L. 471.  >
À Claude II Belin,
le 24 mars 1657

Monsieur, [a][1]

Je vous écris la présente à plusieurs fins : 1. pour vous remercier des neuf thèses [2] que j’ai reçues de votre grâce par un honnête homme qui a pris la peine de les apporter céans, mais de malheur je n’y étais point ; si j’y eusse été, je l’aurais remercié de la peine qu’il a prise ; je vous prie de l’en remercier pour moi.

2. Je vous dirai que j’ai porté chez M. Gérard [3] le troisième livre de feu M. Guillemeau [4] avec quelques thèses de notre Faculté et entre autres, les trois auxquelles mes deux fils [5][6] ont présidé depuis la Saint-Martin[1][7] 3. Nous avons ici M. Bouvard, [8] fort malade, âgé de 83 ans, d’une fluxion sur la poitrine qu’il a eue faible toute sa vie ; j’ai peur qu’il n’aille bientôt chercher son beau-frère M. Riolan [9] en l’autre monde. 4. M. de Bellièvre, [10] premier président, a été fort solennellement enterré dans Saint-Germain-l’Auxerrois, [11] dans la chapelle de sa famille, après le service auquel assista tout le Parlement. La harangue funèbre y fut faite par le sieur Damien, [2] j’entends le P. Faure, [12] jadis cordelier[13] aujourd’hui évêque d’Amiens. [14] 5. Le Parlement continue de faire le procès à M. de Chenailles. [15] Quelques-uns d’iceux vont rigoureusement à la mort, les autres ne vont qu’au bannissement perpétuel. On croit ici que le procès ne sera point fini devant les fêtes, vu qu’il y a encore plus de 60 juges qui doivent parler. M. le président du Blancmesnil [16] a l’honneur d’y avoir fort bien parlé in mitiorem sententiam[3] et est fort loué même de ceux qui vont à la mort. 6. Gabriel Fontanus, medicus Aquensis[17] a fait un livre tout nouvellement achevé à Lyon intitulé Medicina antihermetica, où il a réfuté Van Helmont, [18] grand imposteur indigne d’être réfuté. [4] L’Hippocrate de Foesius est achevé à Genève. [5][19][20] Quinze jours après Pâques, le roi [21] s’en ira à Amiens. On dit que Saint-Ghislain [22] est fort pressé, [6] que le roi de Suède [23] remonte sur sa bête et que l’empereur [24] a révoqué ses troupes qu’il envoyait contre nous en Italie, pour résister au Turc [25] qui le veut attaquer. On dit aussi que Cromwell [26] se va faire déclarer et reconnaître roi d’Angleterre. [7] La coqueluche [27] qui a par ci-devant fort régné commence fort à s’apaiser de deçà[8] Le fils de Dan. Heinsius [28][29] s’en va faire imprimer trois tomes d’épîtres latines de feu Monsieur son père ad varios[9] cela sera bon. On imprime Gerardi Io. Vossii Thesaurus linguæ Latinæ in‑fo[10][30] Je vous baise les mains, à monsieur votre fils, à M. Allen, à MM. de Blampignon et Maillet, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

De Paris, ce 24e de mars 1657.


a.

Ms BnF no 9358, fo 163, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxxxi (tome i, pages 224‑225).

1.

V. note [17], lettre 459, pour les deux thèses quodlibétaires présidées par Robert et Charles Patin depuis la Saint-Martin (11 novembre 1656, en fait depuis le début de l’année 1657). Le 22 mars 1657, Robert avait en outre présidé « hors tour » (extra ordinem) la thèse cardinale de François Gouël, natif de Paris, An senibus vinum parcius, dilutius ? [Ce qui convient aux vieillards est-il moins de vin ou du vin plus coupé ?] (affirmative, Comment. F.M.P., tome xiv, fo 293, v. note [2], lettre 468).

Les tours de présidence étaient différents pour les cardinales et les quodlibétaires (v. note [18], lettre 459) : quand il avait atteint six ans d’ancienneté chaque régent avait l’obligation de présider « hors tour » sa première cardinale (mais le doyen ne consignait pas ce détail dans les Comment. F.M.P.) ; autrement, les présidences « à son tour » (suo ordine) suivaient un ordre distinct de celui des quodlibétaires, mais qui fonctionnait dans le même sens ascendant du tableau, du plus jeune au plus ancien. Cela explique que Robert Patin, reçu régent le 19 janvier 1651 (v. note [24], lettre 255), ait dû présider extra ordinem sa première cardinale le 22 mars 1657, après avoir présidé suo ordine une quodlibétaire le 4 janvier précédent.

2.

Sic pour « d’Amiens », par étourderie ou avec intention ironique de la part de Guy Patin (mais dont alors je n’ai pas su découvrir la finesse).

La Gazette, ordinaire no 36 du 24 mars 1657, nouvelles datées De Paris le 24 mars 1657 (page 288) :

« Hier, se fit fort solennellement le service de Messire Pompone de Bellièvre, {a} premier président du Parlement, en l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, tendue de deux lés de velours noir couverts d’écussons aux armes du défunt, avec une riche représentation dressée sous une chapelle ardente au milieu du chœur. Le Parlement, qui y avait été invité deux jours auparavant par les 23 crieurs, {b} selon qu’il se pratique en pareille occasion, s’y trouva avec la plupart des princes, seigneurs et dames de condition qui sont ici, l’archevêque de Bourges {c} ayant pontificalement célébré la messe, au milieu de laquelle l’évêque d’Amiens {d} prononça l’oraison funèbre ; où, avec son éloquence ordinaire, il fit si dignement éclater les illustres qualités et vertus du défunt qu’il en remporta l’applaudissement de toute la Compagnie. »


  1. Pomponne ii de Bellièvre, v. note [8], lettre 26.

  2. Crieur : « officier public qui va publier par les carrefours les ordres de la justice, les règlements, les défenses, les assignations à trois briefs jours ; le juré crieur est assisté de trois trompettes quand il fait un cri public » (Furetière).

  3. Anne de Lévis-Ventadour, v. note [14], lettre 443.

  4. François Faure, v. note [57], lettre 176.

3.

« pour une sentence plus douce ».

4.

Gabriel Fontaine, auteur de la Médecine antihermétique (Lyon, 1657, v. note [9], lettre 467), n’était pas « médecin d’Aix-en-Provence », mais de Marseille : Guy Patin le confondait avec son père, Jacques, médecin à Aix (v. note [46], lettre 97).

5.

V. note [41], lettre 396, pour l’Hippocrate d’Anuce Foës (Genève, 1657-1672).

6.

La Gazette, ordinaire no 36 du 24 mars 1657 (pages 285‑286) :

« Du Quesnoy, le 20 mars 1657. Les ennemis ayant cru, par la correspondance qu’ils avaient avec quelques malintentionnés de la garnison de Saint-Ghislain, s’en emparer fort facilement, ainsi que nous l’avons appris par des prisonniers que nous fîmes, hier, don Juan d’Autriche et le prince de Condé se rendirent en leur camp, il y a environ huit jours, et le lendemain firent attaquer la première redoute qui est sur la chaussée de la place ; où l’on découvrit en effet cette intelligence, en ce qu’après une vigoureuse résistance de ceux qui avaient été commis à la garde de ce poste, d’autres, qui étaient dans un retranchement derrière, firent leurs décharges si lâchement que les premiers, se voyant attaqués de toutes parts, furent contraints d’abandonner cette redoute. Mais le comte de Schomberg, gouverneur de la ville, s’en étant aperçu, sortit en même temps avec les Suisses, et combattit si opiniâtrement qu’il se rendit encore maître de la redoute, et fit 10 ou 12 capitaines espagnols prisonniers. De quoi les généraux des ennemis furent tellement irrités qu’ils commandèrent six mille hommes de pied et firent derechef donner dans le même poste, lequel ils emportèrent après avoir perdu beaucoup de leurs gens ; ce qui a obligé le gouverneur à se retirer dans le corps de la place, où il se défend avec une valeur extraordinaire et qui fait voir aux assiégeants qu’ils n’en viendront pas si aisément à bout qu’ils se l’étaient imaginé. »

7.

Le Protectorat britannique avait graduellement glissé dans les travers d’une monarchie. On usait généralement du titre de Your Highness [Son Altesse] pour s’adresser à Cromwell et depuis 1656 il anoblissait ses alliés pour les remercier de leur fidélité.

En février 1657, un groupe de membres du Parlement mené par Lord Broghill avait présenté une nouvelle constitution, The Humble Petition and Advice [L’humble Pétition et Avis], qui offrait officiellement la couronne à Cromwell. L’intention première était de consolider la constitution sous la forme d’un gouvernement civil car l’antériorité constitutionnelle aurait limité les pouvoirs de Cromwell s’il était devenu roi. En outre, comme l’offre émanait d’un Parlement élu, il ne pourrait plus subsister aucun doute sur la légitimité du régime instauré par Cromwell. Toutefois, après bien des hésitations et en butte à la forte opposition des républicains et des chefs militaires, Cromwell décida finalement de rejeter l’offre : I will not build Jericho again [Je ne rebâtirai pas Jéricho]. On amenda l’Humble Petition pour en retirer toute allusion au titre royal et Cromwell fut à nouveau installé Lord Protector le 6 juillet 1657.

La cérémonie n’en rappela pas moins un couronnement : Cromwell, vêtu d’une robe de velours pourpre bordée d’hermine, tint un sceptre en or ; il prêta un serment proche de celui que prononçait le roi lors de son couronnement et quitta Westminster dans un carrosse d’apparat au milieu des cris de God save the Lord Protector [Dieu sauve le Lord protecteur]. La révision de l’Humble Petition lui permettait désormais de désigner son successeur. Cromwell était King in all but name [roi en tout, sauf le nom], il ne lui manquait qu’une couronne (Plant).

Régner de plein pouvoir sur une république paraît aujourd’hui extravagant, mais ne l’était pas alors : le roi de Pologne (et grand-duc de Lituanie) était alors souverain de la République des Deux Nations, élu par une diète de la noblesse. C’est le sens du mot république qui a bien changé depuis : « aujourd’hui il n’y a guère de vraie république [démocratie], dont le gouvernement soit absolument populaire ; les Vénitiens, les Génois appellent leurs États République, quoique leur gouvernement soit oligarchique, et entre les mains des nobles » (Furetière).

8.

V. note [21], lettre 467, pour la description que Guy Patin a donnée de cette épidémie hivernale.

9.

« à divers correspondants ». Ce projet ne dut pas aboutir car je n’ai pas trouvé trace d’aucune édition des lettres de Daniel Heinsius.

10.

« Le Trésor de la langue latine de Gerardus Johannes Vossius » (Amsterdam, 1662, v. note [20], lettre 352).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 mars 1657

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(Consulté le 28/03/2024)

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