L. 599.  >
À Claude Bachey,
le 24 mars 1660

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre et de l’affection que vous avez pour moi. Je suis bien aise que soyez demeuré dans le bon chemin que je vous ai indiqué. Le séné [2] est bon en toute maladie, nec ullus potest carere[1] mais il n’est pas bon en tout temps. Je vous ai maintes fois dit que, in præscribendo medicamento cathartico, debet ad duo medicus attendere, nempe ad magnitudinem morbi et ad naturam ægrotantis ; per naturam intelligo vires et temperamentum[2][3] Pourvu qu’il soit temps de purger [4] le malade, de quelque tempérament qu’il soit, le séné y est bon, mais il ne suffit pas toujours. C’est pourquoi, après avoir sondé le gué et avoir ouvert les premiers chemins avec un verre de tisane [5] laxative et deux ou trois g[ros de s]éné, on y ajoute par après, à trois gros de séné infusés toute la nuit dans un verre d’eau toute claire ou un verre de décoction de chicorée, [6] une once de sirop de roses pâles [7] ou de fleurs de pêcher. [8] Le séné purge toujours les humeurs crasses et visqueuses, le sirop purge les sérosités ; ainsi ces deux remèdes joints ensemble purgent toute sorte d’humeurs. Quand on veut fortifier et pénétrer, [3] on y ajoute demie drachme de rhubarbe [9] en infusion. Quand on veut humecter, on y met de la casse. [10] Quand on veut purger plus fort, au lieu de casse, on y met deux drachmes de diaprunis [11] solutif ou de diaphenic, [12] ou des tablettes de citron [13] ou de diacartami [14] ou de diapsyllium, [15] quod fit potissimum in hydrope ; sed in diarrhœa, aut affectu dysenterico[4][16] il ne faut qu’un peu de séné, un peu de rhubarbe et même quelquefois, un peu de casse, ad mitigandam acrimoniam seri præterlabentis intestina[5] Le séné ne purge point les sérosités, mais il ouvre les chemins par lesquels après, il s’écoule. Lisez Fernel [17] en sa Méthode, lib. v, cap. x, ubi de sena ; sa Pathologie vaut de l’or, [18] et sa Méthode vaut des diamants. [6][19] Gardez-vous des fourberies et impostures de la chimie : [20] n’usez jamais d’antimoine [21] ni d’opium. [22] Saignez [23] hardiment au commencement des maladies et ne purgez jamais qu’à la fin ; lisez Houllier [24] sur les Aphorismes d’Hippocrate. [7][25] Faites s’il vous plaît, mes recommandations à M. de Salins le cadet. [26] Vale et me amare perge. Tuus ex animo, Guido Patin[8]

De Paris, ce 24e de mars 1660.


a.

Ms BnF no 9357, fo 337, « À Monsieur/ Monsieur Bachey,/ Docteur en Médecine,/ À Beaune ». C’est l’unique lettre en français de Guy Patin à Cl. Bachey qui ait été conservée.

1.

« et personne ne peut s’en passer ».

2.

« pour prescrire un médicament cathartique, le médecin doit porter attention à deux choses, savoir la gravité de la maladie et la nature du malade ; par sa nature, j’entends ses forces et son tempérament. »

3.

Approfondir.

4.

« qui se donne principalement dans l’hydropisie ; mais dans la diarrhée, ou la dysenterie ».

Diapsyllium ne se trouve pas dans les dictionnaires, mais désignait certainement un laxatif « dérivé du » {a} psyllium (Thomas Corneille) :

« petite plante qui croît dans les terres labourables, et dans les fosses sablonneuses. […] À leur cime sont des boutons écaillés et attachés à de longues queues, d’où sortent de petites fleurs lanugineuses, déliées et blanches. Ces boutons renferment une graine dure, noire et semblable à une puce, d’où les Grecs l’ont appelée psullion de psulla, puce, et les Latins, Herba pulicaris. […] Mésué met le psyllium au rang des médicaments qui altèrent en humectant et en rafraîchissant. Les apothicaires s’en servent principalement pour les inflammations {b} et les sécheresses de la langue, tirant le mucilage de sa graine, laquelle amollit et lâche doucement le ventre. »


  1. Un des sens du préfixe grec dia.

  2. V. note [6], lettre latine 412.

5.

« pour adoucir l’aigreur de la sérosité qui s’échappe des intestins. »

6.

Le chapitre « où il est question du séné » dans la Méthode ou Thérapeutique universelle de Jean Fernel (édition française de Paris, 1655, v. note [1], lettre 36) est le xe du livre v ; intitulé Des Médicaments qui ôtent la bile noire, lesquels à cause de cela on appelle mélanagogues, plus de la moitié en est consacrée au séné (pages 369‑370) :

« Le séné, chaud et sec au commencement du second degré, plus excellent en ses gousses qu’en sa semence ou en sa feuille, est un peu amer et astringent, purge parfaitement bien la mélancholie aduste, {a} la bile et la pituite grossière, non pas incontinent des lieux éloignés, mais particulièrement de la rate, puis aussi des autres viscères, des hypocondres et du mésentère, dans lesquels est l’égout de toutes les impuretés ; car à peine se trouve-t-il de médicament qui attire avec tant d’efficace de ces endroits-là les humeurs grossières et corrompues, ou évacue les tumeurs endurcies, ou qui en se glissant dans les veines déliées, ouvre si bien leurs vieilles obstructions ; et toutefois, il ne saurait ôter les eaux des hydropiques, encore qu’elles soient fort proches. Il est uniquement profitable aux maladies longues et lentes, engendrées par l’impureté des viscères ou par une vieille obstruction, comme fièvres lentes et invétérées, mélancholie, épilepsie, gale, dartres, taches du corps, lèpre, et enfin toute sorte d’impureté. Il aiguise aussi les sens, réjouit le cœur, se rendant quelquefois importun par des tranchées, non pas à cause qu’il excite des flatuosités, mais parce que les humeurs qui sont fortement attachées et ordinairement âcres, ne se peuvent arracher sans douleur. On n’a pourtant jamais remarqué qu’il ait ou raclé les intestins ou provoqué le sang : il purge doucement mais lentement, sans avoir aucune qualité dangereuse, sinon qu’il est un peu fâcheux à l’estomac. Il est utile aux jeunes garçons et aux vieillards, et n’est pas nuisible aux femmes enceintes. Il faut le mêler avec des choses qui fortifient l’estomac et qui aiguillonnent sa vertu, laquelle est un peu paresseuse, comme gingembre, cannelle ou spica, et avec celles qui purgent doucement et sans tranchées, comme sont bouillons gras, prunes, jujubes, {b} raisins cuits, violettes, guimauves, polypodes, {c} et les sirops qui en sont composés. En poudre on le donne jusqu’à deux drachmes, et en décoction depuis trois drachmes jusqu’à six. Étant délayé de demi-once jusqu’à une once. » {d}


  1. V. note [18], lettre 509.

  2. V. note [7], lettre latine 88.

  3. Le polypode est une sorte de petite fougère dont la racine est « laxative, propre pour emporter les obstructions des viscères, pour le scorbut, pour l’affection hypocondriaque » (Trévoux).

  4. À vrai dire, tout cela ne permet guère d’éclaircir entièrement ce que Guy Patin expliquait ici sur le mode d’action de son purgatif favori : il semblait penser que le séné, absorbé par voie orale et après qu’il a pénétré dans le corps, s’en écoule par les intestins pour y exercer son effet.

7.

V. note [12], lettre 503, pour le commentaire de Jacques Houllier sur les Aphorismes d’Hippocrate.

8.

« Vale, et continuez de m’aimer. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude Bachey, le 24 mars 1660

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(Consulté le 24/04/2024)

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