L. 686.  >
À André Falconet,
le 1er avril 1661

Monsieur, [a][1]

Ce mercredi 30e de mars. Les gens de bien sont en attente du bon temps que la mort du cardinal Mazarin [2] fait espérer. On parle d’un grand voyage du roi [3] à Fontainebleau [4] après Pâques, [1] comme aussi d’un jubilé [5] pour faire des prières à Dieu contre le Turc [6] qui menace l’Allemagne et l’Italie. Ce fut M. le chancelier [7] qui le dit hier à un de mes amis. Ondedei [8] demeurera évêque de Fréjus et n’aura point Évreux comme il espérait, les deux reines l’ont empêché, désirant de faire donner cet évêché à un autre. [2] On a réglé pour les bénéfices qui dorénavant viendront à vaquer, afin que la conscience du roi n’y soit point engagée, qu’il n’en conférera aucun sans le consentement de MM. de Marca, [9] archevêque de Toulouse, [10] de Péréfixe, [11] évêque de Rodez, précepteur du roi, et du P. Annat, [12] jésuite, son confesseur[3][13] Mais à propos de jésuite, comment se porte le bon P. Théophile Raynaud ? [14] Prenez un peu soin de sa santé maintenant qu’il a perdu M. Guillemin. [15] Quand verra le jour son Sanctus Georgius Cappadox ? Voilà une dédicace qui est lontemps à venir ! [4] Quel travail ce bon père a-t-il entre les mains ? Faites-moi la grâce de lui dire que je suis son très humble serviteur. Messieurs de la Cour des aides [16] sont troublés pour n’avoir pas obtenu du roi ce qu’ils espéraient pour leurs compagnons. Il y a là-dedans des faux frères et entre autres, un certain président Dorieu [17] qui a accusé les gens de bien ; on dit tout haut qu’il est pensionnaire des partisans[5]

On a reçu aujourd’hui au Parlement, conseiller de la Cour, M. de Marillac, [18] fils de M. de Marillac, [19] ci-devant maître des requêtes, qui était < petit->fils unique du garde des sceaux[20] Le père [21] mourut cinq ans avant que son père eût la garde des sceaux quand on les ôta à M. d’Aligre, [22] chancelier, l’an 1626. [6] Celui qui a été reçu aujourd’hui est neveu de M. le premier président[23] vu que les deux femmes sont deux sœurs, [24][25] filles de M. Potier d’Ocquerre, [26][27] secrétaire d’État, qui mourut en 1628 ; elles sont aussi sœurs de M. de Blancmesnil, [28] président de la première Chambre des enquêtes, qui est celui pour qui on fit des barricades [29] l’an 1648, conjointement avec le bonhomme M. de Broussel, [30] conseiller de la Grand’Chambre[7] M. le duc d’Orléans [31] a été marié du jour d’hier à la princesse d’Angleterre. [32] M. le prince de Condé [33] avait été prié aux fiançailles, mais il ne l’a pas été aux noces, auxquelles ont assisté le roi, les trois reines, Mme la duchesse d’Orléans avec ses trois filles. [8] La noce a été faite sans bruit et il n’y a pas eu grande réjouissance. Voilà les deux fils de la reine [34] pourvus de femmes ; plût à Dieu que les pauvres peuples fussent aussi soulagés et pourvus de pain. On fera demain dans les Augustins [35] le service pour le repos de l’âme du Mazarin (ce filou à rouge bonnet en avait-il une ?) aux dépens du Clergé et dans huit jours, on fera le grand service dans Notre-Dame [36] pour le même sujet. Enfin la bulle du jubilé [37] est ici arrivée, on s’en va prendre les mesures nécessaires pour la distribuer quelques semaines après Pâques. C’est pour remercier Dieu de la paix générale, des mariages, etc., et pour le prier qu’il nous assiste contre le Turc qui nous menace. J’ai céans des lettres de Nuremberg [38] qui me font connaître que l’on en a peur tout de bon à Vienne. [39] On dit que l’empereur [40] est possédé entièrement par douze jésuites [41] qui ne l’abandonnent jamais ni ne le perdent point de vue. Je ne le saurais croire car je sais de bonne part que c’est un prince fort éclairé, mais d’un naturel fort doux ; il est fort adonné à la musique et aux belles-lettres. Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à M. Spon, notre bon ami, et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 1er avril 1661.


a.

Bulderen, no ccxxlvii (tome ii, pages 241‑243).

1.

En 1661, le jour de Pâques était le 17 avril.

Mme de Motteville (Mémoires, page 509) :

« Sur la fin d’avril, {a} la cour s’en alla à Fontainebleau {b} pour y passer tout le temps de la grossesse de la reine ; et comme il devait être long, le roi fit dessein de rendre ce séjour agréable par l’accompagnement des honnêtes plaisirs qui s’y pouvaient désirer. »


  1. Le 21.

  2. V. note [6], lettre 679.

2.

V. note [4], lettre 683.

3.

Créé par Richelieu, le Conseil de conscience du roi présidait aux affaires ecclésiastiques du royaume, et notamment à l’attribution des évêchés et abbayes (qui revenait au roi en vertu du concordat de 1516). Son plus célèbre membre avait été Vincent de Paul, nommé en 1643 (mort en 1660, v. note [27], lettre 402).

Mémoires de Louis xiv (tome 2, page 387), sur les « instruments propres à me soulager » dans la gestion des affaires de l’État (année 1661) :

« Pour les matières de conscience, ceux dont je me servais le plus souvent étaient mon confesseur, {a} l’archevêque de Toulouse, {b} et les évêques de Rennes {c} et de Rodez. » {d}


  1. Le jésuite François Annat, v. note [15], lettre 295.

  2. Pierre de Marca, archevêque de Paris en 1662.

  3. Henri de La Mothe-Houdancourt, v. note [31], lettre 310.

  4. Hardouin de Beaumont de Péréfixe, archevêque de Paris en 1664, v. note [38], lettre 106.

4.

Signée Guillaume Barbier, la dédicace du « Saint Georges de Cappadoce » (Lyon, 1661, v. note [16], lettre 605) est adressée à Jean Perrault (v. note [3], lettre 215). On y lit notamment cet éloge du prolifique P. Théophile Raynaud (traduit du latin) :

« Personne n’a certes jamais vu un homme à ce point […] illuminer la plupart des arts nobles, persécuter les presses des imprimeurs, enrichir les boutiques des libraires, décorer les bibliothèques. »

Pierre Guillemin étant mort en décembre 1660, Guy Patin demandait à André Falconet de veiller désormais sur la santé du P. Théophile.

5.

Jean Dorieu, président à la Cour des aides en 1636, mourut en 1679 (Popoff, no 1105). « Pensionnaire » est à prendre dans son premier sens de « celui qu’on nourrit [que les partisans nourrissent] pour un certain prix » (Furetière).

6.

Guy Patin remontait le cours de quatre générations des Marillac (Popoff, no 1677).

7.

Nicolas ii Potier d’Ocquerre était le fils de Nicolas i Potier de Blancmesnil (v. note [51] du Borboniana 6 manuscrit) et le frère d’André Potier de Novion (v. note [23], lettre 128), et de René et Augustin Potier, évêques consécutifs de Beauvais (v. note [6], lettre 83).

Devenu président à mortier, comme son père, Nicolas ii fut nommé secrétaire d’État en 1622, partageant les affaires étrangères, de 1624 à 1626, avec Raymond Phélypeaux, Henri-Auguste de Loménie et Charles Le Beauclerc (v. note [86] des Deux Vies latines de Jean Héroard). Nicolas ii était le père de René, président de Blancmesnil, de Jeanne de Marillac, de Marie de Lamoignon, épouse du premier président, et d’Augustin, conseiller au Parlement (v. note [3], lettre 232).

V. note [6], lettre 160, pour les barricades du 27 août 1648, qui avaient marqué le début de la Fronde.

8.

Les trois reines étaient Marie-Thérèse, reine de France, Anne d’Autriche, reine mère de France, et Henriette, reine mère d’Angleterre. Le 30 mars, Louis xiv et Marie-Thérèse avaient signé le contrat de mariage de Monsieur, Philippe d’Orléans, avec Henriette-Anne d’Angleterre, puis assisté aux fiançailles célébrées dans le grand cabinet de la reine d’Angleterre au Palais-Royal. Le mariage avait eu lieu le lendemain au même endroit, célébré par Daniel de Cosnac(v. note [1], lettre 972), évêque de Valence (Levantal).

Mme de Motteville (Mémoires, pages 508‑509) :

« Peu de temps après la mort du ministre, se fit le mariage de Monsieur avec la princesse d’Angleterre. Le roi n’avait pas beaucoup d’inclination pour cette alliance. Il dit lui-même qu’il sentait naturellement pour les Anglais l’antipathie que l’on dit avoir été toujours entre les deux nations ; mais elle fut aisément effacée en lui par le sang, qui les engageait à s’aimer, et par l’agréable société qui, dans leur première jeunesse, les avait accoutumés du moins à pouvoir être amis personnellement. La reine mère aimait la princesse d’Angleterre, elle la désirait en qualité de belle-fille ; et quand le cardinal mourut, le roi se trouva si engagé à ce mariage, qu’il n’eut pas même la pensée de le rompre. Il donna à Monsieur l’apanage d’Orléans tel que le feu duc d’Orléans l’avait possédé, excepté Blois et Chambord. […]

Ces deux agréables et illustres personnes se marièrent au Palais-Royal le dernier jour de mars 1661 en présence du roi, de la reine et de la reine d’Angleterre. Cette cérémonie se fit en particulier ; il n’y eut que Mlles d’Orléans et le prince de Condé, seuls, qui furent conviés d’y assister, comme les plus proches parents de tous les deux. »

Voici ce qu’en a écrit la fille aînée du duc Gaston d’Orléans, Mlle de Montpensier (Mémoires, deuxième partie, chapitre iv, pages 510‑512) :

« L’empressement que Monsieur avait pour le mariage d’Angleterre continua, et peu après la mort de M. le cardinal il se fit. On croyait qu’il {a} n’y était pas si porté que la reine mère, {b} et qu’il le retardait ne croyant que ce fût une chose si pressée que de marier Monsieur. Le roi lui disait : “ Mon frère, vous allez épouser tous les os des Saints-Innocents. ” {c} Il est vrai que Madame {d} était fort maigre, mais elle était très aimable, avec un agrément, qui ne se peut exprimer, à tout ce qu’elle faisait. Elle était fort bossue, et on la louait toujours de sa belle taille ; la reine d’Angleterre {e} avait un tel soin de son habillement, que l’on ne s’en est aperçu qu’après qu’elle a été mariée. Elle fut fiancée chez la reine d’Angleterre, au Palais-Royal, où elle logeait, dans le grand cabinet ; ce fut M. l’évêque de Valence, premier aumônier, qui en fit la cérémonie. Elle était fort parée, et tout ce qui y était ; on peut juger du grand monde qui est en ces occasions. Le lendemain elle fut mariée à midi dans la petite chapelle de la reine d’Angleterre, où il n’y avait que le roi et la reine ; on signa le contrat de mariage chez la reine au Louvre, devant les fiançailles. Je ne sais si le roi y dîna, mais je sais bien qu’il y soupa. Le lendemain on la fut voir qui était fort ajustée, et le jour d’après ou le soir même (je ne m’en souviens plus) on la mena aux Tuileries chez Monsieur, où le roi allait quasi tous les jours. On s’y divertissait fort : cette cour avait la grâce de la nouveauté. Mme de Choisy donna la petite de La Vallière {f} pour fille à Madame. »


  1. Mazarin.

  2. Anne d’Autriche.

  3. V. note [8], lettre 193, pour le cimetière parisien des Saint-Innocents.

  4. Henriette-Anne d’Angleterre.

  5. Sa mère.

  6. Louise-Françoise, prochaine maîtresse de Louis xiv (v. note [12], lettre 735).

Le portrait laissé par Mme de Motteville (pages 508) est de même veine :

« La princesse d’Angleterre était assez grande : elle avait bonne grâce, et sa taille, qui n’était pas sans défaut, ne paraissait pas alors aussi gâtée qu’elle l’était en effet. Sa beauté n’était pas des plus parfaites ; mais toute sa personne, quoiqu’elle ne fût pas bien faite, était néanmoins, par ses manières et par ses agréments, tout à fait aimable. Elle n’avait pu être reine ; et pour réparer ce chagrin, elle voulait régner dans la cour des honnêtes gens, et trouver de la gloire dans le monde par ses charmes et par les beautés de son esprit. On voyait déjà en elle beaucoup de lumière et de raison, et au travers de sa jeunesse, qui jusqu’alors l’avait comme cachée au public, il était aisé de juger que lorsqu’elle se verrait sur le grand théâtre de la cour de France, elle y ferait un des principaux rôles. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 1er avril 1661

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(Consulté le 28/03/2024)

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