L. 767.  >
À André Falconet,
le 5 février 1664

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre lettre datée du 5e de janvier des mains de M. Jérôme Colot. [1][2] Vous étiez encore alors à Turin [3] et maintenant, je me persuade que vous êtes à Lyon ; ainsi soit-il. On dit que la paix va se faire en Italie avec le pape, [4] mais qu’il en faut attendre la ratification et l’exécution, et que, nonobstant tout cela, le roi [5] ne laissera pas d’aller à Lyon le mois de mai prochain ; mais tout cela est incertain, aussi bien que tout ce qui dépend de l’avenir. Quelques-uns des nôtres qui connaissent M. Vézou [6] (c’est celui que je ne vis jamais et duquel je ne sais rien que par ouï dire) disent qu’il est tombé malade à Turin. Une grande maladie en pays étranger, arrivée de la sorte, me fait pitié, même pour un inconnu. On dit que M. Fouquet [7] ne peut être jugé de six mois, pour avoir obtenu que les comptes de l’Épargne lui soient communiqués afin que par après, il puisse répondre sur les objections qu’on voudra lui faire. [2] La peste est cessée à Amsterdam. [8][9] On dit que, quand bien la paix serait faite avec le pape, M. le maréchal Du Plessis-Praslin [10] ne laissera point d’aller en Italie pour y commander l’armée du roi ; c’est donc signe qu’il y a quelque autre dessein. Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 5e de février 1664.

L’on a envoyé des gens à Arras [11] pour amener prisonnier M. de Montdejeu, [12] autrement dit le maréchal de Schulemberg, qui en est le gouverneur, pour plusieurs plaintes qui sont contre lui. [3] Plusieurs morts subites arrivent ici à des vieilles gens, ex syncope cardiaca et obstructione cordis atque meatuum pulmonis[4][13][14] M. Morisset [15] est à Paris, quelques-uns des nôtres l’ont vu. Je n’en sais encore que cela, mais après-demain j’en saurai davantage car il est un des disputants à l’acte que nous aurons après-demain en nos Écoles. [5] M. le maréchal Du Plessis-Praslin, général destiné pour notre armée d’Italie, avait ordre de partir aujourd’hui, mais le roi l’a remis jusqu’à samedi ; encore dit-on que l’on attend un courrier ; s’il arrive, il pourra bien encore différer ce partement et tout au pis aller, on dit que, la paix venant à être ratifiée, il ne passera pas Lyon. Mme la présidente de Thou [16][17] est morte ce matin, elle était fille de M. Picardet, [18] procureur général de Dijon. [6] Elle laisse beaucoup d’enfants à Monsieur son mari, [19] qui est frère de ce pauvre martyr du cardinal de Richelieu [20] qui mourut à Lyon l’an 1642, [21] le 4e de septembre, avec M. de Cinq-Mars. [22] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.


a.

Bulderen, no cccvii (tome ii, pages 392‑394) à Charles Spon ; Reveillé-Parise, no dcxxv (tome iii, pages 456‑457) à André Falconet.

1.

Sur les activités du cystotomiste (lithotomiste) Jérôme Colot {a} dans cette période, Claude-François Ménestrier {b} a laissé ce quatrain (pièce sans titre, ni nom, ni lieu, ni date) :

« Collot, il faut, vaille que vaille,
Que tout se soumette à ta loi.
Qui met les nobles à la taille
Ne fait-il pas plus que le roi.

Ledit quatrain a été fait à Lyon impromptu {c} le 24 avril 1663, sur le sieur Jérôme Colot, opérateur ordinaire du roi pour la pierre, le jour qu’il tira à M. Alexandre de Chevriers, commandeur de Tannay, à l’âge de 65 ans. Ladite pierre pesait cinq onces {d} avec 49 pointes fort âpres. Il a été guéri parfaitement le 25e de sa taille.

Par le R.P. Claude François Ménestrier, de la Compagnie de Jésus. »


  1. V. note [18], lettre 455.

  2. V. note [2], lettre 748.

  3. V. notule {a}, note [53] du Borboniana 7 manuscrit.

  4. Environ 65 grammes.

2.

Les pièces dont Nicolas Fouquet avait demandé la communication pour organiser sa défense se trouvaient au sein de l’amas des plus de 60 000 qu’on avait saisies. Le 3 février, ne pouvant lui refuser ce qu’il réclamait, la Cour décida qu’on rechercherait les pièces qu’il désirait et qu’on ne produirait contre lui que celles qu’il aurait étudiées. Ce délai légitimement accordé était une belle victoire pour Fouquet qui lui permettait de mieux préparer son procès avec ses avocats (Petitfils c, page 403).

3.

Jean de Montdejeu, maréchal de Schulemberg et gouverneur d’Arras (v. note [11], lettre 365), était cité dans le projet de Saint-Mandé (v. note [5], lettre 730), complot dont on accusait Nicolas Fouquet contre le royaume (Petitfils c, page 203 et Dessert b, page 356).

4.

« par syncope cardiaque {a} et obstruction du cœur et des conduits du poumon. » {b}


  1. V. note [15], lettre 554.

  2. Faute de description anatomique précise, il est ici impossible de savoir de quels genres de morts subites Guy Patin voulait parler exactement : était-ce ce qu’on nomme aujourd’hui infarctus du myocarde, embolie pulmonaire, maladies qui existaient sûrement déjà, mais qui n’avaient pas encore été bien caractérisées (v. note [8], lettre 725) ?

5.

le jeudi 7 février 1664, sous la présidence de Toussaint Fontaine, le bachelier Jacques de Bourges allait disputer une thèse quodlibétaire sur la question : An viscerum obstructionibus serum lactis ? [Le petit-lait convient-il dans les obstructions des viscères ?] (conclusion affirmative).

6.

Le 5 février 1644, le président de Thou, Jacques-Auguste ii, avait épousé Marie Picardet. Elle était fille de Hugues Picardet, procureur général au parlement de Dijon, et de Marie Le Prévost, nièce de Charles Le Prévost (v. note [2], lettre 703).

Louis-Auguste, premier enfant du couple, avait été baptisé le 9 juillet 1646 (Le président de Thou et ses descendants, leur célèbre bibliothèque, leurs armoiries et les traductions françaises de J.‑A. Thuani Historiarum sui temporis ; d’après des documents nouveaux par Henry Harrisse, Paris, Henri Leclerc, 1905, in‑8o, page 7).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 5 février 1664

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(Consulté le 24/04/2024)

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