L. 584.  >
À Claude II Belin,
le 7 novembre 1659

Monsieur, [a][1]

J’ai tant eu d’affaires depuis un mois que je n’ai pu vous écrire ni faire réponse, comme j’eusse bien désiré. Même, je me souviens que je dois réponse à M. Barat, [2] et néanmoins je ne sais où est sa lettre. Je vous supplie de m’excuser envers lui, et de lui dire que je suis son très humble serviteur et que je le remercie de l’honneur qu’il m’a fait de m’écrire. Je n’ai point vu les Provinciales in‑8o, je n’en ai qu’ouï parler, mais je crois qu’il y en a une édition. [1][3] L’on m’a dit qu’il s’en fera une autre in‑4o, dans laquelle seront toutes les Provinciales et leurs dépendances, toutes les censures des évêques, toutes les lettres des curés de Paris, de Rouen, d’Amiens, [4] etc., la censure de Rome et encore quelque chose d’ajouté. Celle-là sera la meilleure de toutes, donnez-vous un peu de patience. M. Léonard [5] est un de ceux qui en ont des premiers, mais il faut attendre, en jouissant des deux sortes que vous en avez, car on en fera encore une autre latine, laquelle sera meilleure et plus ample. Je n’ai point vu ni rien ouï dire de cette vie d’Érasme [6] que l’on m’avait dit qui s’imprimait en Angleterre et néanmoins, c’était un conseiller de la Cour qui me l’avait dit. J’ai vu et lu avec grande joie cette épître de Baudius [7] touchant Érasme, il y a plus de 38 ans. [2] Cette vie d’Érasme a été imprimée in‑4o, et puis in‑12. Elle a été aussi mise au-devant des Épîtres imprimées à Londres in‑fo l’an 1642. Elle a été pareillement imprimée avec ses Opuscules in‑12 depuis quelques années en Hollande, l’an 1642. Une autre vie du même est aussi apud Melchiorem Adamum, in vitis philologorum Germanorum, et in Bibliotheca Belgica Valerii Andreæ in‑4o, et in Elogiis Auberti Miræi in‑4o, et in Athenis Belgicis Franc. Sweertii in‑fo, et in Monumentis ac elogiis illustrium virorum Marci Zuerii Boxhornii in‑fo, de 1638, et in Elogiis Theod. Bezæ in‑4o[3][8][9][10][11][12][13] Elle est aussi dans un livre in‑8o que j’ai vu, et peut-être que j’ai. Même Cardan [14] l’a tant loué in suis duodecim genituris[4] à qui seul il en a donné une entière qui est fort belle. Beatus Rhenanus, qui fuerat ei amanuensis, et cuius commendatione factus est Canonicus Vesontinus, eius vitam scripsit : valde etiam laudatur a Zuerio Boxhornio in sua Hollandia, pag. 285[5][15] Feu M. Bertius, [16] professeur du roi en géographie qui mourut ici l’an 1629 ex dysenteria atrabiliaria[6][17][18][19] m’a dit lui-même qu’il avait fait toute la vie d’Érasme quam ex omnibus eius Operibus collegerat ; [7] mais elle n’est pas encore en lumière, je ne sais si ce n’est point celle-là que l’on parlait d’imprimer en Angleterre. Il est vrai qu’Érasme était bâtard, tant de gens l’ont dit, lui-même l’avoue au commencement de sa vie. Le premier qui l’a dit et qui lui a reproché, a été Scaliger le père en ce qu’il écrivit contre lui, pro Cicerone, qui se trouve in‑4o : [8][20][21] Spurius de Erasmo[9] ce sont ses mots, grande hoc secretum didicerat a Monachis ; [10][22] mais Érasme mourut en même temps, et Scaliger se repentit de l’avoir fâché et d’avoir écrit contre lui, comme il paraît par un épigramme qui est inter eius poemata[11][23] lequel finit ainsi :

Ille ego, qui insanæ ridebam vulnera mortis,
Conditaque Ætnæa tela trisulca manu :
Ad quodvis stupeo momentum, ac territus adsto,
Maxima quum videam Numina posse mori
.

L’épigramme commence par ces deux vers : in Heroïbus, page 323.

Tu ne etiam moreris ? Ah, quid me linquis Erasme,
Ante meus quam sit conciliatus amor ?

Joseph Scaliger [24] s’est plaint de son père, maintes fois en sa vie, de ce qu’il avait écrit contre Érasme qui était un si grand personnage. [12] Possevin, [25] jésuite, a reproché à Érasme qu’il était bâtard et qu’il avait été moine. [13][26] Je voudrais bien savoir si de tous les carabins qui sont sortis de la braguette du P. Ignace, [27] il n’y en a point quelqu’un dont la mère ait été gaillarde jusqu’à ce point. Auriculas asini quis non habet ? quasi Patres isti de fœtura Loyolæ omnes essent inculpati[14][28][29]

Les deux chaires vacantes de Montpellier [30] sont adjugées, l’une à un nommé Chicoyneau, [31] neveu de feu M. de Belleval, [32] l’autre au jeune Sanche. [15][33] Deux autres en ont appelé et en plaident à Toulouse, [34] savoir Loÿs [35] et le jeune Scharpe. [16][36] Le nommé Chastelain, [37] gendre de Courtaud, [38] qui avait disputé, s’en est exclu lui-même : il tomba malade, envoya quérir un charlatan qui jouait sur le théâtre dans Montpellier et prit de sa main une dose d’un certain vinum vitæ, quod post tres horas factum est illi vinum mortis ; [17] il en mourut trois heures après en vomissant, erat vinum ex stibio emeticum[18][39][40] Le roi [41] est à Toulouse, on dit qu’il s’en va en Provence. [42] On attend le retour d’Espagne de M. le maréchal de Gramont. [43] Le cardinal est guéri de sa goutte. [44][45] Il y a grand bruit en Angleterre pour le milord Lambert [46] qui veut se rendre le maître et avoir la place de Cromwell. [47] Le second fils du roi d’Espagne est mort. [19][48] La paix [49] est accordée, mais elle n’est pas signée. Je ne sais si la mort de ce petit prince n’y apportera pas quelque retardement. Je vous baise les mains, à Mme Belin, à monsieur votre fils et à MM. de Courberon, Allen, Barat, Maillet, Sorel et Le Grain, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 7e de novembre 1659.


a.

Ms BnF no 9358, fos 179‑180, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cxlvi (tome i, pages 246‑249) ; Prévot & Jestaz no 32 (Pléiade, pages 529‑531).

1.

V. note [23], lettre 446, pour la première édition française complète des Provinciales (Cologne, 1657) : 18 letres et 14 annexes sur la monumentale querelle qu’elles engendraient. Les éminentes qualités littéraires, morales et polémiques de cet ouvrage clandestin, et le génie de son auteur expliquaient son très grand succès, sa rareté et l’impatience des curieux à se le procurer.

2.

Guy Patin faisait allusion à la lettre xxvii de la 2e centurie (pages 193‑198) des Epistolæ de Dominicus Baudius (édition de Leyde, 1650, v. note [8], lettre 334) : datée de Leyde, le 18 octobre 1606, elle est adressée à Paulus Merula (v. note [20] lettre de Samuel Sorbière datée du début de 1651) et parle élogieusement de la vie d’Érasme, en le défendant contre ceux qui lui ont reproché d’être bâtard.

Bayle (Érasme, note B) en a commenté le passage consacré à la naissance d’Érasme, où Baudius dit :

« I. que < son > père était bourgeois et habitant de Tergou, {a} d’honnête famille et assez savant pour ce temps-là ; aimant d’ailleurs à rire et à débiter de bons mots, de sorte qu’il en remporta le surnom de Praet, ou de facétieux ; II. que le temps des couches s’approchant, il fut à propos d’envoyer la mère à Rotterdam, afin de mieux cacher la déconvenue, et que le père donna le nom de Gérard {b} à l’enfant ; III. qu’à cette faute près, il n’y eut rien à redire dans la mère d’Érasme et qu’elle se pouvait vanter comme Didon, Huic uni forsan potui succumbere culpæ. {c} Il est certain que son péché, fort différent d’ailleurs de ce qu’on nomme conduite de débauchée, a produit un homme si excellent que si elle eût assez vécu pour voir le mérite extraordinaire de son fils, elle aurait eu plus de sujet que la mère de Pierre Lombard, de Gratien et de Comestor, de se servir de la réponse qu’on attribue à celle-ci ; {d} car vingt auteurs comme ces trois-là ne valent pas la moitié d’Érasme. Mais elle mourut de peste lorsque son fils courait la treizième année. »


  1. Gouda.

  2. Gerardus Gerardi (Gérad fils de Gérard).

  3. « Pour lui seul peut-être aurais-je pu succomber à cette faute » (Virgile, Énéide, chant iv, vers 19).

  4. « On fait un conte, qui est faux, que ces trois auteurs étaient bâtards d’une même mère, laquelle ne crut point avoir besoin de s’en repentir à cause des services qu’ils avaient rendus à l’Église » (notule 24 de Bayle).

3.

Les ouvrages cités ici sont dans l’ordre :

  1. Vitæ Germanorum Philosophorum : qui seculo superiori, et quod excurrit, philosophicis ac humanioribus Literis clari floruerunt. Collectæ a Melchiore Adamo. Cum Indice triplici : personarum gemino, tertio rerum,

    [Vies des philosophes allemands qui ont brillé en philosophie et dans les belles-lettres, au cours du présent siècle et du précédent. Réunies par Melchior Adam. {a} Avec trois index : deux pour les noms et un pour les matières] ; {b}

  2. Valerii Andreæ Desselii I.C. Bibliotheca Belgica : de Belgis vita scriptisque clarissimis. Præmissa Topographica Belgii totius seu Germaniæ inferioris Descriptione. Editio renovata, et tertia parte auctior,

    [La Bibliothèque flamande de Valerius Andreas, jurisconsulte natif de Dessel : {c} sur les Flamands, leur vie et leurs écrits les plus brillants. Précédée d’une Description topographique de la Flandre, ou Germanie inférieure. Édition revue et augmentée d’une troisième partie] ; {d}

  3. Elogia Belgica, sive Illustrium Belgii scriptorum, qui nostra patrumque memoria, vel Ecclesiam Dei propugnarunt, vel disciplinas illustrarunt, Vitæ breviter commemoratæ. Studio Auberti Miræi Bruxellensis, Canonici et Bibliothecarii Antwerp.,

    [Éloges belges, ou les vies brièvement rappelées des écrivains illustres de Belgique qui, dans notre temps ou celui de nos pères, ont soit combattu pour l’Église de Dieu, soit éclairé les savoirs. Par les soins d’Aubertus Miræus, {e} natif de Bruxelles, chanoine et bibliothécaire d’Anvers] ; {f}

  4. Athenæ Belgicæ sive Nomenclator Infer. Germaniæ scriptorum, qui disciplinas philologicas, philosophicas, theologicas, iuridicas, medicas et musicas illustrunt. Franciscus Sweertius Antverp. pro suo in patriam et literas adfectu digessit et vulgavit. Accessit eodem auct. succincta xvii. eiusdem Inf. Germ. provinciar. nec non præcipuarum orbis bibliothecarum et academiarum luculenta descriptio,

    [L’Athènes belge ou le nomenclateur des écrivains de Basse-Allemagne qui ont donné du lustre aux disciplines philologiques, philosophiques, théologiques, juridiques, médicales et musicales. Franciscus Sweertius, {g} natif d’Anvers l’a classée et l’a publiée pour son attachement à sa patrie et aux lettres. Avec, du même auteur, une courte et brillante description des 17 provinces de Basse-Allemagne, ainsi que des principales bibliothèques et universités du monde] ; {h}

  5. Monumenta illustrium virorum, et elogia. Cura ac studio Marci Zverii Boxhornii,

    [Monuments et éloges des hommes illustres. Par les soins et les recherches de Marcus Zuerius Boxhornius] ; {i}

  6. je n’ai pas trouvé ce que Patin entendait par les Elogia Theod. Bezæ [Éloges de Théodore de Bèze]. {j}


    1. V. note [2], lettre de Charles Spon, le 15 janvier 1658 ; avec probable étourderie de Guy Patin, qui a écrit philologorum pour philosophorum, car aucun titre d’Adam ne traite « des philologues allemands ».

    2. Heidelberg, Jonas Rosa, 1615, in‑8o de 526 pages.

    3. Valerius Andreas était le nom latin du jurisconsulte Walter Driessens (1588-1655) ; Dessel est une ville de la province d’Anvers.

    4. Louvain, Jacobus Zegers, 1643, in‑4o de 900 pages ; la vie d’Érasme et la liste de ses œuvres s’y trouvent pages 174‑183.

    5. Aubert Le Mire (Bruxelles 1573-Anvers 1640), théologien flamand.

    6. Anvers, Hieronymus Verdussius, 1609, in‑4o de 209 pages.

    7. Franz Sweerts (1567-1629).

    8. Anvers, Guillelmus a Tungris, 1628, in‑fo de 708 pages.

    9. Amsterdam, Joannes Janssonius, 1638, in‑fo très richement illustré de 176 pages ; v. note [1], lettre 349, pour Marck Zuerius Boxhorn.

    10. V. note [28], lettre 176.

4.
Hieronymi Cardani Mediolanensis Medici et Philosophi præstantissimi in Cl. Ptolemæi Pelusiensis iiii de Astrorum Iudiciis, aut, ut vulgo vocant, Quadripartitæ Constructionis, libros commentaria, quæ non solum Astronomis et Astrologis, sed etiam omnibus philosophiæ studiosis plurimum adiumenti adferre poterunt. Nunc primum in lucem ædita.
Præterea eiusdem Hier. Cardani Geniturarum xii, et auditu mirabilia et notatu digna, et ad hanc scientiam recte exercendam observatu utilia exempla. Atque alia multa, quæ interrogationibus et electionibus præclare serviunt, vanaque a veris recte secernunt. Ac denique eclipseos, quam gravissima pestis subsecuta est, exemplum
.

[Commentaires de Jérôme Cardan, {a} très éminent médecin et philosophe natif de Milan, sur les quatre Jugements des Astres de Claude Ptolémée de Péluse, {b} ou, comme on les appelle ordinairement, les livres de la Construction en quatre parties. {c} Publiés pour la première fois, ils pourront enrichir beaucoup les connaissances des astronomes et des astrologues, mais aussi de de tous ceux qui étudient la philosophie.
Avec en outre, du même Jérôme Cardan, les modèles des douze horoscopes, qui sont merveilleux à entendre, dignes d’être remarqués, et utiles à observer pour exercer correctement cette science ; ainsi que de multiples autres considérations consacrées à grandement éclaircir les interrogations et les choix, et à discerner correctement les futilités des vérités ; et enfin le cas de l’éclipse qui a été suivie d’une peste très grave]. {d}


  1. V. note [6], lettre 30

  2. V. note [22], lettre 151.

  3. Ou Tetrabiblos.

  4. Bâle, Henrichus Petrus, 1554, in‑fo de 513 pages, illustré de diagrammes et avec portrait de l’auteur, en sa 49e année d’âge, sur la vignette de couverture.

5.

« Beatus Rhenanus, qui avait été son secrétaire et a été fait chanoine de Besançon sur sa recommandation, a écrit sa vie ; {a} il est même grandement loué par Zuerius Boxhorn dans sa Hollande, page 285 ». {b}


  1. Beatus Bild von Rheinau, dit Rheinauer ou Beatus Rhenanus (Sélestat 1485-Strasbourg 1547) a écrit une courte mais belle vie d’Érasme, qui a été imprimée à de multiples reprises : Desid. Erasmi Vita, per Beatum Rhenanum. Ex Epistola dedicatoria in fronte operum Origenis ab Erasmo recognitorum, anno mdxxxvi [Vie de Dés. Érasme par Beatus Rhenanus. Tirée de l’épître dédicatoire qui est en tête des œuvres d’Origène revues par Érasme, l’an 1536]. Parmi bien d’autres éditions, elle figure dans les Erasmi Opera omnia publiées à Leyde en 1703 (tome i, pages ****2 ro‑vo)

  2. Marci Zuerii Boxhornii Theatrum sive Hollandiæ comitatus et urbium nova Descriptio. Qua omnium civitatum præcipuorumque locorum, icones, origines, incrementa, res domi forisque gestæ, iura, privilegia, immunitates, ipsis principum tabulis expressa, et viri illustres exhibentur.

    [Amphithéâtre de Marc Zuerius Boxhorn, {i} ou nouvelle description du comté et des villes de Hollande. Où sont montrés les plans des cités et des principaux lieux, leurs origines, leurs développements, les affaires intérieures et étrangères, les lois, les privilèges, les dispenses, tirés des archives mêmes des princes, et les hommes illustres]. {ii}

    Dans le chapitre sur Rotterdam (pages 281‑287), l’éloge d’Érasme, Magnus Desiderius Erasmus Roterodamus, occupe un peu plus de deux pages, avec cette mention (page 285) :

    Nemini eruditorum epitaphia plura scripta sunt, quam isti. Vitam eius Beatus Rhenanus, scriptorum syllabus, Conradus Coclenius et Hadrianus Barlandus, vorsa illa, hic prorsa oratione, consignarunt.

    [On lui a écrit plus d’épitaphes qu’à aucun autre savant. Beatus Rhenanus, Conrad Goclenius {iii} Adrian Van Baerland {iv} ont consigné sa vie, en prose ou en vers, et un catalogue de ses écrits].

    1. V. note [20], lettre non datée (début 1651) de Samuel Sorbière.

    2. Amsterdam, Henricus Hondius, 1632, in‑4o illustré de 384 pages.

    3. Philologue, professeur à Louvain (1485-1539) et ami d’Érasme.

    4. Humaniste de Louvain (1486-1538) et zélé promoteur d’Érasme.

6.

« d’une dysenterie atrabilaire » : on qualifiait d’atrabilaire une dysenterie qui s’accompagnait de fièvre putride, où les malades rendaient des matières brunes, verdâtres ou noires, extrêmement fétides, avec souvent des urines de couleur café (v. notule {f}, note [33] de la Leçon sur le Laudanum et l’opium), et elles aussi très fétides.

Tout ce qu’on peut en dire aujourd’hui est qu’il s’agissait d’une affection abdominale grave avec retentissement intestinal et rénal, qui peut correspondre à l’aboutissement de plusieurs maladies infectieuses ou vasculaires. L’atrabile n’aide pas à comprendre puisque c’est celle des quatre humeurs anciennes (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656) qui n’a jamais eu de réalité physiologique. Couleur noire et mauvaise odeur prononcées évoquent le méléna : émission de matières fécales contenant du sang digéré (v. note [1] de la Consultation 11).

7.

« qu’il avait colligée à partir de l’ensemble de ses œuvres ».

8.

La rude dispute littéraire entre Jules-César Scaliger et Érasme sur le style cicéronien s’est déroulée en trois étapes :

V.  note [56] du Faux Patiniana II‑3 pour l’avis embarrassé de Joseph Scaliger sur la sidérante impudence de son père à l’égard d’Érasme, devenu le géant incontesté de son siècle.

9.

« pour Érasme, c’est un bâtard ».

10.

« des moines lui avaient appris ce grand secret ».

V. note [7], lettre 308, pour la jeunesse ecclésiastique d’Érasme.

11.

« parmi ses poèmes ». Guy Patin citait les quatre premier et les deux derniers vers de cette épigramme repentante de Jules-César Scaliger :

In obitum Erasmi epitaphium
Iulii Cæsaris Scaligeri

Tu ne etiam Moreris ? ah ! quid me linquis Erasme,
Ante meus quam sit conciliatus amor ?
Tu ne etiam ? cui iam parvus fuit orbis, ut alta
Expleres mentis flumina torva tuæ.
Ergo sidereis postquam est subvecta quadrigis,
Atque Dei læto lingua recepta sinu :
Ille ego, qui insanæ ridebam vulnera mortis,
Conditáque Ætnæa tela trisulca manu,
Ad quodvis stupeo momentum, ac territus asto :
Maxima cum videam numina posse mori
.

[Épitaphe de Jules-César Scaliger
sur la mort d’Érasme

Es-tu mort aussi, Érasme ? Ah ! pourquoi m’abandonnes-tu avant de t’être acquis mon affection ? Toi pour qui la terre fut finalement trop petite pour remplir les fleuves profonds et impétueux de ton esprit. Après que la langue de Dieu a été transportée par les quadriges étoilés, la voilà donc reçue dans un sein joyeux. Et voici que moi, qui me riais des coups de la folle mort et de la main qui réunit la triple foudre de l’Etna, je demeure stupide à tout moment et me tiens effrayé quand je vois que les grandes divinités peuvent mourir]. {a}


  1. Patin donnait ici la référence de cette épitaphe dans les Iulii Cæsaris Scaligeri Heroes [Héros de Jules-César Scaliger] (Lyon, Seb. Gryphe, 1539, in‑4o, page 23 et avant-dernière, avec erreur de Patin qui l’a numérotée 323) ; elle se lit aussi à la fin de la Vita Des. Erasmi Rot. [Vie de Désiré Érasme de Rotterdam] (page d ro) qui est imprimée au début de la Stultitiæ Laus… [L’Éloge de la folie] éditée en 1676, par Robert Patin (v. note [32], lettre 146).


12.

V. note [56] du Faux Patiniana II‑3 pour un passage du Secunda Scaligerana qui rapporte un point de vue de Joseph Scaliger sur la querelle entre son père, Jules-César, et Érasme.

13.

Antonio Possevino (en français Possevin ; Mantoue 1534-Ferrare 1611), entré chez les jésuites en 1559, contribua grandement à l’établissement de la Compagnie dans le Piémont et dans le sud de la France ; puis il joua un rôle éminent dans les affaires diplomatiques du pape, en Pologne, en Russie et en France. Il a laissé plusieurs ouvrages témoignant de sa grande érudition.

Son Iudicium de Desiderio Easmo Roterodamo [Jugement sur Désiré Érasme de Rotterdam] est dans le livre i, chapitre xx, pages 91‑93, de la Antonii Possevini Societatis Iesu Bibliotheca selecta qua agitur de Ratione studiorum in Historia, in Disciplinis, in Salute omnium procuranda [Bibliothèque choisie d’Antonio Possevino, de la Compagnie de Jésus, qui traite de l’Organisation des études menées en histoire, en sciences et en vue de pourvoir au salut de tous] (Rome, Imprimerie apostolique du Vatican, 1593, in‑fo de 147 pages), qui commence par ces avis accablants :

Primum dicam, quisnam fuerit Erasmus, deinde cur in varios errores deciderit, postremo quam merito damnatus sit. Hoc enim et oculis novorum Arianorum aperiendis, qui ad eum provocant, fortassis proderit ; et aliis, ne plus nimio fide ei adhibeatur, retegendis conducet ; qui quoniam neque solidis Theologiæ fundamentis nixi sunt, nec ulla auctoritate publica muniti, censores esse voluerunt Ecclesiæ, merito ab ea ipsa explosi sunt, ac tanquam vapor fumi evanerunt.

Erasmus igitur Batavus, ex parocho civitatis Goudanæ Roterodamo oppido vicinæ genitus est, qui eum ex famula suscepit ; quam prægnantem, quo crimen cælaretur, in proximam civitatem ablegavit : natus est autem anno superioris sæculi sexagesimo nono, obijt huius trigesimo sexto, Basileæ. Adolescens Ecclesiasticæ disciplinæ se dedens, professus est monasticen Canonicorum B. Augustini Regularium in monasterio Stein, prope eamdem Goudam, Bataviæ oppidum. Novennio post sacris initiatus, et votorum susceptorum pertæsus, monachatum deseruit, vagusque per Europæ Academias obambulans, cum æstu humanæ gloriæ ferveret, ingenioque et memoria abundaret, plurima concepit, quæ quoniam unus ipse concoquere non poterat, nec vero iudicium aliorum adhibebat ad limam suorum scriptorum, quanto plures edidit libros, tanto crebriores cumulavit errores, maior futurus (ut Iulius Cæsar Scaliger scite dixit) si minor esse voluisset.

[Je dirai d’abord qui fut Érasme, ensuite pourquoi il est tombé dans diverses erreurs, et enfin à quel point il a mérité d’être condamné. Cela pourra servir à ouvrir les yeux des nouveaux ariens {a} qui s’en réfèrent à lui ; et à dautres, afin qu’ils ne lui accordent pas une confiance excessive et qu’il ne leur serve pas de caution. Ceux-là, sans s’appuyer sur de solides bases théologiques ni être pouvus de la moindre autorité reconnnue, ont voulu être les censeurs de l’Église, dont ils ont bien mérité d’être exlcus, puis se sont dispersés comme volutes de fumée.

Érasme est batave, natif d’une paroisse de la cité de Gouda, voisine de Rotterdam ; il y a été engendré par une servante qui, étant enceinte, s’en est allée dans une ville du voisinage en vue de cacher sa faute. Il vint au monde en la 69 e année du siècle précédent et mourut à Bâle en la 36e du nôtre. Se dédiant à l’apprentissage ecclésiastique, il entra au monastère des chanoines réguliers de saint Augustin à Stein, ville de Hollande proche de Gouda. {b} Neuf ans après son ordination, las des vœux qu’il avait prononcés, il abandonna l’état monastique et se mit à errer par les universités d’Europe. Furieusement enflammé par la gloire humaine, et doué d’une intelligence et d’une mémoire remarquables, il a accumulé une abondance de connaissances qu’il était à lui tout seul incapable de bien digérer, et il ne prenait pas en compte le jugement des autres pour amender ses propres écrits. Autant il a publié de livres, autant il a accumulé et rabâché d’erreurs : il eût été plus grand s’il eût bien voulu être plus petit (comme l’a finement dit Jules-César Scaliger)]. {c}


  1. V. note [15], lettre 300.

  2. V. note [42], lettre 324, pour les chanoines de saint Augustin ; Stein est une ancienne commune néerlandaise où se situait le klooster Emmaüs [monastère Emmaüs], elle appartient aujourd’hui à la ville de Reeuwijk.

  3. Une note marginale renvoie au passage des Exoticæ exercitationes [Essais publics] de Scaliger contre Jérôme Cardan (Paris, 1557) qui est cité dans la note [38] du Borboniana 8 manuscrit : il y accuse Érasme de ne rien connaître à l’histoire naturelle, mais n’y tient pas le propos que lui prêtait Possevino, lequel n’avait décidément que du mépris pour un géant du xvie s. dont la gloire a de très loin surpassé la sienne.

14.

« Qui n’a pas des oreilles d’âne ? {a} comme si tous ces pères issus de la progéniture de Loyola étaient sans péché. »


  1. Réminiscence possible de Perse (Satire i, vers 121) : Auriculas asini Mida rex habet [Le roi Midas a des oreilles d’âne], repris et richement commenté par Érasme dans son adage no 267, Midas auriculas asini [Midas a des oreilles d’âne].

15.

C’était l’aboutissement de la longue dispute que les décès de Jacques Duranc (1652) puis de Lazare Rivière (1655) avaient ouverte à Montpellier (v. note [4], lettre 397).

Pierre ii Sanche (v. note [4], lettre 397) prenait possession de la seconde, et la première échoyait à Michel Chicoyneau (Blois 1626-Montpellier 1701), fils d’un conseiller en l’élection de Blois et de Marie Richer de Belleval. Son oncle, le Chancelier Martin Richer de Belleval (v. note [12], lettre 57), l’invita à étudier la médecine à Montpellier où il avait été reçu docteur en 1651. En 1662, Chicoyneau obtint sa mutation dans la chaire d’anatomie et botanique que la mort de son oncle laissait vacante. En outre, il se vit attribuer l’intendance du jardin des plantes qui offrait un logement à son titulaire. Toujours en héritage de son oncle, Chicoyneau obtint aussi en 1664 des provisions pour le cancellariat, ce qui l’éleva d’office à ces fonctions, mais cette nomination arbitraire (qui demandait une élection par l’ensemble du corps professoral) déchaîna la colère de ses collègues qui s’y opposèrent vigoureusement en élisant un autre chancelier, Louis Soliniac. La complicité de Pierre ii Sanche et surtout, la protection d’Antoine Vallot, premier médecin de Louis xiv, permirent cependant à Chicoyneau de triompher sur ses adversaires et d’être confirmé dans toutes ses fonctions de chancelier en janvier 1665 (Dulieu).

16.

Jules-Georges Scharpe, né à Bologne en 1638, était un des trois fils médecins de Georges Scharpe (v. note [7], lettre 147). Reçu docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1658, il fut candidat malheureux au susdit concours ouvert pour les chaires vacantes et n’accéda jamais au professorat (Dulieu).

V. note [5], lettre 373, pour l’énigmatique Loÿs. Guy Patin se méprenait sans doute ici sur son identité : dans sa lettre à André Falconet datée du 11 janvier 1661 (v. sa note [1]), il a en effet dénommé Benoît le médecin de Montpellier (bien identifié par Dulieu) qui s’était engagé dans une plainte aux côtés de Scharpe.

17.

« vin de vie qui, pour lui, après trois heures, s’est transformé en vin de mort ».

18.

« c’était du vin émétique d’antimoine. »

19.

V. note [2], lettre 553, pour l’infant Tomas.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 7 novembre 1659

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(Consulté le 25/04/2024)

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