Votre M. Gras [2] est tout plein de mines et de mystères. Passe pour tout cela, si l’on faisait ce qu’il faut et que les malades en pussent guérir. Les fièvres continues [3] malignes qui sont dans les Épidémies étaient des maladies pestilentielles, mais Hippocrate [4] n’a point parlé de la poudre de vipère. [5] Est-ce que ce bon homme n’était qu’un ignorant au prix d’un tas de novateurs et de nos thaumaturges, qui est le nom que Galien [6] a donné à ces prétendus faiseurs de miracles [7] en plusieurs endroits de sa Méthode ? Je sais bien que vous n’aimez pas à Lyon toutes les grimaces de votre collègue. On ne sait comment faire avec ces fantasques, ils sont à charge à eux-mêmes et à tout le monde. Le Livre des fièvres de Sennertus [8] me semble bon à lire à monsieur votre fils. [1][9] Cet ouvrage est une belle ville pour y passer, Galien et Fernel [10] pour y demeurer. Ces deux derniers contiennent une doctrine ferme et constante, dans laquelle il faut mourir jusqu’à ce que Dieu nous ait fait voir le contraire par quelque grand miracle ; à quoi il n’emploiera jamais nos nouveaux empiriques, [11] ni tels prophètes qui ne font que du bruit et ne sont bons qu’à faire sonner des cloches.
Le Parlement a donné un arrêt assez sévère contre une thèse en théologie qui devait être disputée en Sorbonne, [12] et qui ne l’a pas été, dans laquelle on voulait faire passer comme un article de foi cette prétendue infaillibilité [13] du pape, contre laquelle M. Talon [14] fit merveilles au Parlement. Un savant homme m’a dit à l’oreille qu’un honnête homme du parti des jansénistes [15] avait fait un livre in‑fo, qu’on a fait imprimer en Allemagne, touchant cette matière et autres en français, qui sera bientôt ici ; [2] c’est-à-dire que, quand on a remis l’épée dans le fourreau, les hommes ne laissent point de faire la guerre avec la plume. Je suis, etc.
De Paris, ce 30e de janvier 1663.
Du Four (édition princeps, 1683), no cix (pages 328‑329) ; Bulderen, no cclxxxv (tome ii, pages 341‑342) ; Reveillé-Parise, no dcvii (tome iii, page 420).
V. notes [16], lettre 239, pour les quatre livres de Daniel Sennert de Febribus [sur les Fièvres], et [31], lettre 334, pour la poudre de vipère.
Le dogme d’infaillibilité pontificale ne fut établi qu’en 1870 (premier concile du Vatican). « L’infaillibilité ne se doit attribuer proprement qu’à Dieu et à ceux à qui il l’a bien voulu communiquer, comme aux prophètes, aux évangélistes, aux apôtres et à son Église ; on a écrit pour et contre l’infaillibilité du pape » (Trévoux). Périodiquement débattu de très longue date, ce dogme était alors en butte au gallicanisme d’une bonne partie de la Sorbonne et du Parlement. De nombreux esprits y étaient en outre échauffés par les deux bulles pontificales contre les jansénistes : Cum occasione, 1653 (v. note [16], lettre 321), et Ad sacram, 1656, immédiatement suivie du Formulaire (v. note [10], lettre 463).
« Me Gabriel Drouet de Villeneuve, bachelier en théologie, Breton de nation, ayant fait imprimer et distribuer des thèses d’une majeure ordinaire, {c} qu’il prétendait soutenir le dix-neuf de ce mois, lesquelles contiennent des propositions trop fortes dans leur expression, touchant l’infaillibilité de notre Saint Père le pape, son pouvoir souverain dans l’Église et sur l’Église, l’inutilité des conciles, et les anciennes libertés de l’Église gallicane, qu’il veut qualifier de privilèges, le procureur général et ses collègues n’ont pu tenir leur zèle. Ils sont entrés dans la Grande Salle et Chambre du Parlement, {d} et en ont fait leurs plaintes et remontrances, sur lesquelles la Cour ayant mûrement délibéré, après avoir examiné les propositions ainsi qu’elles son conçues, a trouvé qu’elles étaient de telle qualité qu’en bonne politique, la dispute n’en devait pas être permise dans cet État. Elle a pour ce interposé son autorité et donné son arrêt le vingt-deux de ce mois, et nous avons été commis pour venir en ce lieu vous en faire lecture, afin que vous ayez à l’observer inviolablement à l’avenir ; ce qu’elle se promet d’autant plus assurément qu’elle sait que votre Faculté, composée des plus sages et savants hommes du monde, a des sentiments bien contraires à ces opinion étrangères, auxquelles elle a toujours si puissamment et si généreusement résisté. » {e}
- V. note [5], lettre 45, pour cet ouvrage de Pithou qui a été mis à jour par Pierre-Toussaint Durand de Maillane en 1771 (Lyon, Pierre Bruyset Ponthus, in‑4o).
- Sans adhérer au jansénisme, Denis Talon, avocat général du Parlement de Paris (v. note [10], lettre 358), était un défenseur convaincu du gallicanisme et avait plaidé à plusieurs reprises en faveur des adhérents de Port-Royal, depuis 1655.
- « L’un des plus grans actes des bacheliers de théologie de la Faculté de Paris qui sont en licence, dans lequel ils doivent soutenir de la théologie positive, de l’histoire ecclésiastique, ou de la controverse, et qui se commence a huit heures du matin et finit à six heures du soir » (Richelet).
- La Grand’Chambre du Parlement de Paris.
- V. note [3], lettre 830, pour l’autre procès que la Sorbonne, toujours défendue pat Talon, gagna contre la censure de Rome en juillet 1665.