L. 446.  >
À Charles Spon,
le 17 octobre 1656

Monsieur mon cher ami, [a][1]

Je vous ai envoyé ma dernière le mardi 3e d’octobre par la voie de M. Ravaud [2] qui la voulut mettre dans son paquet. Depuis ce temps-là, je puis vous dire que la princesse de Condé, [3] ne se trouvant par en sûreté dans Rocroi, [4] s’en va faire ses couches à Breda [5] en Hollande. [1] L’on dit ici que la peste [6] est forte à Rome, que le cardinal Sacchetti [7] en est mort et que le cardinal Barberin [8] y est fort malade. [2] Comme nous avons M. de Lionne [9] en Espagne qui y traite la paix, on dit que le roi d’Espagne [10] s’en va nous envoyer ici M. Pigneranda, [11] qui était il y a dix ans à Münster [12] pour la même affaire. Le cardinal de Retz [13] est à Saint-Gall [14] en Suisse, [3] en terre neutre, laquelle ne dépend ni de France, ni d’Espagne.

On dit que le roi de Suède [15] est bien empêché, se trouvant pressé tant par le roi de Pologne [16] que le Moscovite ; [17] et que le roi de Danemark [18] offre à ce dernier grand nombre de vaisseaux contre le roi de Suède, son ennemi. [19]

Ce 5e d’octobre. M. Moreau [20] le bonhomme est fort malade, il a reçu tous ses sacrements. J’ai grande peur pour lui, et même pour M. Guillemeau [21] qui est un peu plus jeune que lui, mais que je trouve néanmoins en pareil danger. Le bon M. Moreau laborat immodica siccitate viscerum et pene marasmode diathesi, cum dolore quodam acerbo ad fauces deglutitionem impediente[4][22] mais j’ai grande et juste appréhension que tout cela ne le mène au terrier. Il est bien vieux, usé, cassé, sec et pene attritis viribus[5] et crois qu’il n’a guère moins que 72 ans. Si Dieu ne nous le conserve, nous y perdrons le plus habile homme de nos Écoles et le meilleur médecin de Paris, quod omen Deus avertat[6][23] Pour M. Guillemeau, laboravit fluxu quodam mesenterico et hæmorrhoidali ; nunc vero quamvis nondum ex priore affectu sibi restitutus, laborat horribili quodam potulentæ materiæ fastidio, et pene abhorret a iusculis ; unde imminet inemendabilis siccitas viscerum[7] Je trouve qu’il amaigrit fort et n’est pas sans fièvre. Celui-ci a beaucoup d’esprit, mais il n’a jamais pris tant de peine d’étudier comme a fait M. Moreau. Il est vieux garçon de 68 ans et 20 000 livres de rente, et quod fortunatum isti putant, uxorem nunquam habuit[8][24] J’ai peur que tous deux ne nous échappent dans le mois présent.

Ce 9e d’octobre. Je les ai vus aujourd’hui tous les deux, ils me semblent extrêmement mal : M. Moreau s’affaiblit fort et diminue de jour en jour ; pour M. Guillemeau, il y a huit jours qu’il n’a entré une goutte d’eau dans son corps, adeo abhorret a potu et ab omni materia potulenta, ut et pene ab omni cibo[9] ne prenant que très peu et presque plus de bouillons ; sicque per iuges vigilias, et eiusmodi αποσιτιαν, quæ in ασιτιαν lethalem degenerabit, imminet marcor viscerium, et marasmus retorridus[10] Le bonhomme M. Moreau a eu un grand frisson qui a duré deux heures et qui néanmoins, n’a été suivi d’aucune fièvre. Omnis rigor aut ab ulcere aut a vasis[11] c’est une marque qu’il y a quelque abcès interne ; [25] j’ai peur que ce ne soit dans le poumon car il a très mauvaise poitrine et totalement ruinée. [26]

M. Ravaud m’a dit aujourd’hui qu’ils ont imprimé chez eux un catalogue de tous les livres du P. Théophile Raynaud, [27] je vous supplie de m’en procurer un afin que par là je connaisse aisément ce qui m’en manque.

Le même M. Ravaud m’a parlé d’un dessein qu’il a d’imprimer in‑fo toutes les œuvres de Heurnius, [28] que j’ai céans en deux volumes in‑4o ; [12] il a envie d’avoir ma copie, je la lui donnerai s’il la veut afin que ce bon livre devienne commun et que j’y puisse contribuer quelque chose. Il a aussi un autre dessein sur Cardan [29] en ramassant toutes ses œuvres ; cela fera bien quatre volumes in‑fo, ou quelque chose davantage. [13]

Il y avait ici un tel désordre sur les habits des jeunes gens et des courtisans en ce qu’ils appellent desgalants, qui sont des passements [30] sur les côtés des chausses, [14] que le roi [31] même l’a trouvé fort indécent et les a défendus. J’ai ici ouï parler des œuvres d’un certain ministre de Languedoc nommé Ravanel [32] que l’on réimprime, de nouveau augmentées, en deux ou trois tomes à Genève, pour le présent. Obligez-moi de me mander qui est cet auteur, ubi vivat [15] et quel cas vous faites de ses livres. Il me semble que l’on m’a dit que c’est un ministre d’Uzès.

Ce samedi 14e d’octobre. On dit ici que le prince de Conti [33] est fort malade. Le roi et le Mazarin [34] l’ont été visiter tous deux à part. Lundi prochain doit partir d’ici un chirurgien nommé des Forges [35] pour aller en Hollande y accoucher la princesse de Condé. On parle ici de grosse querelle entre Messieurs de l’Assemblée du Clergé [36] et les ministres de Charenton, [37] pour des harangues et des écrits publiés de part et d’autre ; on dit que les huguenots [38] ont trouvé quelque crédit à la cour, plus que les évêques ne voudraient et que c’est une marque du crédit de Cromwell. [39] Le roi de Suède continue d’être mal et voudrait n’avoir jamais rien entrepris de pareil, mais plutôt être dans son pays de froid et de neige, en repos. Il y a ici une grosse querelle entre Messieurs de la Chambre des comptes et le Parlement touchant le Domaine du roi, [40] ces deux cours souveraines ont cassé les arrêts l’une de l’autre.

Le Mazarin a dit qu’il sait de bonne part que le cardinal de Retz a passé au Saint-Esprit, [41] et delà en Auvergne ; et néanmoins on ne le croit point si mal avisé de se mettre en tel hasard, on dit qu’il est près de Besançon [42] en la Franche-Comté. [43]

Le prince de Conti, conseillé par son confesseur, a envoyé vers le roi un gentilhomme le prier de lui ôter les régiments qu’il a, n’étant pas raisonnable qu’il en ait en son nom ; et a prié le Mazarin de reprendre ou de retenir la somme de 40 000 écus qu’il s’était retenue lorsqu’il s’est marié et qu’il a quitté ses bénéfices. Cela n’est-il pas beau, qu’un prince se mette en état d’amendement avant que de mourir ? Cet ancien poète n’a-t-il pas eu raison de dire Tunc numina nobis Mors instans maiora facit ? [16][44]

Ce dimanche 15e d’octobre. Notre pauvre ami M. Moreau est extrêmement malade. Depuis deux jours, il est fort empiré et diminué, j’ai grande peur qu’il n’aille plus guère loin. Le public y perd un bon médecin et notre Faculté un habile homme, et nous deux un bon ami.

M. le maréchal de Turenne [45] est avec l’armée du roi alentour de Rocroi, il s’en va y faire bâtir un fort à Maubert-Fontaine [46] pour empêcher les courses et les pilleries de la garnison de Rocroi. [17]

Cromwell est si puissant dans Londres qu’il a bien osé entreprendre de chasser de l’assemblée du Parlement 56 députés qui lui déplaisaient. [18][47]

Il y a ici un libraire flamand, nommé Léonard [48] qui vient de Hollande et qui a apporté quelques exemplaires du livre nouveau du titre suivant : Io. Ant. Vander Linden, Doct. et Prof. Med., etc. Selecta Medica, et ad ea Exercitationes Bataviæ, in‑4o, Amstellodami, 1656, apud Lud. et Dan. Elzevierios[49] Ce livre est de cent feuilles ou environ ; [19] il le veut vendre 6 livres 10 sols en blanc, mais je ne l’ai point acheté car j’en attends un du présent de l’auteur qui viendra tôt ou tard et que je crois être en chemin.

Il y a ici un jésuite qui a conçu un nouveau dessein touchant la géographie, il s’appelle le P. Laurent Lebrun, [50][51] il nous veut donner une Géographie universelle in‑fo. Chaque partie du monde fera un petit tome : l’Asie est tout fraîchement achevée, toute sa copie est prête ; on s’en va imprimer les autres parties. [20] Il y aura là-dedans quantité de relations loyolitiques de ces pères qui errent par le monde, mais je pense qu’il y aura bien aussi des menteries.

La querelle des jansénistes [52] continue, voire plutôt elle augmente tous les jours. Les curés de Rouen se remuent et ont écrit aux curés de Paris afin qu’ils s’adjoignent à eux contre les jésuites [53] et leur prétendue théologie morale ; ce que ceux-ci font très volontiers. Les syndics des curés de Paris, au nom de ceux de Rouen et de toute la France, se sont adressés à Messieurs les prélats, à l’Assemblée du Clergé, pour avoir justice contre les jésuites et leur théologie morale, afin de la faire censurer par lesdits prélats, et en Sorbonne [54] pareillement. L’affaire est bien engrenée dans l’Assemblée du Clergé ; [21] ils s’en vont envoyer une lettre circulaire par toute la France à tous les curés, à ce qu’ils aient à envoyer chacun une procuration afin d’agir contre ces passefins et nouveaux théologiens qui sont ici fort méprisés à cause du livre des cas de conscience du P. Escobar, [22][55][56] et des lettres que les jansénistes du Port-Royal [57] ont écrites contre eux. [23][58][59] Néanmoins, le P. Annat, [60] confesseur du roi, les maintient heureusement encore à la cour, sans quoi l’on dit qu’ils deviendraient pis que cordeliers[24][61]

Je vous prie de faire mes recommandations à Messieurs nos bons amis MM. Gras, Garnier et Falconet, et à M. Huguetan l’avocat et à Monsieur son frère le libraire.

On parle ici d’un nouveau jubilé [62] que l’on publiera à la Toussaint afin qu’un chacun prie Dieu pour la paix de la chrétienté et entre autres, pour celle des Espagnols avec nous et pour celle du roi de Pologne avec le roi de Suède ; mais tel parle de la paix qui n’en veut point et qui serait bien marri qu’elle fût faite. [25]

Ce 17e d’octobre. Enfin, je viens de recevoir votre très agréable dernière, de laquelle je reçois tout le contentement possible puisqu’elle m’apprend que vous êtes en bonne santé. Le bonhomme M. Moreau subsiste toujours, mais il me fait peur, d’autant qu’il ne peut avaler, pas même de l’eau ni du bouillon ; c’est ce qui me fait croire qu’il n’ira plus guère loin. Son mal me fait pitié et sa mort me laisse un regret que je ne vous puis exprimer. Il faut bien du temps pour faire un si habile homme, cela ne se jette pas en moule. [26] Pour M. Guillemeau, il est un peu mieux, mais néanmoins toujours en danger ; il prend bien des bouillons de six en six heures, mais il est dans une extrême mélancolie, [63] laquelle augmente tous les jours ; et ne boit point du tout, il y a 15 jours qu’il n’a bu goutte, ni d’eau, ni de vin ; ideoque puto eum tandem interiturum ex febre marasmode ac intemperie sicca viscerum[27][64][65] Je n’ai vu la reine de Suède qu’en passant sur le Pont Notre-Dame, comme les autres. [66] Elle a été ici trop peu de temps ; si elle y eût été plus longtemps, je l’aurais entretenue. Bourdelot a été auprès d’elle tant qu’elle a été ici. Je ne sais ce qu’est devenu le bon M. Aurelius Severinus [67] médecin de Naples, [28][68] j’en écrirai à M. Musnier. On dit ici qu’il y a une paix arrêtée entre les rois de Suède et de Pologne, c’est le cardinal Mazarin qui l’a dit le premier et qui est auteur du bruit. La harangue de l’archevêque de Sens [69] a été imprimée chez Vitré, [70] j’irai tout exprès et en prendrai deux dont je vous en enverrai une ; j’ai ouï parler d’une réponse de quelque ministre. [29][71] J’espère que vous trouverez beau le livre de M. Ogier. [30][72] Des lettres du Port-Royal, j’en ai 13 pour vous et autant pour M. Gras, auquel je vous prie de faire mes recommandations ; la 14e viendra bientôt. Jamais feu M. de Saumaise [73] n’a fait imprimer son Aromatum homonyma[31][74] je vous prie de vous en tenir pour certain. Vous avez laissé sur votre table le catalogue que dites m’envoyer des œuvres du P. Théophile Raynaud car je ne le trouve pas dans votre lettre. Je vous baise très humblement les mains tant pour moi que pour mes deux fils qui partirent hier au matin pour aller voir leur mère qui est à notre maison des champs à Cormeilles, [75] où elle a fait de bonnes vendanges [76][77] car nous avons eu 15 muids de vin cette année. Je les attends pour souper, ils devraient être arrivés ; et s’ils ne viennent dans un quart d’heure, je me mettrai à table et y boirai à votre santé, à Mlle Spon, à M. Gras et à M. Falconet. Et en attendant qu’ils viennent, je vous donnerai un divertissement d’un fait tout nouvellement arrivé à Mantes : [78] c’est qu’un cordelier de ladite ville, qui se nomme le P. Cornu, [79] étant devenu amoureux de la femme du lieutenant général de ladite ville, lui envoya des petits présents, des bouquets et des lettres ; [80][81] la dame en avertit son mari qui lui fit écrire une lettre pour l’attirer en sa maison ; le cordelier ne manqua pas de se rendre à l’assignation ; mais comme il pensait aller plus avant, le mari assisté de six de ses amis prirent le cordelier, le lièrent et lui donnèrent tant le fouet que le pauvre diable de moine n’en pouvait plus ; puis fut scandaleusement remené et renvoyé en son couvent, en plein jour, avec toute sorte d’outrage. On dit que les cordeliers en veulent avoir la raison, plaider contre ce lieutenant général, et que ce n’est pas à lui à faire telle justice, principalement à un religieux. Vous savez combien vaut en ce monde, parmi les sots et les trop crédules, ce spécieux nom de religion ; mais en attendant que l’affaire se jugera, je vous donne avis que les cordeliers n’osent plus paraître dans Mantes et qu’on a délibéré de ne leur plus donner l’aumône. Si tout le monde en faisait de même partout, adieu la besace que feu M. de Belley [82] appelait une arquebuse à miettes. [32][83][84] Je vous prie de faire part de ce conte, qui est très vrai, à M. Gras ; je voudrais bien être là pour vous voir rire tous deux de ce frère frappart de cordelier, mais ne le contez pas à Mlle Spon, de peur de scandaliser en son esprit ces bons frati dont elle peut avoir bonne opinion. [33] Vale carum caput, et me ama.

Totum ex animo tuum[34] G.P.

De Paris, ce mardi 17e d’octobre 1656.

Mes enfants ne viennent point, je ne les attends plus, je m’en vais boire à votre santé, et de nos amis de ci-dessus. Faites part du conte du cordelier à M. Falconet.

On dit que M. de Lionne est ici de retour d’Espagne et qu’il n’y a ni paix, ni trêve. Vale[35]


a.

Ms BnF no 9357, fos 215‑217, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, nos cclxxxviii (fin, ii, pages 250‑252) et ccxc (passage sur le cordelier de Mantes, ii, pages 256‑257) ; Prévot & Jestaz no 22 (Pléiade, pages 478‑484). Au verso, de la main de Charles Spon : « 1656./ Paris, xvii octob./ Lyon, adi 23 dud./ Rispost./ Adi 24 novemb. »

1.

Tandis que le Grand Condé continuait de guerroyer contre la France, à la solde des Espagnols, son épouse, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, vivait misérablement à Malines depuis janvier 1655.

Petitfils d (pages 245‑246) lui prête ces propos :

« Une nouvelle grossesse m’apporta de graves incommodités. On me pressa de rentrer en France, où de meilleurs soins pourraient m’être donnés. J’écrivis en vain une lettre en ce sens au cardinal, {a} lui demandai mon retour dans mon pays natal comme une grâce et une nécessité pour ma santé. La femme d’un proscrit doit demeurer elle aussi proscrite ! Des billets adressés à Monsieur et au duc de Longueville tombèrent pareillement dans l’oubli. Heureusement, je surmontai ma faiblesse et le 12 novembre 1656, donnai le jour à une petite fille, Mlle de Bourbon. Seulement ondoyée à la naissance, elle ne reçut pas de prénom. {b} Mon mari, que je revoyais de fois à autre, quand il n’était pas à Bruxelles, à Gand ou à Mons, avait repris le cours ordinaire de son indifférence, redevenant un étranger pour moi. »


  1. Mazarin.

  2. La petite princesse mourut en bas âge.

2.

Le cardinal Giulio Cesare Sacchetti (v. note [29], lettre 395) ne mourut à Rome qu’en 1663. Son collègue Francesco Barberini (v. note [7], lettre 112) ne succomba pas non plus à la peste.

3.

Saint-Gall (Sankt Gallen) est le chef-lieu du canton de même nom, au nord-est de la Suisse, riverain du lac de Constance. Nul en fait ne savait exactement où se cachait alors le cardinal de Retz.

4.

« souffre d’une sécheresse excessive des viscères et d’une diathèse [disposition, v. note [4], lettre latine 17] presque cachectique, avec une certaine douleur pénible de la gorge qui gêne la déglutition ».

5.

« et presque à bout de forces ».

6.

« présage que Dieu veuille bien écarter » (Sénèque le Jeune, v. note [35], lettre 166).

7.

« il a souffert d’une sorte de flux mésentérique et hémorroïdaire ; maintenant, alors qu’il n’est pas encore trop bien remis de cette précédente maladie, il souffre d’un certain dégoût des boissons et se détourne presque avec horreur des bouillons ; d’où vient qu’on craint pour lui une incurable sécheresse des viscères. »

8.

« et il ne s’est jamais marié, ce que certains tiennent pour un bonheur » (Térence, Les Adelphes, acte i, scène 1, vers 43‑44, monologue de Micion, avec habui [je ne me suis…] au lieu de habuit [il ne s’est…]).

9.

« tant il a de l’aversion pour la boisson et pour tout aliment qui se boit, comme aussi pour presque toute nourriture ».

10.

« et de la sorte, par des veilles perpétuelles et une telle perte d’appétit [apositian] qui dégénérera en un jeûne complet [asitian] et mortel, une putréfaction des viscères le menace, et un marasme desséché. »

11.

« Tout frisson provient ou d’un ulcère ou des vaisseaux ».

12.

Les Opera omnia de Jan i van Heurne (v. note [3], lettre 139) avaient été publiées pour la première fois en 1609 (Leyde, Plantin, 2 volumes in‑4o) ; leur réédition était alors en projet à Lyon :

Ioannis Heurnii Ultraiectini, Primarii quondam, in Academia Leidensi, Medicinæ Professoris, Opera Omnia : tam ad Theoriam, quam ad Praxin medicam spectantia, quorum Elenchus ante Indicem Capitum habetur. Iuxta Otthonis Heurnii, Auctoris filii, Medicinæ in Leidensi quoque Academiæ Professoris clariss. recensionem ac œconomiam fideliter expressa, ac duos in Tomos tributa. Postrema editio : prioribus, non tantum augustiore forma, sed et typorum nitore, et mendarum raritate, infinities tum luculentior, tum accuratior.

[Œuvres complètes de Jan van Heurne, natif d’Utrecht, jadis premier professeur de médecine en l’Université de Leyde, touchant tant à la théorie qu’à la pratique médicale, dont le sommaire est présenté avant la table des chapitres. Fidèlement reproduites d’après la recension et l’ordonnance d’Otto van Heurne, {a} fils de l’auteur et lui aussi très célèbre professeur de médecine en l’Université de Leyde. Dernière édition qui est à la fois infiniment plus brillante et plus exacte que les précédentes, non seulement par sa présentation plus majestueuse, que par la beauté des caractères et la rareté des fautes]. {b}


  1. V. note [3], lettre 463.

  2. Lyon Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1658, sous deux formats, un volume in‑fo et 2 volumes in‑4o.

En tête de l’ouvrage figure une Vita Auctoris [Vie de l’auteur], longue de sept pages, qui se termine par son épitaphe, I. Heurnii Tumulus [Tombeau de J. Heurnius] :

Hic situs est Vir Celeberr. D.D. Ioannes Heurnius, in Academia Leidensis Primar. Medicinæ Profess. per annos xx. et in eadem vi. Rector Magnif. magnæ prudentiæ : summæ in docendo et scribendo venustatis ac celebritatis. Vita laudab. transacta obiit xi. Aug. An. m. dc. i. Vixit an. lviii.

[Ci-gît le très célèbre Jan van Heurne, qui fut premier professeur de médecine en l’Université de Leyde pendant 20 ans, et son très éminent recteur pendant six ans ; doué d’une grande sagesse, et d’une élégance et réputation immenses dans son enseignement et dans ses écrits. Ayant mené une louable vie, il mourut le 11 août 1601, à l’âge de 58 ans].

13.

Première annonce, avec sept ans d’avance, de l’édition que Charles Spon allait donner des Opera omnia [Œuvres complètes] de Jérôme Cardan pour le compte des imprimeurs lyonnais Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud (1663, 10 volumes in‑fo) : v. note [8], lettre 749.

14.

Galants : « rubans noués qui servent pour orner les habits ou la tête tant des hommes que des femmes » (Furetière). V. note [4], lettre 44, pour les passements. Cet édit royal frappait tous les signes extérieurs de luxe excessif.

15.

« où il vit » ; le livre dont parlait (et allait reparler) Guy Patin est :

Petri Ravanelli Uticensis Occitani Bibliotheca sacra, seu Thesaurus Scripturæ canonicæ amplissimus. In quo quæ in utroque fœdere extant, non Theologica modo, sed etiam Physica, Ethica, Oeconomica, Politica, etc., accurata Logicaque methodo pertractantur, ratioque dextre colligendi locos communes, atque adeo, utiliter legendi sacras literas, et ad earum usum referendi aliorum authorum lectionem indicatur. Opus a præstantissimis quibusque Theologis hactenus desiderarum, multorumque annorum vigiliis elaboratum ; unde etiam non tantum Theologi et Concionatores, verum ipsi quoque Philosophi, Iurisconsulti, et quicumque alii in bonarum literarum studiis versantes, uberrsimum fructum percipere queunt. In duas partes divisum : Cum Additamentis ad finem cuiusque partis.

[Bibliothèque sacrée de Pierre Ravanel, natif d’Uzès en Occitanie, {a} ou le Trésor de l’Écriture canonique, qui traite entièrement ce qui existe dans chacune des deux religions, non seulement de manière théologique, mais aussi physique, morale, économique, politique, etc., à l’aide d’une méthode soigneuse et logique, et montre la règle à suivre pour recueillir adroitement les lieux communs, lire efficacement les Saintes Écritures et de mettre leur usage en rapport avec la lecture des autres auteurs. Ouvrage qu’ont jusqu’à ce jour attendu les plus éminents théologiens et qui est le fruit de nombreuses années de veilles. Non seulement les théologiens et les prédicateurs, mais aussi les philosophes les jurisconsultes et qui conque a du goût pour les belles-lettres peuvent y recueillir une grande abondance de fruits. Divisé en deux parties à la fin de chacune desquelles se trouvent des Additions]. {b}


  1. Pierre Ravanel (mort vers 1680) était pasteur protestant à Sauzet en Languedoc (Gard). La Bibliothecaest son seul ouvrage connu ; La France protestante (volume 8, page 393) :

    « Après avoir mis la dernière main à son livre, qui ne lui avait pas pris moins de trente années de travail, il se rendit à Genève pour le faire imprimer ; mais il lui fut impossible de trouver un libraire qui voulût s’en charger. L’étendue de l’ouvrage effrayait, et d’ailleurs on venait de réimprimer à Bâle un livre à peu près analogue, la Clavis Theologiæ de Flacius Illyricus. {i} Les libraires auxquels il s’adressa se refusèrent donc à tout arrangement, prétendant que ce serait se ruiner que d’entreprendre une pareille publication. Cependant, un d’entre eux s’y décida, sous la caution des pasteurs de Genève, qui se portèrent garants de la vente. le résultat prouva qu’ils avaient raison. Au bout de dix ans, toute l’édition fut épuisée ; il fallut en faire une seconde, qui fut augmentée ; et trois ans plus tard, on y ajouta encore un volume in‑fo de suppléments. »

    1. Dictionnaire et commentaires de Matthias Flacius Illyricus (Matija Vlachich natif de Croatie, 1520-1575, v. note [27], lettre 1023, pour son fils médecin, de même prénom), théologien protestant : Clavis Scripturæ, seu de Sermone Sacrarum literarum… [La Cef de l’Écriture, ou Discours sur les saintes Écritures…] (Bâle, Sebastianus Henricpetrus, 1567, 2 volumes in‑4o de 1 338 et 772 colonnes), dont je n’ai pas trouvé de réédition ultérieure.
  2. Genève, Pierre Chouët, 1650, in‑fo en deux parties de 1 048 et 937 pages, formant un dictionnaire complet, allant de A (lettre A) à Z (Zuzim) ; seconde édition ibid. 1660-1663 (4 volumes in‑fo).

    Les pièces liminaires contiennent une très curieuse facétie typographique intitulée cubus in eiusdem Bibliothecæ αυταρκειαν. Hæc, Quadilaterum cum volueris undique versum, Sufficiet studiis Bibliotheca tuis [cube sur la pleine suffisance de cette Bibliothèque. Dans quelque sens que tu voudras le tourner, ce Quadrilatère dira : La Bibliothèque suffit à tes études].


16.

« La mort qui menace nous rend plus grande la volonté des dieux » (Silius Italicus, v. note [7], lettre 445).

Le prince de Conti, après une jeunesse dévote le destinant à devenir cardinal, avait mené une vie assez dissolue, en compagnie notamment de la troupe de Molière qu’il finançait. Depuis 1654, sous l’influence de son épouse, Anne-Marie Martinozzi (à qui il avait transmis une vérole contractée auprès de sa maîtresse, Mme de Calvimont), le prince revenait à la religion, en se rapprochant de la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640) et des jansénistes. Sa complète conversion datait du début de 1656. En décembre, il allait séjourner à Port-Royal, mais sans en adopter radicalement les positions : « M. le prince de Conti [écrivait en janvier 1657, Antoine Baudry d’Asson de Saint-Gilles, surnommé M. de Saint-Gilles, solitaire de Port-Royal] dit qu’il y venait, et allait aux jésuites, pour faire voir qu’il n’y avait ni schisme ni hérésie, ni d’un côté ni d’autre, que la première proposition était dans Jansenius, mais que les autres n’y étaient point » (Dictionnaire de Port-Royal, page 300).

Raoul Allier (page 388) s’est vivement élevé contre le jansénisme de Conti (en semblant ignorer que ce prince était peu regardant sur les contradictions de sa conduite morale et spirituelle) :

« C’est une pure fable qui représente le prince de Conti comme l’homme de Port-Royal. Il est entré […] dans la Compagnie du Saint-Sacrement et il en est devenu un des chefs, à l’heure même où les jansénistes en étaient exclus. L’erreur courante vient de ce que Pavillon, évêque d’Alet, {a} a été le principal instrument de la conversion {b} d’Armand de Bourbon ; mais à cette époque-là, Pavillon, qui était peut-être un janséniste sans le savoir, n’avait pris aucune part au débat sur les Cinq Propositions. S’il est intervenu en 1664, {c} c’est pour une raison ecclésiastique, et non pas dogmatique : c’est parce qu’il a cru les droits de l’épiscopat en péril. Il n’allait pas encore plus loin. Conti a donc subi l’influence d’un homme qui avait quelque chose de l’esprit des Saint-Cyran et des Duhamel, {d} mais qui était encore sans relation avec Port-Royal. »


  1. Nicolas Pavillon, v. note [9], lettre 733.

  2. Contre la signature du Formulaire, v. note [1], lettre 945.

  3. Retour aux pieuses pratiques catholiques plutôt que changement de religion, car bien qu’issu de la famille Condé, Conti ne fut jamais protestant.

  4. V. notes [2], lettre 95, pour l’abbé de Sain-Cyran, Jean Duvergier de Hauranne, et [27], lettre 368, pour Henri Duhamel, curé de Saint-Merri.

17.

Maubert-Fontaine (ici orthographié Aubier-Fontaine par Guy Patin) est une commune des Ardennes à 11 kilomètres au sud-ouest de Rocroi.

18.

Le 27 septembre 1656, la main forcée par le besoin de collecter des fonds pour continuer la guerre contre l’Espagne, Oliver Cromwell avait installé le Second Protectorate Parliament [second Parlement du Protectorat], qui succédait au premier (13 septembre 1654-1er février 1655) après un intervalle de 21 mois. Des quelque 400 membres du Parlement qui s’étaient représentés, on en avait jugé 93 impies (ungodly), leur interdisant de siéger à Westminster. La nouvelle Chambre consacra la première semaine de ses débats à l’exclusion des ennemis du gouvernement qui y subsistaient ; ce qui avait abouti le 2 octobre à éliminer 50 autres parlementaires. Cette première session du Second Protectorate Parliament s’acheva le 4 avril 1657 avec le vote conférant la royauté à Cromwell (honneur qu’il refusa finalement). Il n’y eut qu’une autre session (du 30 janvier au 14 février 1658, soit sept mois avant la mort de Cromwell) qui réadmit 93 des opposants exclus en 1656 et qui se conclut par la dissolution, aussi abrupte qu’inattendue, de l’assemblée par le Protecteur (Plant).

19.

V. note [29], lettre 338, pour les Selecta medica… [Morceaux médicaux choisis…] (Leyde, 1656) de Johannes Antonides Vander Linden. L’exemplaire conservé à la BnF compte 772 pages, ce qui n’est en effet pas loin des 800 pages qui correspondent à 100 feuilles in‑4o.

20.

Le P. Laurent Lebrun, jésuite, (Nantes 1607, Paris 1663) s’adonnait à la poésie religieuse. On est surpris de le voir ici rendu auteur d’une savante géographie de l’Asie (qui n’est pas celle du P. Philippe Briet, v. note [6], lettre 148) ; Guy Patin le confondait avec un autre jésuite, le P. Georges Fournier auteur caché de l’Asiæ nova Descriptio… [Nouvelle description de l’Asie…] (parue en 1656, v. note [4], lettre de Charles Spon, le 28 août 1657), premier volume d’une Géographie dont les autres n’ont pas été imprimés.

21.

Engrener : « commencer à moudre dans un moulin ; se dit figurément des affaires qu’on a commencées : on a commencé à mettre mon procès sur le bureau, il est engrené » (Furetière).

Pierre Nicole, dans son anonyme Avertissement, en tête de la première édition des Provinciales (1657, v. infra note [23]) a fourni les détails de l’intervention des curés de Rouen et Paris dont parlait ici Guy Patin :

« Aussitôt que les Lettres parurent, ceux de Rouen voulurent examiner ces citations < qu’elles contiennent > afin de demander la censure ou des Lettres, ou des casuistes qui y sont cités, selon qu’ils les y trouveraient ou contraires, ou conformes. C’est ce qui paraît par une lettre d’un curé de Rouen qui écrit à un de ses amis le commencement de cette histoire ; […] on y trouvera ces mots : “ Pour procéder mûrement en cette affaire et ne pas s’y engager mal à propos, les curés de Rouen délibérèrent dans une de leurs assemblées de consulter les livres d’où l’on disait qu’étaient tirées les propositions et les maximes pernicieuses que M. le curé de Saint-Maclou avait décriées dans ses sermons, et d’en faire des recueils et des extraits fidèles afin d’en demander la condamnation par les voies canoniques si elles se trouvaient dans les casuistes de quelque qualité et condition qu’ils fussent ; et si elles ne s’y trouvaient pas, abandonner cette cause et poursuivre en même temps la censure des Lettres au provincial qui alléguaient ces doctrines et qui en citaient les auteurs. Six d’entre eux furent nommés de la Compagnie pour s’employer à ce travail ; ils y vaquèrent un mois entier avec toute la fidélité et l’exactitude possible ; ils cherchèrent les textes allégués ; ils les trouvèrent dans leurs originaux et dans leur source mot pour mot comme ils étaient cotés ; ils en firent des extraits et rapportèrent le tout à leurs confrères dans une seconde assemblée, en laquelle, pour une plus grande précaution, il fut arrêté que ceux d’entre eux qui voudraient être plus éclaircis sur ces matières se rendraient avec les députés en un lieu où étaient les livres pour les consulter derechef, et en faire telle conférence qu’ils voudraient. Cet ordre fut gardé et les cinq ou six jours suivants, il se trouva jusqu’à dix ou onze curés à la fois qui firent encore la recherche des passages, qui les collationnèrent sur les auteurs et en demeurèrent satisfaits. Pouvait-on apporter plus de circonspection en cette procédure ? ” Ce fut ensuite de cette recherche que ces curés demandèrent en corps à leur archevêque la condamnation de ces erreurs et écrivirent sur cela à ceux de Paris qui s’unirent aussitôt à eux et à tous ceux du royaume pour demander ensemble à leurs prélats la censure si nécessaire, tant des maximes citées dans ces Lettres que d’un grand nombre d’autres qu’ils ont eux-mêmes découvertes et présentées au Clergé : ce qui montre combien l’auteur des Lettres a été fidèle dans ce qu’il a reproché aux jésuites et combien il leur en pouvait reprocher davantage. »

La remontrance que les curés de Paris ont adressée à l’assemblée générale du Clergé de France est datée du 24 novembre 1656 (Le Guern).

22.

Antonio Escobar y Mendoza, prédicateur jésuite et casuiste espagnol (Valladolid 1589-1669), a fait paraître plus de 40 volumes dont il ne reste aujourd’hui que le souvenir des sarcasmes de Blaise Pascal. Son ouvrage le plus fameux est son Liber Theologiæ moralis, viginti-quatuor Societatis Iesu doctoribus referatus : Quem R.P. Antonius de Escobar, et Mendoza, Vallisoletanus, eiusdem Societatis theologus, in examen confessariorum digessit. Post 32 editiones Hispanicas et 3 Lugdunenses, editio novissima, auctior et correctior, additionibus illustrata [Livre de Théologie morale attesté par 24 docteurs de la Compagnie de Jésus, que le P. Antonio de Escobar et Mendoza, natif de Valladolid, théologien de la même Société, a composé pour l’examen des confessions. Édition la plus récente, qui vient après 32 éditions espagnoles et 3 lyonnaises, plus riche et plus correcte, éclairée par des additions] (Bruxelles, FranciscusVivienus, 1651, in‑8o, pour l’une des récentes éditions d’alors). Les principes moraux d’Escobar étaient fort relâchés. Par exemple, le § 45 de son examen viii (page 144) est intitulé De Sodomia quid dicendum ? [Que faut-il faut dire de la sodomie ?] :

Duplex est : quædam imperfectior, qua servato debito sexu, non servatur debitum vas ; grave peccatum, sed ob quod pœnæ non incuruntur, Civili vel Canonico iure constitutæ. Altera perfecta, qua ex affectu ad debitum sexum vir decumbit cum viro ; quare proprie Sodomia constituitur ex affectu ad personam indebiti sexus : ad incurrendas autem pœnas exigitur consummatio venerei actus in vase indebito. Hinc colligo coniunctionem fœminæ cum fœmina esse quidem Sodomiam perfectam ex affectu ad personam indebiti sexus ; propter eam minime pœnas incurri debere, quia non adest, nec adesse potest consummatio venerei actus in indebito vase. Verum non ultra progredi huius affectus malitiam reor, ac si vir accederet ad puerum facie ad faciem tanquam ad fœminam, etc.

[Elle est de deux sortes. Est imparfaite celle où, lors d’un rapport avec le sexe qui convient, on ne recourt pas à l’orifice qui convient ; c’est un grave péché, mais contre lequel on n’encourt pas de punitions établies par le droit, civil ou canonique. Est parfaite l’autre, où pour l’acte sexuel, un homme couche avec un homme ; parce que la sodomie consiste proprement en l’amour envers une personne du sexe qui ne convient pas : pour être aussi punissable, on exige la consommation de l’acte sexuel dans le réceptacle qui ne convient pas. D’où je conclus que l’union d’une femme avec une femme est certes une sodomie parfaite, en raison de l’amour envers une personne du sexe qui ne convient pas ; mais elle ne doit pas encourir de grande punition, parce qu’il n’y a pas et il ne peut y avoir consommation de l’acte sexuel dans le réceptacle qui ne convient pas. Mais je pense qu’il ne faut pas exagérer la malice de cet amour s’il s’agit d’un homme qui s’unit à un enfant face à face, comme il ferait d’une femme, etc.].

Escobar mit en avant cette maxime : « la pureté d’intention justifie les actions réputées blâmables par la morale et les lois humaines ». Ses subtilités, ses concessions aux plus mauvais penchants, cet anéantissement du péché par d’habiles distinctions avaient évidemment pour but d’assurer la puissance de son Ordre en lui ralliant les consciences faciles ; mais elles lui attirèrent les plus vives comme les plus justes attaques de la part de l’austère école janséniste. Les poètes, comme Nicolas Boileau-Despréaux (Poésies diverses), ne dédaignèrent pas de lancer quelques traits contre le théologien espagnol :

« Si Bourdaloue, {a} un peu sévère,
Nous dit : “ Craignez la volupté ! ”
— “ Escobar, lui dit-on, mon père,
Nous la permet pour la santé. ” »


  1. Le prédicateur jésuite Louis Bourdaloue, v. note [1], lettre 975.

L’Église même s’émut de la propagation de doctrines si facilement attaquables et les censura plusieurs fois. On a longtemps parlé d’une Ballade sur Escobar par M. de La Fontaine, mais elle ne fut exhumée qu’en 1811 par Barbier qui la trouva dans un recueil de facéties jansénistes :

« C’est à bon droit que l’on condamne à Rome
L’évêque d’Ypres, auteur de vains débats.
Ses sectateurs nous défendent en somme
Tous les plaisirs que l’on goûte ici-bas.
En paradis allant au petit pas,
On y parvient quoiqu’Arnauld nous en die.
La volupté sans cause il a bannie.
Veut-on monter sur les célestes tours ?
Chemin pierreux est grande rêverie :
Escobar sait un chemin de velours.

Je ne dis pas qu’on peut tuer un homme
Qui, sans raison, vous tient en altercas,
Pour un fétu ou bien pour une pomme ;
Mais on le peut pour quatre ou cinq ducats.
Même il soutient qu’on peut en certains cas
Faire un serment plein de supercherie,
S’abandonner aux douceurs de la vie,
S’il est besoin, conserver ses amours.
Ne faut-il pas après cela qu’on crie :
Escobar sait un chemin de velours ?

Au nom de Dieu, lisez-moi quelque somme
De ses écrits dont chez lui l’on fait cas.
Qu’est-il besoin qu’à présent je les nomme ?
Il en est tant qu’on ne les connaît pas.
De leurs avis servez-vous pour compas.
N’admettez qu’eux en votre librairie ;
Brûlez Arnauld avec sa coterie :
Près d’Escobar ce ne sont qu’esprits lourds.
Je vous le dis, ce n’est point raillerie :
Escobar sait un chemin de velours.

Envoi

Toi, que l’orgueil poussa dans la voirie,
Qui tiens là-bas noire conciergerie,
Lucifer, chef des infernales cours,
Pour éviter les traits de ta furie,
Escobar sait un chemin de velours. »

Escobar est devenu une sorte de nom commun servant à caractériser énergiquement l’homme qui sait accorder sa conscience avec ses passions et ses intérêts au moyen de raisonnements subtils (G.D.U. xixe s.). Escobarder, escobarderie et escobartin en ont aussi dérivé (Littré DLF).

23.

Ce sont les Provinciales de Blaise Pascal, ensemble de 18 lettres écrites entre le 23 janvier 1656 et le 24 mars 1657, sous le pseudonyme de Louis de Montalte, {a} dans le but de défendre Port-Royal et d’attaquer les thèses jésuites sur la morale et sur la grâce divine. {b} Elles furent réunies et publiées toutes ensemble pour la première fois sous le titre : {c}

Les Provinciales ou Lettres écrites par Louis de Montalte, à un provincial de ses amis, et aux RR. PP. jésuites : sur le sujet de la Morale, et de la Politique de ces Pères. {d}


  1. V. note [83] du Faux Patiniana II‑7.

  2. V. note [1], lettre 433.

  3. V. note [3], lettre de Charles Spon datée du 15 mai 1657, pour la précédente édition partielle (17 lettres) parue au début de 1657.

  4. Cologne [Amsterdam], Pierre de La Vallée [Jean et Daniel Elsevier], 1657, in‑12 de 396 pages ; avec une seconde partie de 108 pages, contenant 14 textes :

    1. Avis de Messieurs les Curés de Paris, à Messieurs les Curés des autres Diocèses de France, sur le sujet des mauvaises maximes de quelques nouveaux Casuistes,

    2. Table des propositions contenues dans l’extrait de quelques-unes des plus dangereuses propositions de la morale de plusieurs nouveaux casuistes, fidèlement tirées de leurs ouvrages

    3. Copie de la requête présentée par Messieurs les curés de ouen à Monseigneur leur archevêque ;

    4. Lettre d’un curé de Rouen à un curé de la campagne, sur le procédé des curés de ladite ville, contre la doctrine de quelques casuistes, pour servir de relation à un libelle intitulé Réponse d’un théologien, etc. ;

    5. Requête des curés de Rouen présentée à Monsieur l’official, le 26e d’octobre 1656 ;

    6. Remontrance de Messieurs les curés de paris à Nosseigneurs de l’Assemblée générale du Clergé, en leur présentant la suite de l’extrait de plusieurs mauvaises propositions des nouveaux casuistes ;

    7. Principes et suites de la probabilité, expliqués par Caramouel, l’un des plus célèbres entre les casuistes nouveaux, dans un livre imprimé en 1652, itnitulé Tjeologia fundamentalis ;

    8. Table des propositions contenues dans la suite de l’extrait de plusieurs mauvaises propositions des nouveaux casuistes, recueillies par Messieurs les curés de Paris, et présentées à Nosseigneurs de l’Assemblée du Clergé de France, le 24 novembre 1656 ;

    9. La censure des livres de Caramouel par feu M. l’archevêque de Malines, dans laquelle la licence des nouvelles opinions probables est particulièrement condamnée ;

    10. Extrait de quelques propositions d’un nouvel auteur jésuite nommé Mascarenhas, imprimé chez Cramoisy en cette année 1656, et qui ne se vend que depuis le mois d’octobre ;

    11. Extrait de plusieurs dangereuses propositions tirées des nouveaux Casuistes, et particulièrement du premier tome in folio de la nouvelle Théologie morale d’Escobar, jésuite, imprimé depuis peu à Lyon, et dédié au Général des jésuites

    12. Lettre écrite par Messire Jacques Boonen, archevêque de Malines, à Messeigneurs les cardinaux de l’Inquisition de Rome, auxquels les jésuites avaient appelé de ses ordonnances, fidèlement traduite en français ;

    13. Propositions qu’on ne doit point souffrir dans la pratique, et qui doivent être condamnées par l’autorité des supérieurs ;

    14. Jugement de la Faculté de théologie de Louvain, que Monseigneur l’archevêque de Malines avait consultée, pour savoir s’il ne devait pas défendre aux confesseurs de se servir de la doctrine de ces propositions dans la direction des consciences.
  5. V. note [44], lettre 544, pour la première édition latine (ibid. 1658).


24.

V. note [5], lettre 455.

25.

Le vœu de Guy Patin fut partiellement exaucé : en novembre 1656, le traité de Vilnius allait mettre fin à la première phase de la guerre de Treize ans (1654-1667) entre la Pologne et la Russie, excluant la Suède du conflit et cédant au Moscovite la plus grande partie de la Lituanie. Les hostilités reprirent entre les deux belligérants deux ans plus tard.

26.

« On dit proverbialement qu’une chose ne se jette pas en moule pour dire qu’elle n’est pas si facile à faire qu’on pense, qu’il faut du temps pour l’achever » (Furetière).

27.

« et c’est pourquoi je crois qu’enfin il va sombrer dans une fièvre marastique et une intempérie sèche des viscères. »

Une fièvre marastique est celle qui accompagne le marasme (du grec marainein, « dessécher »), autre nom de la consomption (v. note [22], lettre 335). Elle est identique à la fièvre hectique (v. note [8], lettre 98).

28.

V. note [31], lettre 150, pour Marco Aurelio Severino, mort à Naples le 15 juillet 1656.

29.

Remontrance du Clergé de France faite au roi, la reine sa mère présente, par Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Louis-Henri de Gondrin, {a} archevêque de Sens, assisté de Monseigneur le cardinal Mazarin et de tous Messeigneurs les archevêques, évêques et députés de l’Assemblée générale. {b}


  1. V. note [9], lettre 229.

  2. Paris, Antoine Vitré, 1656, in‑4o de 32 pages, datée du 2 avril 1656.

La France Protestante… (Paris, 1859, tome ix, au mot Truc, pages 430‑431) qualifie ce texte anticalviniste de « tissu d’impostures et de calomnies », en citant cet extrait (pages 25‑26) :

« Il n’y a, Sire, que peu de mois que le juge de Florensac, {a} qu’on appelle vulgairement le viguier, et qui en son nom s’appelle Truc, conçut le dessein nouveau et abominable de se jouer des cérémonies de l’Église catholique par une imitation toute sacrilège et toute profane. Il assembla la nuit, au clair de la Lune, plusieurs huguenots qui allèrent par les rues, déguisés en prêtres, chantant à plusieurs reprises les paroles latines de l’Écriture que les prêtres répètent souvent dans la célébration du divin office, lorsqu’ils souhaitent que le Seigneur soit avec ceux qui y assistent. En suite de cette procession scandaleuse, ils s’assemblèrent sous une halle, ils contrefirent toutes les cérémonies que l’Église catholique pratique dans le saint sacrifice de la messe ; ils levèrent du pain et du vin, et pour ne rien oublier de tout ce qui pouvait rendre parfaite et accomplie cette illusion diabolique, ils donnèrent encore la communion aux assistants qui étaient complices de leur fiction impie, sans redouter les yeux de plusieurs autres personnes qui en furent les témoins.

Le bruit d’une action si honteuse et si insolente étant venu à Toulouse, votre parlement, dont le zèle pour la religion catholique est égal à sa fidélité pour votre service, étant ému d’une juste indignation, fit informer de ce fait et prendre prisonnier ce juge qui avait dit cette messe feinte et était le premier auteur visible d’une si insigne profanation, dont le démon chef de tous les hérétiques était l’auteur invisible. Ces mots d’information et d’emprisonnement du criminel ont déjà sans doute fait juger à V.M. {b} que cette Cour a fait le procès à cet insolent et expié par son supplice un sacrilège si exécrable. Cependant, Sire, cette action si noire, ce crime si punissable dans un royaume catholique comme est le vôtre, cet attentat qui crie vengeance au ciel et à la terre est demeuré jusques à présent sans être vengé. »


  1. En Languedoc (Hérault).

  2. Votre Majesté.

Après bien des chicaneries, l’affaire s’acheva apparemment sur un non-lieu. La réponse d’un ministre protestant que mentionnait Guy Patin était probablement le libelle anonyme de Charles i Drelincourt, {a} intitulé :

Lettre d’un habitant de Paris, à un de ses amis de la campagne, sur la remontrance du Clergé de France faite au roi par l’archevêque de Sens. {b}


  1. V. note [8], lettre 513.

  2. Sans lieu ni nom, 1656 , in‑fo de 82 pages, signée Philalèthe (celui qui aime la vérité).

30.

V. note [6], lettre 378, pour le livre de Charles Ogier sur les ambassades du comte d’Avaux (Paris, 1656).

31.

« Homonymes des aromates » : titre corrompu des commentaires de Claude i Saumaise, impatiemment attendus, sur la botanique de Pline l’Ancien, de homonymis Hyles iatricæ… [sur les homonymies d’Hylès, le guérisseur…] (1689, v. note [5] de la Biographie de son fils Claude ii).

32.

Jean-Pierre Camus (v. note [9], lettre 72), évêque de Belley mort en avril 1652, connaissait sans doute, mais n’avait pas pu lire la cocasse explication qu’a donnée le missionnaire dominicain Jean-Baptiste Labat (Paris 1663-ibid. 1738) dans ses Voyages en Espagne et en Italie (Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1731, in‑4o), tome 3e, page 240, sur la ville de Tivoli (Latium) :

« Les capucins vivent de quête en Italie, comme autre part ; ceux qui sont chargés de ce soin sont armés d’une arquebuse à miettes, c’est ainsi qu’ils appellent leur besace, et d’un bâton de cinq pieds de hauteur, avec une fourchette à son extrémité, sur laquelle on pose l’arquebuse pour soulager le quêteur, pendant qu’il attend aux portes des maisons qu’on lui apporte de quoi le charger. On dira que ceci est de peu de conséquence, j’en conviens, mais c’est un avis que je donne aux capucins, mes compatriotes, qui peut leur être utile ; c’est le but que se doit proposer un voyageur : celui qui ne cherche pas à être utile à ses compagnons voyage inutilement. »

33.

Frati est le pluriel italien de fra, frate, frère, moine.

34.

« Vale, cher Monsieur, et aimez-moi. Je suis tout à vous de tout cœur. »

35.

Il est intéressant de croiser la mise en page et le contenu de cette fin de lettre : Guy Patin comptait l’achever sur le recto du 2e feuillet (fo 216), avec ses dernières inquiétudes sur la santé de Charles Guillemeau ; mais en vue de tromper le temps en attendant ses deux fils et manger avec eux, il avait commencé une autre page (fo 217) pour ajouter d’autres nouvelles, en se laissant aller, plus que d’habitude peut-être, aux affaires de sa famille et aux moqueries dont il aimait tant accabler les moines.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 17 octobre 1656

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(Consulté le 28/03/2024)

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