L. 402.  >
À Charles Spon,
le 11 mai 1655

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du mardi 21e d’avril en quatre grandes pages, qui fut le même jour que j’en avais donné une autre petite à M. Mauger, [2] jeune homme de Beauvais [3] qui s’en allait à Lyon pour commerce, je vous dirai que Messieurs du Parlement travaillent ici à l’examen des édits que le roi [4] fit vérifier le mois passé en sa présence. [5] Les Messieurs du Conseil en ont envoyé autant au parlement de Rouen [6] pour y être vérifiés, à la réserve de celui du papier, qu’ils semblent par là vouloir abandonner, pressentant qu’il ne pourra passer de delà, non plus que de deçà[1][7] Voilà un médecin de Montpellier [8] qui vient de sortir de céans nommé M. Sanche le jeune, [9] duquel je vous ai par ci-devant écrit. Il m’a apporté une lettre de Monsieur son père [10] dans laquelle il y avait des recommandations pour moi et pour M. Riolan. [11] Je me suis bien souvenu de ce que vous m’aviez mandé de lui. L’on m’a dit aujourd’hui que notre M. Le Gagneur [12] a grand regret d’avoir suivi le prince de Conti [13] et que M. de Belleval [14] de Montpellier lui a rendu de très mauvais services près de son maître. Le jeune Sanche m’a dit aussi que M. Rivière, [15] professeur de Montpellier, se mourait et qu’il était au lit bien malade, et qu’ainsi il y aurait deux chaires vacantes. Il hait fort MM. de Belleval et Courtaud, [16] mais il aime Rivière. [2]

Le 22e d’avril. On dit que la reine de Suède [17] s’est bien remise avec le prince de Condé [18] et qu’elle lui a moyenné un secours de 12 000 hommes qu’elle lui fait venir de Suède afin qu’il s’en serve l’été prochain contre nous ; ce que je ne crois point qui arrive, vu qu’il n’y a nulle apparence que le roi de Suède [19] entre si tôt ni si gaiement en guerre contre nous (l’on nomme pour conducteur de ces troupes le général Königsmarck) ; [3][20] vu même que le roi de Suède est prié du roi de Pologne [21] de lui donner secours en sa guerre qu’il a contre le Moscovite ; [22][23] trop bien que la reine de Suède est malcontente de nous sous ombre qu’on lui a refusé de la recevoir de deçà, comme elle avait témoigné qu’elle avait dessein de venir ici passer à Paris quelques mois ; mais je ne crois point que le roi de Suède se mêle de secourir les Espagnols contre nous, vu qu’il peut en avoir besoin.

Le 28e d’avril. Il y a ici des lettres de Montpellier, lesquelles portent la mort du sieur Laz. Rivière, professeur. Voilà deux chaires vacantes dans la même ville, voilà de quoi réveiller l’esprit à tant de prétendants. Le jeune Sanche dit qu’infailliblement il en aura une des deux, je le crois à l’appétit qu’il en a.

L’on imprime en Hollande un plaisant livre de Præadamitis [24] dans lequel l’auteur, nommé Peirest, [25] gentilhomme de Guyenne de la Religion, prétend prouver qu’Adam n’a point été le premier homme du monde, qu’il y en avait devant lui. Ce livre servira de commentaire à quelques chapitres de l’Épître < de > saint Paul ad Romanos[4][26] Cette opinion me plaît et me lairrais volontiers persuader qu’elle est vraie, au moins est-elle belle. Je tiens pour certain que c’est ce même traité dont parle M. de Sarrau [27] en ses Épîtres, page 74, que je pense vous avoir envoyées par ci-devant. [5]

Je continue mes leçons [28] trois fois la semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi, avec grand nombre d’auditeurs, lesquelles j’espère de finir un peu devant la Saint-Jean afin que les écoliers aient le loisir d’aller prendre leurs degrés à la campagne ou de s’en aller en leur pays, [6] tandis que je me reposerai et que je prendrai quelque temps pour composer de nouvelles leçons afin de les recommencer après la Saint-Martin, après que nos Écoles seront ouvertes. Je pourrai alors commencer un traité de medicamentis purgantibus tam simplicibus quam compositis ; [29] et puis après, je donnerai celui de alterantibus tam simplicibus quam compositis[30] où il y aura bien à critiquer et à reprendre. [7][31]

Ce 1erde mai. Je viens d’apprendre que le roi [32] a été aujourd’hui saigné [33] pour la deuxième fois à cause de certaines rougeurs qui lui sont venues au visage. [8]

Ce 2d de mai. Voilà que je reçois la vôtre du 27e d’avril avec joie de savoir que vous êtes en bonne disposition, et vous, et votre famille. Je pense que l’on imprimera bientôt quelque chose de ce M. Le Noble [34] de Rouen, j’en ai ainsi entendu parler à M. Riolan qui lui a fait réponse et qui l’a peut-être encouragé à l’entreprendre. [9]

Pour Tardy, [35] je vous donne avis que c’est un fou, bête et glorieux. Son livre est en français, je ne l’ai point encore vu, il l’a dédié à Guénault [36] et l’a loué dans l’épître d’avoir été le premier qui a mis l’antimoine [37] en crédit. [10] Ne voilà pas trois bonnes bêtes, Guénault, Tardy et l’antimoine ? Ce Tardy est âgé d’environ 52 ans et se veut marier. Tout le monde le connaît pour fou et < il > tâche de se faire encore connaître davantage : il dit qu’il a des livres à faire imprimer de la hauteur d’un homme ; qu’il n’y a que lui qui entende l’Hippocrate ; [38] que si l’École lui voulait donner pension, qu’il ferait des miracles à enseigner les jeunes gens et qu’il leur dirait ce que personne n’a jamais su. Bref, il est à la veille de courir les rues de folie et de présomption ou d’être enfermé dans les Petites-Maisons. [39] Il est natif de Langres, [40] fils d’un avocat qui a pensé être pendu pour une fausseté qu’il avait faite. Celui-ci a trois mauvaises qualités, fou, ignorant et gueux : il n’y a semaine qu’il n’ait quelque procès au Châtelet [41] contre quelque malade qui ne l’a point payé à son gré. Bref, est animal plane ridiculum[11]

J’ai vu ce livre du médecin d’Arles intitulé Pyretologia[42] l’on m’a dit qu’ils ont dessein de le faire imprimer ici ou à Lyon augmenté. [12] On me l’a montré en m’en demandant mon avis, je leur ai conseillé de n’en rien faire. Je doute fort s’ils en trouveront ici l’occasion, vu que nos libraires ne veulent rien entreprendre, pour la cherté du papier et propter operarum penuriam[13]

Je n’ai point encore vu votre M. Müller [43] de Strasbourg, je ne manquerai point de le bien recevoir et de lui présenter vos baisemains.

Je suis de votre avis touchant les libelles de Courtaud. Ce dernier est aussi infâme que les autres et ne vient pas de Montpellier. [14] Madelain, [44] qui est ici un misérable charlatan, [45] se vante de l’avoir fait, et ne voit pas qu’il n’y a que du danger et du déshonneur de cette vanterie. D’ailleurs, ces livres sont si mal faits que de s’en avouer l’auteur et perdre sa cause c’est la même chose. Il y a longtemps que je n’ai point vu M. Guillemeau, [46] je ne sais ce qu’il fera là-dessus ; au moins vous puis-je assurer que ce dernier livre ne mérite point de réponse. Il faudra voir par ci-après si M. Courtaud de Montpellier fera quelque autre chose de son côté qui puisse être mieux reçu, ou contre ce même M. Guillemeau, ou pour l’honneur et la mémoire de feu M. Héroard [47] son oncle. Autrement, c’est une querelle, laquelle s’abattra d’elle-même et s’évanouira faute de matière. Au moins sais-je bien que M. Guillemeau a bien d’autres desseins en sa tête et d’autre travail en ses mains, car il a un livre contre l’antimoine en latin qui sera grand et fort, et à ce que lui-même m’a dit, opus palmarium[15] Depuis, il travaille à son Histoire, ainsi n’est-il point besoin qu’il s’amuse à ces bagatelles de Madelain et de Courtaud, quæ nihil tam merentur quam contemptum[16] Vous savez bien ce bon mot de Tacite [48] en matière d’injures : Convitia si irascare agnita videntur, spreta exolescunt ; [17] c’est signe d’une mauvaise cause, et bien abandonnée, quand on est réduit à ne dire que des injures au lieu de bonnes raisons ; il vaudrait mieux se taire et ne point écrire, sed talis sapientia apud nos non habitat ; [18][49] l’impudence et l’impunité de notre siècle souffrent tous ces désordres.

M. de Wicquefort, [50] résident du marquis de Brandebourg [51] à Paris, m’a dit que depuis peu en Hollande, et ipse Hollandus[19] on avait imprimé un livre de tribus Nebulonibus, qui étaient entendus 1. Thomas Aniello [52] qui fit révolter Naples [53] il n’y a pas longtemps contre le roi d’Espagne, [54] 2. Olivier Cromwell [55] le tyran d’Angleterre, 3. Iul. Maz. Card. et summus rerum Gallicarum Administrator ; [20][56] mais que le magistrat a fait saisir toute l’impression afin que le livre ne se vende point. Néanmoins, il sera malaisé qu’il ne se voie, quelque copie en étant échappée. Nous sommes en un temps où les libraires fricassent après ces nouveautés dans l’espérance qu’ils ont d’en faire leur profit. [57] C’est par cette même raison que l’on réimprime Paracelse [58] à Genève et le Van Helmont [59] à Lyon avec privilège du roi que l’on refuse à de bons livres. [21] C’est la faute des magistrats qui ne se font pas assez instruire de tout ce qui se passe.

Le roi a pris un petit deuil, savoir un habit violet, pour la mort de la reine de Suède la mère, [60] veuve du grand Gustave [61] et propre mère de celle [62] qui est aujourd’hui à Bruxelles, [63] où elle est réduite à chercher de l’argent à emprunter sur des gages et de bonnes nippes qu’elle a vers soi, qui font apparemment partie du pillage et du butin du feu roi son père en Allemagne. [22]

Il n’y a nulle apparence que le roi de Suède donne du secours aux Espagnols. Un ambassadeur des Villes hanséatiques [64][65][66] m’a dit ce matin que tout ce qu’on en a dit ici depuis peu ne peut être que fabuleux, que le roi de Suède a bien d’autres choses à faire et que nous ne devons nullement craindre ce prétendu secours dont les Espagnols, qui sont grands hâbleurs, se sont par ci-devant vantés fort mal à propos. Il est vrai qu’ils en auraient besoin et qu’ils n’ont pas de quoi cette année faire une armée capable de résister aux troupes que le roi aura et avec lesquelles on parle d’assiéger Rocroi, [67] Cambrai, [68] Saint-Omer [69] ou quelque autre place, si ce n’est que les Espagnols veuillent tout de bon traiter de la paix ou que le nouveau pape [70] n’y interpose toute son autorité.

On parle ici de quelque libelle diffamatoire contre les jésuites et la prédication du P. Adam [71] dans Saint-Germain< -l’Auxerrois > [72] le jour de Pâques, præsentibus Rege, Regina, Mazarino[23] On dit même qu’il y a quelque chose contre Son Éminence, mais je ne l’ai point vu et ne puis vous en dire davantage.

Les lettres d’Angleterre portent que Cromwell a fait couper la tête à beaucoup de monde de ceux qui se sont trouvés enveloppés dans la dernière conspiration, et en diverses villes, Sommerset, Salisbury et autres. [24]

J’apprends qu’il y a sur la presse un libelle fait pour la défense du parti de ceux qui ont signé que l’antimoine est bon, pourvu qu’il soit bien préparé et donné bien à propos[73] Et voilà le point qui a fait la querelle : on ne défend point là l’antimoine, on n’y dit rien pour l’exemple, comme dit le Gazetier[74] ni contre le livre de M. Perreau, [75] mais on y traite seulement mal environ 66 docteurs qui sont contre l’antimoine, et l’opposition desquels a bien aidé à le décrier et le décréditer comme il est. [25] Puisque vous vous êtes souvenu du titre de l’épître de ce nouveau Sennertus[76] obligez-moi de me faire une copie du dit titre comme vous avez envie qu’il soit dressé et de me l’envoyer dans votre première. [26]

On dit que le roi partira mardi prochain d’ici pour aller à Chantilly [77] y passer les fêtes de la Pentecôte ; [78] qu’après il ira à Compiègne, [79] delà à La Fère [80] et après tout, à l’armée qu’il ira lui-même commander en personne ; attendant quoi, ce sera le maréchal de Turenne [81] qui y commandera comme lieutenant général.

Il n’y a pas longtemps que l’on me fit ici voir un Auvergnat malade, lequel était soupçonné de ladrerie. [82] Peut-être que sa famille en avait quelque renom car, pour sa personne, il n’y en avait aucune marque. Cela me fit souvenir de quelques familles de Paris qui en sont accusées et soupçonnées car actuellement nous ne voyons ici aucun ladre. Autrefois il y en avait un hôpital dédié pour les recevoir au faubourg de Saint-Denis, qui est aujourd’hui occupé par les prêtres de la Mission sous la conduite du P. Vincent. [27][83][84] On n’en voit ni en Normandie, ni en Picardie, ni en Champagne, combien qu’en toutes ces provinces il y ait des léproseries qui ont été converties en hôpitaux de peste [85] propter raritatem elephanticorum [28][86] (autrefois on prenait pour ladres [87] des vérolés [88] qui per inscitiam Medicorum et sæculi barbariem, nec distinguebantur ab elephanticis, nec sanabantur). [29] Néanmoins, il y a encore des ladres aujourd’hui en Provence, [89] en Languedoc et en Poitou ; Valleriola [90] et Gul. Ader [91] l’avouent ingénument. [30] En votre Lyonnais, y en a-t-il, en avez-vous jamais vu quelqu’un reconnu pour tel, avez-vous en votre ville de Lyon un hôpital dédié pour de telles gens, en avez-vous vu à Montpellier ou autres places du Languedoc quand vous y avez été ?

Quand M. Chesneau, [92] médecin de Marseille, [93] est parti d’ici avec une petite lettre pour vous, désireux qu’il est d’avoir l’honneur de vous connaître, il s’est chargé d’un petit paquet pour M. Musnier [94] de Gênes, [95] qu’il m’a promis de lui faire tenir. Je vous supplie de l’en faire souvenir, et que je le prie de lui faire tenir ledit paquet le plus sûrement et le plus tôt qu’il pourra ; de Marseille à Gênes il n’y a pas loin.

On dit ici que M. Servien, [96] surintendant des finances, ira à Rome en qualité d’ambassadeur extraordinaire vers le nouveau pape qu’il a connu à Münster [97] lorsqu’il y était plénipotentiaire, que cette commission lui a été offerte, qu’il n’a pas encore acceptée, mais qu’il sera pourtant obligé d’obéir. D’autres disent que M. de Longueville [98] demande qu’on lui donne cette commission. On dit que le pape fait fort le dévot et qu’il est du côté des Espagnols ; même qu’il a pris pour confesseur un de ces passefins de pistrino Loyolæ[31] que tout cela le fera mépriser à la cour de France ; encore passe, s’il nous faisait avoir la paix.

Ce vendredi 7e de mai. J’ai aujourd’hui achevé le traité de Arthritide [99] à mes écoliers qui étaient bien 80. [32] Je donnerai la semaine qui vient celui de Syphilide de Fracastor [100] quæ idem est cum lue venerea ; [33] et après, j’en donnerai un de Variolis et Morbillis[34][101][102] Je tâcherai d’achever mes leçons à la Saint-Jean afin d’avoir un peu de loisir pour me préparer à en faire d’autres pour l’hiver prochain. Je vois bien qu’ils y prennent goût et que je n’en manquerai point. Au sortir de ma leçon, j’ai rencontré M. Devenet [103] qui m’a parlé de son Helmontius, et qu’il me viendrait voir. On m’a dit ici que dans l’impression nouvelle qu’il en a faite il y a bien des fautes, mais passe ; j’ai céans ce livre in‑4o[35] Que dites-vous du dessein de cet auteur ? Je pense qu’il ne vaut rien et qu’il était fou et enragé, il me semble que ce livre n’est propre à personne, c’est-à-dire ni aux écoliers, ni aux docteurs. Il se plaint fort des écoles publiques, [36] mais quelque abus qu’il en propose, il n’y apporte point de remède et faut bien d’autres gens que Van Helmont pour remédier à ce mal public ; et même, le mal est si grand que la réformation ne s’en peut faire sans que les princes s’en mêlent, qui ont bien d’autres affaires en la tête et qui se gardent bien de penser à procurer ce bien au monde qui est déjà trop accablé d’ailleurs de tant de sortes de malheurs. En attendant, les gens de bien ne peuvent moins faire que de plaindre le public, lequel souffre beaucoup pour tant de méchants livres.

J’apprends que M. Chapelain [104] fait imprimer ici sa Pucelle d’Orléans, que ce sera un bel ouvrage, mais cela sera bien cher à cause des figures en taille-douce dont il y aura nombre. [37][105] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 11e de mai 1655.


a.

Ms BnF no 9357, fos 173‑174 ; Reveillé-Parise, no cclxx (tome ii, pages 175‑178).

1.

V. note [1], lettre 399, pour les lits de justice des 20 mars et 13 avril 1655, et pour l’édit visant à instituer le papier timbré.

2.

Quand il écrivait ce paragraphe, le 21 avril, Guy Patin ignorait encore la mort de Lazare Rivière qu’il avait annoncée dans sa précédente lettre, à Hugues ii de Salins, datée du 30 avril, et qu’il allait annoncer à Charles Spon quelques lignes plus bas (paragraphe daté du 28 avril).

3.

Hans Christoffer, comte de Königsmarck (Kötzling, Brandebourg 1600-Stockhlom 8 mars 1663), général prussien, s’était illustré lors de la guerre de Trente Ans au service de la Suède. Il avait d’abord servi quelque temps l’Autriche, puis s’était attaché en 1630 à Gustave-Adolphe, roi de Suède. Après la mort glorieuse du souverain, il avait continué à combattre les Impériaux en Westphalie. Ayant battu les Autrichiens à Wolfenbuttel, il avait servi sous les ordres de Torstenson, s’était emparé de plusieurs places, avait poursuivi l’ennemi en Saxe, puis en Bohême, s’était emparé de Prague qu’il avait livrée au pillage pour envoyer en Suède, entre autres objets précieux, le fameux Codex Argenteus d’Ulphilas. Après la conclusion de la paix de Westphalie, Königsmarck avait reçu le gouvernement de Brème et de Verden. La reine Christine lui avait conféré en 1650 le titre de comte puis la dignité de feld-maréchal. Comme l’annonçait ici Guy Patin, il suivit Charles-Gustave en Pologne, mais tomba par trahison entre les mains de l’ennemi et ne recouvra la liberté qu’à la paix d’Oliva (3 mai 1660, v. note [30], lettre 601). Il reprit alors ses fonctions de gouverneur de Brème et retourna en Suède en 1662 (G.D.U. xixe s.).

4.

« aux Romains » ; v. note [3], lettre 93, pour le livre d’Isaac de La Peyrère (dont Guy Patin écorchait ici de nouveau le nom) sur les préadamites : Præadamitæ sive exercitatio… paru en 1655, sans nom d’auteur ni dédicace.

5.

Aux pages 74‑75 des Epistolæ de Claude Sarrau, {a} dans le post-scriptum d’une lettre adressée à Claude i Saumaise, à Dieppe, datée de Paris le 12 novembre 1643, on lit :

Convenit me hodie Peyrerius, dixitque velle se edere opusculum illud suum, quo docere conatur ante Adamum extitisse alios homines : consiliumque esse illud ibi inscribendi, sub hoc titulo, Somnium Nobilis Aquitani de Præadamitis, allusione scilicet facta ad scomma Groti. Rogabat num probarem ut experiretur : se nihil de hisce statuere, sed tantum sententiam suam modeste proponere, circa quam invocaret eruditorum judicia. Respondi me ad te relaturum. Tu vero scribe quid ei faciendum sit.

[La Peyrère m’a aujourd’hui rendu visite. Il m’a dit vouloir publier son opuscule où il se dispose à montrer qu’il existait d’autres hommes avant Adam et que son idée était de vous le dédier sous ce titre, Somnium Nobilis Aquitani de Præadamitis, {b} en faisant bien entendu allusion à la raillerie de Grotius. {c} Il demandait si j’approuvais qu’il s’y hasardât, en disant qu’il ne déciderait rien de lui-même là-dessus ; mais pourtant, qu’il proposait modestement sa dédicace, qu’il en appellerait aux jugements des érudits. Je lui ai répondu que je vous en parlerai. Écrivez-moi ce qu’il convient d’en faire].


  1. Orange, 1654, v. note [6], lettre 379.

  2. « Songe d’un noble d’Aquitaine sur les préadamites ».

  3. Hugo Grotius (v. note [2], lettre 53) s’est interrogé sur les ascendances des Indiens d’Amérique dans sa De origine gentium Americanarum Dissertatio [Dissertation sur l’origine des peuples américains] (sans lieu ni nom, 1642, in‑4o), concluant qu’il n’étaient pas aborigènes, mais venus d’Europe ou d’Asie, à l’occasion d’une infortune de navigation ou aux temps reculés où existaient des passages terrestres entre ces continents et l’Amérique.

    Un Hollandais nommé Laëtius ayant vivement contesté cette thèse (qui faisait des Indiens des fils de Dieu…), Grotius publia une Dissertatio altera adversus obtrectatorem [seconde dissertation contre un détracteur] (Paris, Sébastien Cramoisy, 1643, in‑8o), avec, en exergue du titre, ce vers de Catulle (xxvii, 19), Opaca quem bonum facit barba [Sa barbe touffue est tout ce qu’il a de bon]. En examinant les langues indiennes, Grotius y constatait la présence de mots dont la racine était européenne ou asiatique et concluait son raisonnement « par l’absurde », en rappelant les idées de l’Antiquité sur l’origine des humains (page 15) :

    Cui consequens est, ut credandur aut ab æterno fuisse cum Aristotele, aut ex terris orti, ut de Spartis fabula est, aut ex Oceano, ut voluit Homerus, aut aliquos ante Adamum fuisse conditos homines, ut nuper aliquis in Gallia somniavit. Si hæc credantur, magnum video periculum pietati : si quæ ego, nullum plane.

    [Par conséquent, il faut croire qu’ils ont été là depuis la nuit des temps, comme disait Aristote, ou qu’ils sont nés de la terre, comme conte la légende de Sparte, ou de la mer, comme voulait Homère ; ou alors, que des hommes ont existé avant Adam, comme quelqu’un l’a récemment rêvé en France. On met la piété en grand danger si on croit de telles choses ; mais rien de tel, si on croit ce que j’en dis].

    Le rêveur de France visé par Grotius était bel et bien Isaac de La Peyrère car son livre des Præadamitæ [Préadamites] était connu des lettrés bien avant sa parution en 1655, comme le prouvent la lettre de Sarrau er celle de Guy Patin à Charles Spon datée du 14 septembre 1643 (v. sa note [3]). Dans son article sur Grotius, Bayle (fin de sa note G) s’est laissé duper par cette énigme chronologique que voilà bel et bien résolue.

    Dans son livre des Préadamites, je n’ai pas trouvé de réponse que La Peyrère ait faite à la raillerie de Grotius. Le fait est que ni l’un ni l’autre n’avait tort.


6.

Les écoliers de Guy Patin au Collège de France étaient pour la plupart : soit des étudiants parisiens, dont l’absence de protection (népotisme, religion), la cherté des droits annuels d’inscription, ou le niveau exigé pour l’obtention du diplôme (les degrés) forçaient un bon nombre à prendre leur inscription dans d’autres Écoles de médecine (Reims, Rouen, etc.) que celle de Paris ; soit des étrangers qui venaient y parfaire leurs connaissances médicales.

7.

Les deux traités dont Guy Patin nourrissait ici le projet depuis sa nomination au Collège de France à la fin de septembre 1654 (v. notes [32] et [34], lettre 372), ou même depuis plus longtemps, avaient pour thèmes « les médicaments purgatifs tant simples que composés » et « les altérants tant simples que composés », mais il n’en vint jamais à bout.

8.

Dans le Journal de santé de Louis xiv (pages 92‑95), Antoine Vallot a décrit une belle et bonne blennorragie (gonorrhée virulente, chaude-pisse ou gonococcie, v. note [14], lettre 514), tout en dissimulant tant qu’il pouvait sa nature vénérienne :

« Au commencement du mois de mai de l’année 1655, un peu auparavant que d’aller à la guerre, l’on me donna avis que les chemises du roi étaient gâtées d’une matière qui donna soupçon de quelque mal, à quoi il était besoin de prendre garde. Les personnes qui me donnèrent les premiers avis n’étaient pas bien informées de la nature et de la qualité du mal, croyant d’abord que c’était ou quelque pollution, ou bien quelque maladie vénérienne ; mais après avoir bien examiné toutes choses, je tombai dans d’autres sentiments et me persuadai que cet accident était de plus grande importance. En effet, je ne me suis pas trompé car Dieu, ayant donné une si heureuse naissance à ce grand prince, a voulu imprimer en son âme toutes les vertus en un degré si éminent et inspirer en sa personne toutes les belles inclinations que je n’avais pour lors de doute de la pureté de sa vie, non plus que de sa chasteté, étant assuré de cette vérité, non seulement de sa propre bouche, mais parce qu’il n’avait pas fait réflexion sur cette décharge qui lui arrivait presque à tous moments sans douleur et sans plaisir ; de sorte que je fus obligé de lui faire connaître que c’était une incommodité considérable et extraordinaire à laquelle on devait apporter les remèdes nécessaires en une occasion de cette conséquence ; et si je ne lui avais parlé de la sorte, il aurait demeuré encore quelque temps sans savoir si c’était une chose ordinaire ou non. Après avoir représenté à Sa Majesté la conséquence de cet accident, elle fit réflexion sur l’avis que je lui donnais, particulièrement après lui avoir représenté qu’elle pourrait être valétudinaire le reste de ses jours et en état de ne pouvoir avoir des enfants, ce qui la surprit extrêmement, et me demanda avec instance les moyens de la sortir de cette incommodité. La matière qui découlait sans douleur et sans aucun chatouillement, comme je l’ai dit ci-dessus, était d’une consistance entre celle du blanc d’œuf et du pus, et s’attachait si fort à la chemise que l’on ne pouvait ôter les marques qu’avec la lessive ou bien avec le savon. La couleur était d’ordinaire fort jaune mêlée de vert ; elle s’écoulait insensiblement, en plus grande abondance la nuit que le jour. Toutes ces circonstances m’étonnèrent fort, et me firent avoir la pensée qu’un mal si extraordinaire ne pouvait survenir que de la faiblesse des prostates {a} et des vaisseaux spermatiques.

[…] Le roi étant donc pleinement informé de l’espèce et de la condition de son mal, m’a commandé de lui faire comprendre la cause et préparer les moyens de le guérir. Pour satisfaire au premier point et pour lui faire comprendre la cause, je lui ai dit qu’il avait une délicatesse de naissance ou plutôt une faiblesse aux parties qui servent à la génération et que cette faiblesse avait été augmentée pour avoir trop tôt monté à cheval, et particulièrement pour s’être rendu un peu trop assidu à faire les exercices de l’académie et pour avoir voltigé avec un peu trop de passion. Comme ce prince a toujours eu de très belles dispositions à toutes sortes d’exercices, il a souhaité de surpasser tous ceux de son âge et même ceux qui étaient plus avancés ; et en effet, l’on a toujours reconnu qu’il surmontait toutes sortes de difficultés, et qu’il s’est rendu plus adroit que tous ceux de son âge et de sa portée. Cet exercice du cheval et celui de l’académie, pour apprendre à voltiger, ont enfin meurtri les parties qui servent à la génération, qui pour lors étaient déjà fort faibles ; et par la succession des temps, le mal s’est déclaré de la manière que j’ai exprimée ci-dessus.

[…] La saignée a été le premier remède, qui a été précédé d’un lavement et suivi d’un léger purgatif ; et pour dissimuler le sujet qui m’obligeait de faire ces remèdes, je publiai partout que le roi avait consenti à cette préparation pour mieux supporter la campagne, outre qu’il y avait quelque nécessité de le rafraîchir ; ce qui m’obligea de le baigner une seule fois, d’autant que les affaires pressaient Sa Majesté de partir en diligence pour commencer cette belle campagne qui l’a rendu maître de trois villes de Flandres. »


  1. Vésicules séminales.

Les rougeurs au visage dont parlait Guy Patin n’étant pas un signe ordinaire de la gonorrhée, on peut se demander si la gonococcie du roi ne s’accompagnait pas d’une syphilis.

9.

V. note [30], lettre 398, pour les deux lettres de Charles Le Noble sur les vaisseaux lactés, en faveur des opinions de Jean ii Riolan et contre celles de Jean Pecquet.

10.

Traité du mouvement circulaire du sang et des esprits, qui est le principal des trois moyens dont la Nature se sert à perfectionner l’Homme. Par Me Claude Tardy, {a} conseiller et médecin de Monseigneur le duc d’Orléans, docteur régent en la Faculté de médecine à Paris. {b}


  1. V. note [35], lettre 156.

  2. Paris, Charles Du Mesnil et Jean Guignard, 1654, in‑4o en trois parties de 119, 31 et 12 pages ; le privilège du roi est daté du 4 décembre 1654.

L’exemplaire conservé à la BIU Santé est celui qui a appartenu à François Guénault, destinataire de la dédicace (qui a écrit son nom sur la page de titre) :

« Monsieur, Il y aurait de l’injustice à produire en public un ouvrage qui contient les véritables sentiments d’Hippocrate et à ne les point faire paraître sous l’aveu de votre nom, puisque vous êtes aujourd’hui le modèle des plus excellents médecins, comme cet auteur incomparable l’a toujours été jusqu’à nous : car vous connaissez si bien les maladies et vous savez si parfaitement les moyens de les chasser qu’il est vrai de dire que votre façon de guérir est entièrement conforme à celle de ce grand génie. Nous apprenons de ses écrits qu’il employait les tithymales, la coloquinte, l’ellébore et autres violents remèdes, et qu’il en produisait des effets si extraordinaires et si merveilleux qu’ils semblaient surpasser les forces de la Nature ; et nous reconnaissons que c’est de vous que nous tenons l’industrie de dompter avec l’antimoine les maladies les plus rebelles, où les remèdes doux sont inutiles. C’est pourquoi, Monsieur, tenant d’Hippocrate et de vous ce que je sais de meilleur, je me sens obligé de rechercher votre faveur contre la malice de ceux qui rejettent la véritable médecine et de vous en offrir les plus solides maximes que j’explique. J’ose espérer de votre bonté que recevant ce petit ouvrage comme un témoignage assuré de ma reconnaissance et de l’honneur que je vous dois, vous me permettrez aussi de publier que je suis, Monsieur, votre très humble et très obligé serviteur, Tardy. »

Après 3 chapitres introductifs, on trouve 6 sections :

11.

« c’est un animal tout à fait ridicule. »

12.

Trophime Serrier, médecin d’Arles au xviie s. :

Pyretologia, in duos libros divisa, quorum primus gravissimis de febribus quæsitis satisfacit, secundus cuiusque febris diagnosin, prognosin et therapeiam chymicis præsidiis illustratam complectitur. Ea plurima ardua, nova, ad optatum finem consequendum pernecessaria, sola ratione stabilita explanantur. Cum indice rerum præcipuarum compiosissimo.

[Pyrétologie, divisée en deux livres, dont le premier s’acquitte des questions les plus difficiles sur les fièvres, et le second comprend le diagnostic de la fièvre, son pronostic et son traitement, éclairé par les remèdes chimiques. Sont expliquées ces nombreuses choses ardues, nouvelles, très nécessaires pour obtenir le résultat désiré, appuyées sur la raison seule. Avec un très riche index des matières principales]. {a}

Serrier a aussi publié :

13.

« et pour la pénurie d’ouvriers. »

14.

V. note [35], lettre 399, pour le Genius Pantoulidamas… de ceux de Montpellier qui attaquait rudement Charles Guillemeau et nombre de ses collègues parisiens (dont Guy Patin, Jean Merlet et même François Guénault). Ce livre contient une biographie de Jean Héroard, écrite en latin par les Montpelliérains (mais non par Siméon Courtaud, v. note [15], lettre 398). Elle est transcrite, traduite et commentée dans Les deux vies de Jean Héroard, premier médecin de Louis xiii.

15.

« une œuvre digne de la palme. »

V. note [3], lettre 390, pour le dernier pamphlet de Charles Guillemeau contre Siméon Courtaud (plutôt que contre l’antimoine), intitulé Margarita scilicet… (juillet 1655).

16.

« lesquelles ne méritent rien tant que du mépris. »

V. note [3], lettre 391, pour le projet (jamais abouti) d’histoire du règne de Louis xiii auquel s’était attelé Charles Guillemeau.

17.

« Une satire méprisée tombe d’elle-même ; en témoigner de la colère, c’est accepter le reproche » (sentence inspirée par Tacite, v. note [6], lettre 227).

18.

« mais pareille sagesse n’est pas chez nous coutumière » (v. note [30], lettre 293).

19.

« et lui-même est hollandais ».

Abraham de Wicquefort (van Wickevoort, Vicfort dans l’orthographe de Guy Patin ; Amsterdam vers 1598-Zell 1682) s’était établi dès sa jeunesse en France. L’électeur de Brandebourg (Frédéric Guillaume de Hohenzollern, marquis de Brandebourg, v. note [10], lettre 150) l’avait nommé résident à Paris et Wicquefort occupa cet emploi pendant 32 ans. Connu par ses capacités, il encourut cependant la haine de Mazarin pour avoir, dit-on, égayé sa correspondance diplomatique par le récit des amours de Louis xiv avec les nièces du cardinal. Mazarin obtint sa révocation, le fit mettre à la Bastille (1658) puis chasser du royaume. Wicquefort trouva en Hollande un protecteur zélé dans la personne du grand pensionnaire Jean de Witt. Il devint résident du duc de Brunswick-Zell, secrétaire-interprète et historiographe des États et peut-être agent secret de la France. Accusé par ses ennemis, les orangistes, d’avoir communiqué à l’ambassadeur d’Angleterre des papiers importants qu’on lui avait confiés pour les traduire, il fut arrêté et condamné à une détention perpétuelle. Toutefois, il parvint à s’évader (1679) et se retira près de Zell (Rhénanie-Palatinat) où il finit ses jours dans l’obscurité. Il joignait à beaucoup d’esprit naturel une instruction fort étendue, parlait et écrivait avec facilité presque toutes les langues de l’Europe, et était doué d’un tact supérieur. On a de Wicquefort plusieurs ouvrages d’histoire et de diplomatie (G.D.U. xixe s.).

V. note [7], lettre latine 82, pour son frère cadet Joachim de Wicquefort.

20.

« Jules Mazarin, cardinal qui a la charge suprême des affaires françaises ».

V. note [21], lettre 401, pour l’introuvable ouvrage « sur les trois Vauriens ».

21.

V. notes [4], lettre 340, pour l’Ortus medicinæ… [Naissance de la médecine…] (Lyon, 1655) de Jan Baptist Van Helmont (Helmontius), et [8], lettre 392, pour les Opera omnia de Paracelse (Genève, 1658).

22.

V. note [10], lettre 13, pour Marie-Éléonore de Brandebourg, veuve du roi Gustave-Adolphe, mort en 1632, mère de la reine Christine de Suède et fille de l’électeur de Brandebourg, Jean-Sigismong de Hohenzollern, l’un des chefs les plus actifs du parti protestant en Allemagne pendant la guerre de Trante Ans.

23.

« en présence du roi, de la reine et de Mazarin. » V. note [12], lettre 398, pour cette prédication conspuée du jésuite Jean Adam.

24.

Des 33 insurgés royalistes jugés coupables de trahison et condamnés à mort, seuls 12 furent exécutés, dont leur meneur, John Penruddock (v. note [40], lettre 395) décapité à Exeter le 26 mai ; 70 autres, condamnés aux travaux forcés, furent exilés aux Antilles.

25.

V. notes :

26.

V. note [36], lettre 332, pour cette dédicace de Charles Spon à Guy Patin dans la nouvelle édition des Opera omnia de Daniel Sennert, en cours d’achèvement à Lyon.

27.

« On appelle par corruption saint Lazare saint Ladre […] : de là vient qu’on appelle ladres les lépreux […] Borel le dérive de lasre, vieux mot français qui est dérivé de Lazare à cause que le Lazare était chargé d’ulcères » (Furetière). Construit au xiie s. par les frères hospitaliers de saint Lazare (Ladre) et voué au traitement des lépreux, l’hôpital Saint-Lazare se situait dans le faubourg Saint-Denis. Devenu prison à la Révolution, le vieil édifice fut rasé vers 1824 et remplacé par un nouvel hôpital qui est resté en activité jusqu’en 1998.

Ordonné prêtre en 1600, après une jeunesse aventureuse et obscure, Vincent de Paul (Pouy près de Dax en 1576 ou 1581-Paris 27 septembre 1660) avait fondé la Congrégation de la Mission en 1625, avec le dessein d’évangéliser les pauvres des campagnes ; ses membres furent nommés lazaristes en 1632 parce qu’ils s’établirent au prieuré Saint-Lazare. Inlassable promoteur de l’assistance publique charitable, au travers de multiples initiatives (comme le secours aux prisonniers et aux galériens, ou l’Hôpital général [v. note [20], lettre 464]), Vincent de Paul avait été confesseur d’Anne d’Autriche et membre de son Conseil de conscience de 1643 à 1652. Canonisé en 1737, il est aujourd’hui le religieux français le plus célèbre du xviie s., mais Guy Patin ne l’a mentionné que deux fois dans toutes ses lettres.

Selon Raoul Allier (La Cabale des dévots, page 59), « Monsieur Vincent » exerça sa grande influence grâce à la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640) :

« C’est sans doute en 1635 ou 1636 qu’il entre dans la pieuse conspiration. Dès lors, il est un des agents les plus actifs dont la Compagnie se serve au dehors. Pour qui connaît celle-ci, maint détail de l’œuvre du saint s’illumine. »

Allier est plus explicite page 139 :

« Sans doute, dans toutes ces circonstances, l’apôtre de la charité n’a pas été seulement l’exécuteur d’ordres donnés par un comité. Il faisait partie du cénacle où l’on s’inquiétait, avec une ferveur si soutenue, des détresses humaines. Il y apportait le cri de son âme affligée ; et il dut être, en bien des cas, le premier à solliciter la mission dont on le chargea. Mais il avait derrière lui un certain nombre d’hommes qui n’attendaient pas toujours ses indications ou ses appels, qui étudiaient de très près le bien à faire ou le mal à combattre, qui décidaient les mesures à prendre, les efforts à tenter, les campagnes à poursuivre ; et comme ces hommes voulaient rester dans l’ombre, comme leur conspiration pour le bien devait demeurer à jamais ignorée du public, la gloire du saint — sans que celui-ci ait songé à rien usurper — y a trouvé quelque profit. Vincent de Paul n’est plus seul au centre d’une auréole ; ou plutôt le rayonnement de cette auréole ne nous empêche plus de distinguer les amis qui n’ont pas été pour lui de simples collaborateurs, bien fidèles et dociles, mais parfois des inspirateurs et des chefs. »

28.

« à cause de la rareté des éléphantiasiques ».

Les éléphantiasiques sont aujourd’hui les malades atteints d’éléphantiasis : gonflement très important d’une partie du corps (membre, visage) avec épaississement de la peau qui lui donne l’aspect rugueux et profondément ridé d’une peau d’éléphant. Au temps de Guy Patin, ce terme servait à désigner deux maladies tout à fait distinctes.

29.

« qui, par l’ignorance des médecins et la barbarie du siècle, n’étaient ni distingués des éléphantiasiques, ni correctement soignés ».

30.

V. note [4], lettre 9, pour les six livres d’Ennarationum medicinalium [Commentaires médicaux] de Franciscus Valleriola (Lyon, 1554). L’Enarratio v du livre sixième (pages 393‑402) est intitulée De annua Elephanticorum apud Arelatam probatione vetere senatusconsulto : deque nonnullis ad eam rem pertinentibus [Du vieil arrêt établissant l’attribution d’une pension aux éléphantiasiques en Arles, et de quelques faits touchant à ce sujet]. Sans donner l’année de ce décret arlésien, son motif est ainsi expliqué (page 394) :

Nam cum ea in urbe, ob promiscuam et incautam nauticæ turbæ, et rusticorum agricolationi servientium copiam, (quæ fere gens omnis pro insolenti quam degunt vita pessimis quibusque se cibis ac potionibus implere exaturareque consuevit) ob regionis caliditatem, ob ciborum quibus plebs uti solet malitiam (omnes enim fere salsa carne, palustribus piscibus, lacte multo, et caseo, cochleis, glutinosis, crassis, nidorosis, acutis, vinoque et generoso et multo, citra delectum utuntur) plurimi incaute in id morbi incidant, magna sane prudentia a veteribus olim constitutum videtur, ut eius curandæ rei magna a consulibus senatuque Arelatensi ratio haberetur. Unde solemne illis est, ut quo die comitia consularia haberi solent (est autem is dies ad octavum Calendas Aprilis) senatorum suffragiis creatis consulibus, mox illis ex tabella ab eius senatus scriba ea capita proponantur quæ ad muneris eorum dignitatem curationemque pertineant, inter quæ præcipuum hoc unum : ut novi consules Elephanticorum probandorum curam stato ad id munus tempore præcipuam habeant. Dicatum autem ad id verni temporis initium est, idque magna sane ratione. Nam cum de humorum intus latentium, abditoque in corpore malo iudicium ferendum sit, id tempus ad eam rem opportunum censeri merito debet, in quo et reserari corporis meatus, et attenuari humores, fluxilesque fieri incipiunt : corpusque universum quasi hyemis sævitia solutum, renovari verna temperie, et pene refici solet.

[De fait, dans cette ville, l’incurie induit cette sorte de maladie chez un grand nombre de gens : en raison de la foule indistincte et imprudente des mariniers et des campagnards occupés à cultiver les champs (populace qui presque tout entière passe sa vie dans l’excès, avec l’habitude de s’emplir à satiété la panse de toutes les pires nourritures et boissons qui soient) ; en raison de la chaleur qui règne dans la région ; en raison de la mauvaise qualité habituelle des aliments que consomme le petit peuple (car à peu près tous recourent sans modération aux viandes salées, aux poissons des marais, à quantité de lait et de fromage, aux escargots, à des mets visqueux, grossiers, pourris, irritants, et aussi à une profusion de vin capiteux). Il apparaît donc que, dans leur très grande sagesse, les consuls et le Conseil d’Arles ont jadis tenu pour fort important de soigner ce mal. S’est ainsi établie chez eux la coutume, aux jours où il s’assemble (c’est-à-dire chaque 25e jour de mars), qu’une fois que l’assemblée a élu ses consuls, le greffier leur présente aussitôt les articles du règlement touchant à la dignité et aux devoirs de leur charge ; et le premier et plus important statue que les nouveaux consuls, pendant la durée de leur mandat, tiendront pour leur principale fonction de procurer des soins aux éléphantiasiques. Pour d’excellentes raisons, le début du printemps est voué à cette tâche. Tel est en effet le moment à considérer comme le plus opportun pour porter un jugement sur les humeurs tapies dans les parties internes et sur les maux cachés du corps, car ses orifices commencent à s’ouvrir, et les humeurs à s’atténuer et à devenir fluides ; et le corps entier, comme libéré des rigueurs de l’hiver, a alors pour habitude d’être revigoré par la température printanière, et presque régénéré]. {a}


  1. V. note [8], lettre 460, pour un autre extrait de cette Ennaratio de Valleriola.

Guy Patin citait aussi les :

Guilelmi Ader Medici Enarrationes de Ægrotis et Morbis in Evangelio. Opus in Miraculorum Christi Domini amplitudinem Ecclesiæ Christianæ elimatum. Operis partes indicabit sequens pagella.

[Commentaires de Guilelmus Ader {a} sur les malades et les maladies dans l’Évangile. Ouvrage soigneusement poli sur la grandeur des miracles du Christ notre Seigneur pour l’Église chrétienne. La page suivante en présente les parties]. {b}


  1. Guillaume Ader, médecin de Toulouse, exerçait au début du xviie s.

  2. Toulouse, Raymundus Colomerius, 1620, in‑8o de 458 pages ; réédition ibid. et id.en 1623.

Ce livre veut prouver que les maladies dont Jésus-Christ a délivré les hommes pendant sa vie étaient au-dessus des ressources de l’art et qu’elles n’ont pu être guéries que par miracle. De Elephanticis, seu leprosis, à Christo Domino miraculo mundatis [Éléphantisiques ou lépreux que le Christ notre Seigneur a purifiés par miracle] est l’Enarratio i (pages 1‑10) de la première partie de l’ouvrage, Enarrantur ægroti novi Testamenti, quorum dum explicantur morbi, eorum patria, temperies, ætas, et vitæ conditio inquiritur, hosque arte Medica incurabiles fuisse demonstrantur [On décrit les malades du Nouveau Testament, on explique donc leurs maladies, leur pays natal, son climat, leur époque, et on s’enquiert de leur mode de vie ; et on démontre que ces maladies ont été incurables par art médical]. Ader y décrit si précisément la lèpre qu’on peine à penser qu’il n’en a pas observé lui-même dans sa pratique languedocienne ; mais curieusement, il la juge curable sous nos climats tempérés et attribue son incurabilité (qui fait un miracle de sa guérison) à la chaleur et à la sécheresse extrêmes qui règnent en Palestine, citant Galien et Avicenne à l’appui de ses dires.

V. note [3], lettre latine 30 pour le livre de Thomas Bartholin « sur les paralytiques du Nouveau Testament » (Copenhague, 1653), qui aborde un sujet de même nature.

31.

« issus du pétrin de Loyola » (v. note [3], lettre 369).

32.

Tractatus de arthritide [Traité sur l’arthrite (la goutte)] de Daniel Sennert (v. note [7], lettre 12), dont Guy Patin faisait le commentaire dans ses leçons du Collège de France.

33.

« qui est la même chose que la maladie vénérienne ».

De Syphilide de Gerolamo Fracastor est son célèbre poème médical intitulé Syphilis, sive Morbus Gallicus [Syphilis, ou le Mal français] (Rome, 1531, v. note [2], lettre 6).

34.

« sur la variole et la rougeole. »

35.

Guy Patin possédait une des deux éditions d’Amsterdam (1648 ou 1652) de l’Ortus medicinæ… [Naissance de la médecine…] (v. note [4], lettre 340) du médecin chimiste flamand Jean-Baptiste Van Helmont (Helmontius), que le libraire lyonnais Jean-Baptiste Devenet était en train de rééditer.

36.

L’école publique est à comprendre comme l’enseignement collectif, opposé au particulier. Tout en convenant de certaines de ses imperfections, Guy Patin a mainte fois montré son attachement à l’école publique (Faculté de médecine, Collège de France), mais Van Helmont était un savant solitaire qui préféra l’écriture aux chaires d’enseignement. On peut difficilement l’accuser d’avoir eu entièrement tort quand on lit le premier chapitre (La Médecine censurée), pages 39‑40 de ses Principes de physique [Ortus medicinæ] (traduction française, Lyon, 1671, v. notule {d}, note [11], lettre 121) :

« La médecine aux premiers siècles n’avait encore que de rudes principes, mais on l’exerçait plus sincèrement et avec plus de charité qu’on n’a fait depuis que l’avidité du lucre, la vanité et le luxe ont souillé sa pureté et l’ont remplie de babil, de controverses et de conjectures, qui font aujourd’hui ses théorèmes et sa base. Hippocrate a été le premier qui a laissé ingénument par écrit à la postérité ce que son rare génie et son exacte expérience lui avaient pu suggérer et apprendre ; mais cette fidèle communication fut bientôt corrompue en beaucoup d’endroits et plusieurs commentateurs essayèrent d’expliquer ses obscurités à leur mode. Galien vint cinq cents ans après qui, ravissant la gloire des prédécesseurs dont il suivait la trace, commença d’étendre son art qui contenait encore peu de règles en beaucoup de volumes, où il exposa que tous les corps étaient composés de quatre éléments, que c’était d’eux qu’ils tenaient toute leur nature, qu’il y avait quatre qualités élémentaires qui faisaient toutes leurs complexions, […] que l’homme (pour la diversité de ses constitutions) devait produire quatre humeurs différentes qui aient de la correspondance aux quatre éléments, que la santé et les maladies provenaient tant de l’harmonie que de la discorde et du combat, tant des simples qualités élémentaires que de celles qui étaient attachées aux susdites humeurs feintes ; et pour cette raison, que les qualités des remèdes devaient être directement contraires aux maladies.

[…] Les théorèmes de Galien ne furent pas plus tôt dispersés qu’ils furent encore plus tôt augmentés par le babil des Grecs que l’École de médecine révère encore aujourd’hui superstitieusement. En après, la médecine passa en profession et fut érigée en Académie, et les Romains ne se méprisèrent point de suivre Galien et de se le proposer pour Auteur. Les Mores {a} vinrent après et crurent par leurs augmentations d’emporter la gloire par-dessus les autres ; mais les médecins de l’Europe, se défiant de leur propre savoir (et comme défaillants en productions d’esprit), se sont tenus aux inventions des Barbares, et les ont tellement révérées qu’ils ont cru s’acquérir assez d’honneur et de gloire de réduire ces anciens commentaires en de nouvelles centuries, annotations et répétitions circulaires. Voilà comme les Écoles ont été éblouies et ont mieux aimé suivre négligemment l’opinion des païens {b} que de rechercher avec soin la véritable médecine ; car depuis Hippocrate et Galien, la médecine n’a point fait de progrès et on n’a su faire autre chose que la ballotter et bouleverser sous les premiers préceptes que Galien avait établis. »


  1. Arabes.

  2. Idolâtres.

37.

La Pucelle {a} ou la France délivrée, Poème héroïque {b} de M. Chapelain. {c}


  1. Jeanne d’Arc, v. note [16], lettre 925.

  2. V. note [5], lettre de Charles Spon, datée du 15 janvier 1658.

  3. Paris, Augustin Courbé, 1656, in‑fo de 522 pages, réédité la même année à Amsterdam et l’année suivante à Paris. Cette longue épopée en 12 livres, est l’œuvre majeure de Jean Chapelain (v. note [15], lettre 349) ; chacun des livres est précédé d’une gravure (taille-douce) en pleine page. Sa Pucelle valut d’abord à Chapelain l’admiration, on la compara à l’Iliade et l’Odyssée ; puis, sous les coups de Nicolas Boileau-Despréaux, entre autres, elle sombra dans le ridicule (v. note [40], lettre 426).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 mai 1655

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(Consulté le 24/04/2024)

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