L. 639.  >
À André Falconet,
le 24 septembre 1660

Monsieur, [a][1]

M. Fabert [2] m’a visité ce matin. Il est premier échevin de Metz [3][4] et frère du maréchal de Fabert, [5] gouverneur de Sedan. [6] Il y a plus de 25 ans que je suis son médecin. Eius uxor vocatur Magdalena Foesia[1][7][8] je l’ai autrefois traitée ici fort malade ; elle est fille de François de Foës, [9] savant médecin de Metz, et petite-fille de M. Anuce de Foës [10] cui debemus Hippocratem cum commentariis, ac eius Œconomiam[2][11] Il m’a dit que le roi [12] partira samedi prochain pour Compiègne [13] et que, l’année qui vient, il ira à Nancy, [14] Metz et autres villes de par delà, mais que ceux de Metz doivent appréhender que ce voyage ne leur coûte quelque chose ; devinez le reste. [3] M. Morange [15] vient de sortir de céans pour me dire adieu, c’est un honnête homme, bien fait et qui a bon esprit. Je rencontrai hier votre M. Gras, [16] il est fait comme un rabbin de la vieille Loi, c’est toujours lui-même. Noël Falconet [17] a vu faire la perforation du scrotum pour l’hydrocèle [18] du petit Renaud François, fils de l’hôte chez qui était logé votre joaillier, M. Simonet ; [19] quand vous le verrez, vous m’obligerez de lui faire mes recommandations. Nous sommes députés, M. Blondel [20] et moi, pour examiner et voir opérer ceux qui doivent tailler [21] de la pierre dans l’Hôtel-Dieu. [22] Je n’y irai point pour l’opération que je n’y mène notre jeune homme, qui aura toujours occasion d’apprendre quelque chose ; cette opération sera plus difficile que celle de l’hydrocèle. Je ne doute point que ce ne soit M. le premier président [23] qui m’y ait nommé. Je crois que vous avez entendu parler d’une Histoire que l’on vend ici en trois volumes in‑fo du cardinal de Richelieu [24] faite par M. Aubery. [25] Le libraire la veut vendre 50 livres reliée, c’est trop cher ; mais les libraires sont insolents et abusent des gens de lettres ; on la va imprimer in‑4o, elle sera à meilleur marché. [4] On parle ici du voyage du roi pour l’an prochain en Bretagne et en Normandie, c’est-à-dire que l’on cherche toutes sortes de moyens de le divertir car on dit qu’il devient mélancolique. [5][26] Noël Falconet étudie fortement, la diversité des matières de médecine le réjouit. Je l’ai entretenu aujourd’hui d’un homme qu’il connaît, qui a été jusqu’à l’apoplexie [27] exclusive ; pourtant, propter nimiam plenitudinem cerebri, adorat balbuties et aphonia ; tandem levatus et liberatus per quinquies repetitam venæ sectionem [6] en 24 heures ; sur quoi je lui ai fait lire le chapitre de Apoplexia dans la Pratique de M. Riolan [28] le père. [7] Je vous baise les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 24e de septembre 1660.


a.

Bulderen, no cciii (tome ii, pages 120‑122).

1.

« Sa femme s’appelle Madeleine Foës ».

Natif de Metz, François-Abraham de Fabert (mort en 1663), frère cadet du maréchal (prénommé Abraham, v. note [15], lettre 357), avait aussi suivi la carrière des armes. Remarqué aux sièges de Montauban, de La Rochelle, de Nancy, de Trèves, il avait reçu de Louis xiv le cordon de Saint-Michel. Il s’était ensuite retiré dans sa ville natale où il remplissait depuis 1659 les fonctions de maître échevin (G.D.U. xixe s).

2.

« à qui nous devons un Hippocrate avec des commentaires, et son Économie » : les deux grands ouvrages d’Anuce Foës (mort en 1595, v. note [23], lettre 7) sur Hippocrate sont ses Opera omnia [Œuvres complètes] (v. note [41], lettre 396) et l’Œconomia Hippocratis [Lexique hippocratique] (v. note [23], lettre 7).

Guy Patin avait signalé la mort d’un fils médecin de François Foës, lui-même fils d’Anuce, dans sa lettre à Charles Spon datée du 8 juin 1655 (v. sa note [2]). Sans y croire, j’ai respecté la particule que les éditeurs de la lettre imprimée ont cru bon d’attacher au nom des descendants de Foës.

3.

La maladie et la mort de Mazarin firent reporter ce voyage royal de Lorraine en août-septembre 1663.

4.

V. notes [6], lettre 638, pour l’opération de l’hydrocèle et [6], lettre de Charles Spon datée du 15 mai 1657, pour l’Histoire de Richelieu par Antoine Aubery.

5.

Cet autre voyage du roi en Bretagne eut bien lieu en août-septembre 1661, non pas pour le désennuyer, mais pour faire arrêter Nicolas Fouquet.

6.

« à cause d’une plénitude excessive du cerveau, il s’exprimait par balbutiements et souffrait d’aphasie ; enfin, il fut soulagé et libéré par la saignée répétée cinq fois ». L’adjectif exclusive est sans doute à prendre pour qualifier ce qui isole du monde, qui suspend les sens. Le latin de Guy Patin nous apprend en effet ici qu’il y avait aphasie (suspension plus ou moins complète du langage). De tels accidents (apoplexies), dus à une hémorragie ou à une suspension de la circulation sanguine (ischémie) du cerveau, peuvent se résoudre spontanément et entièrement : quand la durée du déficit est inférieure à 24 heures, comme dans le cas décrit ici, on parle d’attaque ischémique transitoire ; le malade avait donc dû son salut à la bonne nature plutôt qu’aux cinq saignées prescrites par son médecin.

7.

La Pratique de Jean i Riolan est sa Methodus medendi… [Méthode pour remédier…] (Paris, 1598, v. note [5], lettre 116). Dans ses Opera omnia [Œuvres complètes] (Paris, 1610, v. note [9], lettre 22), le chapitre De Apoplexia [L’Apoplexie] (revu et augmenté) correspond au xiie du livre ii (première section de la Méthode particulière, page 427). Riolan y distingue deux sortes d’apoplexie (v. note [5], lettre 45), sanguine et pituiteuse :

Sed cur tam studiose apoplexia sanguinea a pituitosa disdingui debet ? quia in sanguina unicum et singulare remedium a phlebotomia expectandum est, incidenda mox, etiam non iniecto enemate, utraque cephalica, deinde venæ frontis, et temporum : jugulares aussi sunt quidam secare pro extremo remedio. In pituitosa licet-ne venam aperire ? non videtur, ne cerebrum privatione sanguinis magis magisque refrigescat […]. Propterea Ætius : phlebotomia, inquit, aut apoplecticos servat, aut cito perimit : servat si fuerit sanguinea, perimit si pituitosa. Et Celsus, si a venæ sectione non redeant apoplecticis sensus, motus, mens, vox aut spiratio liberior, desperatum est, nihilque ab alijs auxilijs sperandum : verum si venæ sectione aliquantum levatus videatur, iteretur.

[Mais pourquoi doit-on si soigneusement distinguer l’apoplexie sanguine de la pituiteuse ? Parce que dans la sanguine la saignée est le seul et unique remède dont on puisse espérer un effet. Il faut la pratiquer sans perdre de temps, pas même pour un lavement, au niveau des deux veines céphaliques {a} et ensuite, des veines du front et des tempes. En ultime recours, certains se sont osés à saigner les jugulaires. Ne peut-on pas se permettre de saigner dans l’apoplexie pituiteuse ? Il semble qu’il ne le faille pas, pour éviter que la soustraction de sang ne refroidisse de plus en plus le cerveau […]. C’est pourquoi Aétius a dit que la phlébotomie soit sauve, soit achève rapidement les apoplectiques : elle les sauve si l’apoplexie est sanguine, elle les achève si elle est pituiteuse. Pour Celse, le cas est désespéré si la saignée ne fait pas recouvrer le sens, le mouvement, la parole ou la respiration aux apoplectiques, il n’y a alors rien à attendre des autres secours ; mais s’ils en tirent le moindre profit, alors il faut répéter la phlébotomie]. {b}


  1. Aux bras.

  2. V. notes [4], lettre de Charles Spon, datée du 21 novembre 1656, pour Aétius, et [13], lettre 99, pour Celse.

La distinction conserve un sens aujourd’hui si on assimile l’apoplexie pituiteuse à l’infarctus ou ramollissement cérébral, par arrêt prolongé de l’irrigation sanguine d’une partie du cerveau, et l’apoplexie sanguine à l’hémorragie cérébrale, par rupture d’un vaisseau.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 24 septembre 1660

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(Consulté le 25/04/2024)

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