L. 748.  >
À André Falconet,
le 4 mai 1663

Monsieur, [a][1]

Je porterai votre lettre à M. Le Blanc, [2] qui est un grand homme du Languedoc, bon et doux, demain en allant au Collège royal [3] y faire ma leçon. Il n’est pas docteur de Sorbonne, [4] mais docteur et professeur en droit, et prêtre assez dévot ; au moins en a-t-il la mine, je crois qu’il est fort homme de bien. Je vous remercie de l’amitié que vous m’avez procurée du R.P. Théophile, [5] je lui en écrirai tout exprès et l’en remercierai. Je vous supplie en attendant d’avoir bien soin de sa santé et d’obtenir de lui qu’il se purge [6] à ce printemps avant que les chaleurs de l’été nous viennent accabler, afin qu’il ne meure pas sitôt et qu’il puisse voir la fin de tous ses ouvrages imprimés en 19 volumes, [1] et qu’il jouisse longtemps de la gloire qu’il a méritée. C’est la moindre récompense qu’il puisse avoir pour tant de veilles et tant de travaux. J’espère que Dieu le récompensera de tant de peines qu’il a prises pour la défense de la vérité. Je baise très humblement les mains et à lui, et au R.P. Bertet. [7] Je prie Dieu qu’il les conserve tous deux encore longtemps en bonne santé. J’attendrai patiemment tout ce que vous me promettez des PP. Gibalin < et > [8] Ménestrier, [2][9] et du P. Bertet.

Le chancelier de Navarre, [10] dont M. Cellier [11] a acheté la bibliothèque, [12] était ce même M. Soffrey de Calignon qui a été un grand homme d’État [13] et qui a fait l’édit de Nantes [14] avec M. le président de Thou, [15] qui a fait l’Histoire de son temps et qui a été père de ce pauvre malheureux qui eut la tête tranchée à Lyon, l’an 1642. [16] M. Calignon a laissé un fils [17] qui a été conseiller au parlement de Dauphiné, [18] que j’ai connu en cette ville l’an 1639 et qui est mort il y a quelques années ; c’est peut-être de lui que vient cette bibliothèque. [3]

La Bibliothèque de Gesner [19] est un fort bon livre ; mais comme il y en a de diverses éditions, il en faut avoir la meilleure, laquelle est in‑fo de l’an 1583, Tiguri, qui est Zurich [20] en Suisse. [4] Ce livre, aussi bien que Eustathius in Homerum[5][21] n’ont plus de prix, ainsi je ne vous le puis dire. J’apprends que le Cardan [22] de M. le premier président est en chemin avec trois autres exemplaires que j’ai demandés pour le roi de Danemark, [23] pour Monsieur son ambassadeur [24] et pour moi. [6]

Je suis bien aise que monsieur votre fils [25] soit docteur, [7] mais il me semble que vous êtes obligé de le tenir près de vous. Il ne peut être mieux en aucun lieu, votre présence l’instruira, non est in toto sanctior orbe locus[8] Montpellier [26] est tout plein de débauches et de vanité, et il n’y peut rien apprendre au prix de ce qu’il peut faire à Lyon près de vous. C’est M. Morisset [27] qui a eu du malheur en son décanat. M. Blondel, [28] son prédécesseur, avait rendu ses comptes par lesquels on reconnaissait que la Faculté lui devait 4 160 livres de reste ; l’arrêt contre les chirurgiens barbiers [29] et quelques autres dépenses étaient cause de cette grande somme ; M. Morisset ne le paya point, ut moris est[9] disant qu’il n’avait point d’argent (il en devait pourtant avoir car on lui montra qu’il avait reçu plus de 60 000 livres depuis qu’il était doyen). M. Blondel, qui entend la chicane, le mit en procès et enfin, le fit arrêter prisonnier et lui fit trouver de l’argent ; ensuite de quoi, ils se sont fort chicanés. [10] Quand M. Morisset a voulu rendre ses comptes, il a voulu y faire passer beaucoup d’articles auxquels on s’est opposé, et même le censeur [30] au nom de toute la Faculté ; sur quoi il s’en est allé en Savoie [31] sans avoir terminé cette affaire et sans nous rendre nos registres. C’est pourquoi notre doyen [32][33] plaide aujourd’hui contre sa femme et a obtenu arrêt contre elle, par lequel elle est obligée de les remettre entre les mains du doyen. [11] On lui en a écrit en Piémont, [34] mais je ne sais ce qu’il en fera. Feu M. Merlet [35] était son grand conseiller, et le faisait avec plaisir et en dépit de M. Blondel avec lequel il était fort mal, etc. ; mais ce M. Merlet est mort. Je vous manderai ci-après ce qui en arrivera. J’ai un livre que mon second fils [36] vous envoie, et un autre pour M. Spon. Les deux que nous vous avons envoyés sont en chemin. Ceux-là sont in‑fo, ceux-ci sont in‑4o, Des Tourbes combustibles, etc., [12][37] et assez curieux. Je tiens que M. Morisset reviendra et qu’il a mal fait d’être parti : quand on veut gagner de l’argent, il ne faut point sortir de Paris, mais je pense que le mauvais état de ses affaires domestiques l’y a porté. M. le prince de Danemark [38] et Monsieur son ambassadeur me veulent tirer d’ici et m’emmener en ce pays froid. [13] Ils ont écrit au roi qui leur a donné charge de m’emmener. On m’a fait de belles offres, mais je n’en veux point. Je ne suis ni à vendre, ni à acheter, je veux être enterré à Paris auprès de mes bons amis. [39]

M. le président de Thou en sa belle Histoire a fait mention de M. de Calignon, chancelier de Navarre, en divers endroits du temps de Henri iv [40] et entre autres, sous l’an 1606 auprès de M. Des Portes, abbé de Tiron, [41] qui quitta le parti du roi et se mit du côté des ligueurs. [14][42] C’est pourquoi le Catholicon d’Espagne [43] l’appelle le poète de l’Amirauté, sous ombre qu’il se mit du côté de l’amiral de Villars, [44] lequel, ayant voulu tromper les Espagnols, se trompa lui-même et en fut mauvais marchand[15]

Depuis fort peu de temps, et en moins d’un mois, le vin émétique [45][46] donné de la main de M. Guénault [47] a tué ici quatre personnes illustres, savoir Mme la présidente de Nesmond, [48] propre sœur de M. le premier président, [49] la présidente de Biron, de la Cour des aides, M. Colbert de S. Pouange, [16][50] beau-frère de M. Le Tellier [51] et son premier commis, et la marquise de Richelieu, [52] fille de Mme de Beauvais, [53] première femme de chambre de la reine mère. On dit que le père de cette Mme de Beauvais était un fripier de la Halle, [54] d’autre disent encore moins que fripier, mais seulement crocheteur ; si bien que le cardinal de Richelieu [55] a volé toute la France pour enrichir les descendants d’un crocheteur. Guénault en est fort blâmé par tout Paris, et en a reçu des reproches et des rebuffades à la cour. Il est malaisé d’être longtemps bon marchand de mauvaise marchandise. Mme de Beauvais lui a reproché la mort de son gendre [56] et de sa fille en pleine cour, et en présence de la reine même. [17][57]

Je vous donne avis que j’ai vu aujourd’hui M. Le Blanc à qui j’ai rendu votre lettre en main propre, je l’avais cachetée. Il m’a dit que sa lettre était vraiment de lui, aussi bien que la première qu’il écrivit en relevant de la maladie, mais que monsieur votre fils, le chevalier, [58] étudiait fort bien et qu’il en était bien content ; qu’il y avait ici un jeune homme auvergnat qui lui donnait heureusement de l’émulation ; mais il se plaint qu’il n’a rien reçu depuis cinq mois et qu’il l’a dit à M. de Fontenelles. Je ne sais ce que c’est, mais mandez-moi ce que vous voulez que je fasse. S’il y a quelque argent à lui donner, je le lui donnerai volontiers. Il craint que monsieur votre fils n’ait reçu cet argent et ne l’ait employé à autre chose.

On dit ici que Mme de Turenne [59] est fort malade. C’est des Fougerais [60] qui me l’a dit ce soir, antiquo iure et avito religionis principium, magnatum et medicorum, ξυμπαθεια παντα. [18][61] La Chambre de justice [62] continue au procès de M. Fouquet [63] et des trois trésoriers de l’Épargne. [19][64][65][66][67] M. de Longueville [68] est fort malade à Rouen. Un de nos confrères nommé Brayer, [69] très savant homme, y est allé en diligence. La reine mère [70] a été malade d’une double et tierce, [71] mais on dit qu’elle se porte mieux. [20] Le livre de M. Bochart de Animantibus Sacræ Scripturæ[21][72] imprimé en Angleterre, est en chemin ; il y en a déjà quelques exemplaires à Paris entre les mains de quelques curieux. Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à M. Spon notre bon ami, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 4e de mai 1663.


a.

Bulderen, no ccxcii (tome ii, pages 356‑361) ; Reveillé-Parise, no dcxiii (tome iii, pages 430‑434).

1.

V. note [6], lettre 736, pour les 19 volumes des Opera omnia du P. Théophile Raynaud (Lyon, 1665). Ce passage confirme que Guy Patin a corrrespondu avec lui en 1663 (v. note [3], lettre 745).

2.

V. note [4], lettre 758, pour le P. Joseph Gibalin.

Claude-François Ménestrier, jésuite (Lyon 1631-1705) était fils d’un apothicaire qui l’envoya étudier chez les jésuites. À une mémoire extraordinaire, il joignait une intelligence vive et une grande ardeur au travail ; si bien qu’on le jugea capable, à 15 ans, de professer la rhétorique dans le collège de la Compagnie de Jésus auquel il venait d’être agrégé. Il continua de s’adonner à l’enseignement à Chambéry, à Vienne, à Grenoble et enfin à Lyon. Lorsque Louis xiv y était passé en 1658, le P. Ménestrier fut chargé de diriger les fêtes données à cette occasion ; il y fit preuve de tant de talent et de goût qu’à partir de ce moment, il eut la direction de toutes les fêtes publiques. Nommé en 1667 conservateur de la bibliothèque du Collège de la Trinité, il enrichit cet établissement de nombreux ouvrages puis quitta Lyon, visita l’Italie, l’Allemagne, la Flandre, l’Angleterre. Il vint habiter Paris en 1670 et s’y consacra pendant 25 ans à la prédication. Le P. Ménestrier a laissé un grand nombre d’ouvrages sur l’héraldique, la chevalerie, les tournois, la musique, la danse, le théâtre au Moyen Âge, et sur différents usages de cette période (G.D.U. xixe s.). Vnotre bibliographie pour son Éloge historique de la ville de Lyon (Lyon, 1669).

3.

Soffrey ou Geoffroy de Calignon (Saint-Jean-de-Voiron 1550-1606) fut successivement secrétaire de François de Bonne de Lesdiguières (v. note [26] du Naudæana 1) et chancelier de Navarre. Il inspira la plus grande confiance à Henri iv qui l’employa dans les négociations les plus difficiles. Zélé protestant, il fut profondément affecté par l’abjuration du roi. Il fut un des rédacteurs des 92 articles de l’édit de Nantes (13 avril 1598 ; v. infra note [14]) (G.D.U. xixe s.). Son fils, conseiller au parlement de Grenoble, se prénommait Abel.

4.
Bibliotheca instituta et collecta, primum a Conrado Gesnero : Deinde in Epitomen redacta, et novorum Librorum accessione locupletata, tertio recognita, et in duplum post priores editiones aucta, per Iosiam Simlerum : Iam vero postremo aliquot mille, cum priorum tum novorum authorum opusculis, ex instructissima Viennensi Austriæ Imperatoria Bibliotheca amplificata, per Iohannem Iacobum Frisium Tigurinum.
Habes hic, optime Lector, catalogum locupletissimum omnium fere scriptorum, a mundi initio ad hunc usque diem, extantium et non exstantium, publicatorum et passim in Bibiothecis latitantium. Opus non Bibliothecis tantum publicis privatisve instituendis necessarium, sed studiosis omnibus, cuiuscunque artis aut scientiæ, ad studia melius formanda utilissimum
.

[Bibliothèque établie et colligée pour la première fois par Conrad Gesner. {a} Josias Simler {b} en a depuis rédigé un abrégé, l’a enrichie par l’addition de nouveaux livres, et l’a révisée pour la troisième fois et accrue du double depuis les premières éditions. Johann Jacob Frisius, natif de Zurich, {c} l’a maintenant tout récemment augmentée de quelque mille opuscules d’auteurs, tant anciens que nouveaux, qu’il a tirés de la très riche Bibliothèque impériale de Vienne en Autriche.
Tu as ici, excellent lecteur, un catalogue très fourni de presque tous les ouvrages qui ont été écrits depuis l’origine du monde jusqu’à ce jour, qu’ils soient connus ou inconnus, et publiés ou tapis çà et là dans les bibliothèques. Ouvrage nécessaire pour l’établissement des bibliothèques publiques ou privées, mais aussi fort utile pour la formation à la recherche de tous ceux qui étudient quelque science ou art que ce soit]. {d}


  1. Mort en 1565, v. note [7], lettre 9.

  2. Théologien suisse protestant (1530-1576).

  3. Théologien et philosophe suisse mort en 1611.

  4. Zurich, Christophorus Froschoverus, 1583, in‑fo de 835 pages, pour le premier de deux tomes ; les titres des auteurs, classés en ordre alphabétique, présenté sous la forme de tableaux à 4 colonnes.

    V. notule {a}, note [34] du Faux Patiniana II‑5, pour une précédente édition dont la présentation est nettement plus commode (ibid. 1545).


5.

Eustathii, archiepiscopi Thessalonicæ, Commentarii in Homeri Iliadis et Odysseae libros [Commentaires d’Eustathe, archevêque de Thessalonique, sur l’Iliade et l’Odyssée d’Homère] (plusieurs éditions au xvie s. en grec et en latin).

Eustathe, évêque, grammairien et rhéteur grec, mort en 1198, avait d’abord été moine de Saint-Florus, maître des requêtes, maître des lecteurs ecclésiastiques et diacre à Constantinople. Il fut ensuite élu évêque de Myra puis devint archevêque de Thessalonique où il termina sa vie. Ce prélat érudit a laissé des commentaires sur les poètes grecs, des traités théologiques, des homélies, des lettres, etc. Son Commentaire sur l’Iliade et l’Odyssée est d’autant plus précieux qu’il résume des travaux antérieurs aujourd’hui entièrement perdus. Il a été imprimé pour la première fois à Rome (1542-1550, 4 volumes in‑fo) (G.D.U. xixe s.).

6.

V. notes [7], lettre 735, pour Hannibal Sehested, ambassadeur du Danemark à Paris, dont Guy Patin était le médecin, et [8], lettre 749, pour les Opera omnia de Jérôme Cardan.

7.

Noël Falconet était en train d’obtenir à grande vitesse ses degrés de médecine à Montpellier, mais Dulieu donne le 18 juin 1663 pour date de son doctorat (v. note [13], lettre 735).

8.

« Il n’y a pas en tout le monde de lieu plus sacré » : inscription placée sur ordre du pape Sixte Quint (1585-1590, v. note [45] du Naudæana I1) au-dessus de l’autel du Sancta Sanctorum [Saint-des-Saints], ancienne chapelle des papes dans le palais du Latran à Rome (v. note [3], lettre 593).

9.

« comme c’est l’usage », avec probable jeu de mot sur moris est et [comme est] Morisset, car la locution ordinaire de la Faculté était more solito (v. note [26], lettre 294).

La curiosité d’André Falconet à propos de Philibert Morisset tenait au fait qu’ils allaient tous deux servir médicalement la cour de Savoie. Pour éclairer son ami, Guy Patin retraçait ici les méandres de la querelle allumée en 1661 entre François Blondel et Philibert Morisset, son successeur au décanat (v. note [10], lettre 684).

10.

La main forcée, Morisset avait fini par rembourser Blondel en septembre 1661, mais sans éteindre leur dispute, bien au contraire : d’un côté, Blondel s’était mis à réclamer ses gages impayés de professeur de botanique (élu en novembre 1652) ; de l’autre, Morisset avait continué d’agiter contre lui sans relâche tous ceux de son camp (dont les deux plus anciens docteurs de la Faculté, Jean iii Des Gorris et Jean Merlet, menaient la bande, avec le censeur, Jacques Mentel). Une moitié des docteurs régents riposta en déposant une nouvelle requête devant le Parlement :

« tendant à ce qu’ils soient reçus appelants de {a} toutes leurs convocations d’assemblées faites par Me Philibert Morisset, docteur régent de ladite Faculté, à présent doyen d’icelle, par attentat à l’autorité de la Cour, et par un mépris des arrêts contradictoirement rendus entre les parties et Me François Blondel […], pour lequel ils ont pris le fait et cause contre ledit Morisset, les 27 juillet, 17 août et 7 septembre audit an. » {b}


  1. Tendant à contester.

  2. 1661 ; texte extrait des Reg. Comm. F.M.P. (tome xiv, décanat de Morrisset).

En décembre 1661, la Cour avait rendu un nouvel arrêt menaçant la Faculté de paralysie en condamnant durement son doyen, Morisset, bien qu’il eût dédommagé Blondel « par force et contrainte » (ibid., pages 653‑655) :

« Et depuis ce temps il {a} a recherché toutes les occasions de lui faire parjure, ayant convoqué des assemblées et fait imprimer des billets dans l’un desquels il expose que c’est pour délibérer de atroci iniuria per Magistrum Franciscum Blondel decano facta, {b} comme si c’était lui faire injure que de lui demander en justice ce qu’il doit légitimement. Et dans l’autre, il dit que c’est pour délibérer de lite denuo decano facta per Magistrum Franciscum Blondel, {c} qualifiant injure une autre demande qui lui est faite par ledit Blondel pour la restitution d’une somme de mille livres pour cinq années de la pension à lui due comme professeur de botanique touchée par ledit Morisset, comme il appert par les quittances qu’il en a données. Par tous lesdits billets et assemblées indiqués, dans lesquels ledit Morisset appelait tous ceux de sa cabale, et dont il a mendié les suffrages, il prendrait occasion de faire injure audit Blondel qui a intérêt de ne le pas souffrir, lui qui a exercé sa charge de doyen avec tant d’honneur et d’utilité pour la Faculté, dont il a procuré le rétablissement de la discipline et des statuts avec vigueur, qui lors des comptes qu’il rendit à ladite Faculté, en présence dudit Morisset qui les a signés, elle lui décerna une reconnaissance appelée honorarium, plus ample qu’à tous ceux qui l’avaient précédé en ladite fonction, que l’on le força de l’accepter comme il est porté par les Commentaires de la Faculté, quelque refus qu’il en fît, fondé sur ce que ærarium erat exhaustum ; {d} pour raison de quoi les docteurs oyant lesdits comptes se seraient retranchés des droits qui leur appartenaient, suivant la coutume […].

Il est étrange de voir qu’après que Me François Blondel s’est appliqué avec tant de soin et de fruit aux affaires importantes que la Faculté a eues pendant son décanat, après qu’il a tâché d’y rétablir la discipline dans son ancienne vigueur, après avoir avancé pour elle une somme notable, au lieu de le récompenser, on ait non seulement refusé de le payer, mais que même on lui ait voulu faire injure en prétendant que son compte avait besoin d’être examiné de nouveau. Aussi la Cour lui a-t-elle rendu la justice qu’il méritait par l’arrêt qui est intervenu sur la première contestation ; ce qui n’a pas encore réprimé l’animosité que l’on a contre lui, comme il paraît par la convocation de l’assemblée, dont il se plaint avec justice, qui s’est faite d’une manière tout extraordinaire : car lorsqu’il a demandé les gages qu’il prétend lui être dus en qualité de professeur, Me Philibert Morisset convoque une assemblée pour délibérer sur l’injure atroce qui a été faite par cette demande, tant à lui qu’à toute la Faculté ; ce sont les termes du billet. Tout cela joint et considéré pourrait peut-être faire passer pour juste la récusation que Me François Blondel forme présentement contre tous ceux qui se sont déclarés avec tant de passion et si injustement contre lui, y ayant lieu de croire qu’en toutes les affaires où il aura intérêt, ils ne lui seront pas trop favorables ; mais le grand nombre de ceux qui y seraient compris fait qu’il est difficile de l’admettre pource que, par ce moyen, la moitié presque de toute la Faculté demeurerait récusée et qu’il ne resterait que ceux qui sont de son côté, qui pourtant en ceci paraissent en composer la meilleure et plus saine partie. Que pour la récusation de Me Philibert Morisset, elle était tout à fait juste et nécessaire après tout ce qui s’est passé, et particulièrement même après la chaleur et l’emportement qu’il a fait connaître en cette audience. Ainsi […] Me Philibert Morisset s’abstiendra de convoquer et de présider dans les assemblées où il s’agira d’une affaire concernant Me François Blondel. Et parce que l’on voit que ce qui fait et apporte en partie du désordre dans la Faculté de médecine est la manière de convoquer des assemblées contre les statuts, et de ce que l’on fait signer des actes en particulier par les maisons et sans conclusion légitimement arrêtée, ils estiment aussi qu’il y a lieu d’y pourvoir en ordonnant qu’il ne se donnera aucun acte sous le nom de la Faculté qu’en vertu du résultat d’assemblée légitimement convoquée et suivant les statuts. La Cour […] ordonne que Morisset s’abstiendra de convoquer et présider aux assemblées de la Faculté de médecine qui seront convoquées pour les affaires concernant la partie de Pousset [avocat de Blondel], fait défenses d’expédier aucun acte que ceux qui seront décernés par la Faculté de médecine convoquée dans les formes, et qui ne pourront être signés que par ceux qui auront assisté auxdites assemblées. […]

Fait en Parlement le 17e décembre 1661. »


  1. Morisset.

  2. « de l’injure atroce faite contre le doyen par Me François Blondel ».

  3. « du procès de nouveau engagé par Me François Blondel ».

  4. « il n’y avait plus d’argent dans les caisses ».

Cet arrêt contient la liste des 59 docteurs régents (soit la moitié de la Compagnie) qui avaient épousé la cause de Morisset contre Blondel ; sans surprise, Guy Patin et ses deux fils n’y figuraient pas.

11.

Depuis le 4 novembre 1662, le doyen était Antoine Morand, natif de Sens, reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1648 (Baron) ; il s’était rangé en 1661 du côté de Philibert Morisset contre François Blondel. Le doyen Morand abandonna pourtant la cause de Morisset quand l’enjeu devint de récupérer les Commentaires de la Faculté qu’il avait effrontément emportés chez lui.

12.

V. notes [1], lettre 743, pour le Traité des tourbes combustibles, et [11], lettre 736, pour les Familiæ Romanæ… (« les deux in‑fo ») de Charles Patin, tous deux publiés à Paris en 1663.

Pour Furetière, la tourbe était une « matiere propre à faire du feu, dont on se sert en Hollande et aux lieux où il y a disette de bois. Ce sont des mottes de terres grasses qu’on tire des canaux, marais et autres lieux. Les pauvres gens ne se chauffent qu’avec du feu de tourbes. »

La Préface de Charles Patin explique le dessein de son livre ; en voici deux extraits :

« On ignorerait peut-être aujourd’hui l’usage des terres tourbes si toutes les provinces du monde avaient été garnies de forêts, qui leur eussent fourni du bois suffisamment. […]

Quelques anciens et plusieurs modernes ont fait mention des tourbes dans leurs écrits, mais elles y ont été traitées si différemment, et avec de si étranges réflexions, que nous n’en pouvons pas tirer des lumières suffisantes. Les uns s’en souviennent en parlant du charbon de pierre ; les autres ont placé cette terre ardente avec d’autres merveilles qu’ils décrivaient ; les autres en ont fait mention en parlant des choses métalliques et minérales. De tous ceux-là, personne n’a connu suffisamment leur nature, leurs qualités et leur usage. Le seul Martin Schoockius, professeur en philosophie à Groningue, en a écrit exprès, et très pertinemment. Je ne recommanderai pas ici son ouvrage par d’autre considération que par le mérite de l’auteur. Ce que j’ai vu de lui sur les différents sujets m’oblige de croire que c’est un des plus savants hommes du monde ; et j’avoue librement que le petit livre qu’il en a fait m’a plus fourni de matière que tous les autres auteurs ensemble. J’ai suivi sa méthode et ses chapitres autant que j’ai pu ; du reste, j’en ai fait comme la mode des habits le persuade à chaque nation : ce qui sied bien à l’Hollandaise peut être retranché quand on se veut habiller à la Parisienne.

J’avais appris quelque chose de ces tourbes par la relation que des Picards et des Flamands m’en avaient faite. L’usage qu’ils en pratiquent vers la rivière de Somme leur en avait donné quelque intelligence ; mais en vérité, je les juge bien négligents de n’avoir pas éclairci le reste du monde de cet avantage, puisqu’il nous le pouvaient produire sans se porter préjudice, et qu’ainsi ils auraient eu l’honneur qu’il y a de procurer à ses voisins de nouvelles commodités. La gloire d’une telle invention, ou tout au moins celle de sa publication, est d’autant plus considérable qu’elle apporte de profit et de commodité. »

Guy Patin a disserté sur ce sujet dans sa lettre latine du 27 novembre 1662 à Marten Schoock, dont le traité « sur les Tourbes ou végétaux bitumineux » (Groningue, 1658) avait plus qu’inspiré son fils Charles, car ce qu’il a publié peut quasiment être tenu pour une traduction française du livre latin de Schoock. Les compilateurs de bonnes comme de mauvaises histoires n’en ont toujours pas fini de chercher gloriole en se copiant les uns les autres.

13.

Ce prince, prénommé Christian (1646-1699), était le futur Christian v, roi de Danemark et de Norvège, fils de Frédéric iii. Établi sur le trône le 9 février 1670, à la mort de son père, Christian fut le premier roi de Danemark par droit d’hérédité (et non par élection).

14.

Philippe Des Portes (Desportes, Chartres 1546-abbaye Notre-Dame de Bonport à Pont-de-l’Arche, Normandie 1606), abbé et poète de cour français, est auteur d’une œuvre abondante, principalement influencée par les maîtres latins et italiens. Il dut sa fortune à l’amitié du duc Anne de Joyeuse (v. notule 1‑{a}, note [47] du Borboniana 8 manuscrit) qui lui fit obtenir la protection du roi Henri iii : pour ses talents de plume, le souverain lui donna 30 000 livres et plusieurs abbayes, dont celle de Tiron (en 1582, v. note [7] du Borboniana 10 manuscrit). Il quitta pourtant le parti du roi pour prendre celui des Guise, se retirant à Rouen auprès de Villars (v. infra note [15]) dont il devint le conseiller, avant de se séparer de lui pour une querelle de jupons, que Tallemant des Réaux a contée dans son historiette sur Des Portes (tome i, pages 37‑40, v. note [7] du Borboniana 10 manuscrit).

L’abbé de Tiron faisait un bon usage de ses nombreux bénéfices : il s’était formé une riche bibliothèque, qu’il ouvrait volontiers à tous les savants. La qualité de ses vers lui a valu le surnom de Tibulle français. Jacques Davy Duperron (v. note [20], lettre 146) fut disciple de Des Portes (v. la fin de la note [64] du Borboniana 4 manuscrit). V. notes [46][48] du Borboniana 8 manuscrit pour un complément d’informations sur Des Portes.

Guy Patin renvoyait à ce passage de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (livre cxxxvi, règne de Henri iv, année 1608 (Thou fr, volume 14, page 517) :

« Je vais maintenant parler des hommes illustres dans les belles-lettres, qui finirent leur carrière cette année. Le premier qui se présente est Soffrede ou Sofroi de Calignon, {a} chancelier de Navarre, natif de Grenoble en Dauphiné, à qui peu d’hommes peuvent être comparés, par rapport à l’esprit et au savoir. Il avait beaucoup d’expérience et de dextérité dans les affaires, et une douceur de mœurs admirable. Dès ma première jeunesse, j’avais lié au collège une étroite amitié avec lui : les guerres, l’absence et différentes circonstances firent que dans la suite cette amitié fut peu cultivée ; mais dans ces derniers temps nous l’avions renouée. J’ai travaillé avec lui durant trois ans entiers à procurer l’édit de Nantes. À l’âge de 56 ans et quelques mois, il fut attaqué de la maladie dont il mourut ; cet homme, qui avait toujours été si enjoué, tomba tout à coup dans une sombre mélancolie. Comme il était dans un grand assoupissement causé par une pesanteur de tête, je lui parlai et ma voix le réveilla. Il me dit ces mots : Les gens de bien ne doivent pas être attachés à la vie. Paroles d’un triste augure, qui annonçaient sa mort prochaine et les malheurs dont l’État était menacé.

Philippe des Portes de Chartres mourut le 6 octobre près du Pont-de-l’Arche, {b} dans l’abbaye de Bonport dont il était abbé, âgé de 61 ans. Il mena une vie fort douce, toujours prêt à obliger tout le monde, et s’adonna à la poésie avec beaucoup de succès ; en sorte qu’après Ronsard, Du Bellay et Belleau, {c} on peut dire que ce fut un de nos premiers poètes. Son talent pour les vers ne l’empêcha point d’entrer dans les plus grandes affaires. Dans ce temps que le duc de Joyeuse était tout-puissant à la cour, sous le règne de Henri iii, il était lui-même tout-puissant auprès de ce duc. Lorsqu’il eut été tué, {d} il quitta la cour et se remit à l’étude. Ce fut alors qu’il travailla à sa paraphrase des Psaumes en vers français, ouvrage très estimable. » {e}


  1. V. supra note [3].

  2. En Normandie, aujourd’hui dans le département de l’Eure (v. note [44], lettre 197).

  3. Rémy Belleau (Nogent-le-Rotrou 1528-Paris 1577), l’un des cinq autres poètes de la Pléiade.

  4. À la bataille de Coutras.

  5. Cent Psaumes de David, mis en vers français… (Rouen, Raphaël du Petit Val, 1600, in‑12).

15.

La Vertu du Catholicon d’Espagne, au début de la Satire Ménippée (pages 15‑16 de l’édition de 1882) : {a}

« Quant au charlatan lorrain, il n’avait qu’un petit escabeau devant lui, couvert d’une vieille serviette, et dessus, une tirelire {b} d’un côté et une boîte de l’autre, pleine aussi de Catholicon, dont toutefois il débitait fort peu parce qu’il commençait à s’éventer, manquant de l’ingrédient le plus nécessaire, qui est l’or. Et sur la boîte était écrit :

Fin galimatias alias Catholicon composé
pour guérir les écrouelles
. {c}

Ce pauvre charlatan ne vivait que de ce métier et se morfondait {d} fort, combien qu’il fût affulblé d’un caban {e} fourré tout pelé, à cause de quoi les pages l’appelaient monsieur de Pellevé. {f} Et, pour autant que l’Espagnol {g} était fort bouffon et plaisant, ils l’appelaient monsieur de Plaisance. À la vérité, la drogue de celui-ci était souveraine. J’ai vu monsieur d’Aumale, comte de Boulogne, qu’elle a guéri de la jaunisse safranée {h} dont il languissait ; le poète de l’Amirauté {i} en a été guéri de la gratelle {j} dont il était rongé jusqu’aux os ; […]»


  1. V. note [18], lettre 310.

  2. « Petit tronc portatif qui a une ouverture en haut, dans laquelle on fait passer la monnaie qu’on veut donner en aumône » (Furetière).

  3. V. note [10], lettre 274, pour ces adénites tuberculeuses (scrofules) qui ont la vertu ordinaire de guérir d’elles-mêmes.

  4. « Manteau de pluie qu’on porte à cheval » (Furetière).

  5. Grelottait.

  6. Probable allusion a la noble famille de Pellevé : Gilles Ménage dit que pélevé désigne « celui qui a les cheveux droits sur le front » (en brosse) et que les Pellevé en ont tiré leur patronyme.

  7. Charlatan concurrent du Lorrain, qui vendait avec plus de succès le même Catholicon.

  8. Ictère très prononcé ; je n’ai pas trouvé trace de M. d’Aumale comte de Boulogne, sans doute un personnage fictif.

  9. V. notes [47] et [48] du Borboniana 8 manuscrit pour ce surnom de Philippe Des Portes, en lien avec sa très étroite amitié pour Anne de Joyeuse, amiral de France de 1582 à 1587.

    Guy Patin évoquait ici (mais sans doute à tort) l’un de ses successeurs, André-Baptiste de Brancas, sieur et amiral de Villars en août 1594 : s’étant jeté dans le parti de la Ligue et des Espagnols, il avait voulu faire de la Normandie une seigneurie indépendante ; il se maintint dans Rouen, même après l’abjuration de Henri iv, et se soumit en 1594. Fait prisonnier par les Napolitains au siège de Doullens, il obtint d’eux sa liberté contre une forte rançon, mais les Espagnols le découvrirent et le massacrèrent le 25 juillet 1595 (Adam). Il n’était pas apparenté au marquis de Villars (v. note [1], lettre 936).

  10. V. note [5], lettre 100.

16.

Appartenant à la riche branche parisienne des Colbert, cousine de la branche rémoise (celle de Jean-Baptiste, le ministre), Jean-Baptiste Colbert, sieur de Saint-Pouange et de Villacerf (1602-1663), avait épousé en 1628 Claude Le Tellier (morte en 1644), sœur de Michel Le Tellier, secrétaire d’État à la Guerre. Premier commis de Le Tellier, M. de Saint-Pouange, devenu banquier, était en 1640 possesseur d’une fortune estimée à un million et demi de livres (Vergé-Franceschi).

V. note [25], lettre 472, pour Anne de Lamoignon, présidente de Nesmond. Je ne suis pas parvenu à identifier plus précisément Biron, président de la Cour des aides et son épouse : peut-être s’agit-il d’une erreur de transcription.

17.

Le marquis de Richelieu, Jean-Baptiste Amador de Vignerod, petit-neveu du cardinal-ministre, était mort le 11 avril 1662. Son mariage avec la fille de Mme de Beauvais avait en son temps (novembre 1652) fait grand bruit à la cour (v. note [40], lettre 297).

18.

« de par le droit antique et ancestral qui établit une totale communauté de sentiments [xumpatheia panta] entre prélats, grands du royaume et médecins. »

Par ce précepte (auquel je n’ai pas trouvé de source), Guy Patin justifiait le déni quasi absolu du secret médical qui meuble toute sa correspondance. V. note [8], lettre 863, pour la mort de la maréchale de Turenne, Charlotte de Caumont de La Force.

19.

Il y avait alors trois trésoriers de l’Épargne déchus : Claude Guénégaud, Nicolas Jeannin de Castille (gendre de Gaspard Fieubet et cousin par alliance de Nicolas Fouquet) et Macé ii Bertrand de La Bazinière. Ils étaient triennaux, c’est-à-dire qu’ils exerçaient leur charge une année sur trois, en alternance.

20.

La maladie d’Anne d’Autriche allait être pour l’antimoine l’occasion d’un nouveau triomphe à la cour (Mme de Motteville, Mémoires, pages 531‑532) :

« Le carême […] fut religieusement observé par la reine mère : elle le jeûna même avec plus d’austérité que les autres, quoique déjà son âge la dispensât de cette obligation. Elle en fut incommodée et à Pâques {a} elle fut contrainte d’avouer qu’elle n’en pouvait plus. Aussitôt après les fêtes, elle reprit son bon visage et parut dans le meilleur état du monde. Le 10 d’avril, elle commença de se trouver mal ; elle eut de grandes lassitudes aux bras, mal aux jambes, mal au cœur et la fièvre. Le lendemain, se moquant de son mal, elle nous assura qu’elle se portait mieux, et se contenta seulement de garder la chambre ; mais elle eut tout le jour mauvais visage.

Le lendemain, la reine mère eut la fièvre tout le jour et fut saignée sur le soir. Le second jour d’après, la fièvre se réglant en tierce, elle eut un grand accès accompagné de rêveries, d’oppression et de mal de tête. La famille royale fut aussitôt troublée de cet accident ; le roi en parut inquiété, Monsieur eut le cœur touché de crainte, la reine {b} eut recours aux larmes, Madame parut moins gaie et toute la cour fut abattue de tristesse. Au neuvième jour de la maladie de cette princesse, elle fut saignée pour la cinquième fois ; et cette quantité de sang tiré de ses veines, qui avait diminué ses forces, fit que ce même jour, ayant voulu se lever pour faire son lit, {c} elle se trouva mal. […]

Les accès de sa fièvre continuèrent et devinrent enfin si violents que les médecins crurent qu’elle deviendrait continue ; mais elle se fit double-tierce et dura longtemps. Son mal demeura dans cette force jusqu’aux fêtes de la Pentecôte [13 mai], sans empirer ni diminuer. Alors, le 13 mai, on proposa de lui donner de l’émétique, mais elle y résista fortement. […] Quand ensuite les médecins, pour la seconde fois, voulurent presser la reine mère de prendre de l’émétique, elle leur répondit que puisque son mal durait, et que les prières publiques qu’on avait faites pour elle et pour sa santé ne l’avaient point obtenue, il fallait croire que Dieu la voulait malade, qu’elle consentait qu’on lui fît des remèdes ordinaires, mais qu’elle n’en voulait point d’autres et qu’elle souhaitait de souffrir son mal autant qu’il plairait à Dieu de le lui laisser. […]

Le quarantième jour de la maladie de la reine mère, les médecins, pressés par ses serviteurs, qui ne cessaient de leur représenter que d’autres personnes avaient été guéries d’un même mal par de la poudre de vipère, parurent vouloir lui en donner ; mais comme ils sont gens qui pour l’ordinaire désapprouvent ce qu’ils ne pratiquent pas, ils lui donnèrent enfin du quinquina. Ce remède lui ôta la fièvre, c’est-à-dire la firent cesser pour quelque temps en arrêtant l’humeur, mais lui laissa l’esprit rempli de vapeurs avec une manière d’assoupissement qui paraissait fâcheux. Elle demeura par leur ordre seize jours en cet état, sans être purgée parce qu’ils craignaient de faire revenir la fièvre par l’émotion de la médecine. {d} […]

Les médecins ayant purgé la reine mère, sa fièvre revint avec plus de violence que jamais, et cette rechute les fit résoudre de lui donner de l’émétique. Le roi […] la pria instamment de prendre ce remède, pour lequel elle paraissait avoir grande aversion. Son confesseur lui dit aussi qu’il le fallait faire, que non seulement elle ne s’opposerait point en cela à la Providence divine sur elle, mais que, le faisant pour l’amour de Dieu, son action serait louable ; si bien qu’elle s’y résolut aussitôt. Elle en prit deux fois et guérit entièrement par ce dernier remède.

La joie fut grande dans la cour par le retour de cette précieuse santé. La crainte de perdre la reine mère avait glacé les cœurs de tous les gens de bien : les pauvres la regardaient comme leur mère et les affligés, comme leur protectrice. Dans les jours qu’elle avait été en péril, les églises furent toujours remplies de toutes sortes de personnes qui demandaient à Dieu la vie de cette vertueuse reine. Les fêtes et les dimanches, la salle de ses gardes et son antichambre étaient pleines d’artisans qui, au lieu d’aller se promener selon leur coutume, venaient en foule savoir comment elle se portait ; et dans les rues, ils demandaient tout haut de ses nouvelles avec empressement et tendresse ; Dieu le permettant ainsi, sans doute pour lui faire recevoir de ce même peuple, dont elle avait autrefois été injustement outragée, une réparation publique de leur faute passée, que leur affection présente et leur véritable repentir effaçaient d’une manière bien glorieuse pour elle. » {e}


  1. Le 25 mars 1663.

  2. Marie-Thérèse.

  3. Pour qu’on lui fît son lit.

  4. Le mouvement produit par le purgatif.

  5. Cette fièvre et fatigue opiniâtres de la reine mère pouvait être le préambule du cancer du sein (v. note [4], lettre latine 244) qui allait devenir patent à la fin de l’année suivante.

21.

« sur les Animaux de la Sainte Écriture » : v. note [43], lettre 240.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 mai 1663

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(Consulté le 23/04/2024)

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