L. 652.  >
À André Falconet,
le 19 novembre 1660

Monsieur, [a][1]

Le cardinal Mazarin [2] se porte mieux, en voulez-vous une marque certaine ? c’est qu’on ne parle plus ici que d’impôts [3] et de subsides. Lundi prochain se feront les harangues au Parlement et deux jours après la mercuriale. [1][4] Ces Messieurs songent à faire des assemblées pour résoudre de quelle manière ils feront leurs remontrances au roi, en le priant de diminuer les tailles [5] de toute la campagne puisque la paix est faite. [6] J’attends un beau livre de Hollande in‑4o qui sera intitulé Epistolæ eruditorum aliquot virorum[2] Aujourd’hui, nos Écoles ouvertes, le premier acte du cours s’y est fait, decanum agente Mag. Fr. Blondel sub moderamine inculpatæ tutelæ[3][7] Les autres ont présenté requête sur laquelle a été mis Viennent les parties et en attendant, que M. Blondel continue ; si bien que c’est affaire aux autres à poursuivre, ce que je crois qu’ils ne manqueront pas de faire ; et en attendant la décision du procès, j’ai choisi mercredi pour faire ma vespérie. [4][8][9] On dit ici beaucoup de choses du temps à venir, et du mal que nous aurons et que je n’oserais écrire. Toutes nos villes voisines ne se plaignent que de nouveaux impôts [10] et de vilaines persécutions, dont personne ne s’était ci-devant avisé. On parle ici du mariage de Mademoiselle [11] avec le duc de Savoie, [5][12] et de l’autre sœur du second lit [13] avec le fils aîné du duc de Florence. [6][14][15] Son Éminence est au Bois de Vincennes [16] où il a vidé une pierre ; [17] on dit que ses hémorroïdes [18] le tourmentent, Mali corvi malum ovum et progerminata viscerum male habentium[7] Si le peu de nouvelles nous continue, je ne vous écrirai plus si souvent car tout ce que l’on dit ici ne vaut pas la peine de vous rompre la tête. J’aime mieux vous dire simplement, à mon ordinaire, que je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e de novembre 1660.


a.

Bulderen, no ccxvii (tome ii, pages 160‑161).

1.

« Lundi prochain » correspondait au 22 novembre, et la mercuriale du Parlement de Paris (v. note [6], lettre 252) allait avoir lieu le mercredi 24.

2.

V. note [2], lettre 657, pour les « Lettres de quelques savants » (Amsterdam, 1660).

3.

« Me François Blondel assumant la charge de doyen dans le souci d’un exercice modéré de son pouvoir » : en droit romain, le moderamen inculpatæ tutelæ modère les abus dans l’exercice du pouvoir légitimement détenu par un tuteur sur un bien ou sur des personnes.

Malgré la tourmente qui secouait la Faculté, obligeant le doyen Blondel à demeurer en charge (v. note [2], lettre 649), les professeurs avaient été élus et les actes pouvaient commencer.

4.

V. note [16], lettre 642, pour la vespérie de Charles de Laval présidé par Guy Patin le 24 novembre.

5.

Dans ses Mémoires (deuxième partie, chapitre iv, page 501), la grande Mademoiselle, Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, fille aînée (du premier lit) de Monsieur Gaston, a évoqué sans grand enthousiasme ce projet de la marier avec Charles-Emmanuel ii de Savoie : {a}

« M. le cardinal me vint voir un jour et me dit : “ J’ai des nouvelles de Savoie, que M. de Savoie a la dernière passion de vous épouser, que Madame Royale {b} commence un peu à y être moins contraire, et quand elle verra le roi le souhaiter et que je répondrai de vous, l’affaire ira bien ; car c’est une femme qui ne marierait jamais son fils, si elle pouvait. Ce n’est point qu’elle ait plus d’aversion pour vous que pour une autre. Au contraire, elle est glorieuse, elle voudra tout ce qui est le plus élevé quand elle pourra prendre une résolution ; et son fils est tout disposé à se révolter si elle ne veut votre affaire. Écrivez-lui toujours honnêtement, et les choses se font quand on y songe le moins. ” Je le remerciai fort. Des moments, je me voulais bien marier ; d’autres, je ne m’en souciais pas ; mais j’étais bien aise que l’on en parlât et que l’on connût dans le monde que l’on ne me négligeait pas, que l’on eût soin de mon établissement ; mais au fait au {c} prendre je ne sais, si la chose eût été prête à se conduire, si je l’aurais voulue. J’étais bien aise, quand je parlais à M. le cardinal, d’avoir quelquefois à lui reprocher que l’on ne songeait pas à mon établissement. » {d}


  1. V. note [10], lettre 354.

  2. Sa mère.

  3. Quant au parti à.

  4. Ce mariage ne se conclut pas, le duc de Savoie épousa Marie-Jeanne de Nemours en 1665 (v. note [12], lettre 716).

6.

Cosme iii de Médicis (1642-1723), avant-dernier grand-duc de Toscane en 1670, fils et successeur de Ferdinand ii (que Guy Patin appelait ici le duc de Florence, v. note [9], lettre 367), allait épouser le 19 avril 1661 Marguerite-Louise d’Orléans, fille aînée du second lit de Monsieur Gaston. Trois enfants naquirent de ce mariage qui fut néanmoins fort malheureux. Les époux se haïssaient au point d’en venir au divorce, prononcé en 1675.

7.

« méchant œuf d’un méchant corbeau [v. note [15], lettre 380] et efflorescences de viscères malsains. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 novembre 1660

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(Consulté le 20/04/2024)

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