L. 559.  >
À André Falconet,
le 18 mars 1659

Monsieur, [a][1]

C’est pour vous remercier du livre de Symphorien Champier [2] que j’ai reçu par votre messager. [1] Mlle de Label [3] est pareillement arrivée, laquelle m’a rendu visite ; je les irai voir ci-après. Beaucoup de gens attendent ici la paix, [4] d’autant que la reine [5] a dit qu’elle était presque faite et qu’il n’y avait plus que Dieu qui la pût empêcher. Bon Dieu ! que je voudrais bien voir cela, mais je ne sais quel Dieu elle entend car il y en a plusieurs, et fort divers, en ce monde : le Conseil d’Espagne en est un, le pape [6] un autre, Mazarin [7] un autre, et le roi [8] de France, notre très bon maître (hormis qu’il foule [2] un peu trop ses sujets). Mihi supremus est deorum eiusmodi infirmorum[3] Il n’y a que le Dieu du ciel qui peut faire la paix et l’empêcher, c’est celui-là qui est le grand Dieu qui laisse agir aujourd’hui les potentats un peu trop rudement sur leurs sujets, quelquefois avec trop de patience pour notre profit ; mais il n’appartient qu’à lui de gouverner le monde à sa mode et comme il l’entend. Ex se et in se principatum habet, nobis obsequii gloria relicta est[4][9] Pour les petits dieux de la terre, ils n’ont de pouvoir que ce qu’il leur en laisse ; sans quoi, à peine pourraient-ils grêler le persil ; [5] et nonobstant tout cela, ils ne laissent pas de faire bien du mal.

J’ai vu ici M. de Rhodes le fils [10] qui m’a apporté une lettre fort honnête de Monsieur son père, [11] de laquelle je le remercierai. [6] Je vous prie en attendant de lui faire, s’il vous plaît, mes très humbles recommandations. Je soupai hier au soir chez M. le premier président [12] en belle compagnie, et où furent dites de belles et bonnes choses ; j’en ai les bonnes grâces et prétends de me les bien conserver. Je viens d’apprendre par M. Troisdames [13] que vous êtes en bonne santé, que vous me faites vos recommandations et que vous me faites de vos lettres et des graines, [7] je vous remercie du tout.

Le prince de Condé [14] est à Rocroi, [15] qui traite la paix avec M. le maréchal de Fabert, [16] et ce matin M. Le Tellier, [17] secrétaire d’État est parti pour y aller et dit-on, pour l’achever. [8] Je vous baise très humblement les mains et à Mlle Falconet, et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 18e de mars 1659.

Depuis ce que dessus écrit, j’ai reçu votre lettre en présence de Noël F. < Falconet > [18] et je lui ai délivré la sienne qui était ouverte. Je lui ai dit Voilà une lettre pour vous qui n’est point cachetée et que je voulais bien ne la point voir. Il l’a lue et aussitôt me l’a apportée, illic observavi Latina et prætextata verba[9] Je ne fais que d’arriver à cause de trois assignations [10] que j’ai eues à 4, à 5 et à 6 heures. Il m’a dit qu’il vous répondra au premier ordinaire, et moi je ferai, en attendant, tout ce que je pourrai pour le mieux.


a.

Bulderen, no cxxxvi (tome i, pages 361‑363) ; Reveillé-Parise, no ccccxlxxii (tome iii, pages 127‑128).

1.

V. note [8], lettre 556, pour ce livre de Symphorien Champier que je n’ai pu précisément identifier.

2.

Fouler : « surcharger, opprimer : les princes d’Orient foulent extrêmement leurs sujets ; les petits tyrans de province foulent bien les paysans » (Furetière).

3.

« Pour moi il est le plus élevé des faibles dieux de son espèce » (sans source latine identifiée).

4.

« Il a le souverain pouvoir en lui et autour de lui, à nous a été laissée la gloire d’obéir », Tacite, Annales (livre vi, chapitre viii), discours de Marcus Terentius proclamant son amitié pour Séjan : {a}

Tibi summum rerum iudicium di dedere, nobis obsequii gloria relicta est.

[C’est à toi que les dieux ont donné de décider souverainement de toutes choses, à nous a été laissée la gloire d’obéir].


  1. V. note [26], lettre 1033.

5.

« Le diable de Papefiguière ne savait grêler que sur les choux et sur le persil, c’est-à-dire, il ne faisait point de mal » (Furetière). Le Diable de Papefiguière est un conte de Jean de La Fontaine.

6.

Jean de Rhodes (Lyon 1636-ibid. 1695), fils de Henri (v. note [13], lettre 203), était docteur de la Faculté de médecine d’Avignon ; agrégé au Collège des médecins de Lyon en 1658, médecin de l’Hôtel-Dieu en 1666, il a laissé quelques ouvrages sur les eaux minérales artificielles (1688-1689) et sur la prétendue possession d’une dénommée Marie Volet (1690).

7.

Passage douteux : il faut croire, s’il n’y a pas eu erreur de transcription, qu’André Falconet allait envoyer des graines à Guy Patin, sans doute pour enrichir son jardin de Cormeilles.

8.

Le roi d’Espagne, Philippe iv, avait promis au prince de Condé, alors esseulé et sans argent à Bruxelles, qu’il ne signerait pas de paix si le traité ne contenait pas des mesures assurant la sauvegarde et le rétablissement de celui qui s’était rebellé contre la Couronne de France pour se mettre à son service. Ces délicates négociations touchant M. le Prince étaient la principale cause de la lenteur des pourparlers (v. note [13], lettre 590).

9.

« j’y ai remarqué des expressions latines et licencieuses » : phrase difficile à comprendre dans le contexte d’un père écrivant à son fils ; si la transcription est exacte et si c’est bien le sens qu’il convient d’y mettre (Suétone, Vespasien, chapitre xxii), il faut croire que Guy Patin reprochait gentiment à André Falconet ce qu’il écrivait à Noël dans ses lettres.

10.

Rendez-vous.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 18 mars 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0559

(Consulté le 17/04/2024)

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