Son Éminence [2][3][4] a été assez mal depuis huit jours ex podagra quæ proxime reversa est, ac quasi immediate cui statim, successerunt dolores nephritici acutissimi et atrocissimi, pro quibus mitigandis fuit illi secties secta vena, tandem calculus, et ille grandior, cum multis cruciatibus, in vesicam descendit, e qua nondum egressus est ; febricitabat, sitiebat, non dormiebat. [1][5][6] Je voudrais qu’il fût bien guéri et que nous eussions la paix, [7] mais il y en a qui disent qu’elle est rompue et qu’il faut tout de bon en recommencer le traité. Un homme me disait hier que les Français, les Hollandais et les Anglais avaient fait un accord entre les rois de Suède [8] et de Danemark [9] par l’entremise de M. le président de Thou, [10] notre ambassadeur en Hollande, à la charge que celui des deux qui ne voudra pas suivre la paix qu’on lui propose y sera contraint par la force des trois autres. Son Éminence a envoyé son neveu, M. Mancini, [11][12] prisonnier à Brisach [13] sous garde de six archers, pour quelques impiétés et des libertinages [14] qu’il a proférés la semaine sainte contre la religion avec le comte de Vivonne, [2][15][16] un aumônier du roi nommé Le Camus, [3][17] qui en a été chassé aussi, et un autre courtisan qui est prisonnier. Quelques-uns soupçonnent que c’est une finesse politique afin qu’il soit là et qu’il garde Brisach pour son oncle, qui a de nouveau 300 gardes à pied avec une petite mantille rouge et ses armes en broderie sur l’épaule, que j’ai vus passer ce matin à pied dans la rue Saint-Denis. [4][18][19]
Un peintre de Beaune m’a si fort prié de me laisser peindre, [20] pour un médecin de sa ville qui veut avoir mon tableau, qu’hier je lui donnai une heure de mon temps. [5][21] Noël Falconet [22] était auprès de moi, à qui je dictai quelques gentillesses qu’il écrivit dans son cahier. Il y en pourra mettre tous les jours et je l’y exhorterai. Les deux prisonniers qui ont tué le marquis de Curton [23][24] en sortant de la messe des augustins, [25] ont été jugés au Châtelet, [26] l’un à être rompu [27] et l’autre à avoir la tête coupée. [6][28] Ils ont été aujourd’hui transférés à la Conciergerie, [29] gare pour eux la fin de la semaine. Purpuratus noster non bene habet. [7] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 6e de mai 1659.
À vérifier, 16.09.2005
1. |
« d’une podagre qui s’est très vite résolue et à laquelle aussitôt, et presque immédiatement, ont succédé des douleurs néphrétiques extrêmement aiguës et atroces ; pour les soulager on l’a saigné six fois ; puis enfin, avec de grandes tortures, un très gros calcul est descendu dans la vessie, d’où il n’est pas encore sorti ; il était fébrile, il avait soif et il ne dormait pas. » |
2. |
Louis-Victor de Rochechouart (1636-Chaillot 1688), comte puis (en 1675) duc de Mortemart et de Vivonne, avait été l’un des six enfants d’honneur de Louis xiv. En 1654, il avait fait ses premières armes en Flandre sous Turenne. En 1663, il fut envoyé en Italie, prit part à la déplorable expédition de Gigeri dirigée par le duc de Beaufort, et devint en 1669 général des galères de la Méditerranée. Vivonne suivit Beaufort à la non moins désastreuse entreprise de Candie (v. notes [1] et [3], lettre 968) et revint à la cour où sa sœur, Mme de Montespan, avait remplacé Mlle de La Vallière (v. note [12], lettre 735) dans les bras du roi. La guerre ayant été déclarée à la Hollande, il se distingua au passage du Rhin, puis au siège de Maastricht, et reçut en 1674 le gouvernement de la Champagne et de la Brie. En 1675 il fut nommé gouverneur et vice-roi de Sicile. Vivonne a laissé le souvenir d’un vaillant courtisan, mais fort débauché (G.D.U. xixe s.). Mme de Sévigné (lettre 1002, à Bussy-Rabutin, le 22 septembre 1688, tome iii, page 357) :
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3. |
Étienne Le Camus (Paris 1632-1707), docteur en théologie en 1650, avait acquis une charge d’aumônier du roi. Il fut à cette époque un abbé très mondain, puis il se convertit au mode de vie le plus austère. Évêque de Grenoble en 1671, il fut élevé au cardinalat en 1686, et mourut en odeur de sainteté (Adam). Mme de Motteville (Mémoires, page 476) a fourni quelques détails sur le scandale dont Guy Patin évoquait seulement ici les conséquences :
Bussy-Rabutin (Mémoires, pages 60‑67, v. note [9], lettre 822) a laissé un récit détaillé de cette affaire :
Le 14 juillet suivant, Bussy-Rabutin recevait du roi une lettre de cachet lui intimant l’ordre de se retirer dans ses terres de Bourgogne. |
4. |
Il s’agissait de la garde des grands mousquetaires, reconstituée en 1657 (v. note [16], lettre 658). |
5. |
La lettre suivante à Hugues ii de Salins le désigne comme étant le commanditaire de ce portrait de Guy Patin, son mentor parisien bien-aimé, dont il voulait posséder le tableau. Patin se prêta au jeu et annonça dans sa lettre du 1er août 1659 qu’il n’avait pas vu la toile, mais que le peintre l’avait terminée et en était content. Elle n’a malheureusement pas laissé trace que je connaisse La peinture aujourd’hui connue de Patin n’est pas celle dont il était ici question, mais celle qui a été exécutée au xviiie s., qu’on voit toujours dans la réserve historique de la BIU Santé à Paris. Il y apparaît en buste, la tête tournée vers la droite, avec son long nez pointu et ses yeux pétillants de malice. Il a une abondante chevelure frisée et une fine moustache grises. Sous le portrait cette phrase :
Le nom d’Antoine Masson (v. note [5], lettre 898) est inscrit sur le cadre : le tableau a été peint d’après sa célèbre gravure (qui orne la page d’accueil de notre édition, v. note [2], lettre latine 466). Guy Érasme Emmerez, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1683, était fils du chirurgien barbier Paul Emmerez (v. note [5], lettre 645). |
6. |
François de Chabannes-Curton, seigneur de Saint-Angeau, né en 1609, avait été assassiné en août 1659 par le fils bâtard de son oncle, Christophe de Chabannes (1566-1636), marquis de Curton et comte de Rochefort (Dictionnaire généalogique, héraldique, chronologique et historique… Par M.D.L.C.D.B., Paris, Duchesne, 1757, tome premier, page 403). Guy Patin confondait, semble-t-il, l’oncle et le neveu ; mais la même confusion apparente se lit dans le Traité de la justice criminelle… par M. Jousse, conseiller au présidial d’Orléans (tome troisième, Paris, Debure père, 1771, page 252) :
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7. |
« Notre empourpré [Mazarin] ne se porte pas bien. » |
a. |
Bulderen, no cxxxix (tome i, pages 367‑368) ; Reveillé-Parise, no ccccxlxxv (tome iii, pages 131‑132). |