L. 704.  >
À André Falconet,
le 24 juin 1661

Monsieur, [a][1]

Le roi [2] a envie de faire un voyage en Bretagne et d’aller présider aux états de la province. [3] On soupçonne que ce ne soit pour y établir la gabelle, [4] aussi bien qu’en Poitou et ailleurs. Néanmoins, je crois qu’il y a quelque autre dessein caché ; je ne le sais pas, mais le temps nous l’apprendra. [1] La duchesse de Brissac [5] est partie pour aller au lieu que le roi lui a ordonné, qui est Bourges, [6] avec une grande constance et une forte résignation à la volonté de Dieu, dans une litière [7] avec un crucifix entre ses bras, elle toute seule et deux carrosses à six chevaux, l’un devant, l’autre après sa litière, et 40 gentilshommes à cheval qui la suivent. Elle est parente du cardinal de Retz, [8] voilà ce que lui vaut la parenté d’un homme en disgrâce et ennemi des jésuites. [2][9]

Hier furent faites avec grande solennité toutes les cérémonies du feu de la Saint-Jean à la Grève [10] avec force boîtes, fusées et autres amusements du peuple. Il fait ici un grand chaud fort étouffant et néanmoins, le nombre des malades n’excède pas. Plusieurs de nos compagnons s’en plaignent, comme si les hommes étaient obligés de se faire malades pour faire gagner de l’argent aux avaricieux et aux vilains. Noël Falconet [11] a été aujourd’hui saluer monsieur votre archevêque [12] qui lui a fait grand accueil et qui part demain pour s’en aller Lyon. Dieu le veuille bien conduire. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 24e de juin 1661.


a.

Bulderen, no cclxii (tome ii, pages 283‑284) ; Reveillé-Parise, no dlxxxvi (tome iii, pages 377‑378).

1.

Annonce du voyage royal à Nantes, où eut lieu l’arrestation de Nicolas Fouquet, le 5 septembre 1661. Pays dit franc, la Bretagne n’était plus soumise à la gabelle depuis un traité conclu entre Charles vii et la duchesse Anne de Bretagne.

2.

Marguerite-Françoise de Gondi (1615-1670), veuve du duc Louis de Brissac (v. note [21], lettre 533) depuis le début janvier 1661, était cousine éloignée du cardinal de Retz, l’archevêque de Paris toujours en exil.

Un Mandement de Messieurs les vicaires généraux de Monseigneur l’Éminentissime cardinal de Retz, archevêque de Paris, pour la signature des deux constitutions de nos SS. Pères les papes Innocent x et Alexandre vii en usant de la formule y apposée était sorti des presses le 8 juin 1661. Ce placard autorisait à signer le Formulaire (v. note [9], lettre 733), mais en introduisant une distinction entre le droit (signer) et le fait (respecter un « silence respectueux » quant à la condamnation des Cinq Propositions de Jansenius). Le mandement fit éclater la colère des jésuites qui accusèrent Retz d’en avoir été l’auteur (en vérité, probablement, Blaise Pascal). Retz voulut se disculper par une lettre que Mme de Brissac avait fait parvenir au P. Annat, jésuite et confesseur du roi, ce qui valut à la duchesse l’ordre de quitter Paris sans délai.

Le 9 juillet, un arrêt du Conseil d’État portait que « le mandement de Messieurs les grands vicaires de l’archevêché de Paris du 8e du mois de juin dernier, pour la souscription du Formulaire de profession de foi contre la doctrine de Jansenius, demeurera révoqué, et comme non fait. »

En octobre suivant, les deux vicaires, Jean-Baptiste de Contes, doyen du chapitre de Notre-Dame, et Alexandre de Hodencq, curé-archiprêtre de Saint-Séverin, menacés eux aussi d’exil, finirent par se rétracter en signant un autre mandement sur le Formulaire, dressé par Mgr de Marca, où ne figurait plus la distinction du droit et du fait : Traduction de la lettre écrite au Pape par Messieurs de Contes et de Hodencq, grands vicaires de Mgr le cardinal de Retz, archevêque de Paris, en suite de leur premier mandement touchant la signature du Formulaire (Dictionnaire de Port-Royal et Bertière b, page 463).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 24 juin 1661

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(Consulté le 20/04/2024)

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