L. 708.  >
À André Falconet,
le 15 juillet 1661

Monsieur, [a][1]

Je ne vous écris point sans joie, par laquelle il me semble que je m’entretiens avec vous et que je vous vois d’ici, bien qu’il y ait grande distance entre nous deux ; mais pourtant, j’ai toujours quelque petit regret de n’avoir point quelque bonne nouvelle à vous mander. On dit ici que les Bretons veulent se racheter afin que le roi [2] n’aille point en Bretagne. En ce cas-là, il irait en Provence pour y faire trouver de l’argent. Notre roi en a tant, mais il ne manque pas de sangsues qui lui disent qu’il en faut encore avoir davantage. Le président Miron [3] m’a dit aujourd’hui que c’est un roman tout ce qu’on a dit de la vente de la charge de procureur général, mais bien que l’on a remis en bonne intelligence les deux frères, savoir l’abbé Fouquet [4] avec le surintendant son frère ; [5] et néanmoins, il croit que M. le surintendant se défera de sa charge de procureur général et qu’il y en a qui la marchandent. Il ne faut plus que de l’argent pour être grand, la vertu n’y sert plus de rien. Si Fortuna volet, fies de rhetore consul. O Fortuna, quantos tibi ludos facis in vita mortalium ! [1][6][7] Guénault, [8] qui est un homme qui aime l’argent comme un courtier de change, dit souvent que bienheureux sont ceux dont les pères sont damnés pour avoir laissé du bien à leurs enfants, qu’il voudrait bien avoir été de ceux-là. Dieu soit loué, je ne suis point de cet avis : je ne voudrais point être plus grand seigneur que je suis, je n’ai point envie de m’enrichir aux dépens de personne, je ne demande à Dieu que sa sainte grâce, mentem sanam in corpore sano ; quod sis, esse velis nihilque malis, summum nec metuas diem, nec optes[2][9][10] Mes père [11] et mère [12] étaient de bonnes gens qui se retirèrent à la campagne pour éviter la malice de Paris, où ils ont vécu ex avito fundulo [3] jusqu’à la mort. [13][14][15]

Il faut que je vous fasse part d’une pensée que je trouve fort plaisante : M. de Vendôme [16] a dit que notre bon roi est semblable à un jeune médecin qui a beaucoup d’ardeur pour sa profession, mais qui fait bien des qui pro quo. [17] Je sais des gens qui le voient de près, qui m’ont assuré qu’il a de très bonnes intentions et que, dès qu’il sera plus maître qu’il n’est, il en persuadera tout le monde. Amen. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

Le 15e de juillet 1661.


a.

Bulderen, no cclxv (tome ii, pages 289‑290) ; Reveillé-Parise, no dlxxxix (tome iii, pages 382‑383).

1.

« “ Si la fortune le veut, de rhéteur tu deviendras consul ” [Juvénal, Satire vii, vers 197] Ô Fortune, comme tu te joues de la vie des mortels ! »

V. note [10], lettre 706, pour la vente par Nicolas Fouquet de sa charge de procureur général.

2.

« un esprit sain dans un corps sain ; se contenter d’être ce que l’on est et ne rien désirer de plus ; attendre son dernier jour sans crainte comme sans impatience » Mens sana in corpore sano est une expression de Juvénal (Satire x, vers 356) ; la suite est de Martial (Épigrammes x, xlvii, vers 12‑13).

3.

« d’un petit bien venu de mes grands-parents ».

Le 12 octobre 1667, Guy Patin allait vendre « au sieur Jacques Billet, premier commis de M. de La Planche, trésorier général des bâtiments du roi jardins, arts et manufactures de France, demeurant à Saint-Germain-des-Prés, rue de la Chaise, paroisse Saint-Sulpice » pour la somme 2 400 livres les biens fonciers qui lui restaient de ses parents : ferme des Préaux et terres attenantes (v. note [9], lettre 106), près d’Hodenc-en-Bray (an mc liasse et/cii/65 ; v. note [10] de Comment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 15 juillet 1661

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(Consulté le 20/04/2024)

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