chimie. Il est de Dauphiné, c’est un bon petit homme âgé d’environ 53 ans, maigre, pâle et jaunâtre. Il peste fort contre les chimistes vulgaires, et dit que ce sont des ignorants et des bourreaux. Il ne fait point le médecin, ne donne ni ne vend des drogues ; il improuve fort l’antimoine [46] et appelle sa chimie l’Art de Dieu, la physique résolutive, etc. Il m’est venu voir deux fois céans et m’a donné son livre. [12]

Du Galien grec-latin [47] de M. Chartier, [48][49] cinq volumes restent à faire, savoir les 9e, 10e, 11e, 12e et 14e ; le 13e est fait. Après cela, il faudra une table, laquelle doit contenir un volume tout entier. [13] La maison est ruinée, ceux qui ont commencé ce grand dessein ne l’achèveront jamais. La veuve [50] est chargée de six enfants, elle est chicanée par trois autres enfants du premier lit, dont l’aîné, Jean Chartier, [51] est gueux comme un peintre : il n’a point du pain ; il est si misérable que pour épargner le louage de sa chambre, M. l’évêque de Coutances [52] lui a permis d’aller occuper une chambre dans le Collège royal, d’où les autres professeurs du roi veulent le chasser et plaident pour cet effet contre lui ; il doit cent fois plus qu’il ne vaut, ses gages de professeur du roi sont arrêtés et saisis, depuis quatre ans ils n’en ont reçu que six mois ; [53] il se dit médecin du roi, la charge en appartient à sa belle-mère, sauf à lui d’en donner 12 000 livres dont il n’a pas les douze premiers sols ; ils voudraient bien la vendre, mais ils n’en trouvent point de marchands et la vente n’en vaut rien ; depuis neuf ans, ils n’en ont rien reçu de leurs gages. Sa femme vend de la cendre, unde victitat et miseram vitam trahit[14] Pour ce qui est imprimé, tout cela est fort imparfait ; et néanmoins, la veuve en demande 150 livres de papier fin, et de papier commun, 100 livres, sed fatuos non invenit[15] Elle sera bientôt obligée d’en faire meilleur marché ou autrement, les créanciers feront tout vendre à non-prix. [16]

J’ai vu les vers premiers et seconds du P. Bertet, [54] et ce qui y a été changé : il est vrai qu’il n’y a eu de cette réconciliation qu’une proposition, dont la conclusion ne s’est point ensuivie ; mais on la tenait faite quand je vous l’écrivis. Je vous en dirai quelque jour davantage, il y a eu cause pour cela. [17][55][56]

J’ai vu ce catalogue des plantes du jardin de Blois [57][58] de M. le duc d’Orléans ; [59][60] même je pense l’avoir céans quelque part ; sed ista hihil faciunt ad artem[18] ce n’est qu’un nomenclator[19] Je baise très humblement les mains à M. Gras, à M. Falconet et à M. Huguetan, s’il vous plaît. Pour M. Pecquet, [61] je doute fort s’il voudrait quitter son maître [62] (qui aspire bien au-dessus de l’évêché d’Agde, qui est frère d’un surintendant des finances) [63] et avec lequel il est fort bien, pour être professeur à Montpellier. [64] Peut-être que ce Rivière, [65] qui est un homme affamé d’argent, voudrait lui avoir donné cette sienne profession pour quelque récompense présente. [20]

M. Gassendi, [66] qui vivote en attendant que le beau temps et chaud soit venu, m’a aujourd’hui appris que M. Blondel, [67] savant ministre, est mort à Amsterdam, [68] et Daniel Heinsius, [69] à Leyde. [21][70] Et en récompense de ces deux bons, en voici deux méchants et infâmes, dont l’un est Le Fèvre, [71] soi-disant médecin de Troyes, [72] bailleur de petits grains (lequel en donna au cardinal de Richelieu), qui mourut le 15e de ce mois à Troyes de deux prises de vin émétique [73][74] qu’il prit le jour d’auparavant ; l’autre est Mayerne Turquet, [75] lequel est mort en Angleterre ; tous deux grands fourbes, grands imposteurs et insignes charlatans. [76] Le Fèvre avait environ 57 ans, qui s’est traité soi-même comme il traitait les autres et qui en a bien tué en sa vie avec ses petits grains qui étaient de l’opium [77] fardé et déguisé.

Pour M. Blondel, c’est celui qui avait écrit qu’il n’y eut jamais de papesse. [78] Il avait aussi écrit des Sibylles in‑4o et un gros in‑fo intitulé De la Primauté en l’Église, et un autre latin, depuis peu arrivé ici, contre Chifflet, lequel se vend fort cher. [22]

Ce 20e d’avril. Un jeune homme de notre ville de Beauvais [79] nommé M. Mauger, [80] frère d’un jeune médecin [81] qui eut le bonheur de vous voir à Lyon il y a quelques années, [23] s’en va à Lyon pour s’y mettre chez quelque marchand. Son frère, qui est médecin à Beauvais, m’a prié de vous écrire en sa faveur, ce que j’ai fait par un petit mot qu’il vous rendra lui-même (dans dix jours ou environ car il sera bien cela sur les chemins) [24] avec un petit paquet contenant cinq pièces différentes touchant la controverse stibiale. Quelques-uns de nos antimoniaux [82] se sont sentis fort piqués de l’Alethophanes[25] ils n’en ont pu rien découvrir, ni par justice, ni par menaces. Ils ont recours aux censures ecclésiastiques comme vous reconnaîtrez par une des pièces de ci-dessus. [26] Quelque chose qui en arrive, je ne participe point ni ne trempe en aucune façon dans ces monitoires [83] ou excommunications, [84] mais je trouve et crois fermement que quiconque a fait ledit poème dont < il > est question est un fort habile homme et sait beaucoup de vérités qu’il a étalées là-dedans fort hardiment. Et néanmoins il n’a pas encore tout dit : ces Messieurs stibiales tortores [27] en ont bien fait d’autres, dont ils ont pris de l’argent quand ils ont pu ; mais ils sont fort étonnés et étourdis du scandale que leur maudit remède a causé ici partout, où ils n’osent même le proposer ; joint que ces libelles augmentent leur infamie en la publiant, sans ceux qui suivront par ci-après.

Je viens d’apprendre que votre M. Moisson ne mourut que neuf jours après avoir pris cette poudre de ce malheureux barbier. J’en suis pourtant bien marri, à cause de lui, et de vous aussi puisqu’il avait l’honneur d’être votre parent. [28] Il arrive souvent de tels malheurs par la trop grande crédulité des malades qui s’adressent à des garçons chirurgiens, apothicaires, charlatans, opérateurs, et autres animaux ignorants et affamés de gain, et notez que la plupart de ces coureurs sont provençaux, languedociens et gascons, ou des provinces voisines ; ce qui ne se fait ici que faute de police et par la faute de nos juges qui in tales nebulones, circumforaneos et impostores non animadvertunt, quo nomine abutuntur impunitate et iniquitate sæculi[29] On a ici grande espérance de la paix d’Angleterre en vertu de quelques lettres qui en sont venues.

Il y a ici un autre livre nouveau, aussi barbare [85] que le dernier contre M. Guillemeau. [86] Plusieurs de nos docteurs y sont nommés : MM. Guillemeau, Riolan, Merlet, [87] Perreau, [88] Moreau, [89] Mentel, [90] Pijart, [91] Du Clédat, [92] Puilon, [93] Cappon, [30][94] et moi aussi quelquefois. Il en veut aussi à M. Du Prat [95] et à l’Alethophilus du livre de M. Pecquet, qu’il traite mal en deux endroits où il fait allusion au nom de M. Sorbière, [96] qu’il appelle par mépris Gymnasiarcham Oransiensem[31] Il y a sur la fin des vers français aussi mauvais que le latin qui est devant, tout y est barbare. On dit que Jean Chartier est auteur des vers français et qu’un pauvre diable de charlatan, qui se dit conseiller et médecin ordinaire du roi et docteur de la Faculté de Montpellier, nommé Ant. Madelain, [97] en est l’auteur. Medicinam ille non profitetur, sed ex arte lenonia victum sibi quærit cum uxore iam vetula[32] et cela est aussi vrai que je vous l’écris, nous le savons de bonne part. Il n’y a que des injures et du mauvais latin, et quelque chose de la vie de M. Héroard, [98] mais obscur et peu intelligible. On ne croit point ici que ces deux derniers livres contre M. Guillemeau viennent de Montpellier, mais que c’est le bonhomme M. Courtaud [99] d’ici qui les fait faire à Madelain, qui lui en paie la façon et qui les fait imprimer, croyant que cela soit bien fait et que cela tourne fort à l’honneur de son frère de Montpellier [100] et de feu M. Héroard, leur oncle. [33] Si celui de Montpellier ne fait autre chose et tout autrement mieux, les Courtaud ont perdu la bataille, et le champ de la victoire en demeurera à M. Guillemeau qui méprise fort ces libelles pleins d’injures atroces et de médisances très peu convenables à ceux contre lesquels elles sont dites. Tout le monde s’en moque ici, et moi pareillement. Ce dernier livret est de 17 feuilles, ces pauvres gens sont bien mal conseillés de si mal employer leur argent. J’aimerais mieux voir en français la vie de M. Héroard faite par M. Courtaud de Montpellier, du même style que sa lettre que vous me fîtes l’honneur de m’envoyer l’an passé ; [34] il y aurait quelque secret touchant l’histoire du temps qui pourrait servir à quelque chose, mais à ces deux derniers livres il n’y a rien du tout à apprendre, j’entends celui qui est intitulé Lenonis Guillemei Apotheosis, et ce dernier Genius, etc[35] Je ne sais si M. Guillemeau voudra se donner la peine de réfuter ce dernier. En vérité, il n’en vaut point la peine, mais je sais bien qu’il a quelque chose tout prêt à mettre sur la presse qui fera deux volumes.

Ce 21e d’avril. J’ai ce matin consulté chez M. Languet, [36][101][102] trésorier de l’Extraordinaire des guerres, [103] avec M. Moreau le bonhomme que j’y ai fait appeler ; je lui ai promis de vous faire ses recommandations par celle-ci. Il m’a dit qu’il aura bientôt quelque chose pour vous envoyer, je me suis offert de m’en charger pour vous le faire rendre.

J’appris hier que M. Rigaud, [104] qui a notre manuscrit de M. Hofmann, [105] se prépare à faire bientôt ici un voyage. Je vous prie de lui toucher un mot de ma part que s’il ne veut imprimer ce manuscrit, qu’au moins, puisqu’il vient de deçà, qu’il prenne la peine de me le rapporter. Que fait-on de nouveau à Lyon et à Genève pour les livres ? Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 21e d’avril 1655.

On dit que nous sommes d’accord avec Cromwell, [106] et que cette paix est prête d’être signée. Demain, le Parlement sera assemblé touchant les édits dernièrement vérifiés. Vale et me ama, iterumque vale[37]


a.

Ms BnF no 9357, fos 168‑169 ; Reveillé-Parise, no cclxix (tome ii, pages 168‑174).

1.

Le 13 avril, Louis xiv était directement revenu de Vincennes au Palais pour un nouveau lit de justice, suivant de peu celui qu’il avait tenu le 20 mars.

Dans son essai intitulé Le Timbre à travers l’histoire (Rouen, Émile Deshays, 1890, in‑4o illustré de 126 pages), Léon Salefranque, « sous-inspecteur de l’Enregistrement, des Domaines et du Timbre », a relaté ces faits, et expliqué leur contexte politique et fiscal (Introduction du timbre en France, pages 19‑22) :

« La guerre de Trente Ans, la fronde, la mauvaise administration de Mazarin avaient remis les finances dans l’état déplorable d’où les avit tirées Sully au siècle précédent. L’usage de dresser chaque année le budget des dépenses et des recettes, inauguré par ce ministre et auquel d’Effiat s’était toujours conformé sous Richelieu, était tombé en désuétude ; il n’y avait plus de règle financière ; il n’était pas tenu de comptabilité. Les coffres de l’État étaient vides ; les recettes escomptées à l’avance, étaient grevées d’assignations. Il fallait cependant d’importantes ressources pour continuer la guerre contre l’Espagne.

À sa rentrée en France en 1653, Mazarin trouva la surintendance vacante par la mort de La Vieuville : il en patagea la charge entre Fouquet et servien. Les nouveaux administrateurs durent recourir à l’emprunt et à l’impôt.

On constitua quatre cent mille livres de rentes sur la Ville, ce qui était un gros chiffre pour l’époque. Aux nombreuses et lourdes taxes déjà existantes, on ajouta une crue d’impôts sur le sel, on rechargea de deux sous par livre les fermes déjà bien chargées, on agmenta les gabelles, les droits sur le tabac, et enfin apparaît pour la première fois l’établissement d’une marque sur le papier et le parchemin. {a}

L’édit qui créa ce nouvel impôt fut donné en mars 1655. Les considérations qui y sont développées présentent un réel intérêt que diminuerait certainement l’analyse qui en pourrait être faite. Il est préférable, par suite, d’en reproduire les termes. Le texte qui en est donné plus loin {b} a été copié sur un exemplaire déposé à la Bibliothèque nationale.

Ainsi que constatent les mentions dont il est revêtu, cet édit fut, à raison de l’opposition du Parlement, enregistré dans un lit de justice tenu par Louis xiv le 20 mars 1655.

Le même jour, le roi, par l’intermédiaire du duc d’Anjou qu’il chargeait de leur porter son exprès commandement, faisait procéder à pareille formalité à la Chambre des comptes et à la Cour des aides. » {c}


  1. « On appelle du parchemin ou du papier timbré, ou marqué, celui qui sert aux expéditions de justice, parce qu’il contient au haut la marque du roi. Cette marque est différente en chaque généralité pour faciliter le payement du droit qu’on a établi pour y appliquer ce timbre » (Furetière).

  2. Le Fac-similé de l’édit de 1655 figure dans dans les annexes de Salfranque.

  3. Suivent les protestations Parlement qui aboutirent au report de l’édit sur le papier timbré.

Montglat a relaté ces deux lits de justice (Mémoires, page 306) :

« Durant l’hiver, on ne songea qu’à se réjouir à la cour, d’autant qu’on ne commençait qu’à respirer depuis les troubles passés, et que la victoire d’Arras était la première marque du rétablissement des affaires de la France ; mais comme elle était fort épuisée d’argent, sans quoi on ne pouvait soutenir la guerre, le roi fut tenir son lit de justice du 20e de mars, pour faire vérifier des édits. {a} Et parce que l’autorité royale n’était pas encore bien rétablie, les chambres s’assemblèrent pour revoir les édits, disant que la présence du roi avait ôté la liberté des suffrages et qu’il était nécessaire, en son absence, de les examiner pour voir s’ils étaient justes. La mémoire des choses passées faisait appréhender ces assemblées, après les événements funestes qu’elles avaient causés. {b} Cette considération obligea le roi de partir du château de Vincennes le 10e {c} d’avril et de venir le matin au Parlement en justaucorps rouge et chapeau gris, accompagné de toute sa cour en même équipage ; ce qui était inusité jusqu’à ce jour. Quand il fut dans son lit de justice, il défendit au Parlement de s’assembler ; et après avoir dit quatre mots, il se leva et sortit, sans ouïr aucune harangue. Nonobstant cette défense, le Parlement se préparait à se rassembler ; mais l’affaire fut mise en négociation et pour tout apaiser, il fallut quelques modifications aux édits. » {d}


  1. Ces édits fiscaux étaient au nombre de 17.

  2. La Fronde.

  3. Sic pour 13e.

  4. Aussitôt reparti à Vincennes, le roi revint à Paris le 17 avril pour y séjourner jusqu’au 18 mai.

    V. note [16], lettre 478, pour l’avatar de la taxation sur les notifications en avril 1657, à laquelle le Parlement opposa des remontrances similaires.


2.

V. notes [35], lettre 392, pour l’affiche annonçant le cours de Guy Patin au Collège royal (situé dans les locaux du Collège de Cambrai, v. note [15], lettre 153), et [9], lettre 395, pour les manuscrits de Jérôme Cardan.

3.

Fabio Chigi (Sienne 1599-Rome 22 mai 1667), fils d’un neveu du pape Paul v, avait été évêque de Nardò en 1635. Nonce apostolique à Cologne de 1639 à 1651, il avait participé aux conférences de Münster de 1644 à 1648. Pendant son séjour à Cologne comme médecin de la reine exilée, Marie de Médicis, Jean ii Riolan avait soigné Chigi : il lui fit tailler la vessie en 1642, comme en atteste la lettre de Guy Patin à Johann Georg Volckamer, datée du 11 juin 1655 (note [6]).

Secrétaire d’État au Vatican depuis 1651, Chigi avait été promu cardinal en 1652. Élu pape à l’unanimité le 7 avril 1655, il fut couronné le 18, prenant le nom d’Alexandre vii. Guy Patin a commenté dans ses lettres deux événements majeurs de son pontificat :

Guillaume de Furstenberg, évêque de Münster, avait édité les Musæ iuveniles [Muses juvéniles] (Anvers, Balthazar Moret, 1654, in‑8o) de Fabio Chigi sous le pseudonyme de Philomathe.

4.

« Ceux qui aiment ne se forgent-ils pas des songes à plaisir ? » (Virgile, Bucoliques, églogue viii, vers 108).

5.

« un prince est un animal qui toujours varie et change » : Varium et mutabile semper/ femina [La femme est être qui toujours varie et change] (Virgile, Énéide, chant iv, vers 569‑570).

Tout le jeu politique romain (pontifical) consistait à osciller perpétuellement entre les deux grands royaumes catholiques, Espagne et France.

6.

Faux bruit persistant, v. note [21], lettre 386.

7.

Guy Patin a plus tard dénommé Müller (prénom inconnu) ce médecin de Strasbourg que lui recommandait Charles Spon.

8.

« que la plupart du temps l’impure Vénus a mordus » : euphémisme pour dire que ceux qui se faisaient soigner par d’autres que les médecins avaient le plus souvent une maladie « vénérienne » (de Veneris, génitif de Venus).

9.

L’Histoire des cérémonies du siège vacant, ou la Relation véritable de ce qui se passe à Rome à la mort du Pape. Ensemble la forme et manière de procéder dans le conclave pour l’Élection du nouveau Pape. Suivant les Constitutions et Cérémoniaux. Avec le couronnement et la cavalcade qui se fait à la prise de possession. {a}


  1. Paris, Jean Guignard, 1655, in‑fo de 44 pages (illustré avec les fac-similés des bulletins de vote employés par les cardinaux).

Ouvrage anonyme, attribué à N. de Monstreuil (ou Monstreul) sur la foi de ce qu’en disait ici Guy Patin (Antoine-Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes… 1823, volume 2, page 104). Quoi qu’il en soit de l’auteur, il intéresse le lecteur quand il dévoile un peu le dessous des cartes (pages 39‑40) :

« Les factions qui se forment pour l’ordinaire dans les conclaves se réduisent le plus souvent à deux ou trois principales, toutes les autres s’y joignant selon les divers intérêts qu’elles peuvent avoir à l’inclusion ou exclusion des sujets proposés. Les neveux des défunts papes sont chefs ordinaires des factions, ayant dans leur dépendance les créatures de leurs oncles, qui concourent avec eux à l’exaltation des sujets qu’ils affectionnent, et à l’exclusion de tous les autres sujets que des créatures de leurs défunts oncles, principalement quand leur règne leur a donné lieu de faire de nombreuses promotions, pour ne recevoir pas le reproche de n’avoir pu faire choix de créatures dignes d’être élevées à une si sublime dignité, et n’être pas exposés aux recherches qu’un pape qui ne serait pas de leurs créatures pourrait faire de leur administration. Les protecteurs des couronnes sont aussi chefs de factions pour empêcher l’élévation d’un sujet qui leur soit suspect, ou pour porter au pontificat un cardinal ami et bien affectionné à leurs intérêts. Les souverains qui ont les intentions les plus justes ne veulent qu’un père commun ; mais tous bien souvent, sous ce prétexte, butent à leurs avantages particuliers. Il se forme aussi des brigues et des factions des nations, comme de la Romaine, par exemple, pour ne consentir point à l’élection d’un pape qui ne soit romain […]. Il y a des factions de spirituels et indépendants qui font profession ouverte de ne vouloir se déclarer en faveur d’aucun en particulier, et de suivre leurs inspirations pour les sujets qu’ils estimeront en leurs consciences dignes du pontificat ; lesquels se joignent aisément à toutes les autres < factions >, ou pour exclure ceux qu’on propose qu’ils estiment indignes de cette élévation, ou pour donner leurs suffrages à ceux qui ont des qualités pour soutenir avec réputation la dignité de chef de l’Église catholique. Cette diversité de factions, quand elles sont de forces égales et que les voix sont également partagées, est cause pour l’ordinaire de la longue durée des conclaves. »

10.

« contre la poudre fébrifuge [le quinquina] de Jean-Jacques Chifflet » (Lyon, 1654, v. note [9], lettre 309).

Guy Patin annonçait ici l’ouvrage pseudonyme du P. Honoré Fabri, jésuite, {a} intitulé :

Pulvis Peruvianus vindicatus, de ventilatore eiusdemque suscepta defensio ab Antimo Conygio hortatu Germani Poleconii.

[La poudre du Pérou vengée, et défense opposée à son perturbateur par Antimus Conygius sur la prière de Germanus Poleconius]. {b}


  1. V. note [34], lettre 97.

  2. Rome, héritiers de Corbelettus, 1655, in‑8o de 88 pages.

    V. note [6] lettre de Thomas Bartholin datée du 21 juillet 1663, pour l’autre défense du quinquina publiée par Rolandus Sturmius (Delft, 1659).


11.
La Rhétorique française. Où l’on trouve de nouveaux Exemples sur les Passions et sur les Figures. Où l’on traite à fond de la Matière des Genres Oratoires. Et où le Sentiment des Puristes est rapporté sur les usages de notre langue. Par René Bary {a} Conseiller et Historiographe du Roi. Seconde édition, corrigée et augmentée. {b}


  1. René Bary, mort en 1680, est un écrivain français « précieux », dont celui-ci est le plus connu des ouvrages. Il a aussi publié La Défense de la jalousie (1642), L’Esprit de cour… (Paris et Bruxelles, 1664, v. note [52] des Déboires de Carolus), etc.

  2. Paris, Pierre le Petit, 1656, in‑8o de 309 pages ; première édition en 1653, in‑4o, nombreuses rééditions ultérieures.

    L’auteur y « raffine sur les subtilités de la rhétorique formaliste, au point d’étudier longuement les façons de commencer une période par une syllabe différente (par Ab, Ac, Ad, etc.) » (D. Mornet in Dictionnaire des lettres françaises, xviie s.).


12.

Annibal Barlet n’a laissé qu’une mince trace dans les biographies. Docteur en médecine, il ne pratiqua apparemment jamais, mais consacra sa vie à enseigner et étudier la chimie à Paris. Guy Patin, qui le tenait en bonne estime, {a} parlait ici du :

Vrai et méthodique Cours de la Physique résolutive, vulgairement dite Chimie. Représenté par Figures générales et particulières. Pour connaître la théotechnie ergocosmique, c’est-à-dire l’Art de Dieu en l’Ouvrage de l’Univers. Par Annibal Barlet, D. Méd. {b} et Démonstrateur d’icelle. {c}


  1. V. note [3], lettre 730.

  2. Dans une lettre écrite à son père le 29 novembre 1659 (v. notule {m}, note [1], lettre 1028), Hieronymus Bauhin a donné à Barlet le titre de chimicus doctor Monspeliensis [docteur chimiste de Montpellier], (mais il ne figure pas dans la liste des docteurs montpelliérains établie par Dulieu.

  3. Paris, N. Charles, 1653, in‑4o de 626 pages, pour la première de plusieurs éditions ; la deuxième (ibid. 1657), est ornée d’un joli frontispice.

13.

V. note [13], lettre 35, pour la publication alors inachevée des œuvres de Galien par René Chartier.

14.

« d’où vient qu’elle vit et traîne une misérable existence. » V. notule {a}, note [3], lettre 258, pour la cendre de gravelée.

15.

« mais elle ne trouve pas de pigeons. »

16.

« Non-prix, se dit au Palais pour signifier bas prix, vil prix : cette terre a été adjugée à non-prix, à trop bon marché » (Furetière).

17.

V. note [14], lettre 387, pour la Soteria du P. Jean Bertet sur la maladie de Pierre Gassendi, dont j’ai consulté deux versions : celle qui a été imprimée en à Lyon en 1654 et celle que Balthazar de Monconys a reprise dans son Journal (ibid. 1666). La différence porte sur les vers parlant de Jean-Baptiste Morin, auteur d’âpres et incessantes attaques philosophico-astronomiques contre Gassendi. {a}

18.

« mais ces choses n’apportent rien à l’exercice de notre art. »

V. note [74], lettre 332, pour l’Hortus regius Blesensis [Jardin royal de Blois] d’Abel Brunier, médecin du duc d’Orléans (Paris, 1653 et 1655).

19.

Nomenclateur (de nomen, nom, et calare, appeler) était au sens premier « chez les Romains, celui qui accompagnait les gens qui briguaient les magistratures et qui leur suggérait les noms de tous les citoyens qu’ils rencontraient afin de les saluer en les appelant par leur nom ; ce qui était la manière la plus civile de le faire. On le nommait aussi protocole » (Furetière) ; le sens s’est étendu à « celui qui impose des noms, qui s’applique à la nomenclature en chimie, en histoire naturelle, etc. » (Littré DLF).

20.

L’anatomiste Jean Pecquet appartenait alors à la suite de François ii Fouquet (v. note [52], lettre 280), évêque d’Agde et frère aîné de Nicolas Fouquet, l’un des deux surintendants des finances du moment.

La chaire de chirurgie et pharmacie de Montpellier était vacante depuis la mort de Lazare Rivière, survenue le 16 avril 1655 (v. note [5], lettre 49), qui en avait été titulaire depuis 1620. En dépit de ses immenses mérites, Pecquet ne fut jamais nommé professeur de l’Université de Montpellier, dont il était docteur.

21.

David Blondel, ministre protestant français (v. note [13], lettre 96), était mort le 6 avril, et Daniel Heinsius, humaniste hollandais (v. note [4], lettre 53), le 23 février.

22.

V. notes :

Son livre contre les nombreux écrits généalogiques adulateurs de Jean-Jacques Chifflet, {a} médecin de Besançon au service des gouvernants espagnols flamands et franc-comtois, s’intitulait :

Genealogiæ Francicæ plenior assertio. Vindiciarum Hispanicarum, Novorum Luminum, Lampadum Historicarum et Commentorum Libellis, Lotharingia Masculina, Alsatia vindicata, Stemma Austriacum, de pace cum Francis ineunda Consilium, de Ampulla Remensi disquisitio, et Tenneurius expensus, a Joanne Jacobo Chiffletio inscriptis, ab eoque in Francici nominis iniuriam editis inspersorum, omnimodo eversio. Auctore Davide Blondelo. Tomus primus.

[Protestation plus complète de la généalogie franque. Renversement en tout point des revendications hispaniques, des nouveaux éclairages, des flambeaux historiques, et des commentaires répandus par les libelles que Jean-Jacques Chifflet a écrits et mis au jour pour insulter la gloire franque : Lignée mâle de Lorraine, Alsace revendiquée, Généalogie autrichienne, Conseil sur la paix qui doit être entreprise avec les Français, Recherche sur l’ampoule de Reims, et Tenneurius expensus. {b} Par David Blondel. Tome premier.]


  1. V. note [18], lettre 104.

  2. Ce titre singulier a plus que les autres éveillé ma curiosité :

    Tenneurius expensus ; eius Calumniæ palam repulsæ. Subjuncta est Appendix ad Corollarium de Baptismo Clodovici i. Regis. Auctore Ioanne Iacobo Chifletio, Equite, ac Regio Archiatrorum Comite ; Serenissimo Archiduci Leopoldo Guilielmo a Cubicula.

    [Tenneurius {i} ruiné : ses Calomnie publiquement rejetées. Avec un Appendice au Corollaire sur le baptême du roi Clovis ier. Par Jean-Jacques Chifflet, chevalier et archiatre royal, appartenant au cabinet du sérénissime archiduc Léopold Guillaume]. {ii}

    1. Avant Blondel, le mathématicien et historien polémiste Jacques-Alexandre Le Tenneur (Paris 1604-1659) s’était attaqué aux écrits fantaisistes de Chifflet.

    2. Anvers, Balthasar Moretus, 1652, in‑4o de 47 pages.

  3. Amsterdam, Joannes Blaeu, 1654, in‑4o de 81 feuilles ne contenant que la Præfatio Apologetica [Préface apologétique] ; deuxième tome, sous-titré Carolini Sanguinis in Capetinam Familiam per annos 800 continuus influxus [L’écoulement continu du sang carolingien pendant 800 ans dans la famille capétienne], ibid. et ibid. 1654, in‑4o de 440 pages, auxquelles s’ajoute une généalogie de 130 pages.

23.

V. note [7], lettre 202.

24.

Dix jours étaient le temps estimé qu’il fallait pour aller à pied de Paris à Lyon.

25.

V. note [6], lettre 394, pour l’Alethophanes de François Blondel.

26.

Guy Patin faisait sans doute expédier à Charles Spon le libelle intitulé :

Apologia Approbatorum Stibii seu Carmen Elegiacum. Α′μοιβαμον, in quo Veterum et Recentium Medicorum Authoritatibus, Ratione et Experientia probatur Stibium non esse Venenum. Authore M. Iacobo Thevart, Doctore Medico Parisiensis, et R.M.

[Apologie des approbateurs de l’antimoine, ou Chant élégiaque. Dialogue, où l’autorité des médecins anciens et modernes, la raison et l’expérience démontrent que l’antimoine n’est pas un poison. Par M. Jacques Thévart, {a} docteur en médecine de Paris, et médecin du roi]. {b}


  1. V. note [23], lettre 146.

  2. Paris, Jacobus Langlois, 1655, in‑4o de 21 pages.

La querelle stibiale y était en effet comparée à celle des jansénistes et des jésuites sur la grâce, comme en atteste, page 18, ce poème latin :

Stimmi-machismi  {a} Prorrheticum

Bellarunt qui summa Dei mysteria tractant ;
Gratia dissidi fons, et origo fuit.
Nunc sæva in Medico peraguntur bella senatu ;
Stimmi prætextus causa latens-ve subest.
Illis, Pax vobis, Petri Successor ab alto
Dixit, et hæc sacris regnat ubique locis.
Non sic tranquilla composti pace quiescent,
Præstantes Medica quilibet arte viri.
Hos inter bellum magis est durabile, nempe his
Dicere, Pax vobis,
 {b} nullus in orbe potest.

[Le Pronostic du combat antimonial

Ceux qui s’occupent des grands mystères de Dieu en ont fait la guerre ; la grâce a été la source et l’origine du différend. Maintenant des combats furieux sont menés sans répit dans le Collège médical ; l’antimoine en est le prétexte ou la cause sous-jacente. Aux premiers, du haut de son trône, le successeur de Pierre a dit paix à vous, {c} et elle règne partout dans les églises. Tous les hommes qui se distinguent en l’art médical ne sont pas apaisés d’avoir été réconciliés par une paix calme. Entre eux la guerre est sans fin et, de fait, nul au monde ne peut leur dire paix à vous].


  1. Id est, Pugnæ Antimonialis Prædictio [C’est-à-dire : “ Le Pronostic du combat antimonial ”] (note de Thévart).

  2. Sola hæc Ars Imperatoribus Imperat. Plinius [Cet art seul (la médecine) commade aux conquérants. Pline] : Paremus externis, et una artium imperatoribus quoque imperaverunt [Nous obéissons aux étrangers ; et, à l’aide d’un seul art, ils commandent à leurs conquérants] (Histoire naturelle, livre xxiv, chapitre i ; Littré Pli, volume 2, page 164).

  3. Le successeur de Pierre était le pape Innocent x qui avait vainement tenté d’apaiser la querelle de la grâce.

27.

« les bourreaux antimoniaux ». V. note [17], lettre 398, pour ce qu’étaient les monitoires.

28.

Cette indication n’a pas permis d’identifier précisément l’infortuné Moisson.

29.

« qui ne châtient pas de tels fripons, charlatans et imposteurs, au nom de quoi ils jouissent de l’impunité et de l’iniquité du siècle. »

30.

V. notes [13], lettre 22, pour François Pijart, et [19], lettre 242, pour Jean Du Clédat.

Gilbert Puilon (ou Puylon), originaire de Clermont-Ferrand, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1631, mort le 5 mai 1673, eut deux fils docteurs régents, prénommés Denis (reçu en 1660, doyen de 1670 à 1672, v. note [16] du Diafoirus et sa thèse) et Claude (reçu en 1670, doyen de 1684 à 1686, v. note [155] des Déboires de Carolus).

Nicolas Cappon (ou Capon, mais il signait avec deux p) avait été reçu docteur régent de la Faculté de Paris en 1637.

Ces quatre régents adhérèrent au parti antistibial.

31.

« le gymnasiarque d’Orange. »

Samuel Sorbière, sous le pseudonyme de Sebastianus Alethophilus, est tenu pour l’auteur d’une lettre à la gloire de Jean Pecquet (v. note [5], lettre 390). Il était alors principal (« chef du gymnase ») du collège protestant d’Orange, Arausio en latin, qui donne Arausiensem, et non Oransiensem, comme l’écrit de manière un peu barbare l’auteur du Genius Pantoulidamas… (v. infra note [35]) en deux endroits.

Les reproches du Genius n’étaient pas infondés, comme le montrent ces deux courts extraits (pages 169‑170) de la lettre d’Alethophilus où il malmène allégrement les deux idoles de la médecine dogmatique, mais où le latin n’est intelligible qu’à condition de ne tenir aucun compte de la syntaxe.

32.

« Celui-là ne professe pas la médecine, mais exploite son talent de maquereau en vue d’obtenir de quoi manger pour lui et son épouse déjà bien vieille. »

V. note [30] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot… pour Antoine Madelain.

33.

Siméon Courtaud, doyen de Montpellier, et son frère aîné Jacques, « le bonhomme Courtaud », étaient neveux de Jean Héroard, le défunt médecin de Louis xiii.

34.

V. note [12], lettre 384, pour la lettre de Siméon Courtaud que Charles Spon avait communiquée à Guy Patin, datée du 17 septembre 1654.

35.

V. note [2], lettre 380, pour l’« Apothéose du maquereau de Guillemeau, etc. ».

L’autre livre, Genius Παντουλιδαμασ ad diam Scholam apud Parisios Empirico-Methodicam in cauto nuper igne raptam in Lyra [Le Génie Pantoulidamas (maître absolu de tout) en faveur de la dive École empirico-méthodique, qui était sur ses gardes, mais qu’un poème a récemment enflammée à Paris] (Paris, sans nom 1654, in‑4o de 133 pages, soit à peu près 17 feuilles) porte en sous-titre deux vers empruntés (sans le dire) à Hésiode (Les Travaux et les Jours, chant i, vers 263-264) : « L’injure que l’on fait aux autres revient à son auteur, et tout jugement inique accablera son juge » (traduction de L. Coupé, 1834). La prose latine de cette virulente attaque des Montpelliérains s’assortit de nombreux vers français et grecs.

Pages 36‑42, est imprimée une partition à quatre voix (dessus, haute-contre, taille et basse), qui chante par anticipation la mort de Charles Guillemeau :

« Faculté dresse des autels
À Charles Guillemeau ton frère,
Car ses vertus, du cimetière,
L’ont fait passer aux immortels ;
Il n’est plus, mais son ombre trotte
Encore ici bas. Sur son corps
Verse du vin, verse du vin. Lors chez les morts,
On chantera iô, iô, iô, pour cet héros qui rote.

Qui trouble ici notre repos ?
Qui que tu sois, ombre, silence.
Je suis Oc, quoi je vous offense,
Des boccans, {a} Oc, le grand héros.
Va sale infâme tu radotes,
Ingrat médisant hors ces bors, {b}
Car chez les morts
On n’entend point d’héros qui rote

Va-t’en de ce pas chez Pluton {c}
Expier ton malheureux crime.
Là tu serviras de victime
Aux violences d’Alecton. {d}
Là seul tu seras la marotte
À Minos et à ses recors, {e}
Car chez les morts
On ne veut point d’héros qui rote.

École, ce n’est pas assez
D’enfler nos rives Stygiales {f}
Aux yeux des plaines infernales,
De corps l’un sur l’autre entassés,
Si tu ne veux qu’on les picote, {g}
Dis-leur qu’ils cèlent leurs rapports,
Car chez les morts
On ne reçoit aucun qui rote. »


  1. Boccan ou boucan : bordel.

  2. Bors : confins, frontières.

  3. Pluton : dieu des enfers.

  4. Alecto (l’Implacable) : des trois Furies (déesses infernales), celle qui ne cesse pas de persécuter et de nuire ; les deux autres étant Mégère (la Haine) et Tisiphone (la Vengeance, v. note [8], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er août 1669).

  5. Recors : assistants.

  6. Stygiales : du Styx, fleuve des enfers.

  7. Picoter : quereller quelqu’un doucement.

Pages 47‑48, c’est un assaut contre le Rabat-Joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau :

« Perreau ton Rabat-joie enfanté d’une houe,
Chargé de vieils haillons, de centons, de lambeaux,
Sera si tu n’y prends bien garde dans les eaux
De la Seine embrouillé en dépit de ta moue.

Il n’en peut déjà plus, et pendant qu’on s’en joue
On le voit chez Thétis {a} se faire des tombeaux.
Si tu ne sais briser le cours de ses ruisseaux,
Et ton École et toi périrez dans la boue.

Ce naufrage est présent. Crois-moi, ne pense pas
Que cet enfant mal fait soit maître du trépas,
Il est par trop faiblet pour vaincre les années ;

Et quoique secouru par ses braves Blondel,
Guillemeau, Germain, Richard, Merlet, Patin, Mentel,
Si faut-il qu’il s’abaisse aux lois des destinées. »


  1. Mère d’Achille (v. note [48] du Borboniana 9 manuscrit).

Page 75, les attaques nominales s’aiguisent sous le couvert d’anagrammes transparentes :

« Remlet l’enrechigné en écrits ridicule,
Tapin le bruscambille {a} et le futé bouffon,
Mguileau l’effronté et le stupide ânon
Boldnel l’enchevêtré, quand il est sur sa mule,

Ces quatre charlatans sans art et sans scrupule,
Et l’ignare Tamnel avec son beau jargon
Sont tes originaux, École, ce dit-on,
Pour porter ton honneur à Vaugirard sans bulle. {b}

Ne crains plus désormais la perte de ton art,
Dont l’ignorance entière a formé ce brocard, {c}
L’École de Paris est riche en âneries.

Puisque ce quincumvir {d} porte une qualité
Qui peut remettre en vogue avec facilité
Ton envie, ton faste, {e} ton jeu, tes rêveries. »


  1. Bruscambille : nom d’un comédien bouffon.

  2. On disait d’un homme qui se méprenait grandement qu’il prenait Vaugirard pour Rome.

  3. Brocard : raillerie mordante.

  4. Groupe de cinq hommes : Jean Merlet, Guy Patin, Charles Guillemeau, François Blondel et Jacques Mentel, suivant leur ordre d’apparition dans le texte.

  5. Faste : orgueil apparent, affectation de vanité, d’un éclat qui paraît aux yeux des hommes.

Jean Merlet est directement attaqué pages 113‑114 (où, comme dans les suivants, chaque point remplace une lettre du nom de la personne attaquée) :

« Paix M..L.. à longues oreilles,
Qui fais en tuant des merveilles,
Cache ta plume au calemal, {a}
Tiens ton esprit en ta caboche,
Car pour nous endosser taloche
Il est trop lâche et trop brutal.

Ne parlons plus de cet infâme,
Ô l’ingrate, ô la perfide âme,
Qui vient ici nous tourmenter,
Et laissons là ce ver de terre,
C’est trop peu pour livrer la guerre
À ces descendants de Luther.

Tout beau M..L.. ! Là, tête d’âne,
N’échauffe plus si fort ton crâne,
De peur d’entrer dans des combats,
Fais mieux ton rôle en ta boutique,
Et ne fais plus du satirique,
Ton ignare style est trop bas. »


  1. Calemal ou calemar : étui pour ranger les plumes.

Guy Patin était qualifié de Parisiensis ganeo loquacissimus conviciorum pater disertissimus, quiescente Sponio [le plus bavard coureur parisien de tavernes, père fort habile d’invectives qu’il confie au paisible Spon] (page 30) ou de incultarum rerum inordinato ordine munitus et obrutus [rempart et ruine de choses en friche sens dessus dessous] (page 76). Il recevait aussi quelques flèches bien décochées (page 114) dans le long poème français qu’il attribuait à Jean Chartier :

« Triaire. vieil cloaque d’ordures,
Tabarin {a} puant sac d’injures,
Pensant t’accroître du crédit
En médisant des hommes sages,
En te mettant au rang des mages,
Tu t’es acquis un mauvais bruit.

Triaire. regratier de vieux livres, {b}
Hableur parfois quand tu délivres
Quelqu’un d’un mal qu’il n’avait pas,
Prône, afin que mieux on te gratte,
Que tu sais plus que l’Hippocrate
À ceux qui ne te voient pas. {c}

Fais-toi traîner dans ta charrette
Dans Paris paysan d’une traite, {d}
À la façon du fol Thespis, {e}
Et là par tes contes frivoles
Tu feras voir tes babioles
Aux fils puisaînés d’Iapis. » {f}


  1. Tabarin : farceur de théâtre ambulant.

  2. Regratier : revendeur.

  3. Possible allusion perfide au goût qu’avait Patin d’entretenir une riche correspondance avec des gens qu’il ne rencontrait jamais (ou guère).

  4. D’une traite : du fin fond de la campagne (du Beauvaisis).

  5. Thespis d’Icare, inventeur de la tragédie, allait de ville en ville jouer ses pièces sur un chariot.

  6. Iapis, fils d’Iasus, avait reçu d’Apollon (v. note [8], lettre 997) l’art de guérir par les plantes.

Preuve que la querelle de Montpellier dépassait celle de l’antimoine, François Guénault n’échappait pas non plus aux saillies du versificateur quand il défendait Antoine Madelain (pages 99 et 107‑108) :

« Complotez dans vos assemblées,
Contre lui sans cesse endiablées
De le mettre en mauvaise odeur,
L’impudence de votre audace
Ne peut assez être efficace
Pour fouler au pied sa candeur.

Que du G.....T, par son envie
Qui ne peut point être assouvie,
Partout le grippe à belles dents,
Ses traits et son impertinence
N’ont aucun effet dans l’absence
De l’objet de ces accidents. […]

Dis à G.....T, ce maître fourbe,
Ce bigle qui rit quand il fourbe,
Que Montpellier est sans fripons,
Que lorsque Mad’lain chez un prince
L’entreprit, à faute de pince,
Il prit le chemin des poltrons.

Dis-lui que sa traître Méthode
Creuse des cercueils à la mode
À ceux qui l’appellent chez eux ;
Que ses trop niaises consultes,
Par intelligences occultes,
Ne sauvent que par les cheveux.

Dis à ce vieil rongé d’usure
Dont les épaules en masures {a}
Font un demi-cercle pansu,
Qu’il est mal séant que son envie
Gagne aux dépens d’autrui sa vie
Dans l’air d’un esprit mal conçu. »


  1. En ruine.

Page 133, le Genius Pantoulidamas s’achève sur « L’ombre du lion Le Tourneur, {a} jadis physicien, apparu le 21e décembre … {b} à son École, sur la perte mortelle de ses ongles arrachés par le chien Tourne-broche, et sans queue, de Charles Guillemeau son collègue, et dont il est décédé » qui laisse fort à penser que Siméon Courtaud en est l’inspirateur, sinon l’auteur :

« J’étais, je ne suis plus, et la dent meurtrière
De notre petit chien me tient sur la poussière,
Sans être secouru par votre lâcheté.
Tremblez, ce coup fatal vous a-t-il pas dompté ?

Or pour vous souvenir tous les jours à toute heure
De ce mortel poison qui fait votre blessure,
Gravez d’un fort burin sans craindre aucun affront
Ces quatre petits vers au haut de votre front :

Faculté pleine de désordre,
Qui aboyez sans pouvoir mordre,
Ne faites plus les entendus,
Le petit chien vous a mordus.

Adieu pour jamais. »


  1. Léon Le Tourneurs, docteur régent de la Faculté de médecine en 1637, inhumé le 16 novembre 1654, v. note [9], lettre 380.

  2. Année écrite en numérotation probablement alchimique que je n’ai pas su comprendre.

Ce curieux ouvrage contient aussi la précieuse version latine de la vie de Jean Héroard (v. note [30], lettre 117), écrite par les Montpelliérains (pages 48‑60). Elle complète et contredit celle qui se lit dans le Cani miuro de Charles Guillemeau (Paris, 1654, v. note [14], lettre 258). Toutes deux sont transcrites et traduites dans Les deux vies de Jean Héroard, premier médecin de Louis xiii.

36.

Guillaume Languet (mort en 1666), fils d’un avocat de Chalon-sur-Saône, était lui-même devenu avocat en Parlement et secrétaire ordinaire du prince de Condé. Promu avocat aux Conseils et secrétaire du roi (1634-1659), il participait très activement à la vie financière en prenant de nombreux partis dans les affaires extraordinaires, dans les fermes générales des gabelles et dans les cinq grosses fermes (Dessert a, no 289). Il est réapparu dans les lettres en 1665 (v. note [3], lettre 847).

37.

« Vale et aimez-moi, et encore une fois vale. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 avril 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0399

(Consulté le 24/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.