L. 649.  >
À André Falconet,
le 9 novembre 1660

Monsieur, [a][1]

Je vous ai écrit par la voie de M. Langlois. [2] Vous y trouverez deux chapitres de ma vespérie, [3][4] de la main de Noël Falconet [5] qui assiste soigneusement à la dissection [6] d’un corps tué dans les marais du Temple ; [7] on dit que c’est d’un de ceux qui tuèrent le pauvre chevalier de Montrevel [8] il y a trois ans, et qui était un des domestiques de feu M. de Candale [9] qui mourut à Lyon. [1]

Enfin M. Blondel [10] est encore doyen, non seulement malgré lui et ses ennemis, mais ses amis aussi. Nous avons été assemblés ce matin, il a remercié la Compagnie, et a demandé qu’on lui donnât un successeur. Cinq électeurs ont été nommés qui, après avoir prêté serment, se sont assemblés et sont convenus qu’il fallait pour le bien de nos affaires le continuer. Leur rapport étant fait, la plupart, voire même toute la Compagnie a été de cet avis ; nous étions environ 80. Néanmoins, il s’en est trouvé quatre qui s’y sont opposés, qui sont des plus chétifs de la troupe, savoir Saint-Jacques, [11] Mauvillain [12] et les deux Denyau. [13][14] Cela a mis la division dans toute l’affaire et re infecta discessimus[2] Ainsi il demeurera doyen puisqu’il a les mains garnies jusqu’à ce que le Parlement en ait autrement ordonné. [3]

La reine d’Angleterre [15] arrive aujourd’hui à Calais [16] où son fils, le duc d’York, [17] vient au-devant d’elle. La penderie continue à Londres, il y en a déjà eu dix d’exécutés ; les deux derniers ont été les deux colonels qui avaient eu charge du Parlement de faire faire l’exécution du feu roi. Tous ces criminels sont d’étranges gens quos non pœnitet quidquam nec facti nec mortis[4] ce sont des martyrs d’État et du temps ; il me semble qu’il faut être bien infatué. Je pense que cela n’appartient qu’à cette nation qui a quelque chose de particulier plus que les autres : sunt sævi, feroces et ferini, ideoque pene fatui[5]

M. Ménage [18] m’a dit aujourd’hui que le cardinal Mazarin [19] se porte mieux. Le roi [20] a été saigné [21] trois fois cette semaine pour une diarrhée bilieuse. [6][22] On dit que le roi d’Angleterre [23] veut bien donner sa sœur [24] en mariage à M. le duc d’Anjou, [25] mais qu’il y a déjà bien de la jalousie. [7]

Il y a un honnête homme à Grenoble, nommé M. Salvaing de Boissieu, [26] premier président de la Chambre des comptes de Grenoble. Il a fait un livre latin des Raretés et choses miraculeuses de la province de Dauphiné[27] J’apprends que le livre est en latin in‑8o, et je crois même qu’il y a dans le titre Septem miracula Delphinatus. Si vous avez quelque libraire à Lyon qui trafique à Grenoble, faites-moi le bien de m’en acheter deux exemplaires et de me les envoyer par la voie de M. Troisdames. [28] Il y a là-dedans quelque chose de la Manne de Briançon [29] que j’ai bien envie de voir. [8] Nos libraires de Paris sont si peu curieux qu’ils ne savent ce que c’est, tant ils traitent mal les libraires étrangers. Si vous n’en trouvez des nouvelles aisément, M. Ravaud [30] pourra vous les faire venir aisément de Grenoble.

Le cardinal Mazarin se porte mieux, et le roi pareillement. Sa Majesté a fait défense que personne n’ait à faire aucun bâtiment d’ici à dix lieues à la ronde. On dit que c’est pour faire quatre grands ateliers d’ouvriers aux maisons royales qu’il veut faire rebâtir ou achever, telles que sont le Louvre, [31] Saint-Germain-en-Laye, [32] le Bois de Vincennes, [33] etc. La reine Christine de Suède [34] est enfin entrée dans Stockholm, [35] la capitale du royaume, et y a été bien reçue. On dit qu’elle y brigue la qualité de tutrice du petit roi, qui n’est que fils de son petit-cousin. [9][36]

Je ne sais rien des nouvelles de notre doyen, sinon qu’il n’y a rien d’avancé, ni pour, ni contre, à cause de l’absence de MM. le premier président [37] et l’avocat général Talon. [38] J’apprends seulement que vers la fin de la semaine, il y aura une assemblée de notre Faculté pour cette affaire, sur ce que M. Blondel même ne veut point être continué, appréhendant d’avoir encore une fois autant de peine qu’il a eue depuis deux ans. Et en attendant, voilà ma vespérie reculée pour quelques semaines, voilà le scandale que font les fous dans les compagnies. Je viens d’emprunter le livre des Miracles du Dauphiné de M. Mentel, [39] notre collègue à qui l’auteur même l’a envoyé ; en voici le vrai titre : Septem miracula Delphinatus, ad Christinam Alexandram, serenissimam Suedorum, etc. Gratianopoli apud Philippum Charvys bibliopolam et typographum regium in foro Mali Consilii, 1656 ; [10] ce n’est qu’un petit livre in‑8o, je vous supplie de m’en faire avoir quatre exemplaires. Aimez-moi toujours, s’il vous plaît, et croyez que je suis toute ma vie votre, etc.

De Paris, ce 9e de novembre 1660, la veille et surveille des Pithœgia veterum paganorum[11]


a.

Bulderen, no ccxiv (tome ii, pages 151‑154) ; Reveillé-Parise, no dxliii (tome iii, pages 286‑288).

1.

V. notes :

2.

« et nous nous sommes désunis sur cette périlleuse question. »

La Faculté de médecine n’était pas encore remise de la scission qu’avait provoquée en son sein l’acerbe dispute entre son doyen, François Blondel, et Jean iii Des Gorris, à qui il refusait la dignité d’ancien pour cause de religion (v. notes [5], lettre 606, et [6], lettre 632). Suivant scrupuleusement les statuts, Blondel (doyen élu le 2 novembre 1658 et renouvelé pour une année le 8 novembre 1659) convoqua la Compagnie le 6 novembre 1660, premier samedi suivant la Toussaint, en vue de procéder, après la messe, à l’élection de son successeur ; mais les choses ne suivirent pas leur cours ordinaire, comme en atteste l’Arrêt de la Cour de parlement pour Me François Blondel, doyen de la Faculté de médecine, portant décharge des fonctions de doyen et d’ancien maître, et l’élection d’un autre (transcrit dans les Comment. F.M.P., tome xiv, pages 559‑561) :

« Néanmoins, selon la coutume et pour satisfaire à l’article 61e desdits statuts, < la Faculté > avait continué ladite charge audit suppliant, {a} laquelle il avait exercée jusqu’au 6e novembre dernier ; auquel jour, ayant fait assembler la Faculté selon les statuts et en la forme ordinaire pratiquée de tout temps pour faire une nouvelle élection d’un doyen et des professeurs, et à ce sujet icelui suppliant comme doyen ayant tiré au sort pour électeurs Mes Robert Tullouë, Antoine Charpentier, Michel Marès, Pierre Perreau et François Landrieu, lesquels après serment d’eux pris se seraient retirés à part en la chapelle pour délibérer sur l’élection desdits doyen et professeurs ; et après, étant retournés en l’assemblée, auraient proposé à la Faculté qu’il lui plût délibérer, avant que procéder à l’élection d’un doyen, s’il n’était pas plus expédient pour le bien de la Faculté en les présentes affaires d’icelle, que ledit suppliant, comme il s’était plusieurs fois pratiqué en pareille rencontre, fût prié de vouloir continuer l’exercice et fonction de doyen qu’il a fait ci-devant, ayant presque terminé et mis à chef {b} les plus grandes et pénibles affaires de la Faculté, et rétabli la discipline des Écoles. Laquelle proposition étant suivie du commun consentement de la Faculté assemblée en grand nombre, {c} à la réserve de quelques particuliers {d} et du suppliant, qui aurait ouvertement et à haute voix réclamé plusieurs fois, et nonobstant, n’aurait pu venir à bout d’une nouvelle élection de doyen, mais été contraint de procéder à l’élection des professeurs en médecine, pharmacie, chirurgie et botanique, selon qu’il est de coutume, et ensuite de leur faire faire le serment ordinaire. Ce qu’étant fait, la Compagnie se serait levée sans vouloir permettre qu’on procédât à une nouvelle élection ; et ainsi, ledit suppliant < se serait > obligé, pour éviter les désordres qui s’en seraient ensuivis, < à > maintenir la discipline des Écoles et < à > ne laisser députer les affaires de la Faculté à lui commises, < à > exercer pour quelques jours les fonctions les plus pressantes et pour lesquelles, suivant les statuts, ne doit être aucunement différé, espérant qu’un peu de temps pourrait faire changer cette résolution de la Compagnie de décharger le suppliant de cet emploi par l’élection d’un autre doyen. À ces causes requérait le suppliant être ordonné qu’au premier jour de samedi prochain nouvelle assemblée serait faite aux Écoles pour ledit suppliant, et par lui indiquée dans le billet exprès, pour y être par les susdits électeurs, ou autres à leur refus, procédé à l’élection d’un autre doyen suivant la forme ordonnée par les statuts ; sinon, que le suppliant serait valablement déchargé tant de ladite fonction de doyen, comme aussi de l’ancien maître de ladite Faculté, laquelle lui avait été commise en ladite qualité de doyen par arrêt de ladite cour du 3e mars dernier. < Et ce à condition > que les docteurs de ladite Faculté fussent tenus entrer auxdites assemblées avec la soutane et robe, et de dire leur avis par ordre de rang de réception, à peine d’amende contre les contrevenants applicable partie à la chapelle, {e} partie à l’Hôpital général. […] La Cour a ordonné et ordonne qu’après la déclaration dudit Blondel de ne vouloir plus faire la charge de doyen, nouvelle assemblée sera faite aux Écoles de médecine le samedi 18e du présent mois de décembre assigné par ledit Blondel, pour y être par lesdits électeurs, ou autres en cas d’absence ou refus d’aucuns d’iceux, par d’autres qui seront élus en la manière accoutumée à l’heure même sans déplacer, < pour > procéder à l’élection d’un autre doyen suivant la forme ordonnée par les statuts ; autrement et à faute de ce faire, demeurera ledit Blondel déchargé de ladite fonction de doyen et aussi de celle d’ancien maître de la Faculté à lui commise par arrêt du 3 mars dernier ; et les docteurs assistant à ladite assemblée se comporteront modestement en icelle et seront en habit décent. Fait en Parlement le 5e décembre 1660. Signé du Tillet. »


  1. Blondel.

  2. Achevé.

  3. 93 docteurs régents présents.

  4. Notamment Philippe Hardouin de Saint-Jacques, Armand-Jean de Mauvillain, Mathurin Denyau et son fils Alexandre-Michel (v. note [8], lettre 983).

  5. Chapelle de la Faculté.

3.

Résultat de cette trouble affaire, la liste des docteurs régents dressée le 18 novembre 1660 (Comment. F.M.P., tome xiv, page 549) est exceptionnelle en ce que le nom de François Blondel y figure deux fois :

4.

« dont nul ne déplore le sort ni la mort ».

Déjà évoquées dans la précédente lettre à André Falconet (v. sa note [6]), les exécutions des dix régicides eurent lieu à Londres entre le 23 et le 29 octobre. Les derniers à être pendus puis taillés en pièces, à Tyburn, le 29 octobre, furent les colonels Daniel Axtel et Francis Hacker. Dix-neuf autres furent condamnés à la prison perpétuelle (Plant).

5.

« ce sont des barbares, impétueux et sauvages, et par conséquent presque insensés. »

6.

Antoine Vallot (Journal de la santé du roi) :

« Et durant la présente année, je n’ai remarqué aucune incommodité considérable […], sinon que le 21e d’octobre, le roi étant allé à Versailles pour divertir la reine à la chasse, se trouva un peu faible et dégoûté ; ce qui l’obligea de retourner à Paris où il tomba malade le jour de la Toussaint, et incommodé d’une dysenterie qui, à la vérité, fut légère et promptement apaisée par une seule saignée, plusieurs lavements, selon ma méthode ordinaire, c’est-à-dire avec l’huile et l’eau rose {a} dans une décoction de graine de lin, de bouillon blanc, mauve et guimauve. L’on s’est pareillement servi d’injections {b} d’eau de rose, mucilage de psyllium {c} et de lin. À la fin, le roi fut purgé avec son bouillon ordinaire. Et par ces remèdes, il s’est vu délivré de cette incommodité plus tôt et plus facilement qu’il n’espérait. »


  1. V. note [29], lettre 242.

  2. Clystères.

  3. V. note [4], lettre 599.

7.

V. note [8], lettre 635, pour le mariage de Philippe d’Orléans, frère de Louis xiv, avec Henriette-Anne d’Angleterre, sœur de Charles ii.

8.

V. note [6], lettre 539, pour la seconde édition (Grenoble, 1656) des « Sept merveilles du Dauphiné » de Denys Salvaing de Boissieu, avec la silve sur la manne de Briançon (v. note [22] de la leçon de Guy Patin sur la manne).

9.

Ayant quitté Rome à la mi-juillet 1660, la reine Christine avait débarqué en Suède le 27 septembre, à Helsinborg, pour la première fois depuis son abdication (1654). Parvenue à Stockholm le 12 octobre, elle y fut reçue avec hostilité en raison de son abandon de la Couronne, et plus encore, de sa conversion à la religion catholique. En outre, Christine couvait l’espoir de redevenir reine pendant la minorité de Charles xi, alors âgé de 5 ans (v. note [16], lettre 603). Les états généraux la contraignirent à renoncer définitivement et perpétuellement au trône, et la mort dans l’âme, elle quitta le sol suédois en avril 1661 pour n’y plus jamais revenir (Quilliet).

10.

« Sept merveilles de Dauphiné, à l’intention de Christine Alexandra, sérénissime des Suédois, etc. À Grenoble, chez Philippe Charvys libraire et typographe royal, sur la place de Mauconseil, 1656 » (v. supra note [8]).

11.

« Pithœgies [fêtes du vin nouveau, v. note [10], lettre 342] des anciens païens ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 9 novembre 1660

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(Consulté le 28/03/2024)

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