L. 412.  >
À Claude II Belin,
le 25 août 1655

Monsieur et bon ami, [a][1]

Pour réponse à la vôtre que je viens de recevoir tout présentement, je vous dirai que la visite des boutiques des apothicaires [2] se fait ici deux fois l’an, après Pâques immédiatement et à la Saint-Rémy. Ceux qui y assistent de la part de la Faculté sont le doyen et son adjoint, les deux professeurs en pharmacie [3] et leurs adjoints. [1] S’ils vous recherchent d’accord, prenez-les au mot et plaidez le plus tard qu’il vous sera possible : il n’est plus de justice, ils vous en peuvent accorder dix fois plus que vous n’en aurez par arrêt ; faites-leur seulement peur du Médecin charitable [4] et de la médecine domestique que nous avons introduite dans les familles, qui est le seul moyen qui a ruiné ceux de deçà, dont ils ne relèveront de longtemps.

Le roi [5] est toujours dans le comté de Hainaut. Saint-Ghislain [6][7] et Condé [8] sont à nous. [2] On dit que le roi a fait assiéger Valenciennes, [9] mais nos affaires ne vont pas bien en Italie : on dit qu’il faut que nous levions le siège de Pavie [10] et que le duc de Modène [11] sera mauvais marchand d’avoir pris notre parti à cause du secours que le vice-roi de Naples [12][13] a envoyé dans le Milanais. [3][14]

Le roi de Suède [15] est à Stettin [16] en Poméranie, [17] il y a trois provinces de Pologne qui se sont révoltées et se sont données au roi de Suède. Le roi de Pologne [18] est toujours fort pressé du grand-duc de Moscovie [19] et d’un autre côté, des troupes du roi de Suède. [4][20][21] Il y a bien de la peste [22] en Hollande, et surtout à La Haye, [23] à Leyde, [24] à Delft [25] et à Haarlem ; [26] il y en a aussi à Anvers. [27] Les Anglais et les Espagnols se battent rudement pour la flotte d’argent dans l’Amérique, [28] près d’Hispaniola. [29] Plura alias[5] L’antimoine [30] est ici tout abattu et les antimoniaux fort camus. Je me recommande à vos bonnes grâces et à monsieur votre fils, et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

De Paris, ce mercredi 25e d’août, à deux heures après midi, 1655.


a.

Ms BnF no 9358, fo 156, « À Monsieur/ Monsieur Belin le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. »

1.

D’après la liste des docteurs régents établie le 19 novembre 1654 par le doyen Jean i de Bourges, les deux professeurs de pharmacie étaient alors Robert Tullouë et Nicolas Richard (Comment. F.M.P., tome xiv, fos 124‑127).

2.

Saint-Ghislain est une ville wallonne du Hainaut dans le Borinage, 15 kilomètres à l’est de Condé-sur-l’Escaut (aujourd’hui de l’autre côté de la frontière franco-belge, v. note [4], lettre 198).

Le 22 août, Turenne allait assiéger Saint-Ghislain, tenue par les Espagnols, et la prendre le 25. En 1656, les Espagnols attaquèrent la place sans succès ; mais la reprirent l’année suivante sous la conduite de Don Juan d’Autriche.

3.

La Gazette, ordinaire no 110, du 21 août 1655 (page 915) :

« De Milan, le 29 juillet 1655. Enfin l’armée française, dont le séjour dans le Lodégian faisait croire qu’elle en voulait à Lodi, après avoir joint celle du duc de Modène, s’est approchée de Pavie, où le 23e de ce mois, le marquis de Caracène envoya un nouveau renfort de 400 hommes ; de sorte qu’il y a maintenant dans la place plus de 3 000 soldats, outre les bourgeois et un si grand nombre de paysans qu’on les fait monter à près de 20 000 ; desquels il y aurait apparence de tirer quelque avantage si la ville était abondamment fournie de tout ce qui est nécessaire pour leur subsistance, et qu’elle ne fût point embarrassée d’une très grande quantité de bétail que ces paysans y ont amenée. Nous espérons néanmoins que le comte Galéazzo Trotti, qui en est gouverneur, nous donnera temps d’assembler des troupes pour essayer le secours de la place, le marquis de Caracène ayant résolu de se mettre en campagne incontinent après l’arrivée de celles qui nous doivent venir de Naples ; d’où l’on nous écrit que le secrétaire Sebastiano d’Ucedo, naguère retourné d’Espagne, assure que l’armée navale de ladite ville de Naples avait ordre de débarquer quelques fantassins à Voltri, sur les terres de Gênes, pour venir ici. »

Valenciennes ne fut pas assiégée cette année-là. Garcia de Avellaneda, comte de Castrillo, avait été nommé vice-roi de Naples en 1653. Il tint ce poste avec brio jusqu’en 1659, il regagna ensuite Madrid pour entrer dans le Conseil privé du roi d’Espagne.

4.

Pour la République des Deux Nations (lituano-polonaise), 1655 était la pire année de la guerre de Treize ans (v. note [7], lettre 374) ; elle frôla l’effondrement total (v. note [11], lettre 413, pour ce qu’on a plus tard appelé le Déluge polonais) sous la double attaque des Suédois et des Russes.

Stettin est le nom allemand de l’actuelle ville polonaise de Szczecin en Poméranie occidentale, située non loin de la frontière germano-polonaise. La Paix de Westphalie l’avait attribuée à la Couronne suédoise.

5.

« Plus une autre fois. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 25 août 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0412

(Consulté le 24/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.