L. 597.  >
À André Falconet,
le 16 mars 1660

Monsieur, [a][1]

Nous avons mis votre coffre et tous les papiers du procès entre les mains de M. Riquier [2] qui prendra pour rapporteur de votre affaire M. Du Tillet, [3] conseiller de la Grand’Chambre avec lequel il a particulière connaissance et qui est l’intime de votre bon ami M. Michel [4] de Lyon, duquel vous prendrez, s’il vous plaît, lettre de recommandation vers ledit M. Du Tillet afin qu’il ait plus grand soin d’expédier votre procès. [1][5] Cette lettre lui sera présentée par M. de Rhodes le jeune [6] ou par M. Riquier, selon qu’on jugera pour le mieux. J’en parlerai à M. le premier président [7] dès qu’il sera temps ou que M. Riquier m’en avertira. Vous m’obligerez d’assurer M. Spon, [8] notre bon et féal ami (comme l’était à l’auteur François, André Tiraqueau, [9] à ce qu’il dit en son Pantagruélisme), [2][10] que je suis son très humble serviteur et que le nombre de ses amis est diminué par la mort de M. Du Prat, [11] qui est mort chez M. Hervart, [12] intendant et contrôleur général des finances, du fils duquel il avait été précepteur. Il mourut le même jour que j’appris qu’il était malade, c’est pourquoi je ne l’ai point vu. Je crois qu’il est mort du maudit froid qu’il fait, il avait la poitrine fort débile, le poumon en fort mauvaise disposition ; il était toujours enrhumé et enroué, laborabat marcore pulmonis[3]

Cette semaine s’est employée en nos Écoles à l’examen de douze candidats [13] dont il y en a huit qui sont merveilleusement savants. [4] Je m’en vais y mener Noël Falconet [14] afin qu’il en entende quelque chose et qu’il voie quelle sévérité on apporte à cet examen, et comment un jeune homme doit fortement étudier pour devenir savant médecin. Je le menai dimanche quant et moi chez M. de Marolles, abbé de Villeloin, [15] traducteur de tant de poètes, où il vit tant d’honnêtes gens : 1o l’hôte, et le génie de la maison, qui est un fort honnête prélat ; 2o M. de La Mothe Le Vayer, [16] précepteur de M. le duc d’Anjou ; [17] 3o M. de La Milletière ; [18] 4o M. Patru, [19] avocat en Parlement et qui est de l’Académie, [20] au nom de laquelle il salua la reine de Suède. [5][21] Il aura bien à se louer quelque jour d’avoir connu de si grands hommes. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 16e de mars 1660.


a.

Bulderen, no clxviii (tome ii, pages 5‑6).

1.

Guy Patin revenait sur le procès du Collège médical de Lyon contre ceux qui contestaient ses statuts. Ce M. Michel, de Lyon, qui intercédait alors en faveur du Collège, pouvait être le médecin Jacques Michel, originaire de Marvejols (Lozère), docteur d’Avignon en 1646, puis de Montpellier en 1649 (Dulieu), mais nulle source ne permet de l’établir avec certitude. Il pouvait tout autant ne pas être médecin, mais une connaissance du magistrat parisien Jean Du Tillet (v. note [1], lettre 419).

2.

« Et partant de Poitiers avec quelques certains de ses compagnons, passèrent par […] Fontenay-le-Comte, saluant le docte Tiraqueau… » (Pantagruel, chapitre v, page 230).

André Tiraqueau (1488-1558), jurisconsulte, juge au siège de Fontenay-le-Comte (1512), devint ensuite lieutenant du sénéchal de Poitou et conseiller au Parlement de Paris (1541). En 1532, Rabelais, son ami de jeunesse, lui dédia son édition des lettres médicales de Manardi (Mireille Huchon) :

Io. Manardi Ferrariensis Medici Epistolarum medicinalium Tomus Secundus, nunquam antea in Gallia excusus.

[Second tome des Épîtres médicales de Giovanni Manardi, {a} médecin de Ferrare, jamais précédemment imprimé en France]. {b}


  1. Giovanni Manardi (Jean Manard), mort en 1536, v. note [2], lettre 533.

  2. Lyon, Sébastien Gryphe, 1532, in‑8o de 589 pages, contenant les livres viixii des 20 que compte l’édition complète (v. notes [78], lettre latine 351).

Rabelais a reparlé de Tiraqueau dans le Quart Livre (Prologue, page 525) :

« Voyez ce qu’en a récemment exposé le bon, le docte, le sage, le tant humain, tant débonnaire et équitable And. Tiraqueau, conseiller du grand, victorieux et triomphant roi Henri second de ce nom, en sa très redoutée Cour de Parlement à Paris. » {a}


  1. V. note [60] du Borboniana 9 manuscrit pour les propos de Nicolas Bourbon sur Tiraqueau.

3.

« il souffrait d’un pourrissement du poumon. »

4.

V. note [17], lettre 596, pour le baccalauréat médical parisien de 1660.

5.

Olivier Patru (Paris 1604-ibid. 1681) était le fils d’un procureur au Parlement qui égayait les ennuis de sa charge par l’étude des arts et des lettres, et par des distractions mondaines. Tout en exigeant que son fils suivît des cours de droit, il lui donna le goût des belles-lettres. Reçu licencié en droit et lettres, Olivier partait pour l’Italie où il rencontra Honoré d’Urfé et se lia intimement avec lui. De retour en France, il se fit inscrire au barreau de Paris pour devenir le premier avocat de son temps. L’Académie française l’avait reçu en 1640. Profondément touché de cette haute distinction, Patru « y prononça un fort beau remerciement, dont on demeura si satisfait qu’on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis d’en faire autant » (Paul Pellisson-Fontanier, Histoire de l’Académie française, Paris, 1743, tome premier, page 211). Bien que fort pauvre, Patru se faisait rarement payer ses admirables plaidoiries. Bienfaisant et généreux jusqu’à l’imprudence, il donnait à la première infortune qui s’adressait à lui le peu qu’il recevait de ses clients. Avec l’âge, ses forces s’étaient affaiblies et n’ayant plus la ressource des plaidoyers, il était tombé dans une quasi-misère. Nicolas Boileau-Despréaux, son ami, lui acheta sa bibliothèque sous la seule condition que Patru la conserverait jusqu’à sa mort (G.D.U. xixe s.).

V. note [1], lettre 521, pour la séance de l’Académie française en présence de la reine Christine de Suède, en mars 1658. Vite lassé par les lenteurs du dictionnaire de l’Académie et irrité par sa décision de ne pas utiliser de citations dans ses définitions, Patru s’associa aux lexicographes dont le travail a abouti en 1680 au dictionnaire de César-Pierre Richelet, qui a précédé ceux d’Antoine Furetière (1690) et de l’Académie (1694, v. note [3] du Faux Patiniana II‑7).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 mars 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0597

(Consulté le 25/04/2024)

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