Je vous remercie de votre dernière et de la continuation de votre amitié. Le livre de M. Riolan [2] contre Pecquet [3] sera bientôt achevé. [1][4][5] On dit que Pecquet menace de dire bien des injures à M. Riolan, c’est signe qu’il n’aura guère de raisons de reste. [2] Je montrai votre lettre à M. Guillemeau. [6] M. Riolan s’en va faire une nouvelle édition de son Encheiridium anatomicum et pathologicum in‑8o [7] augmenté d’une quatrième partie, et même de plus si sa santé le lui permet, et cela sera fort bon. [3] La peste [8] continue d’être bien forte à Leyde. [9] Comment se porte M. Choulier [10] le jeune, que vous a-t-il dit de moi, putasne perventurum ad bonam frugem, tam mollem, adeo despondentem adolescentem ? [4]
Je vous remercie du quatrain de Nostradamus, [11] que plusieurs m’avaient ici montré. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les fous prophétisent, sans ce qu’ils feront ci-après. Tout ce qu’a fait ce Nostradamus ne sont que des rêveries et des rébus de Provence. Je trouve fort bon ce distique que vous m’avez cité contre lui, mais il est un peu autrement dans le recueil des vers du propre auteur, et meilleur ce me semble :
Nostra damus, cum verba damus, nam fallere nostrum est :
Et cum verba damus, nil nisi Nostra damus. [5]
Qui pensez-vous être l’auteur de ce quatrain ? Les huguenots, [12] entre autres Frid. Spanheim [13] in Dubiis evangelicis, [6] qui est un très bon et curieux livre, l’attribuent à Théodore de Bèze, [14] mais cela n’est pas ; le vrai auteur en est un Carolus Utenovius, [15] des poèmes duquel on trouve un petit recueil que j’ai céans. C’est le même nom de celui à qui le grand Buchanan [16] a dédié son Franciscanus et fratres fraterrimi. [7][17]
Nous attendons ici des nouvelles de Pavie, [18] mais on dit qu’elles ne seront pas à notre avantage. Des Anglais et de la flotte d’Espagne dans l’Amérique [19] septentrionale, il n’y a encore rien de certain. On dit que le roi [20] doit aujourd’hui aller à La Fère [21] y revoir la reine [22] pour se réjouir de ses nouvelles conquêtes avec elle et entre autres, des prises de Condé [23] et de Saint-Ghislain ; [24] que delà, il ira à Compiègne [25] où le duc de Mantoue [26][27] se rendra et où l’on fera de belles comédies. [8] Le désordre est grand en Pologne où trois provinces se sont révoltées, et le roi de Suède [28] y est entré avec 50 000 hommes. [29] Toto sævit Mars impius orbe. [9][30] Je vous baise mille fois les mains et suis de toute mon âme, Monsieur, etc.
De Paris, ce 30e d’août 1655.
1. |
Ioannis Riolani, Doctoris Medici Parisiensis, et regiorum professorum decani, Responsiones duæ : Prima, ad Experimenta nova Ioannis Pecqueti, Doctoris Medici Monspeliensis ; Altera ad Pecquetianos duos Doctores Parisienses, adversus sanguificationem in Corde, sive Refutatio Panegyreos Apologeticæ pro Pecqueto, adversus Riolanum, Antiquiorem Scholæ Parisiensis Magistrum, ab illis infamatum. Accessit eiusdem Riolani Iudicium novum de Venis Lacteis, et Caroli Le Noble, Doctoris Medici Rothomagensis Observationes raræ et novæ de venis lacteis thoracicis, ubi sanguificandi officium hepar restituitur, adversus eundem Pecquetum, et alios eius fautores. [Deux réponses de Jean ii Riolan, docteur de la Faculté de médecine de Paris et doyen des professeurs royaux : la première aux expériences nouvelles de Jean Pecquet, docteur en médecine de Montpellier ; la seconde à deux docteurs pecquétiens de Paris {a} contre la sanguification dans le cœur, ou Réfutation du Panégyrique apologétique pour Pecquet, contre Riolan, ancien maître de l’École de Paris qu’ils ont diffamé. S’y ajoutent le nouveau jugement du dit Riolan sur les vaisseaux lactés et les rares et nouvelles Observations de Charles Le Noble, docteur en médecine de Rouen, sur les vaisseaux lactés thoraciques, où la fonction de sanguification du foie est réhabilitée contre le même Pecquet et d’autres de ses partisans]. {b}
Dans son Monitum ad lectorem [Avertissement au lecteur], Riolan laisse libre cours à sa colère : on avait osé brocarder son portrait, alors il réglait ses comptes, avec même le relent dérangeant de cette fureur vindicative qu’on dénomme aujourd’hui paranoïa. L’assaut est bref mais percutant :
Au début de la Responsio altera (page 51), Riolan cite Aristote (Politicis, lib. 3, cap. 11), Medicum debere aliis rationem sui officii reddere [Le médecin doit rendre compte de sa charge aux autres], et le commente en ces termes :
Mentel est abondamment et nommément cité dans tout l’ouvrage, mais non pas Mersenne. On lit page 141 l’extrait d’une lettre en français qu’Alcide Musnier a adressée à Guy Patin, datée de Gênes le 14 juillet 1655, contestant à Jean Pecquet la primeur de sa découverte, avec des témoignages suggérant que Gaspare Aselli (v. note [26], lettre 152) et Johann Vesling (v. note [19], lettre 192) l’auraient précédé :
Pages 144‑149 est transcrit un Extrait d’un livre de feu Monsieur Naudé, imprimé à Paris, l’an 1649, intitulé Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin depuis le 6e de janvier jusqu’à la déclaration de 1er avril 1649, tirée de la page 173 et suivantes. Naudé entend y démontrer que Mentel est un imposteur quand il veut faire croire que l’imprimerie a été inventée par un de ses ancêtres (v. note [34], lettre 242). Le livre se termine (pages 156‑158) par une Responsio ad anagrammatismum Riolani [Réponse à l’anagramme de Riolanus] qui commence par ces phrases :
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2. |
V. note [37] du Faux Patiniana II‑1 pour une reprise et un prolongement de ce passage dans L’Esprit de Guy Patin. |
3. |
V. note [5], lettre 408, pour cette nouvelle édition (1658) du « Manuel anatomique et pathologique » de Jean ii Riolan. |
4. |
« Ne pensez-vous pas qu’un jeune homme si doux et jusque-là prometteur produira du bon fruit ? » |
5. |
« Nous donnons parole quand nous trompons, car c’est dans notre nature de tromper, et quand nous trompons, nous ne donnons rien sinon notre parole. » {a} Ces deux vers latins étaient dirigés contre Nostradamus (Michel de Nostre-Dame, Saint-Rémy-de-Provence 1503-Salon 1566), docteur en médecine de la Faculté de Montpellier. Ami de Jules-César Scaliger, il alla d’abord exercer la médecine à Agen, puis s’installa à Salon et publia ses premières Centuries (1555) qui lui valurent un renom immédiat et les faveurs de la reine Catherine de Médicis. On y répliqua au xviie s. par une « Réponse au 2e chef de la calomnie qui le voulait le faire tenir pour un rêveur » : {a}
Dans les brouillons manuscrits des Mémoires historiques qu’on lui attribue, Guy Patin (ms BnF fr. no 2803) a consacré une courte entrée à Nostradamus (fos 95‑96) où il ajoutait un commentaire au distique d’Utenhove :
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6. |
« dans les Doutes évangéliques ». Dans la deuxième partie (page 366) de ses « Doutes évangéliques » (Genève, 1639, v. note [6], lettre 179), le théologien protestant genevois Friedrich i Spanheim (v. note [11], lettre 16) a cité le distique contre Nostradamus, à la fin (§ xxvii) du Dubium xxxiii, intitulé An probanda sit Astrologia judiciairia, eo quod nativiras Servatoris et ortu stella designata, fuerit divinitus, et cognita hoc indicio a Magis ? [Faut-il approuver l’astrologie judiciaire, sous prétexte que la nativité du Sauveur a été miraculeusement marquée par l’apparition d’une étoile, et que les Mages ont eu connaissance de ce signe ?] : Viros multos eximios, qui in hoc studium quandoque, sed sobrie admodum, incubuere, et inter testamenta artis imbecillitatem ingenue fassi sunt, nec eam ad omnia enventuum promiscue extenderunt. Reliquos quod attinet, quod Nostradami Aretalogi insignis gryphis et ænigmatibus, quibus Lectorum vel acumini, vel patientiæ, vel etiam stupori illusit, a Venerando Beza nostro jam olim præscriptum fuit Epigramma, communi omnium Genethliacorum tripodi præscribendum censeo,Nostra damus, damus verba damus, nam fallere nostrum est : |
7. |
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8. |
Louis xiv arriva à Compiègne le 4 septembre et en partit le lendemain pour Chantilly où, le 6, « en cavalcade avec sa cour dans la forêt » (Levantal), il accueillit le duc de Mantoue : Charles ii de Gonzague (1629-14 août 1665) était le petit-fils de Charles ier (v. note [11], lettre 18) ; il lui avait succédé en 1637, n’ayant encore que sept ans, sous la tutelle de sa mère, Marie de Gonzague, fille de François iv (qui avait lui-même été éphémère duc de Mantoue en 1612). Charles ii se signala surtout par son intempérance et son libertinage. En 1649, il avait épousé Isabelle-Claire d’Autriche. Il avait quitté le parti de la France en 1652 pour s’allier avec l’Espagne ; mais avec des oscillations entre les deux camps. En 1658, les Français, commandés par le duc de Modène, étant venus prendre des quartiers d’hiver dans le Mantouan, l’obligèrent à renoncer à cette alliance. Il fit une courte guerre et vendit (11 juillet 1659) à Mazarin tous les domaines qu’il possédait en France : Rethel, Nevers, Mayenne, etc. Le cardinal laissa ce duché, dont il avait fait confirmer les prérogatives en 1660, à Philippe-Julien Mancini, son neveu. Le Nivernois fut dès lors sur le même pied que les autres duchés-pairies (G.D.U. xixe s. et A.V.D.).Charles iii de Mantoue, né le 31 août 1652, succéda en 1665 à son père Charles ii, sous la régence de sa mère. V. note [27], lettre 415, pour les raisons qui avaient mené le duc de Mantoue à Paris. |
9. |
« Mars impie sévit dans tout l’univers » (Virgile, v. note [5], lettre 88). |
a. |
Bulderen, no xcix (tome i, pages 258‑260) ; Reveillé-Parise, no ccccxxxvi (tome iii, pages 50‑51). |