Je vous remercie du petit paquet que m’a rendu M. Colot, tout y est beau et savant. Feliciter agit cum nostro sæculo quod tantos viros protulit, [1] j’entends les R.P. Bertet [2] et Ménestrier, [3] quibus pro tantis muneribus gratias ago singulares. [2] Mais comment se porte le R.P. Théophile, [4] utinam vivat in multos annos, nec mors eum attingat [3] que quand il verra toutes ses œuvres imprimées en 20 volumes in‑fo. Que j’ai bien envie de voir tout cela ! Nous avons aujourd’hui présenté à M. le premier président [5] le Cardan [6] de Lyon en dix volumes de papier fin. Il a fort bien reçu M. Ravaud [7] et je suis assuré qu’il ne se repentira pas de lui avoir fait ce présent. [4] La reine mère [8] est bien, Dieu merci. Elle ira bientôt à Saint-Germain-en-Laye [9] prendre l’air et se refaire. [5] Le roi [10] et la jeune reine sont allés à Versailles, [11] qui, avec M. le Dauphin, [12] sont en bonne santé. [6][13] J’ai vu aujourd’hui M. le comte de Rebé [14] sortir de chez M. le premier président, appuyé d’un bâton. Il était avec M. l’abbé de La Bastide. Il a bien la mine d’un homme qui n’a su quitter le péché, mais que le péché quitte. Il m’a salué fort humainement, et moi de même, lui et sa compagnie, mais il avait autrefois bien des compagnes dont il n’a plus à faire. On peut dire dorénavant de lui ce qu’a dit Juvénal in opere admirando, Sat. x : [15] Iacet sine ramice nervus, et quamvis tota palpetur nocte, iacebit. [7][16] Ou bien il dira lui-même au premier proxénète quod ille effœtus apud Petronium : Crede mihi frater, non intelligo me virum esse, non sentio : funerata est pars illa corporis qua quondam Achilles eram. [8]
On s’en va transférer au palais de l’Arsenal [17] la Chambre de justice. [18] On dit que M. Delorme [19] n’est point mort. [9] M. le comte de Commières, [20] de votre pays, a été condamné à la Tournelle [21] d’avoir la tête coupée en Grève ; [22][23] ce qui a été exécuté mercredi 30e de mai. Je le vis passer sur le Pont Notre-Dame, [24] je soupai le même jour avec M. le premier président qui avait présidé au jugement. C’est Mlle de Saint-André qui l’a poursuivi et lui a fait trancher la tête, on dit qu’elle est cousine du marquis de Rebé. [10][25] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur, etc.
De Paris, ce 1er de juin 1663.
1. |
« Il plaide heureusement en faveur de notre siècle qui a produit d’aussi grands hommes ». Je n’ai pas identifié le « M. Colot » qui avait délivré ce paquet de livres à Guy Patin, de la part d’André Falconet. |
2. |
« auxquels je rends d’insignes grâces pour de si grands bienfaits. » Le R.P. Claude-François Ménestrier (v. note [2], lettre 748) et son confrère Jean Bertet (v. note [14], lettre 387), qui travaillait à l’édition des œuvres complètes du R.P. Théophile Raynaud (v. note [6], lettre 736), étaient deux jésuites de Lyon. |
3. |
« Dieu veuille qu’il vive encore bien des années et que la mort ne l’atteigne ». Le R.P. Théophile Raynaud mourut le 31 octobre 1663 dans de curieuses circonstances (v. note [3], lettre 757). |
4. |
V. note [8], lettre 749, pour les œuvres complètes de Jérôme Cardan, éditées par Charles Spon, dédiées au premier président Guillaume de Lamoignon, et imprimées à Lyon par Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud (1663). |
5. |
V. note [20], lettre 748, pour la fièvre opiniâtre d’Anne d’Autriche. |
6. |
Dans sa lettre suivante, à Charles Spon, Guy Patin a évoqué la grave rougeole dont le roi fut victime à Versailles du 28 mai au 6 juin. Antoine Vallot, son premier médecin, en a laissé le récit détaillé dans le Journal de santé du roi (pages 146‑151) :
Vallot s’en tira, la bonne nature aidant, avec des remèdes cordiaux et la saignée répétée (mais sans émétique) :
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7. |
« dans l’admirable ouvrage qu’est sa satire x : “ Son sexe sans < sic > varicocèle pendouille ; et on aura beau le caresser toute une nuit, il pendouillera quand même ” » (Juvénal, Satire x, vers 205‑206). Pierre Pic (Introduction, pages xxv‑xxvi) a remarqué l’erreur :
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8. |
« ce que disait cet homme épuisé dans Pétrone : {a} “ Crois-moi, frère, je ne sens plus que je suis un homme ; je n’y comprends rien. Elle est morte, cette partie de mon corps qui jadis faisait de moi un Achille. ” » |
9. |
10. |
Frédéric Noëlas, Légendes et traditions foréziennes (Roanne, Durand, 1865, in‑8o), page 343 : « On trouve dans les Archives de Roannais, à la date du mois de juin 1663, l’arrêt de confiscation de la seigneurie de Commières : {a}“ Lettres patentes de Louis xiv, roi de France, par lesquelles : en considération des fidèles et recommandables services qui lui ont été rendus par messire Camille de Neufville, archevêque et comte de Lyon, {b} etc., Sa Majesté, en confirmant son brevet du 9 du dit mois de juin, lui donne et transporte tous les biens meubles et immeubles qui ont appartenu à feu Jean-François-Claude d’Ogerolles de Thélis, comte de Commières, {c} atteint et convaincu de rapt et enlèvement de demoiselle Élisabeth de Saint-André, pour raison duquel crime, il a été condamné à avoir la tête tranchée, et ses biens adjugés à Sa Majesté, par arrêt de la Cour du Parlement de Paris, du 30 mai 1663, pour lesdits biens en jouir par ledit archevêque, pleinement, paisiblement et perpétuellement, ses successeur et ayant cause, comme de son propre, et vrai et loyal acquet, etc. ” |
a. |
Bulderen, no ccxciv (tome ii, pages 366‑368) ; Reveillé-Parise, no dcxv (tome iii, pages 438‑439). |