L. 591.  >
À André Falconet,
le 10 février 1660

Monsieur, [a][1]

Ce matin, 7e de février, M. Talon, [2] avocat général, a parlé dans la Chambre où il a tout à fait conclu pour nous contre les chirurgiens. [3][4] Ensuite de son plaidoyer, Messieurs ont été aux avis et aussitôt s’est ensuivi arrêt par lequel nous avons obtenu ce que nous demandions : tous les chirurgiens barbiers [5] iront à Saint-Côme [6] et seront mêlés avec les autres ; défense à eux d’appeler leur maison Collège ; ordonné que l’inscription qui est sur Saint-Côme, où il y a Collegium Chirurgicorum, etc.[1] sera biffée ; l’union des deux communautés de chirurgiens, confirmée, tous réduits sous l’autorité et juridiction des médecins de la Faculté selon les contrats anciens et entre autres, de celui de 1577 et de l’an 1644, etc. ; sur quoi ils ont fait de grandes clameurs. Aussitôt M. le premier président [7] a retourné aux avis et puis a dit Est néanmoins permis à ceux qui par ci-devant ont été reçus à Saint-Côme en robe et bonnet, d’en porter le reste de leur vie s’ils sont maîtres ès arts de l’Université de Paris, sans tirer à conséquence[2] Cette clause ne nous déplaît point car, outre qu’ils sont en petit nombre et qu’ils mourront bientôt, elle donne exclusion de robes et de bonnets à tous les autres qui y pourraient prétendre à l’avenir. Voilà donc les chirurgiens de Saint-Côme abattus et leur maison livrée à nos chirurgiens barbiers qui nous sont tous soumis. L’arrêt s’imprimera. Ceux de Saint-Côme nous menacent déjà d’une requête civile que nous ne craignons point. Le lendemain, 8e de février, nous fûmes remercier M. le premier président, M. Talon, avocat général, et M. de Nesmond. [8] Nous étions environs 70, deux à deux. Tout le monde se réjouissait du gain de notre cause et il ne se rencontra pas un de ces chirurgiens de Saint-Côme par les rues. On ordonna hier dans l’assemblée de notre Faculté que l’on irait remercier les autres juges, que l’on ferait imprimer cet arrêt authentique contre Saint-Côme avec la harangue de M. le recteur, [9] le plaidoyer de l’avocat de l’Université, celui de M. Talon, avocat général, les deux contrats de ci-dessus, une sentence du lieutenant civil, etc. ; de plus, que l’on ferait une impression des statuts [10] de notre Faculté, que le doyen, [11] accompagné de quatre docteurs, dont je suis un, iraient remercier notre avocat, M. Chenvot, [12] en lui portant 50 louis d’or pro honorario[3] Tout cela se fera avec le temps. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 10e de février 1660.


a.

Bulderen, no clxiii (tome i, pages 424‑426) ; Reveillé-Parise, no ccccxcix (tome iii, pages 174‑176).

1.

Maurice Raynaud (page 309) a donné l’intégrité de l’orgueilleuse inscription que les chirurgiens de Saint-Côme avaient mise au fronton de leur Collège :

Collegium M.M.D.D. Chirurgicorum Parisiis iuratorum a sancto Ludovico anno mccxxvi institutum, gradatim a Philippis, Ludovicis, Carolis, Ioanne, Franciscis et Henricis regibus christianissimis conservatum, modo sub auspiciis christianissimi iusti piique Ludovici xiii ob eius natalis memoriam instauratum, anno salutis mdcxv.

[Collège des maîtres docteurs chirurgiens jurés de Paris, institué par saint Louis l’an 1226, successivement confirmé par les rois très-chrétiens Philippe, Louis, Charles, Jean, François et Henri, reconstruit il y a peu sous les auspices du très-chrétien Louis xiii le juste et le pieux, pour son anniversaire, en l’an de grâce 1615].

Objet d’une partie du litige avec la Faculté de médecine, le mot Collegium fut supprimé. Plus tard, les chirurgiens obtinrent une déclaration royale suspendant l’arrêt de 1660 ; en outre (Le Maguet, pages 253‑254) :

«  ils > firent remettre sur leur porte le mot Collegium qu’ils avaient effacé. La Faculté fit casser l’arrêt de suspension et après mille péripéties, la victoire lui resta. Le 12 novembre 1667, le doyen Armand de Mauvillain, […] l’ami de Molière, {a} accompagné de maître Masson, huissier royal, alla faire effacer l’inscription de Collegium. Les chirurgiens la rétablirent le lendemain. Le 14 novembre, le doyen, toujours accompagné de l’huissier, mais nanti de témoins et d’ouvriers, fit de nouveau enlever l’inscription. À partir du 18 août, {b} les faits et actes de la Communauté des chirurgiens furent inscrits dans les Commentaires {c} sous la rubrique Res gestæ apud chirurgos Parisienses aut barbitonsores. {d} Toutefois les vaincus, en se réclamant du barbier du roi, avaient eu une idée très bonne : le roi, voyant les chirurgiens assimilés aux barbiers, voulut donner à la corporation un chef d’une dignité relevée ; en 1668, il reconnut François-Félix Tassy, son premier chirurgien, chef de la Communauté unie des chirurgiens et des barbiers ; ceux-ci avaient donc désormais un maître capable de défendre leurs prérogatives contre les attaques de la Faculté. »


  1. V. notule {a}, note [23] de Thomas Diafoirus et sa thèse, pour les sérieux doutes de Georges Forestier sur les liens d’amitié entre Molière et Armand-Jean de Mauvillain.

  2. 1662.

  3. De la Faculté de médecine de Paris.

  4. « Affaires survenues chez les chirurgiens et barbiers de Paris. »

2.

L’arrêt du Parlement qui concluait le procès de la Faculté de médecine de Paris contre les chirurgiens de Saint-Côme et les barbiers chirurgiens (v. note [20], lettre 487) est daté du 7 février 1660 (Maurice Raynaud, page 311) :

« La Cour a mis et met l’appellation de ce dont a été appel à néant ; émendant, sans s’arrêter à l’intervention des parties de Danez, {a} sur l’opposition, met les parties hors de Cour et de procès, à la charge que les deux communautés des chirurgiens et barbiers unies demeureront soumises à la Faculté de médecine suivant les contrats des années 1577 et 1644. Et faisant droit sur la requête des parties de Chenvot, {b} ayant égard à l’intervention du recteur de l’Université, {c} fait inhibitions et défenses auxdits chirurgiens barbiers de prendre la qualité de bacheliers, licenciés, docteurs et Collège, mais seulement celle d’aspirants, maîtres et Communauté, comme aussi leur fait défense de faire aucune lecture et actes publics ; et pourront seulement faire des actes particuliers pour l’examen des aspirants, même des démonstrations anatomiques à portes ouvertes, suivant la sentence du prévôt de Paris du 7 novembre 1612, sans que pas un desdits chirurgiens barbiers puisse porter la robe et le bonnet que ceux qui ont été et seront reçus maîtres ès arts. Et néanmoins pourront ceux qui ont été reçus avec la robe et le bonnet jusqu’à ce jour les porter pendant leur vie. » {d}


  1. Avocat des chirurgiens.

  2. Avocat de la Faculté de médecine (v. note [66], de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…).

  3. V. note [3], lettre 595.

  4. V. note [12], lettre latine 131, pour l’arrêt complet imprimé (Paris, 1660). Le fragment transcrit par Raynaud est extrait de la conclusion (pages 65‑66.

La loi du 19 ventôse an xi [10 mars 1803] a instauré les études communes de médecine et de chirurgie.

3.

« pour honoraire », 50 louis d’or équivalaient à 550 livres tournois.

Mis à jour et publiés par le doyen François Blondel en 1660, les Statuta F.M.P. ont servi de référence aux annotations de notre édition.

La même Faculté rendit un décret déclarant solennellement que Denis Talon avait bien mérité d’elle et qu’elle s’engageait à lui donner, ainsi qu’à sa famille, des soins gratuits à perpétuité. Ce décret, écrit sur une grande feuille de vélin et revêtu du grand sceau de la Faculté, fut enfermé dans une boîte d’argent. Douze docteurs, le doyen François Blondel en tête, le portèrent chez l’avocat général ; on y joignit une magnifique édition des œuvres d’Hippocrate en cinq volumes in‑fo (Maurice Raynaud, pages 312‑313, avec emprunt à la lettre de Patin à Falconet, datée du 5 mars 1660, lettre 595). Il fut publié sous le titre de Decretum Facultatis medicinæ Parisiensis [Délibération du 5e des ides de février (9 février) 1660, par laquelle la Faculté décide de donner gratuitement ses soins à Denis Talon et à sa famille, pour lui avoir fait gagner son procès contre les chirurgiens] (sans lieu ni nom, 1660, in‑4o).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 10 février 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0591

(Consulté le 29/03/2024)

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