Le marchand de dentelles et point de Venise [2] nommé Salar [3] est toujours dans le cachot noir du grand Châtelet. [4] Il est accusé de plusieurs faussetés, il promet à ses juges de leur révéler bien des vérités et d’accuser beaucoup de complices, pourvu qu’il ait la vie sauve. On dit néanmoins qu’il sera pendu. [1] Il y a ici des femmes de marchands prisonnières pour la fausse monnaie [5] et pour l’avoir débitée. L’affaire de Chartres [6] est tout à fait mauvaise : le fils de M. Grenet, [7] procureur du roi, et le vice-bailli son gendre [8] sont tous deux en fuite. Il y a une femme prisonnière et deux valets. Tout est pris et saisi. M. de Fortia, [9] maître des requêtes, commissaire député et envoyé sur les lieux, est ici attendu dans trois jours. [2] La Chambre de justice [10] fait bien des recherches sur plusieurs particuliers et en fait mettre beaucoup en prison.
On imprime ici les Conciles en 15 tomes in‑fo, le Balzac [11] tout entier en deux tomes, le Mézeray [12] en quatre tomes, etc. [3] On espère de voir bientôt ici une nouvelle pièce de défense pour M. Fouquet, [13] laquelle, à ce qu’on dit, s’imprime hors du royaume et qui surpassera en beaux raisonnements tout ce qui jusqu’ici a été fait pour sa défense. Enfin M. Morisset [14] revient, un de ses particuliers amis vient de m’en assurer ; c’est qu’il est d’accord avec ses créanciers par le moyen de M. Vallot [15] qui lui a obtenu du terme et de l’assurance contre tant de demandes. Ô misérable vanité, que tu fais de mal au monde !
Il y a ici une nouvelle criminelle, c’est une femme d’environ 50 ans qui a toujours fait la belle, veuve d’un marchand de passements [16] de la rue au Fer et fille de Boussingaut, [17] fameux marchand de vin, et que j’ai autrefois traité malade. Elle est prisonnière pour avoir eu intelligence avec des faux monnayeurs [18] qui faisaient des lis d’or [19] de 7 livres, et elle les distribuait et faisait passer pour bons, moyennant 15 sols de profit sur chaque pièce. [4] Mon Dieu, que les méchants sont malheureux ! Maudit argent, que tu fais de mal au monde ! L’avarice et la vanité sont les démons qui le gouvernent aujourd’hui. Cette veuve s’appelle Mme Le Fèvre, [20] elle a une fille mariée à un nommé M. Gervais de La Marche qui a été officier du roi. On dit que le cardinal-légat [21] vient, qu’il arrivera à Fontainebleau [22] où le roi [23] se rendra le 25e de mai pour l’y recevoir. [5][24] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 18e d’avril 1664.
Le roi ira au Palais bientôt pour quelque suppression contre les jansénistes. [6][25][26] Quand le roi sera à Fontainebleau, la Chambre de justice sera à Moret [27] et les prisonniers à Montereau-fault-Yonne. [7][28] M. l’archevêque de Rodez [29] a ses bulles [30] pour l’archevêché de Paris dont il prendra demain possession. [8]
1. |
V. la lettre du 8 février 1664 à André Falconet pour le début de la mauvaise affaire où le dénommé Salar était empêtré. |
2. |
Bernard ii de Fortia, seigneur du Plessis-Cléreau etc., avait été reçu conseiller au parlement de Rouen en 1642, puis maître des requêtes en 1649 ; il était depuis 1659 intendant de justice d’Orléans et de Bourges. Il mourut à Paris en 1694, âgé de 70 ans, après avoir rempli de nombreuses et prestigieuses charges judiciaires (Popoff, no 1228). V. note [28] du Borboniana 4 manuscrit pour son père, Bernard i, avec des considération fort peu amènes sur les origines juives de leur famille. Le site des édits, arrêts, ordonnances monétaires de l’autorité royale et des Cours souveraines répertorie, en date du 15 mai 1664, à Chartres, un : « Jugement de Monsieur de Fortia, conseiller du roi en ses Conseils et commissaire député pour enquêter sur des crimes de fausse monnaie, portant condamnations de Julien Colin, {a} vice-bailli de Chartres, de Jean Grenet, procureur du roi au bailliage, maréchaussée et siège présidial de ladite ville, ainsi que leurs complices, pour crimes, vols de grands chemins et fabrication de fausse monnaie. |
3. |
Je n’ai pas trouvé l’énorme ouvrage sur les conciles que Guy Patin annonçait ici en 15 volumes in‑fo ; v. note [16], lettre 293, pour la collection royale des conciles imprimée au Louvre en 37 volumes in‑fo (1644). V. notes [9], lettre 675, pour les Œuvres complètes de Jean-Louis Guez de Balzac (deux tomes, Paris, 1665), et [11], lettre 776, pour l’Abrégé chronologique… de François Eudes de Mézeray (trois tomes, Paris, 1667). |
4. |
Le 21 avril 1664, la Cour des monnaies rendait un Arrêt pour l’exposition des lis d’or (Paris, Sébastien Cramoisy et Sébastien Mabre-Cramoisy, 1664, in‑4o) :
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5. |
6. |
La Gazette, ordinaire no 59 du 17 mai 1664 (pages 478‑480) :
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 130‑131) a aussi laissé une relation du lit de justice du mardi 29 avril 1664 :
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7. |
Montereau-fault-Yonne est le nom complet de Montereau en Champagne (Seine-et-Marne), située au confluent de l’Yonne et de la Seine, là où l’Yonne fault (se termine). V. note [3], lettre 780, pour le transfert, le 24 juin, des prisonniers et de la Chambre de justice à Moret-sur-Loing, sur la Seine à une douzaine de kilomètres en aval de Montereau. |
8. |
Hardouin de Beaumont de Péréfixe (v. note [38], lettre 106) avait été désigné archevêque de Paris le 30 juillet 1662. Cependant, en raison des difficultés entre Rome et Paris, il avait dû attendre deux ans avant d’être confirmé, le 24 mars 1664. Ce délai explique le curieux titre d’archevêque (au lieu d’évêque) de Rodez que lui attribuait ici Guy Patin (à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de transcription des anciens éditeurs). La Gazette, ordinaire no 47 du 19 avril 1664 (pages 375‑376) :
Le 19 avril, l’archevêque de Paris prit possession de son église, Notre-Dame (ordinaire no 50 du 26 avril, page 402). |
a. |
Bulderen, no cccxiv (tome ii, pages 404‑406) ; Reveillé-Parise, no dcxxxi (tome iii, pages 464‑466). |