L. 710.  >
À André Falconet,
le 29 juillet 1661

Monsieur, [a][1]

J’ai vu M. le premier président[2] qui m’a fait accueil et qui se plaint fort de son peu de santé. Il a grande envie que les vacances soient venues afin de prendre l’air et jouir du repos en sa maison des champs, et m’a demandé si je ne voulais pas m’aller promener avec lui à Bâville [3] et l’entretenir un peu, les vacances prochaines. [1] Je lui ai répondu que nous n’avions jamais de vacances et que mes promenades étaient dans mon étude ; que pourtant j’irais très volontiers à cause de lui, qui valait mieux que tous mes livres. J’ai déjà été deux fois en cette belle maison de Bâville, mais j’apprends de mon fils Carolus, [4] qui y va souvent, qu’on l’a bien embellie depuis. Je vous prie de dire à M. Anisson [5] que mon ballot de livres qui avait été saisi à Lyon est arrivé à la douane. Je vous remercie, et lui aussi, de tant de peine qu’il vous a donnée.

Il est arrivé à la cour un ambassadeur de Suède. [2][6] La charge de M. d’Épernon [7] est fort divisée et partagée. Ainsi fut fait après la mort d’Alexandre le Grand : [8] de ses cendres on en fit 30 rois. Il est mort ici un charlatan [9] fort ignorant qui tâchait de se donner de la réputation sous une qualité feinte de médecin de Montpellier, [10] comme font d’autres, et néanmoins il n’y fut jamais. Il était natif de Melun, [11] fils d’un chirurgien, ou plutôt barbier, de la même ville. Il avait été garçon apothicaire, delà il se fit élu à Melun par le moyen d’une succession qui lui en fournit le prix. Il vint ensuite planter son piquet à Paris et pour tâcher de s’y donner du crédit, il ordonnait furieusement chez les apothicaires ; c’était pour les attirer à son parti. [12] Galien [13] a dit au commencement de sa Méthode, que Empirici sunt πολυφαρμακοι multa et nimis multa præscribunt, quia ex tot multis illud unum nesciunt quod opus est[3][14][15] Il est mort en trois jours, il s’appelait Du Pont. [16] C’est ainsi que périssent ces misérables et ces viles animas[4]

Hier je fus près de Saint-Denis [17] voir un malade, [18] où je menai quant et moi Noël Falconet. [19] Nous herborisâmes en ce pays-là. J’avais appris qu’il avait fait [le projet d’]une partie de promenade à quatre lieues d’ici. Je renversai adroitement ce dessein, étant persuadé qu’il serait mieux avec moi que d’aller si loin, d’où peut-être il ne fût revenu qu’aujourd’hui ou demain ; et puis, que ne fait pas une jeunesse échappée, custode remoto ? [5][20] On nous fit bon accueil et bonne chère, et en revenant, il me dit qu’il était bien plus aise d’être venu avec moi que s’il avait exécuté son premier dessein, qu’il apprend avec moi plus qu’avec qui que ce soit et qu’il n’oubliera jamais les bonnes choses qu’il m’entend dire. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 29e de juillet 1661.


a.

Bulderen, no cclxvi (tome ii, pages 291‑292) ; Reveillé-Parise, no dxc (tome iii, pages 383‑384).

1.

La maison des champs du premier président Guillaume de Lamoignon (v. notes [11], lettre 696, et [21], lettre 701, pour ses soucis de santé) était le château de Bâville, construit dans les années 1620 ; aujourd’hui sur le territoire de la commune de Saint-Chéron (Essonne), au nord d’Étampes, à mi-chemin entre Dourdan et Arpajon.

2.

Il s’agissait du noble suédois Clas (Claes) Tott (1630-1674), ambassadeur dont Loret a chanté la brillante introduction (Muse historique, livre xii, lettre xxx, du samedi 31 juillet 1661, pages 382‑383, vers 19‑72) :

« Le comte du Tott, qui ne cède
À pas un des grands de Suède,
En ce que doit avoir d’honneur
Tout brave et généreux seigneur,
C’est-à-dire, en esprit, courage,
Grâce, politesse et lignage,
Lundi dernier, jour assez beau,
Arriva dans Fontainebleau,
Suivi d’une nombreuse presse
De gens de cour et de noblesse,
Desquels tous il fut escorté
Par ordre de Sa Majesté.

Clérambault, maréchal de France, {a}
Homme de haut rang et prestance,
Par le même ordre avait pris soin
D’aller au-devant assez loin
De cet ambassadeur illustre,
Qui parut avec grand lustre.

Premièrement, il est constant
Que son train était éclatant,
Ses carrosses étaient superbes,
Et sans, par de pompeux adverbes,
Faire en cette narration
Aucune exagération,
Les habits de ses domestiques
Étaient brillants et magnifiques,
Quoiqu’avec des marques de deuil,
Leur feu prince étant au cercueil.
Bref, le nombre des gentilshommes,
Tous bien faits et fort galants hommes,
Et la plupart, à ce qu’on dit,
Gens de naissance et de crédit ;
De ses pages la multitude,
Aussi bien que leur lestitude,
Et celle de ses estafiers,
Que leurs beaux atours rendaient fiers,
Faisant honneur à leur contrée,
Ornèrent si bien cette entrée
Que l’on admira la splendeur
De cet illustre ambassadeur.

Mardi, conduit à l’audience,
Il fit au roi sa révérence,
Qui l’écouta, qui l’applaudit,
Et plusieurs doux propos lui dit.
Il fut chez les reines ensuite,
Où sa personne fut conduite
(Quoiqu’il fît ce jour-là bien chaud)
Par les sieurs Bonneuil et Giraut ; {b}
Puis il vit Monsieur et Madame, {c}
Qu’un bel amour toujours enflamme.
Et de là, chacun en son rang,
Messeigneurs les princes du sang,
Sans oublier chaque notable
De cette cour incomparable. »


  1. Philippe de Clérambault, comte de Palluau, v. note [44], lettre 156.

  2. V. note [20] du Borboniana 2 manuscrit, pour René de Thou, sieur de Bonneuil ; « Guiraut » peut être une transcription fautive de Guitaut (François de Pechpeyrou-Comminges, v. note [22], lettre 223).

  3. Philippe d’Orléans et son épouse, Henriette-Anne d’Angleterre.

3.

« les empiriques sont fort polypharmaques et prescrivent beaucoup trop, parce que dans toute leur multitude de médicaments ils ignorent quel est le seul à avoir été efficace. » Cela me semble renvoyer au livre i de Galien « sur la Composition des médicaments selon leurs genres » (κατα γενη), chapitre i (Kühn, volume 13, page 366, traduit du grec) :

Cæterum hic liber obiter ostendit et empiricorum medicorum contentionem, qui ad insomnia, fortunam et casum medicamenta composita propre universa referunt, paucissimis quibusdam exceptis, quæ communi omnium hominum ratione, quam epilogismum ipsi vocant, invenisse se dicunt. Quemadmodum uni ejusdem facultatis medicamenta invicem miscuerimus, quæ alia in alio corpore melius aut pejus functionem suam objisse usu ac experimentis didicimus, rationi consonum certe nobis esse videtur, empiricorum aliqui dicunt, non enim omnes, componere plura hujusmodi, ut vel unum ex eis corporis curandi naturæ idoneum inveniatur.

[Ce livre montre du reste, chemin faisant, mon désaccord avec maints médecins empiriques qui, dans le traitement de l’insomnie, attribuent les effets de presque tous les médicaments composés à la bonne ou à la mauvaise fortune, et disent les avoir découverts, à l’exception d’un très petit nombre d’entre eux, qui ressortissent au sens commun de tous les hommes, en se fondant sur ce qu’ils appellent la supputation. {a} Ainsi donc aurions-nous mêlé des médicaments possédant cette seule et même faculté, et appris par l’usage et l’expérience que, d’une manière ou d’une autre, ils exercent leur action favorable ou défavorable, selon qu’il s’agit d’un corps ou d’un autre. {b} Cela nous paraît certes conforme à la raison, mais certains des empiriques, sans que ce soit leur totalité, disent qu’il convient d’associer plusieurs médicaments contre l’insomnie pour trouver si une seul d’entre eux est de nature à en guérir proprement le corps]. {c}


  1. V. note [22], lettre 601, pour un autre passage de Galien sur la polypharmacie et la médecine empirique, dont il faisait deux méthodes distinctes, sur lesquelles il portait des jugements différents.

  2. Le mot qui est dans la source, επιλογισμον, signifie « calcul, réflexion » et, en sens dérivé, « examen, recherche » (Bailly).

  3. Ma traduction est une interprétation du latin assez épouvantable que Kühn a repris de René Chartier ; ce que j’ai peiné à en faire me paraît à peu près compréhensible et conforme à la source grecque.

    La curiosité et le zèle m’ont poussé à aller regarder la version donnée dans les Galeni omnia quæ extant Opera [Toutes les Œuvres existantes de Galien] (4e édition, Venise, 1565, v. note [1], lettre 716), volume 6, page 210 ro, mais elle ne diffère de celle-ci que sur d’infimes détails, qui ne me l’ont guère rendue plus facile à traduire en français.


4.

« âmes viles. »

5.

« Enfin libéré de son précepteur » (Horace, Art poétique, v. note [4], lettre 177).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 juillet 1661

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(Consulté le 25/04/2024)

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