L. 408.  >
À Charles Spon,
le 26 juillet 1655

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 13e de juillet avec une autre incluse pour M. Huguetan l’avocat, notre ancien ami. Depuis ce temps-là, nous apprenons que M. le comte d’Harcourt [2] est tout à fait réconcilié au Mazarin [3] et qu’il est ici de retour ; il y est arrivé avec grand train, les princes de la Maison de Lorraine [4] lui sont allés au-devant.

Ce 15e de juillet. Un courrier est aujourd’hui arrivé qui a apporté la nouvelle que Landrecies [5] s’est rendue au roi, [1][6] que le prince de Condé [7] s’est retiré avec les Espagnols devers Cambrai. [8] Nous pouvons sans doute inférer que le roi d’Espagne [9] est bien faible. Un homme de qualité a dit au Palais que M. le prince de Condé traitait avec le roi pour quitter les Espagnols, qu’il baillera ses troupes au roi et qu’il se retirera à Venise pour deux ans, et qu’il croit que cet accord se fera ; que la princesse de Condé [10] et le duc d’Enghien, [11] son fils, viendront à Paris d’où ils ne bougeront tandis que le père sera hors du royaume.

J’ai aujourd’hui passé par la rue Saint-Jacques [12] où j’ai vu tout de nouveau arrivé un beau livre réimprimé à Francfort en deux volumes in‑fo, qui n’est guère moins gros qu’une rame de papier entière : c’est Matthiæ Martinii Lexicon etymologicum philologicum sacrum [13] de la seconde édition ; [2] c’est celui que M. Ravaud [14] m’a promis de me rendre pour le premier que j’avais et que je lui donnai il y a plus de cinq ans ; [15] je vous supplie de me faire la faveur de l’en faire souvenir et de me pardonner tant de peines que je vous donne. J’ai bien de la peine à m’empêcher d’acheter celui-ci car ce livre est, d’une part, fort bon et d’une autre, fort nécessaire ; néanmoins je tâcherai de me retenir jusqu’à ce que j’aie des nouvelles de M. Ravaud car autrement, j’ai de la peine à m’en passer. Je n’aime point à faire beaucoup de dépense, mais celle d’acheter des livres ne m’a jamais déplu et je ne doute point que cela ne me soit fort raisonnable pour le fruit de mon étude. [16]

Mais si vous me voulez permettre, je vous prierai encore d’une autre grâce, c’est que j’attends ici dans un mois ou environ M. Rigaud [17] qui a entre ses mains notre manuscrit de M. Hofmann. [18] Je vous supplie de lui dire que, puisqu’il vient à Paris, que je le prie de nous rapporter notre manuscrit que je lui délivrai ici l’an 1651, il y a tantôt quatre ans. Quand je l’aurai, je tâcherai de le faire imprimer ici. Peut-être que le temps changera, les gens de bien l’espèrent tous les jours et y a quelque apparence que cela arrivera. J’apprends de bonne part qu’il y a negotium perambulans in tenebris[3][19] qui pourra bien nous engendrer la paix. Il faut premièrement voir ce que deviendra le prince de Condé pour qui le pape [20] nouveau a été prié de faire envers le roi quelque chose pour son retour et d’intercéder pour lui afin qu’il puisse faire sa paix. C’est qu’il est en mauvaise posture avec les Espagnols et qu’il a envie de les quitter.

On a ici chanté le Te Deum [21] pour Landrecies et fait des feux de joie. On a mis prisonnier dans la Bastille [22] un fourbisseur de la rue Saint-Honoré [23] nommé Dantan [24] pour avoir parlé contre l’Éminence du cardinal Mazarin. [4]

Un noble vénitien nommé Cornaro [25] a été convaincu de trahison et d’intelligence avec l’ambassadeur d’Espagne et en a eu le poing coupé, [26] a été étranglé et puis pendu par les pieds. [27]

M. Riolan, [28] avec lequel je traite un Hollandais depuis quatre jours, [29] m’a dit aujourd’hui que, dès que son livre contre Pecquet [30] sera achevé, il fera réimprimer son Encheiridium anat. et pathol. in‑8o [31] qui sera augmenté d’environ douze feuilles et que sa copie est toute prête. [5]

Ce 21e de juillet. Un Allemand m’a dit aujourd’hui que les Polonais donnent contentement au roi de Suède [32][33][34] et qu’il n’y aura point de guerre entre eux ; mais qu’il pourra bien y en avoir entre le roi de Suède et l’empereur [35] pour la Silésie, [6][36] d’autant que ce dernier chicane ces peuples et ne leur tient point la parole qu’il leur a donnée par la paix d’Allemagne ; [37] d’ailleurs, que le roi de Pologne [38] a regagné à son parti les Cosaques [39] qui étaient cause de la guerre qu’il a avec les Moscovites ; [7] lesquels ne sont forts que de ce qu’ils ont de leur parti quantité de bons colonels allemands que l’on veut détacher de là et les regagner.

Ce 25e de juillet. Mais Dieu soit loué, votre lettre du mardi 20e de juillet me vient d’être apportée, de laquelle je suis fort réjoui, et vous en remercie de toute mon affection.

Pour le Lexicon Martinii, je vous en ai parlé ci-dessus et vous prie d’en montrer l’article à M. Ravaud afin que je sache après ce qu’il veut dire et ce que j’en dois espérer.

Pour Analecta Rhodii in Septalium, je les ai céans, il y a un an. Je les ai vus, il y a bien du travail mais peu de fruit, d’autant que cela est sans choix, et Rhodius [40] n’est guère médecin. [8]

Nous avons parmi nous un Morisset, [41] mais point de Morisot. Il y a eu autrefois en Bourgogne un médecin Morisot [42] qui a écrit quelque chose, et entre autres des Colloques latins in‑8o que j’ai céans, il y a près de cent ans. [9] Il y a un avocat aujourd’hui dans Dijon [43] qui s’appelle Morisot, [44] qui a fait Orbis maritimus et alia plura[10]

Voilà ce que je vous puis dire pour le présent.

Mais dites-moi, je vous prie, je n’entends point ce que vous me dites de ceux de votre confession à Strasbourg : les luthériens [45] y sont-ils les maîtres ? Je pensais que cette ville-là fût tout purement de la confession de Genève, [11][46] comme je l’ai ouï dire de Bâle, [47] et que où les luthériens sont les maîtres, les calvinistes [48] y sont tellement haïs qu’ils aimeraient mieux y recevoir des papistes que de souffrir qu’on y fît quelque faveur aux calvinistes.

L’on m’a dit que Le Gagneur [49] s’ennuyait fort ici et qu’il a été bien aise de trouver occasion de s’en retourner de delà[12] Il était ici tout morfondu et n’y faisait rien. Il a fait courir le bruit qu’il avait touché 1 000 écus, mais je sais de bonne part (savoir de ses proches parents) qu’il n’a reçu que 1 200 livres. Ce M. Vilain de Lyon est frère d’un Vilain de deçà qui a fait banqueroute deux fois et qui a épousé la sœur de la femme de M. Le Gagneur. [50] Ne vous mettez pas en peine pour le Casaubon [51] contre Baronius, [52] il n’a pas été réimprimé, la nouvelle qu’on m’en avait donnée était fausse ; mais il est vrai que c’est un très bon livre et qui mériterait bien de l’être. Il fut imprimé en Angleterre la première fois in‑fo l’an 1614 et depuis, in‑4o à Francfort, mais il est aujourd’hui très rare partout ; et il est vrai que ceux de Genève feraient fort bien de le réimprimer, ce livre-là se débiterait tout autrement mieux que le Paracelse [53] et au plus grand profit du genre humain. [13]

M. Sorbière [54] est à Gênes [55] où il a vu M. Musnier [56] notre bon ami, à qui il a dit qu’il était assez (c’est signe qu’il ne l’est pas trop) content de son voyage. Il y a vu le pape nouveau, le cardinal Barberin [57] et M. le cardinal Antoine, [58] grand aumônier. C’est lui qui se doit rendre ici au commencement de l’hiver prochain pour présider à l’Assemblée du Clergé, [59] et c’est aussi de là que M. Sorbière prétend obtenir une bonne pension du Clergé par la recommandation du cardinal Mazarin et de son patron, l’évêque d’Agde, [60] qui est frère du surintendant M. Fouquet, [61] procureur général au Parlement. Ainsi M. Sorbière sera récompensé de son apostasie aux dépens du purgatoire ; [62][63] mais je ne sais s’il sera content de ce que M. Riolan dira de lui dans sa réponse à Pecquet dont on commence l’impression, car c’est lui qui est le vrai Alethophilus qui a bien dit de sottes injures à M. Riolan et qui a parlé fort indignement contre l’honneur de notre profession, cuius dignitatem numquam intellexit[14] C’est pourquoi je ne m’étonne pas s’il s’est fait prestolin de clergerie[15] afin d’attraper pensions et bénéfices, et pour vivre à l’ombre d’un crucifix sans rien faire en faisant l’esprit fort, étant bien profondément enrôlé dans le régiment de ceux qui profitentur se nihil credere [16] s’ils ne sont bien payés pour cela. C’est ainsi que les turcs croient en Dieu, et la plupart des moines d’aujourd’hui et quantité d’autres quibus utilitas facit esse Deos, mercede colentes, non pietate Deum. O pudor ! o mores ! o tempora ! [17][64]

J’ai céans cet Interrogatoire de Roch Le Baillif [65] fait par les médecins de Paris en plein Parlement. Je ne sais qui en est l’auteur, il faut que je le demande à M. Riolan. [18]

Pour M. Gassendi, [66] je ne sais ce qu’il fera, mais je crois qu’il n’y a rien de pressé. Sa copie n’est pas prête, il y aura sept volumes dont les deux premiers ne seront prêts qu’à Pâques prochaines. L’auteur est bien vieux, un libraire fera-t-il sagement d’entreprendre ce grand ouvrage en tel état, auquel il n’y a point d’assurance de longue vie ? Montrez cet article, s’il vous plaît et si vous le jugez à propos, à MM. Huguetan et Ravaud ; joint que j’y vois intervenir plusieurs autres difficultés : d’une part, ils n’ont personne par qui la correction puisse être bien assurée et vous avez bien fait de dire tout plat que vous ne pourriez pas vous en mêler ; d’ailleurs, M. Gassendi veut que le tout soit fait de même lettre, de même grandeur et de mêmes rames. Je ne sais ce que tout cela deviendra, mais il n’est pas content de bailler sa copie à M. Barbier. De tali et tam difficili negotio Deus ipse viderit[19][67]

On dit que Cromwell [68] fait une alliance avec le Turc [69] et que les Hollandais en sont bien marris ; que le prince de Conti [70] s’en va à Perpignan. [71] Notre premier président [72] est encore ici malade, il a refusé une sixième saignée que ses médecins lui proposaient. Le lieutenant criminel a pris aujourd’hui à quatre heures du matin un de nos curés et l’a fait emmener prisonnier dans le Châtelet, [73] sans doute que c’est pour le cardinal de Retz. [74]

Le roi est à La Fère [75] avec la reine, [76] etc. On dit que La Capelle [77] est assiégée ; que la duchesse de Lorraine [78] s’en va être remise et rétablie en ses états, [20] qu’on lui baille M. de Guise [79] pour son lieutenant, que c’est pour arracher ce gouvernement des mains du maréchal de La Ferté-Senneterre [80] et pour obliger le roi d’Espagne de mieux traiter le duc de Lorraine [81] qu’il tient prisonnier.

Je vous supplie de faire mes recommandations à MM. Gras, Guillemin, Garnier et Falconet.

Quand le Theatrum vitæ humanæ [82] et le Sennertus [83] seront achevés, MM. Huguetan et Ravaud seront de loisir et se trouveront déchargés d’un horrible fardeau. Il y a de l’apparence qu’ils ont quelque autre dessein, je me suis laissé dire qu’ils s’en vont imprimer en plusieurs tomes in‑fo une continuation des Annales eccl. de Baronius faite par un père de l’Oratoire [84] nommé Rinaldus [85] que l’on dit avoir bien rencontré ; et je pense que leur dessein est fort bon et en suis bien aise car le jacobin polonais Bzovius [86][87] et l’évêque de Pamiers, M. de Sponde, [88] n’ont guère contenté personne en son sujet. [21][89]

Ceux qui viennent de la cour parlent fort de l’amour du roi envers Mlle de Mancini, [90] nièce [91] de Son Éminence. On dit que le roi en est extrêmement féru, que le Mazarin tient le loup par les oreilles [22] et qu’il ne sait qu’en faire, mais que la reine ne veut rien entendre de pareil ; [92] de sorte que, de part et d’autre, il y a à craindre et à soupçonner.

Le présent porteur est un jeune homme de mes amis, fils de M. Papelard, [93][94] chirurgien célèbre de Paris. [23] Je vous prie de le voir de bon œil et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce lundi 26e de juillet 1655.

Le présent porteur vous délivrera deux petits livrets, dont l’un est de M. Guillemeau et l’autre de M. Le Noble, [95] de Rouen. [24]


a.

Ms BnF no 9357, fos 179‑180 ; Reveillé-Parise, no cclxxiv (tome ii, pages 193‑194).

1.

Louis xiv vint en personne célébrer la prise de Landrecies (13 juillet, v. note [4], lettre 406). L’assaut contre les Pays-Bas espagnols se poursuivit par les sièges et prises de Condé-sur-Escaut (18 août) et de Saint-Ghislain (25 août).

2.

Lexicon philologicum, præcipue etymologicum et sacrum, in quo Latinæ et a Latinis auctoribus usurpatæ, cum puræ, tum barbaræ voces, ex originibus declarantur, comparatione linguarum (quarum et inter ipsas consonantia aperitur) subinde illustrantur, multæque in divinis et humanis litteris difficultates e fontibus, veterumque recentium scriptorum auctoritate enodandur, bene multa etiam in vulgatis dictionariis admissa haud levia errata modeste emaculantur, auctore Matthia Martinio, servo Jesu Christi in schola Bremensi. Editio altera, priori multo locupletior et auctior. Cum privilegio S. Cæsareæ Majestatis speciali.

[Lexique philologique, principalement étymologique et sacré, où les mots latins employés par les auteurs latins, tant purs que barbares, sont définis depuis leurs origines, illustrés, immédiatement après, par la comparaison des langues (dont on découvre la concordance qu’elles ont entre elles), et où l’autorité des écrivains anciens et modernes dénouent les nombreuses difficultés qu’il y a dans les lettres sacrées et profanes et où sont aussi corrigées avec modestie bon nombre d’erreurs non négligeables que se sont permises les dictionnaires usuels. Par Matthias Martini, serviteur de Jésus-Christ en l’école de Brême. Seconde édition, beaucoup plus riche et complète que la première. {a} Avec privilège spécial de Sa Majesté impériale]. {b}


  1. V. note [9], lettre 238, pour Matthias Martini (mort en 1630) et la première édition de son Lexicon (Brême, 1623).

  2. Francfort, Thomas Matthias Goetzenius, 1655, in‑4o.

Le projet lyonnais tombait à l’eau malgré Guy Patin qui, en lui prêtant l’exemplaire qu’il possédait, avait poussé Marc-Antoine Ravaud à rééditer ce monument d’érudition philologique.

3.

« une négociation qui chemine dans l’ombre » (Psaumes, v. note [5], lettre 174).

4.

Fourbisseur : « artisan qui vend et qui fourbit [entretient] des épées » (Furetière).

5.

L’Encheiridium de Jean ii Riolan (Paris, 1648, v. note [25], lettre 150) n’a pas été réédité avant 1658 (v. note [37], lettre 514) ; v. note [1], lettre 414, pour ses deux réponses à Jean Pecquet.

6.

La Silésie forme aujourd’hui le sud-ouest de la Pologne. Séparée en Haute et Basse Silésie, c’était alors une grande province du royaume de Bohême placé sous la domination des Habsbourg d’Autriche.

7.

La paix d’Allemagne était les traités de Westphalie (1648).

Cosaques (Trévoux) :

« ce nom […] fut donné d’abord à un ramas de Russes hardis et prompts qui, tous les ans au printemps, quittaient leurs maisons, leurs femmes et leurs enfants, et s’assemblaient dans les îles qui sont à l’embouchure du Boristhène, {a} au-dessous de Porowis, ou sauts de ce fleuve, d’où vient qu’on les nomma aussi Zaporouski, ou Zaporaviens […]. De ces îles qui leur servaient de retraite, ils faisaient des courses sur toute la mer Noire et dans l’Anatolie. Étienne Bathory {b} en 1576 crut pouvoir tirer de bons services de ces coureurs. Il en fit un corps de quarante mille hommes, auxquels il joignit deux mille chevau-légers […]. Il les établit {c} dans la basse Volhinie et la basse Podolie, à condition qu’ils défendraient ce pays contre les Tartares, et leur donna la ville de Trechtymirow pour place d’armes, leur permit de se choisir leur général et leurs officiers […]. Ces {d} Cosaques défendirent si bien ce pays qu’on y conduisit plusieurs colonies qui prirent le nom de Cosaques ; et ce pays fut appelé les Terres des Cosaques ou l’Ukraine, c’est-à-dire, frontière. Les Cosaques ont depuis fait payer bien cher aux Polonais les services qu’ils leur avaient rendus. […] ils sont divisés en trois ordres : les Cosaques fidèles qui se soumirent aux Polonais et qui habitent la haute Volhinie ; les Cosaques moscovites qui possèdent la partie du Palatinat de Kiovie qui appartient aux Moscovites ; les Cosaques infidèles ou rebelles qui occupent les terres qui sont entre le Borysthène et le pays des Tartares d’Oczakow, Korsun est leur capitale et ils sont tributaires du Turc. »


  1. Le fleuve Dniepr.

  2. Roi de Pologne de 1576 à 1586.

  3. En Ukraine.

  4. Ces premiers.

8.

Johannes Rhodius, auteur des Analecta… (Padoue, 1652, v. note [42], lettre 280), était un célèbre médecin de Copenhague : Guy Patin voulait dire que, de son point de vue, il n’avait guère de pratique.

9.

Jean Morisot (né à Dole vers 1510) acquit une très grande variété de connaissances et se fit recevoir docteur en médecine. Son goût pour les lettres et la poésie le firent décrier par ses confrères et même exclure d’une chaire de médecine qu’il occupait à Dole. À partir de ce moment, il donna des leçons de grec et de latin.

Outre 45 ouvrages en prose et en vers restés manuscrits, on a de lui quelques livres imprimés, dont celui que citait ici Guy Patin :

Ioannis Morisoti Medici Colloquiorum libri quatuor, ad Constantinum filium. Eiusdem, Libellus de Parechemate, contra Ciceronis calumniatores. Cui adiectus est eorum, quæ conscripsit, operum catalogus.

[Quatre livres des colloques {a} de Jean Morisot, médecin, pour son fils Constantin. Opuscule du même auteur sur le paréchème, contre les calomniateurs de Cicéron. On y a ajouté le catalogue des œuvres qu’il a écrites]. {b}


  1. Ces livres, composés chacun de dix à vingt dialogues, sont intitulés : 1. Adolescentes [Adolescents] ; 2. Iuvenes [Jeunes hommes] ; 3. Viri [Hommes mûrs] ; 4. Senes [Vieillards].

  2. Bâle, sans date, Ioan. Oporinus, in‑8o de 285 pages ; l’épître de l’auteur à son fils est datée de Dole le 31 octobre 1549.

Un paréchème est un défaut de langage où l’on place l’une à côté de l’autre des syllabes de même son. Un vers de Cicéron était le motif du débat (Fragments au sujet de son propre consulat, frag. 7) :

O fortunatam natam me consule Romam !

[Ô Rome fortunée, née sous mon consulat !]

Juvénal a ironiquement repris ce vers maladroit dans sa Satire x (vers 122), mais Morisot (livre cité supra, pages 269‑285) entendait prouver contre bien d’autres que Cicéron était là aussi bon poète qu’orateur.

Henri Joseph Guillaume Patin (1793-1876, sans lien de parenté avec Guy) a consacré une longue étude à Cicéron dans le tome second de ses Études sur la poésie latine (Paris, Hachette et Cie, 1875, in‑8o) : il y cite et commente l’avis de Quintilien (v. note [4], lettre 244) sur ce fameux vers dissonant (chapitre viii, pages 430‑431).

10.

« le Monde maritime et plusieurs autres choses » : épais ouvrage (Dijon,1643) de Claude-Barthélemy Morisot de Dijon (v. note [19], lettre 80).

11.

Le calvinisme, opposé au luthéranisme.

12.

Étienne Le Gagneur, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, était parti en Languedoc rejoindre son maître, le prince de Conti.

13.

V. notes :

14.

« dont il n’a jamais compris la noblesse ». V. notes [31], lettre 399, pour l’Alethophilus de Samuel Sorbièree, et [1], lettre 414, pour les deux réponses de Jean ii Riolan à Jean Pecquet.

15.

« petit prêtre du clergé » en vieux français ; prestolé (prestolin) était pour Furetière un « terme odieux, dont on se sert pour mépriser un prêtre indigne de son caractère ».

Dans sept de ses précédentes lettres, Guy Patin a évoqué la conversion du médecin protestant Samuel Sorbière et son ordination à la prêtrise ; bien qu’il fût son ami, il le disait intéressé à vendre son âme pour obtenir des faveurs.

16.

« qui font profession de ne rien croire ».

17.

« qui ont fait du profit leur divinité, honorant Dieu par intérêt et non par piété. Quelle honte ! quelles mœurs ! quels temps ! »

Marcellus Palingenius (Pier Angelo Manzolli, v. note [24], lettre 925) écrivant contre les moines et les prêtres dans son Zodiacus vitæ… [Le Zodiaque de la vie…] (Amsterdam, 1628) au signe du Lion (Leo, page 104, lignes 16‑32), avec mise en exergue des passages empruntés par Guy Patin :

Hos fuge : pestis enim nulla hac immanior ; hi sunt
Fæx hominum, fons stultitiæ, sentina malorum,
Agnorum sub pelle lupi,
mercede colentes
Non pietate Deum, falsa sub imagine recti
Decipiunt stolidos, ac Religionis in umbra
Mille actus vetitos, et mille piacula condunt ;
Raptores, mœchi, puerorum corruptores,
Luxuriæ atque gulæ famuli, cœlestia vendunt […]
Non pretio, sed amore, Deum vir iustus adorat.
Deme autem lucrum, superos et sacra negabunt.
Ergo sibi, non cœlicolis, hæc turba ministrat ;
Utilitas facit esse Deos ; qua nempe remota,
Templa ruent, nec erunt Aræ, nec Iupiter ullus
.

[Fuyez-les : de fait, il n’y a peste plus monstrueuse que celle-là ; ce sont la lie des hommes, la source de la folie, l’égout des malheurs, des loups sous la peau d’agneaux, honorant Dieu par intérêt et non par piété. Sous une fallacieuse apparence de justice, ils trompent les idiots et sous ombre de religion, ils cachent mille péchés et mille sacrilèges. Voleurs, débauchés, corrupteurs d’enfants, esclaves de la luxure et de la goinfrerie, ils vendent le paradis. (…) L’homme juste adore Dieu non par intérêt, mais par amour. Écartez le profit, vous les verrez renier et Dieu et ses cultes. C’est que cette bande se sert elle-même, mais ne sert pas les habitants des cieux. Le profit est devenu leur divinité : enlevez-le leur, ils renverseront les temples et il n’y aura plus ni autels ni Jupiter].

V. note [52], lettre 292, pour la désolation cicéronienne sur les temps et les mœurs qui concluait cette envolée de Patin contre la moinerie (v. note [9], lettre 224).

18.

Roch Le Baillif, sieur de la Rivière, médecin et alchimiste français né à Falaise en Normandie (Calvados), mort à Paris en 1605, était fils d’un réfugié protestant qui enseignait la théologie à Genève. Il fut élevé dans le calvinisme. Après avoir terminé ses études, il vint à Paris et y pratiqua la médecine. Imbu de la doctrine de Paracelse, il obtint des succès si rapides que la Faculté s’en émut et lui contesta le droit d’exercer sans avoir subi un examen. Le différend s’échauffa et Le Baillif fut traîné devant le Parlement qui lui interdit le séjour de Paris sous peine de punition corporelle. Il se retira à Rennes et quoiqu’il n’eût pris aucun diplôme, parvint à obtenir le titre de médecin du parlement de Bretagne. Il sauva d’une maladie grave le duc de Nemours qui se déclara son protecteur (G.D.U. xixe s.). Contrairement à ce que disent certaines biographies, la place de premier médecin ne lui fut pas attribuée : elle le fut à son homonyme, Janus de La Rivière (v. note [11] du Borboniana 10 manuscrit).

Le Baillif a laissé quelques ouvrages d’astrologie et de pratique empirique, dont le :

Premier traité de l’Homme, et son essentielle Anatomie, avec les Éléments, et ce qui est en eux : de ses Maladies, Médecine, et absolus remèdes ès {a} Teintures d’Or, Corail, {b} et Antimoine : et Magistère des Perles : et de leur extraction. Par Roch Le Baillif Sieur de la Rivière, Conseiller et Médecin ordinaire du Roi, et de Monseigneur duc de Mercœur. {c}


  1. Avec les.

  2. V. note [19], lettre 352.

  3. Paris Abel l’Angelier, 1580, petit in‑4o de 223 pages ; avec ces deux vers en appendice du titre :

    Pravus ubi fluvium manibus non lotis obivit,
    Huic Dii succensent, tribuentes inde dolores. Hesiod
    .

    [Celui qui traverse un fleuve avec des mains impures, les dieux le prennent en haine et lui préparent des calamités dans l’avenir. Hésiode]. {i}

    1. Les Travaux et les Jours (v. note [4], lettre 239), livre ii, traduction de Leconte de Lisle.

L’auteur vante l’antimoine comme panacée dans son épître dédiée « À très haut et puissant prince Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur et de Penthièvre, pair de France, marquis de Nomeny et de Bauges, prince du Saint-Empire, etc. » (page 5) :

« La troisième teinture, {a} qui est celle de l’antimoine, appelée sang de dragon par Hermès, {b} et étoile orientale par Geber, {c} mise en usage, est assuré remède aux maladies venant en la ratelle, fiel, {d} les reins et le cerveau, et leurs membres moins nobles ; les préservant de corruption et les purgeant par une intense transpiration du tartre en eux retenu, source de leurs maladies. Si que, {e} à cause de cette généralité, les aucuns {f} l’ont tenu pour azoc ou médecine universelle. »


  1. Après celle d’or ou de soleil, et celle de corail.

  2. Hermès Trismégiste, v. note [9], lettre de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662.

  3. Jabir Ibn Hayyan, alchimiste persan du viiie s.

  4. Rate et vésicule biliaire.

  5. Tant et si bien que.

  6. Certains.

Quant aux suite de cette parution, Guy Patin citait ici le :

Vrai Discours des interrogatoires faits en la présence de Messieurs de la Cour de Parlement, par les docteurs Régents en la faculté de Médecine en l’Université de Paris, à Roch le Baillif, surnommé la Rivière, sur certains points de sa doctrine.


  1. Paris, P. l’Huillier, 1579 (date du privilège), in‑4o de 156 pages. Il n’y pas d’auteur identifiable, mais Michel i Marescot (v. note [14], lettre 98) était l’un des cinq docteurs régents que la Faculté de médecine avait commis pour examiner La Rivière.

Il y est, entre autres, question de l’antimoine (pages 111‑115) dans la Réplique à la réponse de La Rivière contre un factum présenté à Messieurs de la Cour, le 6 mai 1579 :

« Mais il faut venir à ce démon d’antimoine et savoir si les métaux sont venins dans notre corps ; ce à quoi il {a} s’essaie de satisfaire, mais en vain. Car je n’ai pas dit qu’ils le fussent tous, ni même l’antimoine, ains {b} seulement quelques-uns accoutrés et passés par certaines graduations de feu, comme certainement il ne saurait nier que le vif-argent sublimé ne le soit, combien que quelques-uns en ont pris et n’en sont pas morts.

[…] Et ne vois point qu’il {c} ait commodité ou propriété plus grande que de vomitoire, sinon qu’il ne coûte guère et ne laisse point de mauvais goût, non plus que du verre, et a bientôt montré sa malice et perturbation en reversant l’estomac comme une bottine, et que les maladies pour lesquelles l’on le donne ne reviennent plus car elles ne s’en vont point du tout. Et en a fait à plusieurs rendre l’âme par en bas avec le tartare de Paracelse plutôt que celui de Platon ; {d} et que nulle intempérature simple ni vice aucun de partie, voire conjoint avec matière, n’est ou guéri, ou garanti par lui seul ; et perce aucunefois {e} l’estomac, voire coupe les boyaux, comme à la fille de Monsieur de Rohan, combien que tous n’en meurent pas si soudain et apparemment. Si n’en vis-je jamais aucun qui n’assurât de n’en prendre plus par la bouche en verre pour les piteux et effroyables accidents qu’il apporte. Mais soit que l’on meure ou que l’on languisse, ou que l’on guérisse, il y a des façons de mort et de vie plus douces. Et n’avons point faute d’autres vomitoires plus bénins et n’ignorons pas les autres façons de le préparer, ni qu’il peut entrer en clystère plus sûrement. Mais il ne s’ensuit pas s’il purge l’or qu’il purge notre corps, {f} non plus que nos autres purgatifs purgent l’or, car il n’y a point de communication avec l’or et notre corps, moins qu’avec les carpions du lac de Garde qui ne le peuvent digérer. » {g}


  1. Roch Le Baillif.

  2. Mais.

  3. L’antimoine.

  4. Les enfers (v. note [2], lettre 125).

  5. Parfois.

  6. Il ne s’ensuit pas que s’il purge l’or, il purge notre corps.

  7. Les Observations de plusieurs singularités et choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie, et autres pays étranges, rédigées en trois livres, par Pierre Belon du Mans. Revus de nouveau et augmentés… (Paris, Guillaume Cavellat, 1554, in‑4o), Premier livre des Singula. dont est venue l’occasion des fables qu’on a racontées de la toison d’or, chapitre lii, pages 47 vo‑48 ro :

    « Et pource que savons qu’il y a beaucoup de nations qui ont opinion que les poissons nourris es {i} rivières qui ont bruit d’avoir de l’or, s’en nourrissent et le prennent pour pâture, il nous a semblé avoir trouvé occasion d’en dire quelque petit mot, et être chose digne de notre observation d’en enquérir la vérité ; car les habitants de Pesquere {ii} au rivage du lac de Garde, et aussi de Salo, se sont persuadés que les carpions {iii} de leur lac se nourissent de pur or. […] les […] carpions n’ont estomac qui puisse digérer l’or ; combien que les hommes du pays disent en commun proverbe que les poissons nourris d’or sont excellents par dessus les autres. »

    1. Dans les.

    2. Peschiera del Garda.

    3. Espèces de petites truites particulières au lac de Garde.

V. notule {d}, note [20] du Naudæana 3, pour le Demosterion de Le Baillif (Rennes, 1578).

19.

« Dieu lui-même aura soin [Cicéron, v. note [9], lettre 66] d’une si grande et si délicate affaire. »

20.

V. note [31], lettre 335, pour la duchesse Nicole, épouse de Charles iv de Lorraine.

21.

Trois écrivains catholiques ont indépendamment contibué à continuer les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius (Cesare Baronio, Rome, mort en 1607, v. note [6], lettre 119), qui allaient jusqu’à l’an 1197 de l’ère chrétienne.

22.

V. notes [72], lettre 219, pour l’explication de cette expression, et [1], lettre 405, pour les amours de Louis xiv et Marie Mancini.

23.

Jacques Papelard, natif de Luzarches (Val-d’Oise), chirurgien ordinaire de Marie de Médicis, mourut fort vieux le 5 décembre 1676 (Index funereus chirurgicorum Parisiensium, page 56).

24.

V. note [16], lettre 403.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 26 juillet 1655

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(Consulté le 19/04/2024)

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