L. 688.  >
À André Falconet,
le 5 avril 1661

Monsieur, [a][1]

Ce samedi 2d d’avril. Je vous envoyai hier de nos nouvelles telles quelles, car on ne dit plus rien qui vaille. Le roi [2] reçoit force requêtes et promet de faire justice, et en l’attendant, on s’amuse à des badineries : on parle de la loterie, [3] du jubilé, [4] du voyage de Fontainebleau, [5] de la comète [6] et autres signes qui ont paru au ciel. [1] Les trésoriers de France [7] se sont plaints au roi, mais ils n’ont pas obtenu ce qu’ils demandaient ; on les a renvoyés à M. Fouquet, [8] le surintendant des finances, qui n’est pas ce qu’ils voulaient car ils prétendaient que le roi lui-même leur accorderait ce qu’ils demandent.

< Ce lundi 4e d’avril. > Je soupai hier avec M. le premier président [9] qui me dit qu’il y avait un arrêt du Conseil pour le rabais [2] des tailles [10] de l’an 1662 de trois millions, mais c’est si peu que ce n’est point la peine d’en parler ; que le roi a aussi accordé une surcréance sur les francs-fiefs [11] et autres affaires du Domaine, [12] mais c’est bien tard, après qu’on a bien tourmenté du monde et que l’on n’en peut plus guère tirer. Il me dit aussi des vers latins qui ont été faits sur l’épiscopat de Zongo Ondedei, [13] dont l’on fait ici auteur M. Gaulmin, [14] homme fort savant et doyen des maîtres des requêtes :

Nunc commissa lupo pastoris ovilia cernis,
Dedecus unde hominum, dedecus unde Dei
[3]

Il est vrai que Noël Falconet [15] étudie bien et qu’il écoute attentivement ce que je dis à mes leçons, [16] et même qu’il en confère avec moi par après, o utinam bene ! [4] Il ne manque pas d’esprit, mais l’application est souvent distraite ; il n’y a que vous qui puissiez fixer le mercure de cet esprit, [5] ce qui arrivera heureusement par votre autorité et par votre exemple. Paris fournit trop de distractions aux jeunes gens, qui ne se peuvent pas retenir d’eux-mêmes. Cet âge est sujet à des emportements, quibus delendis aut averruncandis non tam Herculis Alexicaci, quam paterna clava requiritur[6][17] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 5e d’avril 1661.


a.

Bulderen, no ccxxlviii (tome ii, pages 243‑245) ; Reveillé-Parise, no dlxxiv (tome iii, pages 352‑353).

1.

V. notes [1], lettre latine 161, pour la comète de 1661, et [1], lettre 686, pour le voyage de la cour à Fontainebleau.

Loret a fait des vers sur une des loteries {a} parisiennes de ce temps-là (Muse historique, livre xii, lettre xi, du samedi 19 mars 1661, page 333, vers 67‑104) :

« La sage dame de Beauvais, {b}
Dont le destin n’est pas mauvais,
Étant dame accorte et prudente,
Aussi bien que dame opulente,
(En ayant obtenu l’octroi
De notre cher Sire le roi),
S’en va faire une loterie
De meubles et de pierreries,
De maisons de ville et de champs,
Qui ne sont pas des lots méchants,
Puisque tel vaut, sans hyperboles,
Plus de quarante mil pistoles :
Heureux qui pourra l’attraper,
Car on peut dire, sans tromper,
Qu’en l’Inde, un fortuné voyage
N’enrichirait pas davantage.

Au reste, la fidélité,
L’intégrité, la probité
Régneront, sans supercherie,
Dans la susdite loterie,
Soit dans la nette intention,
Ou dans l’appréciation :
Être personne d’importance,
D’esprit, d’état, ou de naissance,
Ne feront préférer aucun
En ce hasard à tous commun.
Comme les gens de haut parage,
Ceux de médiocre lignage,
Fussent-ils moins que miquelots, {c}
Peuvent espérer les grands lots ;
Car touchant les bonnes rencontres,
Ou d’argenterie ou de montres,
Diamants et rubis-balais,
D’un hôtel qui vaut un palais,
De logis, jardins, héritages,
Situés dans de beaux villages,
Perles, meubles, et cetera,
Le sort seul en décidera. »


  1. V. note [24], lettre 513.

  2. Catherine-Henriette Bellier, dite la Catau, v. note [12], lettre 208.

  3. Miquelots : pèlerins du Mont-Saint-Michel.

2.

La diminution.

3.

« Tu vois les bergeries du pasteur désormais abandonnées au loup, au déshonneur des hommes, au déshonneur de Dieu. » {a}


  1. Jeu de mots sur unde Dei et le patronyme de Giuseppe Zongo Ondedei (v. note [22], lettre 338), ancien affidé de Mazarin et évêque de Fréjus.

    V. note [15], lettre 282, pour l’érudit maître des requêtes Gilbert Gaulmin.


4.

« à la bonne heure ! »

5.

« On dit figurément fixer le mercure, pour dire guérir l’inconstance, la légèreté d’un esprit » (Furetière).

6.

« pour les détruire ou les détourner, il y faut la massue paternelle, plutôt que celle d’Hercule Alexicacus [qui chasse les maux, v. note [2], lettre latine 376]. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 5 avril 1661

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(Consulté le 18/04/2024)

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