L. 629.  >
À André Falconet,
le 17 août 1660

Monsieur, [a][1]

Je vous ai mandé par ci-devant comment Noël Falconet [2] a fort bien répondu, et comment M. l’archevêque [3] et M. l’évêque de Chartres [4][5][6][7] y ont assisté. [1] Il a témoigné beaucoup d’esprit et beaucoup de jugement. Cela me fait espérer qu’il sera un jour très bon médecin et digne fils de son digne père : Virtus filii gloria patris. Damnata fuit laqueo infelix obstetrix et suffocata [2][8][9][10] en belle compagnie à la Croix du Trahoir. [11][12] On dit que l’entrée du roi [13] se fera le jeudi 26e d’août. On nous a rendu la planche de la thèse, je l’ai céans. Pour l’impression, le papier, pour le tireur en taille-douce, pour le doreur, pour l’afficheur, pour les droits du portier, pour le tapissier, etc., j’ai délivré à l’imprimeur nommé Julien, [3][14] en présence et du consentement de M. Le Sanier, [15] la somme de 135 livressols, dont j’ai céans les parties signées du dit Julien et de M. Le Sanier, lesquelles je suis prêt de vous envoyer. Pro διδακτρον domini præceptoris[4] je suis d’avis de l’aller voir demain avec Noël Falconet et lui donner de votre part 10 louis d’or. Je crois qu’on doit encore quelque chose au répétiteur, je verrai ce que M. Le Sanier m’en dira, et re cognita illi homini faciam satis[5] Le cardinal Mazarin [16] se trouva hier mal, il fallut le recoucher et il fut saigné ; [17] eius est videre ne proximus Autumnus infirmam et pertinacem valetudinem fortiter tentet, de quo viderint tanti et tot Æsculapii[6] Lundi prochain, Noël Falconet commencera d’étudier en médecine. Je suis d’avis qu’il commence par les Compendia de M. Riolan [18] le père, qui est au-devant de ses œuvres, avec l’Encheiridium du fils in‑8o[19] un Perdulcis[20] un Fernel[21] Anthropographia Riolani in‑fo[22] Hollerius in Aphorismos Hippocratis in‑8o[23] Institutiones Medicæ Hofmanni[24] Riolanus pater in Fernelii libros physiologicos et de abditis rerum causis, cum aliis paucis ; [7] en voilà assez pour bien commencer. Il m’a promis d’avoir un cahier de médecine dans lequel il écrira tous les jours quelque chose, et moi je lui ai promis de bonne foi de lui fournir ce que je sais de meilleur. S’il me veut croire, il sera bien savant dans un an.

Ce lundi 16e d’août. Ce matin, j’ai été voir M. Le Sanier auquel j’ai délivré, en présence de Noël Falconet, 10 louis d’or, dont il m’a promis de vous écrire pour vous remercier.

Ce mardi 17e d’août. Un honnête homme des premiers de sa robe m’a dit aujourd’hui que dans peu de temps nous aurons de bonnes nouvelles. Quelques-uns croient que c’est qu’on parle du cardinal de Retz. [25] Bien que le cardinal Mazarin se porte mieux, on ne laisse pas de songer qui serait celui qui pourra attraper sa place. On parle fort de quatre, savoir M. le maréchal de Villeroy, [26] M. Le Tellier, [27] M. Fouquet, [28] surintendant des finances, et le seigneur Ondedei, évêque de Fréjus. [29] J’aimerais mieux le cardinal de Retz que tout cela, mais je n’en serai pas cru, neque res istæc mei futura est arbitrii ; [8] aussi les jésuites [30] s’opposent-ils à ce dernier plus qu’à pas un, et s’il n’a un très fort et très puissant archange qui puisse renverser toute cette noire légion, j’entends cette forte machine qui étend ses bras jusqu’à la Chine[9][31] je ne pense pas qu’il puisse parvenir. Néanmoins, Dieu est sur tout, qui se sert de telles gens qu’il veut pour le gouvernement des états. Job [32] a dit en quelque endroit Propter peccata populorum Deus sinit regnare tyranum[10][33] et je me souviens d’avoir vu un Hollandais qui disait in sensu non admodum dispari[11] et même portait pour sa devise Sapientia Dei et stultitia hominum gubernant mundum[12] Ce qui est de bon est que nous avons un très bon roi qui a d’excellentes inclinations ; plaise à Dieu qu’on ne les lui corrompe pas ! J’ai donné 18 francs au répétiteur suivant le conseil de M. Le Sanier. Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris ce 17e d’août 1660.


a.

Bulderen, no cxcv (tome ii, pages 97‑100) ; Reveillé-Parise, no dxxvii (tome iii, pages 249‑251).

1.

Ferdinand de Neufville (mort en 1690), frère cadet de Camille, le comte archevêque de Lyon, avait été nommé évêque de Chartres en 1657 (Gallia Christiana).

2.

« La vertu du fils est la gloire du père. L’infortunée sage-femme a été condamnée à la corde et pendue ».

Selon Auguste Arnould (La Constantin, pages 307‑309, v. note [7], lettre 621), le chirurgien Perregaud, son complice, accompagna la dame Constantin dans la condamnation à :

« être “ pendus et étranglés à une potence plantée pour cet effet au carrefour de la Croix du Trahoir, {a} leurs corps morts y demeurer vingt-quatre heures puis portés au gibet de Paris, etc. ” Il fut constaté qu’ils avaient amassé tous deux des sommes énormes dans cet infâme métier. On découvrit par des notes éparses dans des registres saisis chez eux, des scandales et des désordres tels que pour ne pas compromettre un grand nombre de personnages haut placés, on borna l’accusation au double empoisonnement d’Angélique de Guerchy et de Charlotte Boullenois ».


  1. V. note [5], lettre 39.

3.

Jean Julien, libraire et imprimeur-juré de l’Université, avait été reçu dans la Communauté en 1649. Il exerça jusqu’en 1660 au moins rue de la Harpe, aux Quatre Évangélistes, proche le Collège d’Harcourt (Renouard). Le nom de Julien n’a pas aidé à mettre la main sur la thèse de Noël Falconet.

4.

« Pour les honoraires du maître précepteur ».

5.

« et quand cet homme nous l’aura fait connaître, je ferai le nécessaire. » Guy Patin établissait la liste de tous les frais engagés pour la préparation, l’impression et la soutenance de la thèse de philosophie de Noël Falconet, sans rien compter pour le gîte et le couvert qu’il avait offerts à l’étudiant pendant près de deux ans.

6.

« c’est prendre des précautions pour que l’automne prochain n’attaque violemment sa santé, qui est faible mais qui tient encore bon, sur laquelle veillent tant et de si grands esculapes [v. note [5], lettre 551]. »

7.

« Riolan le père sur les livres physiologiques de Jean Fernel et sur son traité des Causes cachées des choses, avec quelques autres opuscules ».

Aux ouvrages précédemment cités (v. note [14], lettre 628) des Riolan, père (Jean i) et fils, s’ajoutaient :

Toutes ces références fondamentales de la médecine orthodoxe du temps, le Credo de Guy Patin, sont maintes fois citées dans ses lettres.

8.

« et ça n’est pas moi qui arbitrerai cette affaire ».

V. note [1], lettre 633, pour le retour du cardinal de Retz qui alimentait les rumeurs du moment. Nul ne pouvait se douter alors que Louis xiv ne désignerait pas de successeur au cardinal Mazarin comme principal ministre.

9.

La Compagnie de Jésus, v. note [46], lettre 99.

10.

« À cause des péchés des peuples, Dieu a permis que règne un tyran », déformation de Job (34:30) :

[Deus] qui regnare facit hominem hypocritam propter peccata populi.

[(Dieu) qui a fait régner un homme hypocrite à cause des péchés du peuple].

11.

« ne pas être tout à fait opposé à ce sentiment ».

12.

« Sagesse de Dieu et folie des hommes gouvernent le monde » (sans source identifiée).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 août 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0629

(Consulté le 28/03/2024)

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