L. 576.  >
À André Falconet,
le 9 septembre 1659

Monsieur, [a][1]

Un courrier extraordinaire vient d’arriver, il a apporté l’entière conclusion de la paix. [2] Tout est arrêté pour le mariage et la reine nouvelle [3] sera en France le 24e d’octobre prochain. L’on achève en Hollande une belle édition de notre auteur François. [1][4] C’était un homme qui se moquait de tout. En vérité, il y a bien des choses dont on doit raisonnablement se moquer : si l’on y prend garde de bien près, elles sont presque toutes remplies de vanité, d’imposture et d’ignorance ; ceux qui sont un peu philosophes ne doivent-ils pas s’en moquer ? Il est certain que l’armée du roi d’Angleterre [5] a été battue par Lambert, [6] quoique celui-ci n’eût que 6 000 hommes, et le roi 14 000 ; il y a 272 officiers prisonniers. Notre ambassadeur en Angleterre, M. de Bordeaux, [7] a eu charge du roi d’aller saluer la République à Londres, ce qu’il a fait ; ceux du parti de Cromwell [8] en ont été fort réjouis. [2]

Les partisans disent ici que Messieurs du Parlement sont bien fâchés de la paix, qu’on n’aura plus besoin d’eux et qu’on ne leur donnera plus de pension. D’autres disent que ce sont les partisans qui en sont bien marris à cause qu’ils ne seront plus admis à offrir de l’argent pour avoir des arrêts du Conseil qui écorchent le peuple. Voici des vers qui courent contre Messieurs du Parlement, desquels on fait auteur M. Gaulmin, [9] doyen des maîtres des requêtes, qui fut jadis lieutenant criminel à Moulins [10] et est cousin de M. Delorme, [11] le grand médecin des bains de Bourbon. [12] Ce M. Gaulmin est fort savant en grec et en latin, et dans les langues orientales, et ennemi du Parlement. Voici les vers :

Curia cur pacem populis cupientibus horret,
Regnantique togæ cur metuenda quies ?
An fracti violasse pudet consortia regni,

Iuliadæ pactum nec meminisse caput ?
Quæ bello meruere, timent in pace futuri
Maxima supplicii pars solet esse timor
[3]

Mme la maréchale de Guébriant [13] est morte à Périgueux. [14] Elle n’a été malade que 13 heures et est morte sans confession. [15] Elle était le partisan de ce pays-là, elle y est fort maudite. [4] Il court ici en cachette un manifeste pour le Portugal, par lequel on prouve que la France ne doit point abandonner ce royaume à l’Espagnol vu l’accord qu’ils ont fait avec nous, signé de la main du cardinal de Richelieu. [5][16] On attend un courrier d’Espagne qui doit venir prendre le nôtre pour aller ensemble à Rome demander dispense pour le roi d’épouser l’infante d’Espagne, sa cousine. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 9e de septembre 1659.


a.

Bulderen, no cxlix (tome i, pages 390‑391) ; Reveillé-Parise, no cccclxxxv (tome iii, pages 148‑149).

1.

V. note [4], lettre 574, pour les éditions hollandaises des Œuvres de François Rabelais parues en 1663.

2.

Victoire écrasante de John Lambert contre George Booth (v. note [6], lettre 573) à Winnington Bridge, près de Chester, le 29 août (mais le roi, Charles ii, alors en Flandre, n’avait pas participé en personne à l’insurrection). Le parti de Cromwell était redevenu celui des républicains depuis la chute du Protectorat.

3.

« Pourquoi le Parlement est-il hérissé par les peuples qui souhaitent la paix et pourquoi la toge régnante redoute-t-elle le calme retrouvé ? Est-ce que le premier président a honte d’avoir empêché les conspirations visant à briser le trône et de ne s’être pas rappelé l’alliance conclue contre Jules [Mazarin] ? Ce qu’ils ont gagné par la guerre, ils le redoutent dans la paix car la meilleure part d’un châtiment à venir c’est d’ordinaire la peur. »

V. note [15], lettre 282, pour Gilbert Gaulmin.

4.

Renée Du Bec-Crespin (v. note [32], lettre 224), veuve du maréchal de Guébriant, était en chemin vers Bayonne pour y rencontrer la nouvelle reine, dont on l’avait nommée première dame d’honneur. Morte le 2 septembre 1659, elle fut inhumée à Notre-Dame, auprès de son époux. V. note [1], lettre 577, pour l’opinion de Bayle sur le mal que Guy Patin disait d’elle.

Périgueux, capitale du Périgord (chef-lieu de l’actuel département de Dordogne), était le siège d’un évêché suffragant de Bordeaux.

5.

Jean iv (v. note [27], lettre 86) avait restauré la royauté au Portugal en se faisant couronner le 15 décembre 1640. Le 1er juin 1641, à Paris, Louis xiii avait conclu avec lui une alliance contre l’Espagne. La France s’apprêtait à oublier le Portugal dans le traité des Pyrénées (v. note [16], lettre 673).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 9 septembre 1659

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(Consulté le 25/04/2024)

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