L. 422.  >
À André Falconet,
le 26 octobre 1655

Monsieur, [a][1]

La maladie que vous avez pris la peine de me décrire tient quelque chose de la goutte. [2] Je connais ce malade qui est d’une complexion délicate. Son père, qui avait les cheveux noirs, mourut d’un catarrhe [3] sur le poumon et sa mère, d’une inflammation de poumon. [4] C’était la femme la plus chagrine et la plus colère du monde, et de plus elle était fort rousse. Or il est constant que l’inflammation de poumon est toujours mortelle aux rousseaux[5] Feu M. de La Vigne, [6] un de nos médecins de la Faculté, était fort rousseau. Je le fis un jour appeler en consulte [7][8] chez un secrétaire du roi nommé Collier, [9] qui avait 75 ans et qui était aussi rousseau, et malade d’une inflammation de poumon, ce qui fit que je prédis qu’elle lui serait mortelle. [1] M. de La Vigne me demanda où j’avais appris de pronostiquer des rousseaux, je lui répondis que je l’avais remarqué toujours très vrai, outre que je l’avais ouï dire à M. Nicolas Piètre [10] qui l’avait appris de son frère le grand Simon Piètre, [11] et que la raison de cela était que les rousseaux abondent en sérosité âcre et maligne. Il me dit qu’il l’avait toujours remarqué de même. Je l’ai depuis lu dans les Ephemerides de Baillou. [2][12]

Nous avons ici un de nos compagnons bien malade qui est M. Allain, [13] savant et habile homme, et un autre nommé M. Chasles. [14] Celui-ci a toujours aimé le bon vin et en boit quantité, ce qui retardera sa convalescence. L’autre est fort sobre, mais bien plus vieux, et vous savez que la vieillesse est une maladie incurable. Ils sont tous deux fort savants. La saison où nous sommes me fait peur pour eux, l’automne est appelé par Tertullien [15] le tentateur de la santé[3]

Il est mort un docteur en théologie nommé Coqueret, [16] en grande réputation. Il était principal du Collège des Grassins, [17] directeur des carmélites [18] par toute la France, grand confesseur des religieuses et de tous les débauchés de Paris et de la cour. On dit qu’il est mort à Marseille où il était allé dans une belle litière, [19] aux dépens des carmélites et du purgatoire, [20] confesser quelque moinesse et réformer quelque couvent. Cet homme devait avoir l’haleine très puante car bien des péchés secrets lui étaient étouffés et pourris dans son estomac. Quelques-uns l’appelaient un jésuite mitigé. [4] Je suis, etc.

De Paris, ce 26e d’octobre 1655.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no lxii (pages 198‑201) ; Bulderen, no cii (tome i, pages 264‑266) ; Reveillé-Parise, no ccccxxxix (tome iii, pages 54‑55), à André Falconet.

Cette lettre a nécessairement été châtrée car Guy Patin n’y dit mot du deuil de Pierre Gassendi, qui l’affligeait alors profondément.

1.

Germain Collier, seigneur de Fresnoy et de la Marlière, conseiller secrétaire du roi, était mort le 30 mars 1644 (M. Laisné, Archives généalogiques et historiques de la noblesse de France, 1830, tome iii, page 26).

2.

Il est question de la rousseur dans deux observations du livre ii des Epidemiorum et Ephemeridum libri duo… [Deux livres des Épidémies et des Éphémérides…] de Guillaume Baillou (v. note [3], lettre 48).

  1. Constitutio autumnalis anni Domini 1577 [Constitution automnale de l’an 1577], page 205, paragraphe sous-titré en marge Humor qui in rufis abundat, aliquid habet virulentis [L’humeur qui abonde chez les roux a quelque chose de venimeux] :

    Macæus olim D. Crassi servus, biliosus, rusus ; ad Mensem Martium doluit latus, febricitavit. Humoris impetus furibundus vix sedari potuit. Malum artem vincebat, et remedia fere eludebat. Quicumque rusi sunt, morbis vix liberantur. Humor enim qui in eis abundat, habet aliquid virulenti. […] Et morbi magis formidolosi sunt, quicunque eos adoriuntur, et Medici prudentiores cautioresque esse debent.

    [Au mois de mars, Macé, jadis valet de Me Cras, bilieux et roux, a été affecté d’une douleur au côté avec de la fièvre. On a peiné à contenir le mouvement impétueux de l’humeur. Le mal surpassait les ressources de l’art et se jouait presque des remèdes. Il est presque impossible de guérir tous les roux. L’humeur qui abonde en eux a en effet quelque chose de venimeux. (…) Toutes leurs maladies sont effroyables, et les médecins ne doivent en être que plus prudents et circonspects].

  2. Constitutio æstiva anni Domini 1578 [Constitution estivale de l’an 1578], page 245, Corpora ruforum et lentiginosorum tetra bile abundant [Les corps des roux et de ceux qui sont couverts de taches de rousseur abondent en mauvaise bile] :

    In Hieremia Tonsoris servo multa observanda fuerunt. Primum erat lentiginosus, et rusus. Ea corpora tetra quadam bile abundant. Et qui humor dominatur, et morbum facit, vix coctionem admittit. Sedari non potuit febris. Hemicraniæ erat obnoxius. Eius ergo guaiaco usus fuerat. Et decoctum hoc siccitatem, et squalorem summam induxerat. Febris assidua. Undecimo die dysenteria a prava bile. Non est allevatus. Macruit omnino. Et tandem in maciem adductus ad diem 24. interiit. Pulmones sunt deprehensi putres. Intestinorum corpus vitiatum erat.

    [On a observé bien des choses chez Jérémie, valet d’un barbier. D’abord, il était roux et couvert de taches de rousseur. Une mauvaise bile funeste abonde en ces corps ; humeur qui règne en maître et provoque la maladie, dont elle gêne la coction. On n’a pas pu calmer la fièvre. Il était affligé d’une migraine. On avait donc fait usage du gaiac, mais cette décoction avait provoqué une sécheresse et beaucoup de souillure. Une fièvre continue s’installa, avec dysenterie au onzième jour, par mauvaise bile. Il ne s’en releva pas, il se dessécha entièrement et enfin, plongé dans le marasme, il mourut le 24e jour. On lui a trouvé les poumons pourris et la masse des intestins corrompue].

Furetière a bien vu clair dans ces bévues en disant : « On tient que Judas [v. note [2] de l’Introduction au Borboniana manuscrit] était rousseau, c’est pourquoi on hait beaucoup les rousseaux » (ce que Guy Patin a confirmé dans la lettre suivante).

3.

Tertullien, {a} De l’Âme (chapitre xlviii, § 1) :

Certiora et colatoria somniari affirmant sub extimis noctibus, quasi iam emergente animarum vigore prodacto sopore. Ex temporibus autem anni verno magis quieta, quod æstas dissolvat animas et hiems quodammodo obduret, et autumnus, temptator alias valetudinum, sucis pomorum vinosissimis diluat.

[Les songes sont sûrement plus nets et clairs quand ils viennent vers la fin de la nuit, comme si l’âme prenait de la vigueur quand le sommeil va la quitter. Quant aux saisons de l’année, c’est au printemps que les rêves sont les plus paisibles : l’été relâche les âmes ; l’hiver les endurcit en quelque façon ; l’automne, qui sous d’autres aspects est le corrupteur des bonnes santés, {b} les amollit par les sucs très enivrants de ses fruits].


  1. Auteur réputé pour son latin rugueux, v. note [19], lettre 605.

  2. Mis en italique, le Tentateur de la santé a figuré dans cette lettre de Guy Patin dès sa première parution (1683). Je croirais volontiers que ses éditeurs ont préféré traduire Temptator valetudinum, qui figurait dans l’original, afin d’éviter que le génitif pluriel choisi par Tertullien (valetudinum, « des bonnes santés », pour valetudinis, « de la bonne santé ») ne fasse soupçonner une erreur typographique. Pour traduire temptator en langue moderne, « corrupteur » me semble plus intelligible que « tentateur ».

4.

Mitigé : « ce mot se dit en parlant des ordres religieux et signifie adouci » (Richelet).

Jean Coqueret (Coqueray dans les précédentes éditions) :

« docteur de Sorbonne et principal du Collèges des Grassins, {a} était né à Pontoise et prit le bonnet de docteur en 1626. Il accompagna Vincent de Paul {b} dans ses premières missions. Il avait beaucoup de zèle et de talent pour l’instruction de la jeunesse, établit un bon ordre aux Grassins, prenait part à bien des bonnes œuvres au dehors et était consulté pour son savoir et sa piété. Il mourut à Marseille le 9 octobre 1655 dans un voyage qu’il avait fait probablement comme visiteur des carmélites. » {c}


  1. V. note [8], lettre 59.

  2. V. note [27], lettre 402.

  3. Renseignements tirés des « manuscrits de Grandet » par L’Ami de la religion et du roi, Journal ecclésiastique, politique et littéraire, Paris, Adrien Le Clere, 1822, volume 30, page 214, no 771 du samedi 29 décembre 1821, Sur des écrivains ecclésiastiques ou de pieux personnages omis dans les dictionnaires historiques.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 26 octobre 1655

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(Consulté le 24/04/2024)

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