L. 785.  >
À André Falconet,
le 13 juin 1664

Monsieur, [a][1]

Notre M. Rainssant [2] a été taillé [3] lundi matin, 9e de juin, et on lui a tiré une pierre plus plate que grosse, mais fort bien et fort heureusement. L’opération a été faite par François Colot, [4] cousin de celui que vous connaissez ; [5] M. Noël Falconet [6] connaît bien celui-ci et il lui a vu tailler [7] le bon homme Chanlate. [1][8] Le prince de Conti [9] est au lit fort malade, on dit qu’il a la fièvre, défluxion [10] sur la poitrine, et même quelque soupçon de pierre dans la vessie. Nous avons ici quantité de fièvres vermineuses [11] et nous ne les guérissons qu’en faisant les remèdes généraux : la saignée [12] et la purgation [13] sont absolument nécessaires, elles soulagent la nature de ce qui la surcharge et empêchent la continuation de la pourriture. Nos chimistes [14] ne savent pas ces secrets-là. Je vous ai écrit dans ma dernière d’une dame Le Fèvre, [15] mais ce n’est point la marchande que je connais, c’est une autre qui faisait passer de la fausse monnaie ; la vraie Mme Le Fèvre, que j’ai traitée malade en 1637, était belle, jeune et friande. Elle est encore prisonnière au Châtelet. [16] Si elle avait été à la Cour des monnaies, [17] on dit qu’il y a longtemps qu’elle aurait été pendue. Elle aura de la peine d’en échapper, c’est un conseiller des Monnaies qui me l’a dit ce matin. [18]

Le jeune Merlat [19] est parti d’ici sans me dire grand merci et sans me rendre un livre que je lui avais prêté. Il en a fait de même à un bon chirurgien qui l’a bien pansé. Peut-être qu’il vous parlera quand il sera arrivé à Lyon. Je vous dis la chose comme elle est. Le chirurgien m’en est venu parler et se plaindre à moi, je lui ai promis de vous en écrire et après avoir vu quel ordre il y mettra, j’en écrirai, s’il est besoin, un petit mot à Monsieur son père. C’est grande pitié que jeunesse, amantes, amentes[2] Les rentiers [20] font ici de grandes plaintes et bien du bruit. Le roi [21] veut rembourser tous les bourgeois, mais il retiendra par ce moyen toutes les rentes de ceux qui sont taxés à la Chambre de justice [22] et qui sont héritiers de ceux qui ont manié les finances depuis 35 ans ou qui se sont mêlés de partis. Il y a bien des gens de longue robe, des conseillers, maîtres des requêtes, des maîtres des comptes, et même des présidents au mortier qui s’y trouvent embarrassés. [3] M. le cardinal de Retz [23] est ici. [4] je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 13e de juin 1664.


a.

Bulderen, no cccxxi (tome ii, pages 420‑421) ; Reveillé-Parise, no dcxxxviii (tome iii, pages 477‑478).

1.

V. le début de la lettre à André Falconet datée du 19 avril 1661.

2.

« les amoureux n’ont pas de tête » (locution attribuée à Térence).

3.

V. note [6], lettre 784. L’implication, directe ou indirecte (à l’aide de prête-nom), de la noblesse de robe dans les partis financiers expliquait en partie les réactions contre la Couronne. La première période de la Fronde (1648) en a donné le plus éclatant exemple.

4.

V. note [1], lettre 784, pour la venue du cardinal de Retz à Paris ; Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 155) :

« Après le dîner, je fus avec mon père saluer le cardinal de Retz, logé à l’hôtel de Retz près les Capucins. {a} Nous y trouvâmes beaucoup de monde. Il est fort gaillard, faisant de grandes civilités, ayant le visage bon, les cheveux fort gris. Il doit partir demain pour aller à Saint-Denis, {a} y demeurer un jour et retourner à Commercy, ne voulant pas séjourner ici afin de ne point donner de jalousie, évitant même de voir beaucoup de monde. »


  1. Rue Saint-Honoré à hauteur de l’actuelle place Vendôme.

  2. V. note [27], lettre 166.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 juin 1664

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(Consulté le 29/03/2024)

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