L. 432.  >
À Charles Spon,
le 21 janvier 1656

< Monsieur, > [a][1]

Je vous prie de vous souvenir d’une prière que je vous fis il y a quelques mois, savoir du moyen de recouvrer de ce savant homme de Zurich [2] nommé Jo. Henr. Hottingerus [3] un certain livre qu’il appelle Οδηγος, et de demander aussi un livre nouveau du même auteur qui est Historiæ ecclesiasticæ pars quinta, j’ai céans les quatre autres. [1] C’est un admirable écrivain et qui a beaucoup de fort bonne lecture, ideoque tam eximio scriptori Nestoreos annos exopto[2][4] et à vous pareillement. Pardonnez-moi tant d’importunités que je vous fais pour ma bibliomanie, [5] c’est un mal que je ne saurais guérir de cet an car ce qui me reste de temps est trop court ; peut-être que j’en amenderai l’an prochain, magno tuo commodo, nec mediocri meo[3]

Un Allemand m’a dit aujourd’hui céans que l’impression du Sennertus[6] faite en trois tomes à Lyon était imparfaite de deux petits traités de médecine du même auteur ; ce qu’il avait appris d’un fils de l’auteur qui est un excellent homme, professeur à Wittemberg. [4][7][8] Saviez-vous bien cela ? Je suis bien aise que Sennertus ait laissé des savants dans sa famille, cela fera mentir le proverbe filii heroum noxæ[5][9]

M. le duc de Modène [10] a été reçu par le roi [11] et Son Éminence [12] dans le Bois de Vincennes [13] le lundi 27e de décembre, qui dès le même jour, l’ont amené à Paris dans le Louvre, [14] où il est logé et traité μαλιστα βασιλικως, [6] à 100 écus par jour. Le lendemain 28e, nous fûmes, la plupart des professeurs du roi [15] assemblés chez M. Riolan, [16] saluer M. le cardinal Antoine [17] comme grand aumônier de France, lequel nous reçut fort bien et nous promit merveilles.

Trois cents carabins sortis de la braguette du P. Ignace [18][19] sont sortis de Pologne et sont arrivés à Rome. Le pape [20] s’en va mettre un impôt sur la gabelle [21] de Rome : cela fera haïr le pape, et ces maîtres passefins pareillement. On fait un pasquin [22] contre le pape à Rome, le voici : Alexander septimus in maximis minimus, in minimis maximus[7] Cela fait croire qu’il commence d’être méprisé à Rome et enfin, les jésuites le feront haïr. On dit ici tout haut que ces rusés moines sont cause de la perte de la Pologne, qu’ils avaient mis en tête au roi [23] et à la reine de Pologne [24] d’abandonner la royauté et de faire mettre en leur place le fils de l’empereur. [8][25][26] Ainsi, la Pologne serait tombée entre les mains de la Maison d’Autriche, la dépression de laquelle est bien plus à souhaiter que l’exaltation. [27] La reine Christine [28] est à Rome dès le 17e de décembre. La reine de Suède [29] est accouchée d’un garçon [30] à Stockholm, [31] et la reine d’Espagne, [32] d’une fille à Madrid. [9]

J’ai vu et lu avec plaisir le livre que vous me dites de M. Amyraut [33] intitulé Apologie pour ceux de la Religion par M. Moïse Amyraut, etc[10][34] Dès qu’il fut publié, je le parcourus en quelques soirées. Il y a là-dedans de fort bonnes choses. Je fais grand état de cet auteur et même, il est de mes amis. Quand mon fils aîné [35] passa par Saumur [36] l’été passé, en un petit voyage qu’il fit en Bretagne, il fut saluer de ma part M. Amyraut qui lui fit grand accueil et le reçut avec grande démonstration d’amitié. C’est un excellent homme qui écrit facilement et raisonne bien.

M. le garde des sceaux[37] par ci-devant premier président, est mort ce matin d’un choléra morbus [38] avec l’antimoine [39] que Guénault, [40] Rainssant [41] et Vallot [42] lui ont donné. Quem futurum habeat hæredem ratione sigillorum regiorum, solus Deus novit eum Mazarino[11] mais au moins il y en a ici plusieurs en la cour qui souhaitent cette bonne place et cette belle dignité. Deux libelles diffamatoires courent ici en secret contre Christine, jadis reine de Suède, dans lesquels notre maître Bourdelot [43] est rudement sanglé et en échange, nommés honorablement nos bons amis MM. Bochart [44][45] et Naudé. [12][46][47] Je ne les eus qu’une heure entre les mains, ils sont en français, ils viennent de La Haye. [13][48] Les sceaux de France ont été rendus à M. Séguier, chancelier[49] Quand il en a été remercier le Mazarin, il a eu ces mots pour réponse : On vous les avait ôtés par nécessité, on vous les rend par justice[14] Néanmoins, la commune opinion n’est point qu’on les lui ait donnés pour rien, car nous sommes dans un siècle où l’on fait argent de tout. On dit que M. Ménardeau-Champré, [15][50] conseiller de la Grand’Chambre et contrôleur général des finances, en a offert 750 000 livres, un président au mortier 600 000 livres, et un maître des requêtes nommé Bercy-Malon, [16][51] un million.

Dès que le ballet du roi aura été dansé, [52] le duc de Modène reprendra le chemin d’Italie où il s’en va être généralissime. [17] Le prince de Condé [53] est fort mal venu des Espagnols en Flandres, [54] et même des capitaines qui conduisent ses troupes, dont plusieurs régiments l’ont quitté depuis peu. L’empereur arme tant qu’il peut pour faire une armée de 40 000 hommes afin d’empêcher le roi de Suède [55] d’entrer en Allemagne dans trois mois. D’ailleurs les seigneurs de Pologne se réunissent avec leur roi pour chasser le roi de Suède et le renvoyer en son pays, à quoi ils sont aidés du pape et de l’empereur qui leur fournissent de l’argent. Olivier Cromwell [56] a la pierre. On a ici parlé avec Jamot, [57] chirurgien de la Charité, pour aller à Londres le tailler. [18][58] Le roi d’Angleterre, [59] qui est devers Cologne, [60] avait près de soi un grand seigneur anglais qui s’entendait secrètement avec Cromwell. Ce roi ayant découvert cette trahison lui a fait donner un coup de mousquet dans la tête : le voilà récompensé de sa trahison et de sa déloyauté. [19] La reine de Suède est entrée dans Rome avec beaucoup de simagrées à l’italienne et à la principesque. [20] Toute la ville de Saint-Malo [61] est en grande affliction de ce que les Turcs ont pris sur mer 150 de leurs marchands et les ont faits prisonniers et emmenés à Alger. [21][62]

Para assem et habebis fabulam : [22][63] hier au soir, au bout du Pont-Neuf, [64] fut arrêté prisonnier un moine augustin qui filoutait et tirait la laine ; [23][65] un homme se défendit contre lui, sur lequel il avait tiré un coup de pistolet et qui était blessé à la tête. Le moine a été traîné dans le Châtelet, [66] on dit qu’il sera pendu ; mais je ne puis le croire car la superstition [67] est trop grande dans ce siècle et les moines, [68] pessimum hominum genus[24] ont trop de crédit, Dat veniam corvis, vexat censura columbas[25][69]

Le bonhomme M. Riolan m’a dit ce matin que le Mazarin a eu de M. le chancelier 50 000 pistoles pour ravoir les sceaux. M. Le Tellier, [70] secrétaire d’État, est fort malade, M. le maréchal de Gramont [71] fait la charge par commission. Les deux archiprêtres, curés de la Madeleine [72][73] et de Saint-Séverin, [74][75] font leurs charges, comme le cardinal de Retz [76] les a nommés par tolérance de la cour. [26] Le roi se baigne à La Fère. [27][77] On a pendu ce soir à la Grève [78][79] deux porteurs de lettres de Lyon qui avaient le secret d’ouvrir les lettres, et prenaient les lettres de change et en allaient recevoir l’argent.

Le prince de Conti [80] demande à revenir à la cour et ne veut plus retourner en Catalogne. [81] Sa femme [82] veut aussi revenir, laquelle est grosse. On vient de rompre tout vif à la Croix du Trahoir [83] un méchant pendard et grand voleur nommé Delussel, [84] enfant de Paris âgé de 28 ans. Je n’ai jamais tant vu de monde dans les rues de Paris pour le voir passer. Les bonnes gens disent qu’il est mort repentant de ses fautes, cela lui fait grand bien. La princesse de Conti demeurera à Pézenas [85] pour y faire ses couches. On lui a envoyé d’ici en litière [86] une sage-femme [87] nommée Mme Robinet [88] et son mari ne viendra qu’après son accouchement. [28]

Le prince de Condé est fort malcontent des Espagnols. Il s’est retiré à Rocroi [89] avec 200 chevaux parce qu’on lui a refusé quelques quartiers d’hiver pour ses troupes. Trois régiments ont tout de nouveau et tout fraîchement quitté le prince de Condé, et sont revenus de deçà, ayant fait auparavant leur accord avec le Mazarin. Ce sont des régiments de cavalerie, Ravenol, Holac, etc. [29]

La reine de Suède a été fort pompeusement reçue à Rome par le pape et les cardinaux. On lui a fait une grande entrée et grands festins. Le pape lui a envoyé 60 000 écus pour deux mois et a donné aux pères loyolites 20 000 écus pour faire apprêter des comédies en diverses langues, à représenter devant cette reine afin de la divertir. N’a-t-il pas raison de s’adresser à eux, ne sont-ce pas de plaisants comédiens et baladins spirituels ? On continue en Sorbonne [90] à tourmenter le pauvre M. Arnauld [91] qui vaut mieux que tous les molinistes [92] ensemble : les uns pour avoir les bonnes grâces de la reine, et les autres pour attraper des bénéfices et avoir du crédit à Rome. Auri sacra fames ! etc. [30][93]

Le roi traite aujourd’hui à souper fort superbement M. le duc de Modène et demain le ramène au Bois de Vincennes où il l’a pris, qui delà s’en retourne en Italie par Lyon. Il y a ici du bruit pour la nouvelle monnaie que l’on veut faire et que le Parlement veut empêcher : c’est qu’il y a bien des partisans qui offrent bien de l’argent pour en avoir le parti ; mais ce sera aux dépens du public et à la perte de tout le monde, d’autant qu’ils affaiblissent la monnaie. [31][94] Le roi a fait défense au Parlement de s’assembler là-dessus et leur a fait commandement de se transporter demain au Louvre pour entendre ce qu’il en désire.

Nous avons ici un grand vicaire nommé par le roi et agréé par M. le cardinal de Retz pour l’administration de l’archevêché de Paris : c’est M. Du Saussay, [95] official de Paris, curé de Saint-Leu-Saint-Gilles [96] et nommé à l’évêché de Toul. [32][97] Le roi en avait nommé plusieurs autres, celui-là seul a été retenu. Le cardinal de Retz a écrit au roi, à la reine, [98] au chapitre de Notre-Dame, [99] mais non pas au Mazarin. Je me recommande à vos bonnes grâces et à madame votre femme, et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce [21e de janvier 1656].


a.

Reveillé-Parise, no cclxiv (tome ii, pages 144‑149), datée du vendredi 11 janvier 1655. Cette date est impossible : le 11 janvier 1655 fut un lundi, et le pape dont il est question dans la lettre, Alexandre vii, n’a été élu que le 7 avril 1655. L’annonce de la mort du garde des sceaux Mathieu Molé, survenue le 3 janvier 1656, mène à dater la lettre du vendredi 21 janvier 1656 (date annoncée au début de la lettre suivante). Suivant son habitude, Guy Patin l’a rédigée sur plusieurs jours, ce qui explique que, écrivant au sujet sa bibliomanie (sans doute le 31 décembre 1655), il pouvait dire que le reste de l’année était trop court pour qu’il pût la réformer.

1.

Guy Patin demandait ici à obtenir la 5e partie de l’Historiæ ecclesiasticæ… de Johann Heinrich i Hottinger : {a}

Historiæ ecclesiasticæ, Novi Testamenti Seculum xvi. seu Pars Quinta. Qua res, Christianorum potissimum, Orientalium et Occidentalium breviter, succincte et aphoristice primo proponuntur ; deinde fusius ita explicantur, ut Reformationis Ecclesiasticæ, superiori seculo institutæ, necessitas haud obscure evincatur…

[Siècle xvie du Nouveau Testament, ou cinquième partie de l’Histoire de l’Église : où sont d’abord présentées de manière brève, succincte et aphoristique les affaires de l’Orient et de l’Occident, principalement chrétiens ; puis elles sont expliquées plus en détail, pour rejeter sans ambiguïté la nécessité de la Réforme de l’Église qu’on a établie au siècle dernier…] {b}

Patin en avait acquis la 4e partie :

Historiæ ecclesiasticæ Novi Testamenti Seculum xv. seu pars Quarta. Quo res, Christianorum, Judæorum, Gentilium, Muhammedanorum, Gingischanicorum, seu Tartarorum ; breviter, succincte et aphoristice primo proponuntur, fusius deinde explicantur : Capita etiam doctrinæ, tum veræ, per commodam et luculentam Συμβιβασιν ; tum falsæ, per ελεγχον subjiciuntur, sicque ad multiplicem usum, necessariamque rerum Ecclesiasticarum notitiam applicantur. Accedunt Andreæ, Archiepiscopi Crainensis et cardinalis Gesta, Commentariis Petri Numagen, Trevirensis, illustrata et primum nunc ex Bibliotheca Ecclesiæ Tigurinæ in lucem edita…

[Siècle xve du Nouveau Testament, ou quatrième partie de l’Histoire de l’Église : où sont d’abord présentées de manière brève, succincte et aphoristique, puis expliquées plus en détail, les affaires des chrétiens, des juifs, des gentils, des mahométans, des genghiskanides ou tartares ; suivent aussi les chapitres de la doctrine, tant vraie, par une présentation commode et précise, que fausse, par élégie ; et le tout est ainsi destiné à de multiples usages, et à la conaisance nécessaire des affaires de l’Église. On a ajouté la vie d’André, archevêque de Krajina et cardinal, enrichie par les commentaires de Pierre de Neumagen, {c} et publiée pour la première fois, venant de la bibliothèque de l’Église de Zurich…] {d}


  1. V. note [3], lettre 413.

  2. Zurich, Joh. Henricus Hambergerus, 1655, in‑8o de 954 pages.

  3. Andrea archiepiscopus Crainensis, le moine dominicain Andrea Zamometić (Nin, Croatie 1420-Bâle 1484), fut un précurseur de la Réforme que Martin Luther mena dans les années 1520. Archevêque de Krajina (aujourd’hui Kraishtë, dans le Kosovo), Andrea s’était autoproclamé cardinal et fut excommunié pour avoir accusé Sixte iv (pape de 1471 à 1484) d’hérésie, de crimes et de collusion avec les Ottomans. Incarcéré à Bâle, on le retrouva pendu dans sa cellule. Pierre de Neumagen, chapelain de Saint-Léonard, près de Zurich, avait été le secrétaire de Zamometić. Sa biographie et ses nombreuses pièces justificatives forment un long appendice (pages 347‑604) de la première section, De Christianismo.

  4. Ibid. et id. 1654, in‑8o de 1 068 pages.

Ce qu’Hottinger appelait Οδηγος [Guide] était le livre qui l’a guidé dans son copieux travail sur l’histoire ecclésiastique : {a}

Epitome Historiæ ecclesiasticæ Novi Testamenti Continens brevem narrationem et expositionem, Præcognitorum Chronologicorum, Item : i. Scriptorum Ecclesiasticorum, ii. Conversionum Gentium, iii. Persecutionum et Martyriorum, iv. Hæresium et Conciliorum Œcumeni, v. Repurgationis et propagationis, Ecclesiæ veræ, et Religionis Christianæ. Ex quibus Membra quatuor priora, olim Johannes Pappus S.S. Theol. D. in Epitome sua paucis inchoavit, quæ jam de novo ex veritate Historica accuratius sunt recognita, plurimis in locis augmenta, a mendis repurgata, et Autorum allegatione illustrata. Omnia etiam ab hæc nostra usque tempora fideliter continuata. Studio et labore M. Eusebii Bohemi Jun. Cycnæi S.S. Theol. Stud.

[Abrégé de l’Histoire de l’Église du Nouveau Testament, qui contient le bref récit et l’exposé des préalables chronologiques concernant : i. les Écrivains ecclésiastiques, ii. les Conversions des peuples, iii. les Persécutions et les martyres, iv. les Hérésies et les conciles œcuméniques, v. la Purification et la propagation de la véritable Église, et de la religion chrétienne. Dans son abrégé, Johannes Pappus, {b} docteur en très sainte théologie, avait brièvement les quatre premières de ces parties ; les voici maintenant très précisément révisées en se fondant sur la vérité historique, augmentées en de nombreux endroits, corrigées de leurs fautes, et éclairées par la citation des auteurs. On les a aussi fidèlement continuées jusqu’à notre temps. Par les soins et le travail de M. Eusebius Bohemus le Jeune natif de Zwickau, {c} étudiant en très sainte théologie]. {d}


  1. V. note [3], lettre 443, pour la justification de cette déduction.

  2. Théologien luthérien (Lindau 1549-Strasbourg 1610).

  3. Autre théologien allemand (1598-1633) ; ma traduction de Jun. Cycnæi est incertaine, mais repose sur la signature de l’épître dédicatoire, M. Eusebius Bohemus Jun. Cycneus : j’ai compris Jun. comme une abréviation de Junior, et le Cycnæi du titre pour une faute d’imprimerie (au lieu de Cycnæus), sachant que cycnus signifie « cygne » en latin, oiseau qui est l’emblème de Zwickau.

  4. Wittemberg, Clemens Bergerus, 1626 , in‑8o de 1 140 pages.

En fouillant la très abondante production théologique et philologique d’Hottinger, je suis tombé sur une thèse qu’il a présidée à Zurich le 7 mars 1649 et qui aurait pu allécher Patin :

Positiones de Linguæ Arabicæ Usu in Medicina et Philosophia…

[Thèse sur l’Emploi de la langue arabe en médecine et en philosophie…]


  1. Zurich, Jo. Jacobus Bodmerus, 1649, in‑4o de 4 feuilles.

2.

« c’est pourquoi je souhaite à un écrivain aussi remarquable de vivre les années de Nestor » : encore de très longues années (v. note [8], lettre 191).

3.

« à votre grand avantage, aussi bien qu’au mien. »

4.

V. note [55], lettre 219, pour les Opera omnia de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1650).

Andreas Sennert (Wittemberg 1606-ibid. 1689), fils aîné de Daniel, occupait depuis 1638 la chaire d’hébreu de l’Université de Wittemberg. Initié très tôt aux langues orientales, il a consacré plusieurs ouvrages à leur étude et à leur enseignement (G.D.U. xixe s.). Allaient ainsi paraître cette année là :

Aphorismi C. succincti : quibus Lingua S. Ebræa, Compendio certissimo, brevissimoque temporis spatio, adhibitis viva voce itemque praxi addiscenda sufficienter traditur. In Usum Collegiorum necnon Tyronum. Accesserunt Praxeos loco Libri Mosaici primi, Breschit dicti, Capita priora quædam. Autore Andr. Sennerto, P.P. in Academia Witteberg.

Cent brefs Aphorismes : {a} transmettant à ceux qui s’y appliquent le moyen très sûr de progresser en très peu de temps dans la prononciation et la connaissance de la Langue hébraïque sacrée. Pour l’usage des collèges et des débutants. Avec des exemples pratiques tirés des premiers chapitres du premier livre mosaïque, autrement nommé Bereshit. {b} Par Andreas Sennertus, professeur public en l’Université de Wittemberg]. {c}


  1. Règles de grammaires (énoncées en latin).

  2. Nom hébreu de la Genèse, le premier des cinq livres qui forment le la Torah (Pentateuque ou livres de Moïse).

  3. Wittemberg, Jobus Wilhelmus Fincelius, 1656, in‑4o de 27 pages.

V. note [3], lettre latine 284, pour son frère cadet, Michael, professeur de médecine de la même université (en 1664).

5.

« leurs fils sont les châtiments des héros » (adage qu’Érasme a commenté, v. note [20], lettre 179).

6.

« tout à fait comme un roi » ; v. note [3], lettre 429, pour l’accueil du duc de Modène à la cour.

7.

« Alexandre vii, le plus petit des géants, et le plus grand des nains. »

V. note [5], lettre 127, pour la manière qu’on avait à Rome de donner le nom de pasquins aux satires publiques. Alexandre vii avait été élu pape le 7 avril 1655.

8.

La princesse Marie, Louise-Marie de Gonzague-Mantoue, avait épousé en secondes noces Jean ii Casimir, frère de son premier mari, Ladislas iv, tous deux rois de Pologne (v. note [2], lettre 128).

Le fils cadet de l’empereur germanique, Ferdinand iii (v. note [11], lettre 44), était Léopold-Ignace de Habsbourg (Vienne 1640-1705), roi de Hongrie depuis le 22 juin 1655. Son frère aîné, Ferdinand iv (v. note [7], lettre 318), successeur désigné (roi des Romains) de Ferdinand iii, était mort le 9 juillet 1654. Léopold se trouvait donc en position d’héritier présomptif du sceptre impérial, mais n’avait pas été sacré roi des Romains. La mort de son père, le 1er avril 1657 allait donc ouvrir un interrègne. Léopold-Ignace allait parvenir, non sans peine, à se faire élire empereur, sous le nom de Léopold ier, le 18 juillet 1658. Mazarin, en effet, œuvra obstinément contre ce maintien des Habsbourg d’Autriche à la tête du Saint-Empire, ayant même nourri un moment le vain espoir d’y faire élire Louis xiv. Le règne de Léopold ier fut une longue lutte contre l’indépendance de la Hongrie, les entreprises des Turcs, le déclin de la Couronne d’Espagne et la puissance de Louis xiv.

9.

La reine régnante de Suède (Hedwige Éléonore de Holstein-Gottorp, v. note [8], lettre 378), épouse de Charles x Gustave, venait de donner naissance à celui qui allait devenir roi en 1660 sous le nom de Charles xi (v. note [16], lettre 603). De son côté, Marie-Anne d’Autriche, seconde épouse de Philippe iv (v. note v. note [27], lettre 287), avait donné naissance à une fille nommée Marie de la Conception, née et morte en 1655. On restait à Madrid dans la vive inquiétude de ne toujours pas avoir d’héritier mâle pour le trône.

10.

Apologie pour ceux de la Religion. Sur les sujets d’aversion que plusieurs pensent avoir contre leurs personnes et leur créance. Par Moïse Amyraut. {a}


  1. Saumur, Isaac Desbordes, 1647, « se vendent à Charenton », à Paris, Samuel Petit, 1648, in‑8o de 327 pages.

    V. note [38], lettre 292, pour Moïse Amyraut, théologien protestant de Saumur.


L’Avertissement fournit une intéressante précision sémantique et historique sur le mot réformé :

« Comme j’appelle ordinairement en cette Apologie ceux de notre communion, les Réformés, aussi j’emploie souvent ces mots de Catholiques romains, et quelquefois celui de Catholiques tout seul, pour signifier ces Messieurs de la Communion de Rome. Si l’on prenait ces termes autrement que comme des noms, par lesquels on désigne ces deux communions différentes, et si l’on y avait égard à la qualité pour laquelle ils ont été premièrement attribués chacun à son sujet, il y aurait de la contradiction en l’usage de ces deux appellations. Car celle de Réformés signifie la profession de ceux qui ont repurgé la religion de ce dont la corruption du temps l’avait altérée. Et quant à celle de Catholique, elle fut premièrement appliquée à l’Église chrétienne pour la distinguer de la judaïque, pource que le christianisme n’est affecté à aucune particulière nation, et doit courir par tout l’Univers. Mais depuis, on s’en est servi pour distinguer les orthodoxes d’avec les sectaires, qui s’étaient séparés de la communion de cette Église, à qui le symbole {a} avait, comme il y a apparence, le premier donné ce nom. Ainsi, ce serait mal à propos que j’appellerais les uns Orthodoxes et les autres Réformés, pource que la Réformation présuppose qu’on a dégénéré de l’Orthodoxie, et si elle fût demeurée en son entier en l’Église, il n’eût pas été nécessaire de la réformer. Mais désormais, ce nom de Catholique a passé en un tout autre usage, et ne signifie rien autre chose, sinon ceux qui font profession du christianisme tel qu’il était en l’Europe avant la prédication de Luther ; comme on emploie celui de Protestants et de Réformés pour dénoter ceux qui le professent tel qu’il est en la Communion, laquelle s’est séparée d’avec Rome. Et n’y a rien de si ordinaire que de voir ainsi passer les noms d’une signification à l’autre, ni rien de si indifférent que leur usage quand une fois le temps et la coutume en ont autorisé le changement. J’appelle donc Messieurs de l’Église romaine Catholiques, comme plusieurs honnêtes gens d’entre eux nous nomment ceux de la Religion ; et ne serait pas raisonnable que ni eux, ni moi tirassions avantage de ce respect ou de cette civilité, pour le fond de la controverse. Plût à Dieu que nous ne fussions en dispute que des noms : ceux qui sont de bon sens ont toujours remarqué qu’ils ne font du tout rien aux choses. » {b}


  1. Καθολικος, universel.

  2. Amyraut n’en pensait pas moins que les dénominations ont été inversées : catholiques (romains) pour réformés (au sens de « déviants de l’orthodoxie »), et réformés (protestants) pour catholiques (au sens de « chrétiens universels »).

11.

« Qui héritera des sceaux royaux, Dieu seul peut le connaître du Mazarin ». Mathieu i Molé était mort le 3 janvier 1656. Dès le lendemain, le roi reçut le Chancelier Pierre iv Séguier pour lui remettre les sceaux.

12.

J’ai corrigé le nom de « Bouchard », transcrit par Reveillé-Parise, en celui de « Bochart », seul patronyme qui puisse correspondre au contexte : l’érudit théologien calviniste Samuel Bochart (v. note [34], lettre 237) faisait partie des bonnes connaissances de Guy Patin et de Charles Spon, et il a séjourné à la cour de Christine de Suède en 1652-1653 (v. note [16], lettre 287), en compagnie de Gabriel Naudé, de Claude i Saumaise et de l’abbé Bourdelot.

13.

Ces deux anonymes « libelles diffamatoires » (pour la reine Christine) sont intitulés :

Voici ce que ces deux livres (à leurs mêmes pages 12‑13) disent de Gabriel Naudé et de Samuel Bochart : {a}

« Si ces grands hommes qu’elle a appelés à divers temps l’avaient été un peu plus qu’ils n’étaient pas, {b} sans doute qu’ils auraient été et mieux reçus, et plus honorablement traités. Le Sieur Naudé ne pouvant plus souffrir les désordres et les dissolutions de cette cour, dans laquelle les Muses n’étaient plus honorées, s’est vu conraint de s’en bannir volontairement, et a préféré un exil volontaire à une demeure si peu favorable aux gens de lettres, {c} que cette princesse a aimés tout un temps ; mais depuis que Bourdelot {d} lui a mis la haute galanterie dans la tête, il n’y a eu rien plus à faire pour eux ; et toutes les belles apparences qu’elle leur a montrées n’ont été que des grimaces, ou plutôt comme un reste de ses premiers sentiments. Je les appelle tous à témoins, s’il s’en trouve pas {e} un qui ait été ni pleinement ni raisonnablement satisfait, à la réserve d’un ou deux qui ont su bien prendre leur temps.

Le Sieur Bochart, dont la vertu et le savoir {f} rendent digne d’une éternelle mémoire, a été traité de pédant dans cette cour ; la reine s’est souvent plainte de quoi il était fort peu galant, et quand on lui a voulu représenter que la galanterie ne s’ajustait pas bien avec la profession qu’il faisait, elle a reparti qu’elle faisait fort peu d’estime d’un homme qui ne savait que lire dans un livre, et que, pour être informé que quelques mots arabes, on ne méritait pas par là son approbation, comme si le Sieur Bochart s’en est jamais beaucoup soucié. Il < en > a bien témoigné, lorsque la reine l’avertissant du dessein qu’elle avait pris de se démettre de l’administration du royaume pour se retirer dans une solitude en compagnie de quelques hommes savants, du nombre desquels elle souhaitait qu’il voulût être, il n’a pas seulement répondu à sa lettre ; et son silence ne doit être estimé que fort raisonnable puisqu’il a bien fait : la suite a fait voir qu’elle était pleine d’hypocrisie et que ce que la reine en faisait n’était qu’une fourberie pour déguiser le dessein qu’elle avait de courir la prétentaine ; {g} mais supposons que la chose fût comme elle la décrivait, encore le Sieur Bochart avait raison de garder le silence, ayant été traité plus mal que l’on ne se saurait imaginer ; qu’on laissa dans un logis l’espace de six semaines avant qu’on ne fît semblant de le voir, et qui a été très mal récompensé, après le travail qu’il a eu de passer en Suède, pour la seule satisfaction de la reine. » {h}


  1. Écrit Bouchard dans le texte imprimé, que j’ai rectifié en Bochart (v. supra note [12]).

  2. « avaient été moins grands qu’ils ne l’étaient ».

  3. Naudé mourut le 29 juillet 1653 à Abbeville pendant son voyage de retour à Paris (v. note [4], lettre 323).

  4. Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot était parti en Suède à l’automne 1651 : v. sa lettre à Guy Patin datée du 17 décembre de ladite année.

  5. Jamais.

  6. Sic pour : « que sa vertu et son savoir ».

  7. Prétentaine, « terme burlesque, qui ne se dit qu’en cette phrase proverbiale : “ Ils ont été tout le jour courir la prétentaine ”, pour dire “ Ils sont allés deçà et delà ” » (Furetière).

  8. V. note [16], lettre 287.

14.

Nommé chancelier le 19 décembre 1635, Pierre iv Séguier avait perdu les sceaux en mars 1650 (v. lettres à Claude ii Belin du 6 mars 1650 et à Charles Spon du 22 mars 1650).

15.

V. note [143], lettre 166, pour Claude Ménardeau, seigneur de Champré.

16.

Henri-Charles Malon, seigneur de Bercy, Conflans et Charenton, conseiller au Grand Conseil, avait été reçu maître des requêtes en 1634. Il devint plus tard président au Grand Conseil et mourut en 1676 (Popoff, no 1652).

17.

Le 17 janvier, le roi dansa au Louvre le ballet Psyché ou la Puissance de l’Amour (livret d’Isaac Benserade, musique Jean-Baptiste Lulli et de Jean-Baptiste Boësset, surintendant à la musique du roi) lors de sa première représentation. Il fut présenté de nouveau au Louvre le 20 janvier. Le duc de Modèle prit congé du roi le 23 (Levantal).

18.

V. note [17], lettre 455, pour Gervais Jamot.

Oliver Cromwell, qui approchait alors l’âge de 57 ans, souffrait de lithiase urinaire, mais je n’ai pas trouvé qu’il ait subi une taille vésicale.

19.

Nommé Postmaster general [intendant général des Postes] en mai 1655, John Turloe dirigeait les services de renseignements de la République dans les cours étrangères. Henry Manning, le principal espion qu’il avait placé auprès de Charles ii, alors à Cologne, avait été démasqué et arrêté le 4 janvier, il fut fusillé peu après (Plant).

20.

Principesque est un synonyme vieilli (et ici ironique) de princier.

Une simagrée est une « petite grimace, minauderie vicieuse, affectation de gestes et de contenances qui rendent une personne ridicule ou suspecte. Les sottes femmes sont sujettes à faire mille simagrées par coquetterie pour paraître belles. Les faux dévots font mille simagrées pour tromper le peuple avec leur hypocrisie. Les honteux font bien des simagrées pour refuser une chose qu’ils voudraient dêjà tenir » (Furetière).

21.

Alger, port de Barbarie, était la capitale du royaume de même nom. C’était alors un protectorat ottoman placé sous la régence d’un pacha (puis d’un agha à partir de 1659). Alger était une des principales bases de la piraterie turque en Méditerranée.

22.

« Préparez un sou, et vous aurez une histoire », v. note [7], lettre 430.

23.

« Les filous tirent la laine, tirent le manteau, volent la nuit » (Furetière).

24.

« la pire sorte d’hommes ».

25.

« La censure acquitte les corbeaux, mais condamne les colombes » (Juvénal, Satire ii, vers 63).

Guy Patin a recouru sept fois à cette citation sans ses lettres (v. note [45] du Faux Patiniana II‑1).

26.

V. note [38], lettre 413, pour Jean-Baptiste Chassebras, curé de la Madeleine, et Alexandre de Hodencq, curé de Saint-Séverin.

27.

Insertion incohérente des précédents éditeurs : Louis xiv ne se rendit pas à La Fère en janvier 1656 et on l’imagine mal se baignant dans l’Oise en plein hiver.

28.

Cette première grossesse de la princesse de Conti, Anne-Marie Martinozzi, n’aboutit pas.

29.

En raison d’une transcription négligente, ces noms de régiment sont fantaisistes : on pourrait deviner Erlach derrière Holac, mais Ravenol ne ressemble à rien que j’aie su trouver.

30.

« Faim sacrée de l’or ! » (Virgile, v. note [11], lettre 644).

31.

La réforme des lis visait à lutter contre l’abondance croissante des fausses pièces en circulation dans le royaume, et à modifier légèrement la parité entre l’or et l’argent. Depuis 1641 le louis d’or valait dix livres tournois et le louis d’argent (écu blanc), trois livres. Une lettre patente de mai 1655 et l’édit du 23 décembre suivant avaient ordonné la fonte de toutes les monnaies pour les remplacer par des lis. Le lis d’or équivalait à sept livres tournois et le lis d’argent à une livre (20 sols). Les poids et l’aloi des lis n’étaient pas les mêmes que ceux des louis, mais la substitution aboutissait à une dévaluation du dixième : la parité du louis d’or passait de dix à onze livres tournois. Tous ces inconvénients firent échouer la réforme. La fabrication des nouvelles pièces commença le 27 janvier 1656 mais cessa définitivement le 29 avril suivant. Les lis d’argent furent immédiatement supprimés, mais ceux d’or eurent cours jusqu’en 1679. La Monnaie reprit la frappe des écus blancs en 1662.

32.

V. note [18], lettre 325, pour André Du Saussay et ses titres ecclésiastiques.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 janvier 1656

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(Consulté le 28/03/2024)

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