L. 437.  >
À Hugues II de Salins,
le 28 mars 1656

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre, je vous dirai que je tâcherai, vers la fin de mes leçons cette année, d’emprunter les cahiers de quelqu’un qui ait les deux années, que je vous enverrai afin que vous les transcriviez pour vous si vous les voulez garder, et pour moi pareillement afin que je les garde écrits de votre main si vous en pouvez avoir le loisir, car je lis votre écriture comme de l’imprimé. Mes manuscrits sont un peu brouillés, c’est pourquoi j’emprunterai ceux d’autrui dans lesquels il y aura quelque chose qui n’est pas dans mon papier, vu que j’y change bien souvent quelque chose en dictant. [1][2]

Tenez-vous en repos pour l’écu, je l’ai reçu et n’en fus jamais en peine ; mais lisez tout du long le livre de M. Perreau, [3] numquam pænitebis[2] La décoction apéritive [4] de Rabelais [5][6] est un trousseau de clefs : il n’y a rien de si apéritif. Il me semble que c’est dans le deuxième livre. Si vous ne le trouvez là, lisez ce digne auteur tout du long, il vaut bien de l’argent ; et en faites quelque petit extrait, au moins marquez-en les bonnes chasses. [3] Si jamais je rencontre Decas Medica Porti et Miscellanea Smetii[4][7][8] je vous les achèterai. Cet honnête homme à qui est survenu une tumeur ad testem sinistrum [5] a besoin d’être saigné [9] deux fois et par après, il sera purgé [10] une fois la semaine d’ici à la Saint-Jean cum  iij fol. Orient, et syr. rosar. solut.  j, ne talis affectus degeneret in hydrocœlem[6][11] Il peut faire étuver son mal tous les jours en se couchant avec des linges trempés en bon vin tiède, [7] et même en envelopper la partie malade ; le bandage pour soutenir cette partie est fort à propos. Eiusmodi tumor fit a sero sensim influente ; [8] ce que dit Houllier [12] peut pourtant quelquefois arriver et en ce cas-là il se faut servir de résolutifs par fomentations, [13] cataplasmes [14] et sachets. [9][15]

Le Sennertus [16] est achevé à Lyon en deux tomes in‑fo de petite lettre, et le Theatrum vitæ humanæ[17] en huit tomes in‑fo. On continue de faire à Genève le Paracelse [18] en deux volumes in‑fo et l’Hippocrate de Foesius [19][20] en deux tomes pareillement. Nous attendons ici de Leyde [21] un nouveau livre de M. Vander Linden, lequel aura pour titre Selecta Medicinalia, in‑4o[22] et sera presque aussi gros que le livre de M. Hofmann de Medicamentis officinalibus[23] On achève ici l’impression du livre de M. Chicot [24] dans lequel sont plusieurs opuscules, entre autres un de Rheumatisma, de Variolis, etc. ; il sera in‑4o d’environ 40 feuilles[10] M. Guiot, [25] médecin de Dijon, [26] a depuis peu fait un petit livre contre les miracles prétendus des eaux de Sainte-Reine, [27] mais nous aurons de la peine à le retrouver, d’autant que l’on dit qu’il est imprimé à Bâle. [11][28]

Je vous baise très humblement les mains, à mademoiselle votre femme, à monsieur votre père et à monsieur votre frère, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Guy Patin.

De Paris, ce 28e de mars 1656.


a.

Ms BnF no 9357, fo 207, « À Monsieur/ Monsieur de Salins, le puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune » ; Chéreau no vi (19‑20).

1.

Ce passage renseigne assez précisément sur la manière dont Guy Patin préparait et disait ses leçons de médecine (ici au Collège de France) : partant de notes qu’il avait lui-même peine à relire, il dictait à l’auditoire, en y ajoutant beaucoup de ce que sa mémoire, réputée prodigieuse, lui faisait souvenir sur l’instant. Patin proposait ici d’emprunter le cours pris sur le vif par un de ses étudiants pour le faire recopier par Hugues ii de Salins en deux exemplaires, et disposer ainsi de son cours intégral. V. note [19], lettre 440, pour un retour de Patin sur cette sollicitation.

Deux leçons latines de Patin au Collège de France figurent dans notre édition : De Laudano et Opio Caput singulare [Unique chapitre sur le Laudanum et l’Opium] et De Manna [De la Manne]. L’écriture de leurs manuscrits est compatible avec celle de Salins. V. sur ce sujet la note [8] de sa lettre datée du 16 décembre 1656.

2.

« jamais vous ne vous en repentirez » : v. note [3], lettre 380, pour Le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau (Paris, 1654).

3.

« Marquer une chasse : relever une parole, une circonstance dont on veut faire son profit » (Littré DLF).

Hugues ii de Salins, dans la précédente lettre, n’avait pas compris la railleuse allusion de Guy Patin à la « décoction apéritive de Rabelais », qui n’était composée que de clefs mises à bouillir dans un chaudron. Patin égarait pourtant ici son correspondant en lui indiquant le « deuxième livre » (Gargantua) pour y trouver cette explication : elle n’est nulle part dans les livres de Rabelais, mais se lit dans Le Moyen de parvenir de François Béroalde de Verville au sujet de Rabelais (v. note [4], lettre 436).

4.

V. notes [2], lettre 359, pour la Medica decas… [Décade médicale…] (Paris, 1613) de Portus (François Duport), et [8], lettre 358, pour les Miscellanea [Mélanges médicaux] (Francfort, 1611, non réédités) de Smetius (Heinrick Smet).

5.

« au testicule gauche ».

6.

« avec trois onces de séné et une once de sirop de roses dissous, afin qu’une telle maladie ne dégénère en hydrocèle. »

L’hydrocèle est une « maladie des bourses enflées par une fluxion de sérosités. Ce mot vient du grec hydor [eau en grec], aqua [en latin], et de kêlê [hernie], ramex, ramex aquosus [en latin] » (Furetière) ; le mot (féminin) est toujours employé en médecine dans le même sens. Le mal dont souffrait le client de Hugues ii de Salins pouvait être un cancer ou une tuberculose du testicule ou de ses annexes.

7.

Étuver : « bassiner une plaie avec quelque liqueur préparée, comme de l’huile et du vin, ou de l’eau-de-vie, l’en humecter doucement, et la rafraîchir. Le remède aux contusions, c’est de les bien étuver. On étuve les plaies pour les bien nettoyer » (Furetière).

8.

« Une tumeur de ce genre vient d’un suc qui s’insinue lentement ».

9.

Sachet (Furetière) :

« remède topique {a} qu’on met sur quelque membre douloureux, composé d’herbes ou de drogues enfermées dans un petit sac de toile. Il est fait d’ordinaire des mêmes matières dont on fait les fomentations. »

Fomentation (ibid.) :

« remède chaud et humide qu’on applique sur quelque partie malade. On fait des fomentations avec des racines, feuilles, fleurs et semences, qu’on fait bouillir dans de l’eau ou une autre liqueur convenable, et on y ajoute quelquefois des sels, axonges, huiles, etc. On les enferme dans des sachets piqués comme des matelas, qu’on plonge dans des décoctions et qu’on renouvelle de demi-quart d’heure en demi-quart d’heure. Quelques médecins les appellent bains locaux parce qu’elles font le même effet étant appliquées sur la partie malade, que le bain peut faire à tout le corps. Elles servent à amollir, relaxer et apaiser la douleur. Il y en a de sèches, comme celles des sachets, et d’autres humides qui sont de même matière que l’embrocation {b} et qui n’en diffèrent que par la manière de les appliquer. »

Cataplasme (ibid.) :

« remède externe et topique fait avec du lait ou autres liqueurs, de la farine, et de différentes parties de plantes, d’animaux et de minéraux, de graisses, d’huiles, de mucilages, d’onguents et autres compositions, les unes molles et les autres sèches. Sa consistance est presque semblable à celle des cérats. {c} Il y a des cataplasmes répercussifs, résolutifs, anodins, stupéfactifs, etc. On le met entre deux linges pour l’appliquer sur quelque partie malade afin d’amollir, de fomenter, d’apaiser les douleurs, l’inflammation, {d} résoudre les humeurs, les faire transpirer ou venir à suppuration, etc. Ce mot vient du verbe cataplassein, c’est-à-dire illinere, oblinere, enduire, appliquer par-dessus. »


  1. Appliqué localement.

  2. Irrigation.

  3. Onguents de cire.

  4. V. note [6], lettre latine 412.

10.

V. notes :

11.

Joannis Guioti de Garamberio, Equitis Nivernensis, Doctoris Monspeliensis, Collegii Medicorum Divionensium Decani, Divinæ Naturæ, Artisque Sacræ Triumphus. Hoc est Enarratio, et Enodatio Medico-Theologica Insignis, rari, et extraordinaris : at naturalis, non miraculosi Affectus. Ad medicos Belnenses.

[Triomphe de la nature divine et de l’art sacré, qui est l’explication et l’éclaircissement médico-théologique d’une affection remarquable rare et extraordinaire, mais naturelle et non miraculeuse. Dédiée aux médecins de Beaune par Jean Guiot de Garambé, {a} chevalier du Nivernais, docteur de Montpellier, doyen du Collège des médecins de Dijon]. {b}


  1. Notre édition contient une lettre de Jean Guiot de Garambé à Guy Patin, datée du 6 décembre 1656, à propos de son livre.

  2. Bâle, Georgius Deckerus, 1653, in‑8o.

Le livre commence (pages 4‑6) par l’observation, à partir d’août 1647, d’une fièvre avec un impressionnant cortège de symptômes cutanés, généraux puis cérébraux, chez une jeune fille de douze ans. Nommée Catherine Le Blanc, elle était éduquée au couvent (in ædibus, ne dixerim carceribus Religiosarum [dans une maison, pour ne pas dire une prison de religieuses]) et appartenait à la haute bourgeoisie de Beaune (Nobilis in suprema Divionensis Curia Patroni, Philiberti Le Blanc, Belnensis, affinis nostri dilectissimi, lectissima filia [fille très distinguée du noble Philibert Le Blanc, natif de Beaune, avocat au parlement de Dijon, notre très affectionné parent]). Les médecins avaient présagé sa mort prochaine, mais des bains dans les eaux d’Alise (v. note [12], lettre 301) permirent une guérison rapide et complète en mars 1649 ; ce qui fit croire à certains que l’intercession de sainte Reine, patronne de ces sources minérales, avait provoqué un miracle.

L’ouvrage se termine sur une Censura [un jugement critique] (page 71), à la fois théologique et médicale, qui éclaire son propos et les circonstances de sa publication à Bâle :

Non equidem falcem nostram in messem medicam mittere gestimus : Statuimus tamen, Nobiliss. et præclaris. Virum D. Johan. Guitum de Gramberio Nivernensem et Doctorem Medicum Monspeliensem, etc. præsenti hoc Scripto suo literatissimo, iis, qui circa curam morborum, idolatrica sibi fingunt miracula (sicuti miseri mortales ad hujusmodi aliaque a peccato trahuntur mala) dextre, egregie et othodoxe larvam detraxisse.
Ita censuimus Professores Theologi in Academia Basileensi, et horum nomine,
Sebast. Beckius Ord. Dec.

Scriptum hoc Nobliss. et Clariss. D. Johan. Guioti Medici, quoad contenta Medica, elegans, ingeniosum dignumque quod in lucem prodeat, cum Decanatus munere adhuc fungeretur, censuit
Johan. Jacobus a Brunn Medic. Professor in Universitate Basileensi
.

[Nous ne brûlons certes pas du désir de lancer notre faux sur la moisson médicale ; nous avons pourtant décrété que, par son présent écrit fort savant, le très noble et très illustre M. Jean Guiot de Garambé, natif du Nivernais et docteur en médecine de Montpellier, etc., a habilement, bellement et sainement arraché le masque de ceux qui s’imaginent des miracles idolâtriques dans la cure des maladies (tout comme le péché entraîne les misérables mortels à de mauvaises actions et autres choses de cette sorte).
Ainsi les professeurs en théologie de l’Université de Bâle en ont-ils jugé, et en leur nom,
Sebastian Beck, {a} doyen de la Compagnie.

Johann Jakob von Brunn, {b} professeur de médecine de l’Université de Bâle,
a jugé que, quant à son contenu médical, cet écrit du très noble et très illustre M. Jean Guiot, médecin, est beau, ingénieux et digne d’être publié, avec l’aide d’une donation du doyen].


  1. Théologien suisse (1583-1654) qui professa à Bâle, dans les chaires de l’Ancien puis, à partir de 1619, du Nouveau Testament.

  2. Médecin natif de Bâle (1591-1660), docteur de cette Université (1615) dont il occupa les chaires de botanique et d’anatomie (1625), puis de médecine pratique (1629), auteur d’un ouvrage intitulé Systema materiæ medicæ… [Système de matière médicale…], publié en 1630 et réédité plusieurs fois par la suite (Éloy).

Jacques Lelong (Bibliothèque historique de la France…, Paris, Jean-Thomas Herissant, 1768, in‑fo, tome 1er, page 183, § 3207) ajoute :

« Le but de cet ouvrage est de montrer que les eaux de Sainte-Reine, qu’il appelle Sancta Rhena, ne guérissent que parce qu’elles sont minérales, et que la sainte n’a aucune part à leur guérison. Comme l’auteur était de la Religion prétendue réformée, il parle librement. Guy Patin, pag. 183, seconde lettre à Spon, parle de cet ouvrage. Il en estime le dessein : les eaux de Sainte-Reine ne font pas de miracles, dit-il. »

Dans sa lettre latine du 4 janvier 1657, Guy Patin a élogieusement parlé de ce livre à son ami Johannes Antonides Vander Linden.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 28 mars 1656

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(Consulté le 25/04/2024)

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