L. 545.  >
À André Falconet,
le 29 octobre 1658

Monsieur, [a][1]

Je ferai à monsieur votre fils [2] tout ce que je pourrai, à cause de vous et de lui ; et afin que nous n’ayons point de querelle ensemble, recommandez-lui bien son devoir. Il me sera très recommandé, n’en doutez point, c’est assez qu’il porte votre nom. Je n’ai jamais voulu prendre personne en pension, bien que j’en aie été plusieurs fois prié, mais je ne puis vous rien refuser. Vous me parlez du prix d’une pension, je ne sais ce que c’est, je ne vous demande rien. Dites-moi seulement si vous voulez qu’il fasse son cours en philosophie et quel vin vous voulez qu’il boive. Du reste, il sera nourri à notre ordinaire qui suffira à un étudiant. Pour son étude, j’en aurai soin et vous en avertirai de temps en temps. À la fin, je vous en rendrai bon compte.

Le roi [3] est parti d’ici le 26e pour Dijon. M. le chancelier [4] est parti le 28e. On dit ici que ce voyage du roi est tout politique et mystique : tam grande arcanum deteget ipsa dies[1] Le parlement de Dijon [5] a charge de s’assembler de lundi en huit jours, où le roi se rendra. On dit que c’est pour créer une Chambre de l’édit [6] et une Cour des aides[2][7]

Je me recommande à vos bonnes grâces, et à Mlle Falconet, s’il vous plaît, à laquelle je donne assurance que nous aurons grand soin de son cher fils, pourvu que j’aie sur lui cet avantage qu’il me veuille croire. [3] Ma femme [8] est encore en vendanges, [9][10] et ne reviendra ici qu’environ le 15e de novembre parce qu’il y a des arbres à couper et du bois à planter. Nous y faisons mettre cette année cent pieds de bons poiriers, dont plus de la moitié sera de bon-chrétien [11] d’hiver, il y en a déjà plus de cinq cents. [4][12] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, le 29e d’octobre 1658.


a.

Bulderen, no cxxiv (tome i, pages 322‑323), à Charles Spon, par erreur flagrante ; Reveillé-Parise, no cccclx (tome iii, page 94), à André Falconet.

1.

« le jour venu révélera un si grand secret » : v. note [5], lettre 542, pour les motifs cachés du voyage de Lyon.

2.

La lettre étant écrite le mardi 29 octobre, lundi prochain amenait au 4 novembre, et lundi en huit au 11 novembre.

Guy Patin ne mesurait apparemment pas la gravité de ce qui se passait à Dijon : rien de moins qu’une rébellion du Parlement de Bourgogne contre le roi, dont Élisabeth-François de Lacuisine a fourni les détails (Le parlement de Bourgogne depuis son origine jusques à sa chute, Dijon, J.‑E. Rabutot, 1864, 3 volumes in‑8o, tome iii, chapitre x, pages 72 et suivantes). Louis xiv était accompagné de sa mère, du duc d’Anjou, son frère, de Mademoiselle, fille du duc d’Orléans, de Mazarin, du Chancelier Séguier, du secrétaire d’État de La Vrillière, du comte d’Harcourt, des maréchaux du Plessis et de Villeroy. Bien que les États de Bourgogne eussent consenti de lourds subsides à la Couronne, le détour par Dijon s’expliquait, encore et toujours, par le besoin d’argent, mais aussi par la volonté de faire rentrer le parlement de Bourgogne dans l’obéissance après la Fronde (refus d’enregistrer certains édits bursaux). Le parlement envoya une députation au roi jusqu’à Chanceaux (Côte-d’Or, à 37 kilomètres au nord-ouest de Dijon), après que des lettres patentes datées du 19 octobre l’eurent prévenu de l’arrivée de la cour :

« Nos amés {a} et féaux, ayant résolu, par des considérations importantes à notre service et aux besoins de nos sujets de notre province de Bourgogne, de nous y acheminer au plus tôt pour pourvoir aux affaires d’icelle, nous vous avons bien voulu donner avis et vous mander, et ordonner par cette lettre qu’incontinent après l’avoir reçue, vous ayez à vous assembler en corps en notre ville de Dijon, où nous nous rendrons sur la fin du présent mois pour entrer le lendemain de la fête de la Toussaint prochaine en votre Compagnie, afin de vous faire entendre nos intentions sur plusieurs choses ; et nous promettant que vous ne manquerez de satisfaire à ce que nous désirons, nous vous en faisons le plus exprès commandement. Donné à Paris le 15 octobre 1658. » {b}


  1. Affectionnés.

  2. Signé Louis et plus bas, Phelipeaux.

Le roi fit son entrée à Dijon le 5 novembre escorté de nombreux gentilshommes, de plusieurs régiments de ses gardes, et précédé d’une musique guerrière, le tout créant une ambiance d’invasion revancharde.

Louis xiv donna une première audience de convenance au Parlement le 8 novembre et annonça un lit de justice pour le 18 novembre. La veille, la Compagnie refusa de recevoir, sous prétexte qu’il était en armes, M. de Saintot, officier de la cour député par le roi aux chambres assemblées pour les instruire de son entrée au Palais ; jamais le Parlement de Paris n’avait ainsi opposé pareil refus aux envoyés du prince demandant à parler en son nom. Le 18, le roi arriva à neuf heures du matin, au son du canon et en grande pompe militaire. Le Chancelier Séguier prit la parole pour annoncer que le roi était venu faire enregistrer des édits, dont il espérait un grand secours pour la conclusion de la paix, et créer de nouvelles charges au parlement. Le discours achevé, le premier président Brulart et les 80 membres du parlement se levèrent et Brulart répondit par un discours respectueux, disant qu’il n’y avait plus d’argent à donner en Bourgogne, que la province était exsangue et fière de son indépendance. Séguier, furieux, ne répondit rien, se contentant de faire lire les édits par le greffier Joly, que le Parlement enregistra à contrecœur.

La même mesure fut ordonnée par la Chambre des comptes en présence de Monsieur, frère du roi. Louis xiv et la cour quittèrent Dijon pour Lyon le 19 novembre sans recevoir les salutations du parlement, après y avoir passé deux semaines : messe tous les matins, visite au cardinal, jeu de paume, entraînement des mousquetaires, bal avec les nièces Mancini. L’enregistrement des édits fut expédié avant la signature.

Le 21 novembre, le bruit courait à la Grand’Chambre qu’un extrait des édits publiés en présence du roi avait été délivré à l’insu du Corps avec la mention de leur enregistrement et la signature du greffier Joly. Le parlement prit feu à cette nouvelle pour crier à la violation de ses privilèges, prétendant que les édits n’avaient pas même été enregistrés et que ce greffier était un faussaire. C’était, par l’acte le plus téméraire, déclarer nul, pour cause de violence, un arrêt rendu en présence du souverain et engager avec lui une lutte aussi dangereuse que disproportionnée. Le parlement entreprit aussitôt le procès de son greffier : Joly dit avoir agi selon la coutume, et sur ordre du Conseil et du chancelier, pour gagner du temps, et ce sur ordre du premier président Brulart qui niait l’avoir donné (sans doute de mauvaise foi) ; ils en vinrent presque aux mains. Les enregistrements furent annulés comme indûment expédiés et Joly fut condamné à la radiation avec amende.

Le Chancelier Séguier, qui était resté à Dijon sur ordre du roi, demanda compte de ces violences, ce qui mena le parlement excédé à se rebeller ouvertement contre la Couronne. Deux lettres de cachet, datées de Lyon les 26 novembre et 7 décembre, intimèrent à la Compagnie d’envoyer une députation au roi pour s’expliquer sur le fait d’« oser présenter des remontrances au sujet d’édits publiés en sa présence, l’entreprise la plus téméraire qui fût jamais émanée d’une cour souveraine ». Brulart dut se rendre à Lyon. Reçu par le roi, qui le traita en rebelle et voulut qu’il demandât grâce, il lui répondit hardiment « Sire, je ne m’agenouille que devant Dieu, mon maître et le vôtre ».

Son exil à Perpignan fut prononcé le 26 décembre. Pour vengeance supplémentaire de la cour, le 9 janvier 1659, l’avocat et le procureur généraux présentèrent à la Grand’Chambre un arrêt du Conseil et une lettre de cachet du roi qui en prescrivait l’exécution : annulation de la condamnation de Joly, cassation de l’acte qui avait annulé l’enregistrement des édits ; huit compagnies de gardes françaises et deux des gardes suisses envoyées à Dijon pour y tenir garnison.

La complète interdiction du parlement de Bourgogne, avec exil ou emprisonnement de plusieurs de ses membres, ne fut levée que le 9 juin 1659. Tous les magistrats furent rétablis en décembre 1659. Brulart revint à Dijon le 1er janvier 1660.

3.

Qu’il veuille suivre mes avis et mes conseils.

4.

Ces cultures se faisaient dans la maison des champs des Patin, à Cormeilles ; v. note [8], lettre 525, pour la poire de bon-chrétien.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 octobre 1658

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(Consulté le 29/03/2024)

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